République et canton de Genève

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M 2344-A
Rapport de la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport chargée d'étudier la proposition de motion de Mme et MM. Daniel Sormanni, Christian Flury, Florian Gander, Henry Rappaz, Sandro Pistis, Francisco Valentin, Christian Decorvet, Sandra Golay, Jean-François Girardet, Pascal Spuhler : Entrée en formation, les jeunes en perdition
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XII des 26 et 27 janvier 2017.
Rapport de majorité de M. Jean-Michel Bugnion (Ve)
Rapport de minorité de M. Jean-François Girardet (MCG)

Débat

Le président. Nous passons à la M 2344, qui est inscrite à notre ordre du jour pour la onzième fois. Le rapport de majorité est de M. Bugnion, remplacé par M. de Matteis. Cet objet est classé en catégorie II, quarante minutes. Monsieur de Matteis, c'est à vous.

M. Yves de Matteis (Ve), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Je remplace en effet mon excellent collègue Jean-Michel Bugnion, auteur du rapport de majorité, qui ne siège plus parmi nous. La commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport a traité la proposition de motion 2344 au cours de deux séances fin 2016. Je n'ai pas participé à ces séances, mais j'ai pris connaissance des documents accessibles.

Malgré le fait que l'ensemble de la commission partage les inquiétudes des motionnaires concernant les jeunes qui ne trouvent pas de place de formation ou qui sont en rupture de formation, tous les autres partis en présence - en dehors du parti auteur du texte - ont décidé de voter contre celui-ci. La première invite consiste à demander d'«inventorier les jeunes n'ayant pas trouvé une place d'apprentissage ou de formation, suite à un échec au test d'entrée, ainsi que les motifs». Comme cela a été expliqué en commission, il n'est pas possible d'isoler un seul critère expliquant les situations de non-apprentissage: un patron peut engager un ou une apprentie qui a échoué au test, alors qu'un stage ou un entretien non concluant peut entraîner un non-engagement. Certaines associations faîtières ont peut-être des indications ou des indices à ce propos, mais de loin pas toutes. Par ailleurs, toutes les formations professionnelles ne font pas passer les mêmes tests et les résultats sectoriels ne sont pas tous communiqués, ce qui rend difficile l'obtention du nombre et des noms des jeunes sans formation l'année suivant leur sortie du cycle d'orientation. Il est virtuellement impossible de connaître le nombre de celles et ceux qui n'ont pas de formation à cause de leur échec aux tests d'entrée.

Les deuxième et troisième invites portent sur le renforcement des moyens de mise à niveau, essentiellement au travers du CTP, le centre de transition professionnelle, qui fait suite à la scolarité obligatoire pour ceux qui n'ont pas trouvé de place de formation. Toutefois, selon la majorité de la commission, augmenter le nombre de classes en diminuant le nombre d'élèves ne paraît pas la mesure la plus efficiente a priori. Concernant l'enseignement, le travail est fait et, semble-t-il, bien fait. Par contre, il est possible qu'il soit utile d'augmenter les moyens pour résoudre les situations problématiques qui n'ont pas trait à l'enseignement mais plutôt à la santé, à la précarité sociale ou encore à d'autres problématiques non spécifiquement scolaires, voire des dossiers pris en charges par le SPMi. Comme souligné en commission, le DIP, notamment à l'aide du groupe de travail «Parcours et fragilité», devrait proposer - il l'a peut-être même déjà fait - des pistes afin de résoudre certaines problématiques. Cette motion est rendue particulièrement nécessaire par l'obligation constitutionnelle de la formation obligatoire jusqu'à 18 ans. Selon le rapport et la majorité de la commission, il est plus judicieux d'attendre les conclusions de ce groupe de travail pour savoir quels moyens sont à mobiliser et où ils devront l'être. Dans le contexte de cette obligation constitutionnelle, comme l'a souligné la magistrate en novembre dernier, l'évolution progressive du CTP qui va devenir le centre de formation pré-professionnelle - CFPP - constituera par ailleurs également une partie de la solution.

La quatrième invite a été retirée sur proposition de l'auteur de la motion. La cinquième invite demande de fixer un seuil de 50% de réponses justes pour la réussite du test EVA - l'évaluation informatisée des connaissances scolaires pour l'entrée en apprentissage dual - avec la possibilité de recommencer le test après avoir échoué. A part les motionnaires, les autres membres de la commission se sont étonnés de ces propositions: les entreprises sont indépendantes de l'Etat et ce dernier ne peut leur dicter le taux de compétences requis pour un engagement; le DSE, chargé de l'économie, pourrait également confirmer cette affirmation. En outre, la possibilité de refaire le test existe, certes après une année consacrée, logiquement, à combler les lacunes responsables de l'échec.

Par contre, la motion a au moins permis de poser la question: il serait intéressant de voir dans quelle mesure certains tests seraient excluants car empêchant même les entreprises d'engager des jeunes n'ayant pas réussi un test et, surtout, il faudrait faire en sorte d'offrir des solutions - et donc un travail - aux jeunes ascolaires ou migrants qui n'ont pas réussi à atteindre le niveau de français requis pour les tests, malgré des compétences professionnelles par ailleurs très bonnes. C'est déjà le cas dans les milieux de l'hôtellerie ou de la restauration, qui fournissent d'ores et déjà du travail sans obligation de remplir des tests.

Forte de ces constats et malgré la pertinence de certaines questions posées, la grande majorité de la commission, soit tous ses membres à l'exception des motionnaires, a voté en défaveur de cette motion.

M. Jean-François Girardet (MCG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je remercie tout d'abord le rapporteur remplaçant de M. Bugnion pour ses conclusions. Son dernier paragraphe notamment démontre que la commission n'a pas su saisir l'importance à donner à cette motion. Le 13 mai 2016, il y a bientôt deux ans, le député Sormanni a cherché à connaître le nombre de jeunes qui seraient exclus d'une formation suite à un échec au test EVA. La réponse du Conseil d'Etat à sa première question n'a guère de quoi rassurer. J'ai mis la réponse à cette question - la QUE 485-A - en annexe à ce rapport. Je cite une partie de la réponse: «Le nombre de jeunes n'ayant pas trouvé une place d'apprentissage ou de formation après avoir effectué un test EVA est inconnu.» En septembre 2016, le MCG déposait donc cette proposition de motion à la suite de cette question écrite urgente dont un élément de réponse vient de vous être cité. En commission, la conseillère d'Etat Anne Emery-Torracinta, avec ses explications, a confirmé l'immensité du chantier qu'imposent la constitution et la mise en vigueur de cette mesure dès la rentrée 2018. Le taux de 14% de jeunes dans les structures de transition - il a doublé en quinze ans - démontre la nécessité d'agir rapidement. Le MCG proposait d'auditionner à la commission de l'enseignement au moins les enseignants des classes du CTP pour imaginer avec eux des solutions afin de diminuer ce taux de 14%, notamment dans la perspective de l'application de la LIP à l'horizon 2018. Les causes des échecs constatés ne sont pas monolithiques et cette motion propose des pistes pour y répondre en concertation avec les employeurs également. Il s'agira probablement d'élargir les compétences du CTP et d'en augmenter les moyens. Nous n'avons pas le droit de laisser les jeunes «disparaître» - entre guillemets - des dispositifs existants sans savoir ce qu'il advient d'eux ! Il est de notre devoir de députés de tout mettre en oeuvre pour que la formation initiale soit la meilleure garantie pour un départ serein dans la vie active. Genève doit prévenir le chômage des jeunes par un effort constant porté à leur formation. N'oublions pas non plus le coût social pour le canton, sachant qu'un jeune sans CFC a quatre fois plus de risques de se retrouver sans emploi, soit à la charge de la société. Ce texte demande au département de faire des propositions concrètes pour connaître les causes des décrochages scolaires et pour resserrer le filet formatif en encadrant plus et mieux afin que chaque jeune puisse trouver une formation à sa majorité dans le cadre de la mise en oeuvre de la nouvelle LIP que le MCG avait appelée de ses voeux.

Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, à la lumière de ces explications, nous vous invitons à accueillir favorablement cette proposition de motion dont les invites permettent d'espérer une formation pour tous sans exclusion de qui que ce soit.

Mme Isabelle Brunier (S). Le rapporteur de majorité remplaçant a donné tous les arguments qui ont fait que la majorité de la commission n'est pas entrée en matière sur cette proposition de motion. Le parti socialiste n'a pas changé d'avis depuis lors. Il partage les préoccupations des motionnaires mais considère - on a pu le constater en commission - que ce qui est demandé par les invites est soit impossible, soit inutile, soit en cours de réalisation avec la mise en place de la formation jusqu'à 18 ans. Malheureusement, nous n'irons pas plus loin et nous vous invitons, comme la majorité de la commission, à refuser ce texte.

M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai lu avec attention le rapport de majorité et les explications données, mais je trouve quand même les réponses du département et du Conseil d'Etat à la question écrite totalement lacunaires: on a l'impression qu'on ne sait pas ce que deviennent tous ces jeunes mais on tourne la page, on passe à autre chose. Non, Mesdames et Messieurs ! Nous avons la responsabilité de faire le mieux possible pour que tout un chacun puisse accomplir une formation, qu'elle soit supérieure, qu'elle soit intermédiaire ou que ce soit un apprentissage. Or, on s'aperçoit qu'il y a de plus en plus de jeunes en difficulté, les chiffres du rapporteur de majorité le démontrent. Un certain nombre d'entre eux se retrouvent dans les centres de transition professionnelle, puisque leur nombre a doublé en quelques années, mais ce n'est pas suffisant. Je pense qu'il faudrait les renforcer. On ne sait pas ce que deviennent un certain nombre de jeunes, comme c'est dit dans la réponse à la question écrite urgente. On ne sait pas ce qu'ils deviennent ! J'ai entendu souvent dans ce parlement, notamment sur les bancs du PLR, qu'il faut s'occuper des apprentis et qu'il faut favoriser l'apprentissage. Je vois que le député Barrillier hoche la tête et je suis d'accord avec lui, mais si on veut favoriser l'apprentissage, il faut peut-être se préoccuper de savoir ce que deviennent ces jeunes qui quittent l'école, parce que la fin de l'école obligatoire survient à 15 ans aujourd'hui. Après, on ne sait pas ce qu'ils deviennent et on ne s'en préoccupe pas ! Je crois qu'on doit s'en préoccuper, d'abord parce que les entreprises ont besoin de main-d'oeuvre et qu'il y a des métiers où on peine à en trouver. Or, on ne fait pas l'effort de chercher.

J'ai aussi entendu Mme la députée Brunier nous dire que c'était irréalisable ou inutile. Inventorier les jeunes qui n'ont pas trouvé une place de formation, je ne vois pas en quoi c'est irréalisable et en quoi c'est inutile. Je ne vais pas continuer la liste parce que ça a déjà été dit trente-six fois: oui, il faut se préoccuper de ce problème, et on a l'occasion de le faire à double titre, parce qu'on va vers une formation jusqu'à 18 ans. Il ne suffira pas de décréter cette obligation avec quelques articles de loi: vous croyez que les jeunes qui décrochent sur le plan scolaire vont suivre des formations jusqu'à 18 ans ? Moi, je n'y crois pas du tout, même si j'y suis favorable ! Donc, il faut bien voir ce qui arrive, ce qui fait que des jeunes décrochent, pourquoi ils décrochent, où ils sont, qui ils sont et ce qu'on peut faire pour les accompagner afin qu'ils puissent continuer leur formation jusqu'à 18 ans et finir une formation qui va leur permettre de se lancer dans la vie. On peut préférer que ces gens soient à l'assistance sociale, qu'ils ne paient donc pas d'impôts et que cela nous coûte deux fois le prix, mais je crois que ce n'est pas la bonne solution.

Heureusement encore, pour donner quitus par rapport à ce qui a été dit ce matin, je crois qu'à Genève, nous ne sommes pas dans les banlieues françaises. Il n'y a pas de banlieue à Genève, bien heureusement ! Mais c'est parce qu'on y a pris garde, parce qu'on a travaillé là-dessus, parce qu'on a essayé de travailler sur la mixité pour éviter ces ghettos ! En ne faisant rien, on va dans cette direction - les bras m'en tombent. Les bras m'en tombent quand je vois que personne dans ce parlement, à part le MCG, n'a dit que cette motion était peut-être une bonne idée, qu'il fallait peut-être gratter un peu, qu'il fallait peut-être écouter un peu les acteurs qui travaillent justement dans ce secteur intermédiaire, notamment les centres de transition professionnelle. Je suis vraiment étonné qu'il n'y ait pas plus d'écho. Oui, il faut s'occuper de nos jeunes; oui, il faut qu'ils puissent entrer en apprentissage s'ils ne peuvent pas faire des études supérieures, et je pense que le meilleur moyen de s'en occuper, c'est de renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement, puisqu'on attend d'abord ce fameux rapport, la commission de l'enseignement travaillant sur la formation jusqu'à 18 ans. C'est ça que je voulais vous proposer plutôt que cette étonnante majorité gauche-droite qui refuse cette motion - nous, on n'est ni de gauche ni de droite, alors ça va bien ! Je vous propose qu'on renvoie à nouveau cette motion à la commission de l'enseignement pour que, dans le cadre de ces deux autres projets de lois, nous voyions ce que nous pouvons faire pour ces jeunes, de façon qu'aucun jeune ne reste sur le carreau à Genève ! C'est notre responsabilité et je vous en remercie !

Le président. Merci, Monsieur. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission. Les rapporteurs ? Monsieur de Matteis, je vous passe la parole.

M. Yves de Matteis (Ve), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Etant donné que les invites ne sont pas modifiées, je ne vois pas l'intérêt d'un renvoi en commission: les conclusions seraient les mêmes par rapport à ces invites.

M. Jean-François Girardet (MCG), rapporteur de minorité. Bien sûr, nous encourageons à voter le retour en commission. Ça donnera l'occasion à Mme la cheffe du département de présenter, cette fois sur la base d'un texte parlementaire, les dispositions prises pour la rentrée 2018 en relation avec la mise en oeuvre de la loi imposant une formation obligatoire jusqu'à l'âge de 18 ans révolus. Je crois savoir qu'elle avait déjà l'intention de la présenter à la commission de l'enseignement. Je préconise donc que cette motion soit renvoyée en commission pour qu'on y reçoive toutes les informations à ce propos.

Le président. Merci, Monsieur. Madame Emery-Torracinta, voulez-vous intervenir à ce sujet ? (Commentaires.) Très bien, nous allons voter sur le renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2344 à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport est rejeté par 74 non contre 17 oui.

Le président. Nous continuons notre débat. La parole est à M. Olivier Baud.

M. Olivier Baud (EAG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, merci d'avoir refusé le renvoi de cette proposition de motion à la commission de l'enseignement: il n'y a aucune raison de la renvoyer en commission, parce qu'elle est tout simplement mauvaise, et quand un objet est mauvais, il faut savoir y renoncer et accepter la décision de la majorité. On a bien compris que ce texte a été déposé suite à l'insatisfaction de M. Sormanni face à la réponse à une question écrite - et on peut le comprendre. Comment était formulée sa question ? «Entrée en formation, test impitoyable.» Ça, c'est le titre de la question écrite urgente, mais les questions qu'elle contenait ne portaient pas vraiment sur le test. Il pose des questions auxquelles il est impossible de répondre. On l'a démontré, avec la motion, on fait la même chose, on pose les mêmes questions et la réponse reste la même: il n'est pas possible de savoir combien de jeunes vont rater leur entrée en apprentissage suite à des tests. Si ces tests EVA d'évaluation informatisée à l'entrée en apprentissage posent problème, posons le problème sur la table, concrètement. Ces tests EVA ne sont peut-être pas la panacée et on peut remettre en cause le système de sélection, mais ce n'est pas cette motion-là qui va permettre de trouver une solution et de faire avancer le débat. Il faut poser les bonnes questions, et je vous invite à refuser cette motion, malgré le problème qui existe et que personne ne nie. C'est ce qu'a dit le rapporteur de majorité qui s'est contenté, il faut le dire, d'un rapport relativement succinct. Bon, M. Bugnion n'est pas là. Peut-être qu'il était un peu pressé de partir quand il a rédigé ça ? Je ne trouve pas tout à fait normal qu'on ne retrouve pas votre intervention, Monsieur Sormanni - mais vous ne m'écoutez pas, ce n'est pas grave ! Nous dirons que M. de Matteis a bien pallié cette insuffisance; il est maintenant assez clair qu'il faut refuser cette motion.

M. Patrick Saudan (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, je tiens tout d'abord à remercier M. de Matteis qui a repris ce rapport de majorité et l'a agrémenté de beaucoup d'arguments: il est vrai que ce rapport était un peu succinct. Le PLR a refusé d'entrer en matière sur cette proposition de motion en commission et il va le faire également en plénière. Non pas que nous ne partagions pas l'avis de M. Sormanni sur la problématique évoquée - vous transmettrez, Monsieur le président: il est vrai que le fait que des jeunes sortent de notre système de formation sans passeport pour une formation certifiante constitue un problème très douloureux. C'est un problème très douloureux et nous espérons que le principe de la formation jusqu'à 18 ans, tel que décidé par le peuple à travers la constitution de 2012, va permettre de le pallier, mais les solutions esquissées par les invites de votre proposition de motion sont totalement inadéquates, en particulier la cinquième invite qui demandait de baisser les barèmes du test EVA. C'est pour ça que le PLR estime que ce n'est pas à l'Etat de s'immiscer dans l'établissement du barème de ce test: c'est du ressort des associations professionnelles. Nous ne pouvons donc pas accepter cette proposition de motion.

M. Stéphane Florey (UDC). Le groupe UDC est d'accord avec certains constats qui peuvent inquiéter, comme les échecs aux tests d'aptitude de nombreux jeunes. Effectivement, le taux d'échec est assez important, mais, en fin de compte, les demandes de la motion sont simplement inapplicables ! On peut l'appeler comme on veut, que ce soit le SCAI d'avant, le CTP de maintenant ou la future dénomination - parce qu'elle va changer - mais l'image que les jeunes ont du CTP est déplorable: ils ne veulent pas y aller, pour la grande majorité d'entre eux, et ils se retrouvent en perdition, une fois qu'ils sont là-dedans. Maintenant, si on veut améliorer le taux de réussite, je regrette que cette motion ne cible que le test EVA alors qu'il y a une multitude de tests différents: chaque branche a les siens. Les régisseurs en ont un, la Migros a les siens, la Ville de Genève aussi. Chacun a un peu ses spécialités par rapport à sa profession. Moi, ce que je regrette surtout, par rapport à ce taux d'échec, c'est que c'est le cycle d'orientation qui devrait mieux préparer les jeunes à ces tests ! Cela rejoint la motion de M. Barrillier votée il y a quelques mois, il faudrait mieux collaborer avec les professionnels. S'il y avait une vraie collaboration, peut-être qu'on pourrait mieux préparer les élèves du cycle d'orientation à ces tests en leur faisant passer au moins une fois des épreuves en blanc pour qu'ils puissent déjà appréhender l'épreuve en elle-même, pour savoir à peu près de quoi il est question. Parce que c'est aussi la grande crainte de ces jeunes qu'on envoie au casse-pipe: ils ne sont déjà pas rassurés, parce qu'il s'agit d'un test, et la plupart sont mal préparés. Ils n'ont peut-être pas tout à fait le niveau, mais ils pourraient se rendre compte de quoi il s'agit quand on les envoie faire ces tests. Pour le reste, on peut se baser sur ce qui se fait dans les écoles privées pour les remises à niveau. Là aussi, on peut injecter de l'argent pour toutes les remises à niveau qu'on veut, je n'ai pas franchement l'impression que ça va servir à grand-chose.

J'en reviens au cycle d'orientation; si autant d'élèves ont besoin de remise à niveau, si autant d'élèves sont en échec pour ces tests, c'est qu'il y a vraiment un problème avec notre niveau scolaire ! Finalement, qu'ont-ils appris en huit années d'école primaire et en trois ans de cycle d'orientation pour se retrouver en constat d'échec au bout du compte ? (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Qu'il y ait autant d'élèves qui se retrouvent dans cette situation, c'est de cela qu'on devrait s'inquiéter aujourd'hui en arrêtant de chercher des solutions alambiquées qui, au final, n'apporteront pas plus à nos élèves qui ne seront pas plus intelligents !

Le président. Il vous faut terminer.

M. Stéphane Florey. Finalement, on aura gaspillé beaucoup de moyens pour rien. Le groupe UDC refusera donc également cette motion.

M. Olivier Cerutti (PDC). Mesdames et Messieurs, je comprends les motionnaires: le décrochage scolaire et l'absence de réussite à ces tests EVA est un véritable problème pour nos jeunes. Il faut savoir aussi que, dans les cycles d'orientation, la formation duale souffre d'un véritable déficit de promotion. (Commentaires.) Oui, quand même ! Ça s'améliore, grâce à M. Barrillier, mais il est malgré tout difficile de vendre un contrat d'apprentissage. De plus, quand bien même tous ces jeunes réussiraient les tests, je ne suis pas persuadé qu'ils trouveraient tous une place d'apprentissage.

Aujourd'hui, avec l'école obligatoire jusqu'à 18 ans, vous vous trouvez devant une vraie réforme à mettre en place, Madame la conseillère d'Etat, et je suis persuadé que si cette réforme est menée avec du bon sens dans les cycles d'orientation, on parviendra à mieux diriger nos jeunes vers la formation duale qui est remarquable - je suis issu de la formation duale et je la défends: j'ai toujours un apprenti en formation dans mon entreprise. C'est aussi un lourd travail qui est demandé au patron. Je crois donc qu'il y a quelque chose à faire et qu'une vraie question est posée. On peut faire confiance à Mme la conseillère d'Etat qui nous a demandé dans ses budgets la mise en place de cette école obligatoire jusqu'à 18 ans. Mais je pense que continuer à travailler sur cette motion n'est pas la bonne formule, je vous demanderai donc de la rejeter.

M. Serge Hiltpold (PLR). Une considération pour mes divers collègues: le test d'aptitude fixe un certain niveau de compétences. Ce qui était voulu par les associations professionnelles - notamment dans les milieux de la construction - c'était d'avoir un test orienté par professions. Pourquoi ? Par exemple, le développement d'un raisonnement mécanique, d'un raisonnement géométrique ou d'une vision de l'espace permet de distinguer des compétences intrinsèques à un métier, tout en ayant connaissance de certaines lacunes. Si on s'aperçoit que le jeune a les compétences pour le métier mais qu'il a des lacunes dans d'autres branches, l'employeur informé de ce déficit peut prendre des mesures d'appui en connaissance de cause, à la signature du contrat d'apprentissage, afin d'éviter qu'un rêve prenne fin après trois, six ou neuf mois, au moment où le jeune dégringole et arrête la formation en entreprise. Une concertation entre l'Etat et les associations professionnelles est capitale et je crois que chaque métier doit garder ses spécificités dès le début d'un contrat d'apprentissage, qui est un contrat de travail, en fait !

Le président. Merci, Monsieur. Monsieur Girardet, vous avez trente secondes.

M. Jean-François Girardet (MCG), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Tout le monde s'accorde à faire le même constat sur les échecs de nombreux jeunes aux tests d'aptitude à cause de l'augmentation des normes et sur le coût social induit par ces échecs. La proposition de cette motion est précisément de présenter un inventaire puis d'améliorer le dispositif de mise à niveau et de renforcer les moyens du CTP. Cette motion n'a pas d'autre ambition que celle prise à bras-le-corps par le département, mais une motion est une intention du parlement...

Le président. Il vous faut terminer, Monsieur !

Jean-François Girardet. Nous vous demandons de lui faire bon accueil pour demander, précisément, au gouvernement d'aller dans ce sens.

Mme Anne Emery-Torracinta, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le département partage les préoccupations des motionnaires. Le Conseil d'Etat et moi-même, nous nous faisons beaucoup de soucis quant aux jeunes qu'on appelle les jeunes décrocheurs, qui ne trouvent pas d'emploi et qui, à terme, sont des candidats au chômage et à l'aide sociale. Cela dit, nous n'avons pas attendu la motion pour agir ! Monsieur le député Sormanni, comme vous ne faites pas partie de la commission de l'enseignement, vous n'avez pas eu toutes les explications que j'ai pu y donner. Ces explications données en novembre 2016 en commission figurent dans le rapport sur la proposition de motion. Entre-temps, il s'est écoulé plus d'une année et nous avons avancé sur le projet de formation obligatoire jusqu'à 18 ans dont je vais parler. Nous sommes donc maintenant beaucoup plus au clair qu'en novembre 2016.

D'abord, une remarque sur les tests EVA: ils ont été conçus et construits avec tous les partenaires, dans le cadre du Conseil interprofessionnel pour la formation, avec le cycle d'orientation et avec des spécialistes de l'évaluation. Ils ont remplacé dans bien des cas - on ne peut pas forcer les employeurs à les utiliser - les tests préparés par telle ou telle entreprise de manière individuelle. Ces tests permettent aussi d'éviter les tests payants tels qu'ils existent dans les autres cantons suisses, que les jeunes doivent payer pour avoir éventuellement une chance d'obtenir un contrat signé. C'est une vraie plus-value qui a donc été offerte aux jeunes de ce canton. Maintenant, ces tests ne donnent pas un résultat avec l'indication «réussi» ou «raté». Pourquoi ? Tout simplement parce que, selon la branche dans laquelle le jeune va postuler, on va peut-être s'intéresser plus au résultat en mathématiques ou au résultat en français, et c'est ce qui est donné aux employeurs: on dira que le jeune a fait tant de points en français, tant de points en maths, etc. Comme l'a dit M. Hiltpold, cela permet ensuite à l'employeur intéressé de savoir quelles sont les éventuelles lacunes du jeune, si le jeune peut entrer ou pas dans la filière concernée. Je crois que ces tests apportent un vrai plus. Il faut peut-être les améliorer, mais il ne faut en tout cas pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Deuxième chose, ce n'est pas le seul critère pour entrer en apprentissage. Un employeur, quel qu'il soit, regardera peut-être le résultat du test, mais il considérera aussi d'autres choses. Il prendra en compte le bulletin scolaire qui a précédé, les notes de comportement s'il y en a; il va peut-être regarder la façon de se présenter du jeune ou s'il a fait des stages; enfin, il évaluera sa motivation. Il y a une palette de critères qui font qu'on choisit un apprenti.

Ce n'est pas de la mauvaise volonté du département, mais on ne peut pas vous dire pourquoi tels ou tels élèves ne sont pas entrés en apprentissage ou n'ont pas réussi les tests. Par contre, là je rejoins en partie ce qu'a dit le député Florey, ce qu'on sait, c'est qu'il y a parfois un fossé entre les compétences des jeunes à la sortie du cycle d'orientation et les attentes du marché du travail. C'est l'histoire de la poule et de l'oeuf: est-ce la faute du cycle ou est-ce la faute du marché du travail ? Je n'ai pas envie de parler de faute: je dis simplement qu'on est dans une société dans laquelle la concurrence est de plus en plus importante pour les entreprises et dans laquelle on exige toujours plus. Effectivement, il n'y a plus de petits boulots, il n'y a plus de travail pour les personnes peu ou pas qualifiées. C'est vrai qu'il y a un problème ! Notre mission n'est pas de dire que c'est la faute du cycle d'orientation ou que c'est la faute des employeurs, notre mission est de nous demander ce qu'on fait pour essayer de combler au maximum cet écart - qui est réel, il faut le reconnaître. Cette réponse est apportée en partie - ou fortement, je l'espère - par la formation obligatoire jusqu'à 18 ans.

Vous avez raison, Monsieur Sormanni, il ne suffit pas de la décréter: ce n'est pas parce que c'est obligatoire que ça va marcher. C'est bien pour ça que nous sommes relativement pragmatiques et que nous l'introduisons sur plusieurs rentrées scolaires. Il y a une première étape à la rentrée 2018. On fera une évaluation et changera des choses s'il le faut, mais, en gros, nous allons dans trois directions, parce que l'on connaît en fait parfaitement le profil des décrocheurs. Il y en a principalement deux. D'abord, le jeune qui n'a pas les compétences attendues par le marché du travail, comme je l'ai dit tout à l'heure: il rêverait d'aller en apprentissage, il a parfois même déjà un projet - il veut aller dans telle ou telle branche - mais il ne trouve pas de place parce qu'il est loin d'avoir les compétences nécessaires. Il faut lui permettre d'acquérir ces compétences. D'autres élèves ont d'autres difficultés: le système scolaire et les attentes des employeurs exercent une telle pression que ces jeunes ne tiennent pas le coup et craquent. Ce ne sera pas simplement en leur disant qu'ils doivent revenir qu'on va résoudre la question.

Comment allons-nous procéder l'année prochaine ? Je l'avais déjà présenté partiellement en novembre à la commission et j'aurai l'occasion de développer le projet, comme il est prévu que je revienne mercredi prochain sur ce sujet. En gros, il y a trois pistes principales. D'abord, un meilleur suivi des élèves; c'est-à-dire qu'il ne sera plus possible de laisser sans projet un jeune mineur, un jeune de moins de 18 ans habitant le canton. On ne pourra pas dire à un jeune: tu n'as pas les notes, tant pis ! Ou: tu n'as pas le droit de rester parce que tu as déjà doublé ton année ! On devra au contraire construire un projet pour chaque jeune. Deuxième chose, on va faire autant que possible du sur-mesure, en élargissant l'offre de formation, notamment dans la filière pré-qualifiante. Monsieur Florey, c'est pour ça que le CTP devient le CFPP, centre de formation pré-professionnelle: il va accueillir une nouvelle offre de formation pré-qualifiante. On parlait ce matin de certifiant et de qualifiant: il faut que l'on donne aux jeunes qui n'ont pas le niveau la chance d'acquérir des possibilités d'entrer soit en AFP soit en CFC. Cela prendra peut-être deux ans, cela prendra peut-être trois ans. Ce sera une des missions du CFPC, et vous verrez que nous élargissons l'offre que nous vous présenterons en commission mercredi. Il y aura de nouvelles offres de formation pour des jeunes qui n'avaient jusqu'à aujourd'hui tout simplement pas de solution pratique. Troisièmement, pour les jeunes qui se trouvent déjà en rupture scolaire, CAP Formations, que vous connaissez bien - ce partenariat de l'OFPC et du DIP avec l'Hospice général et l'office cantonal de l'emploi - deviendra le guichet unique pour les jeunes déjà en dehors du système, quel que soit leur âge en réalité. C'est d'ailleurs déjà le cas, avec beaucoup de succès, puisque de nombreux jeunes passés par CAP Formations - ils sont des milliers - retrouvent un système de formation.

Je crois que nous avançons dans le sens souhaité par les motionnaires. Un renvoi de la proposition de motion en commission n'aboutirait à rien d'autre qu'à ce qu'il est déjà prévu que je vous dise mercredi en commission. Cela créerait peut-être du travail inutile pour l'administration et le secrétariat du Grand Conseil. Je vous invite donc à attendre les informations complémentaires qui vous seront données mercredi et à refuser le renvoi en commission, quand bien même je partage le point de vue des motionnaires.

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous allons maintenant voter sur cet objet.

Mise aux voix, la proposition de motion 2344 est rejetée par 68 non contre 15 oui.