République et canton de Genève

Grand Conseil

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PL 11846-A
Rapport de la commission fiscale chargée d'étudier le projet de loi de Mme et MM. Jean Batou, Olivier Baud, Jocelyne Haller, Pierre Vanek, Christian Zaugg, Pierre Gauthier modifiant la loi sur l'imposition des personnes physiques (LIPP) (D 3 08) (Perception des centimes additionnels sur l'impôt supplémentaire sur la fortune)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VII des 22 et 23 septembre 2016.
Rapport de majorité de M. Vincent Maitre (PDC)
Rapport de minorité de M. Jean Batou (EAG)

Premier débat

Présidence de M. Eric Leyvraz, président

Le président. Pour l'objet suivant, nous sommes en catégorie II, quarante minutes. Monsieur Maitre, je vous laisse la parole.

M. Vincent Maitre (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi traite de l'impôt sur la fortune. Vous savez évidemment que cet impôt est composé principalement de deux piliers: un impôt sur la fortune normal, ordinaire, et une couche supplémentaire, un impôt sur la fortune supplémentaire, à partir d'un certain niveau de fortune. Je vous épargne les détails. Eh bien, ce projet de loi nous propose tout simplement de rajouter encore une couche supplémentaire à ce mille-feuille fiscal déjà bien trop calorique. Vous le savez, à Genève, l'impôt sur la fortune est probablement le plus élevé au monde; il s'élève à 1% alors que même nos voisins français - qui ne sont pourtant pas connus pour avoir créé un paradis fiscal - ont un impôt sur la fortune de 50% moins élevé que celui que nous connaissons à Genève. Vous l'avez compris, ce projet de loi vise tout simplement à taxer davantage - comme le précédent - ceux qui ont de la fortune.

L'auteur de ce projet de loi nous parle des millionnaires en faisant un raccourci assez surprenant. Je le cite: «Tout de même, ce sont des millionnaires au sens strict du terme et ils constituent 10% de la population.» Il parle évidemment des personnes qui auraient une fortune de plus de 1 million de francs. Malheureusement, en Suisse, on n'est pas millionnaire au sens où M. Batou l'entend lorsqu'on a 1 million de francs de fortune. Avec 1 million de francs, on peut être par hasard l'heureux propriétaire d'un deux-pièces au centre-ville. Certes, les prix sont beaucoup trop élevés en matière immobilière, on le sait. Il y a aussi le monde important de la paysannerie puisque avec deux ou trois machines agricoles, quelques terres et des entrepôts, vous arrivez très facilement et très rapidement à une fortune de plus de 1 million de francs. Ce sont ces gens-là que vous voulez taxer davantage ! Eh bien, à ma connaissance, ce ne sont pourtant pas des gens qui roulent sur l'or et qui se pavanent dans l'opulence.

Il faut aussi rappeler que les recettes de l'impôt sur la fortune proviennent très largement de seulement 1% des contribuables puisque 1% de ces contribuables rapporte 70% de l'impôt total sur la fortune. Augmentez cet impôt et vous avez la garantie de faire diminuer le nombre de ces contribuables puisqu'ils s'exileront à l'évidence sous des cieux plus cléments !

Le but avoué de l'auteur de ce projet de loi est de faire avancer des idées à moyen terme; c'est ce qu'il nous dit dans son rapport. C'est en réalité un aveu de faiblesse et c'est bien la preuve qu'il n'y croit pas lui-même puisqu'il qualifie d'ailleurs sa propre position - ou plus largement celle de la gauche - d'objectif obsessionnel. Il prétend comprendre que la majorité de droite y soit opposée et admet même que l'opinion publique aujourd'hui y est majoritairement opposée. Ma foi, il engorge tout de même ce parlement avec des projets de lois de cet acabit, bien qu'il sache lui-même qu'ils ne passeront pas la rampe. Je vous invite évidemment à refuser un projet de loi qui alourdit gravement la charge fiscale des contribuables genevois et augmente donc l'impôt sur la fortune.

M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. Nous vivons une époque assez extraordinaire où, précisément parce que les inégalités se creusent, les plus riches ne veulent plus contribuer au ménage commun de l'Etat comme ils le faisaient auparavant. Dans une période de creusement des inégalités, il est évident qu'au lieu d'aller dans le sens d'une ponction plus importante sur les richesses, on va dans le sens d'une ponction plus faible, avec l'idée que les riches pourraient s'en aller. Je vous pose la question, pendant la période où le capitalisme allait bien, durant les Trente Glorieuses - les trois décennies d'après-guerre - la fiscalité était extrêmement présente et la redistribution extrêmement importante. Les riches ne s'exilaient pas, parce que les inégalités sociales étaient moins importantes qu'aujourd'hui. Nous sommes donc embarqués dans une aventure où les inégalités croissent, où la fortune se concentre. Mesdames et Messieurs les députés, aujourd'hui, dans le monde, huit personnes disposent d'une fortune égale à celle de la moitié de l'humanité ! (Commentaires.) Est-ce que vous pensez vraiment qu'une évolution de ce type nous mène vers une civilisation des lumières ? Evidemment pas ! Nous allons vers une société dans laquelle les pauvres sont de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches. (Brouhaha.)

Evidemment, dans ce parlement qui a été élu il y a maintenant quatre ans, on peut mesurer l'importance des affiliations aux forces qui soutiennent précisément une société inégalitaire: quand on vote, on a des scores impressionnants pour défendre les millionnaires, les multimillionnaires et leurs fortunes. Maintenant, soyons sérieux ! Qui menace les petits possédants ? Qui menace les petits entrepreneurs ? C'est le système dans lequel nous sommes engagés, qui figure aujourd'hui dans le programme fiscal quadriennal. Qui est en train de relever l'imposition des petits propriétaires ? Qui est en train aujourd'hui d'augmenter la pression fiscale sur les petites entreprises avec une taxe de 0,22% sur la masse salariale ? Au profit de quoi ? Au profit du PF 17 ! Parce que l'orientation stratégique de ce gouvernement est de servir la soupe aux plus grandes entreprises comme aux personnes physiques multimillionnaires ! Il ne s'agit pas de protéger le millionnaire dont vous avez parlé, qui a un appartement, qui a des machines agricoles: celui-là va passer à la casserole ! Il va passer à la casserole comme les salariés, comme les bénéficiaires de prestations sociales. Parce que ce système est orienté au profit d'une toute petite minorité, de ceux qui vivent de leurs rentes, qui ont d'énormes ressources financières... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...ceux qui ont la capacité de se déplacer d'un pays à l'autre pour optimaliser leurs ressources ! Et c'est ce système que vous défendez ! Moi, je tiens à m'adresser non pas seulement aux salariés, non pas seulement aux bénéficiaires de prestations sociales, mais aussi aux petits propriétaires, aux petits entrepreneurs que la droite est en train de sacrifier sur l'autel de la grande entreprise, de la mondialisation.

Le président. Temps du groupe !

M. Jean Batou. C'est évidemment cela qui met aujourd'hui les partis de droite en crise. Si, aujourd'hui, vous n'avez plus le succès que vous aviez auparavant, si, aujourd'hui, vous perdez dans tous les pays au profit de ce que vous appelez des forces populistes, c'est parce que ces forces populistes sont sensibles à une protestation populaire, et cette protestation populaire va dans le sens de dire qu'on ne peut plus soutenir cette politique. (Commentaires.) Non, ce n'est pas vous, Monsieur Sormanni ! Parce qu'en matière fiscale, au MCG, c'est M. Zacharias qui a la parole ! (Commentaires.) C'est M. Zacharias qui a la parole, et je dois reconnaître, vous lui transmettrez, Monsieur le président, que M. Zacharias a au moins le mérite de représenter ici ses intérêts personnels plutôt que d'être désigné par ceux qui dirigent ce monde pour venir défendre ici les intérêts des plus riches. Au moins, il a le courage de le faire à titre personnel ! Vous, Monsieur Maitre, vous le faites en tant que représentant d'intérêts qui ne sont pas forcément directement les vôtres ! (Rires. Applaudissements. Commentaires.)

Pour conclure, il est d'une extrême urgence que vous acceptiez l'idée qu'il faut enrayer dans nos sociétés cette dérive vers l'explosion des inégalités, que vous ne voyez pas parce que vous ne vous promenez pas dans les quartiers qui sont impactés par vos politiques. Vous ne le savez pas, vous ne voulez pas le voir, mais vous êtes en train de creuser dans ce canton de Genève un véritable fossé entre ceux qui ont et ceux qui n'ont pas. Il est important que vous nous écoutiez sur le plan fiscal et que vous l'acceptiez. Je pense que, jusqu'ici, la population a voté non à des hausses de l'imposition parce qu'elle a toujours pensé que ces hausses allaient lui retomber dessus. En réalité, pour la première fois, la population a refusé un cadeau fiscal aux privilégiés en refusant la RIE III. Je pense qu'on est à un tournant, et vous devriez y être attentifs. On est à un tournant, et nos concitoyens réaliseront qu'en faisant cadeau fiscal sur cadeau fiscal aux privilégiés, eh bien, on est en train de détruire les services publics, la prévoyance sociale. On en a eu un indice hier, avec la coupe de 5 millions de francs dans les subsides d'assurance-maladie pour équilibrer le budget cantonal, alors qu'on fait des cadeaux de plusieurs centaines de millions aux grandes entreprises: 115 millions avec le bouclier fiscal, 75 millions en n'imposant pas les dividendes comme ils devraient l'être - comme les salaires, à 100% ! Avec cette politique-là, vous prenez dans la poche de ceux qui n'ont rien pour garantir la fortune de ceux qui ont tout. Nous refusons cette logique et nous appelons ce parlement à soutenir notre projet de loi.

Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur. La parole est à M. Vanek pour quarante-sept secondes.

M. Pierre Vanek (EAG). Merci, Monsieur le président. Je vais vous épater: je renonce ! (Exclamations.)

Le président. Mais, mon Dieu, je vais de surprise en surprise aujourd'hui ! Monsieur Florey, c'est à vous.

M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Aujourd'hui, la revue «Bilan» a sorti les chiffres 2016 des grosses fortunes qui ont quitté la Suisse: il y en avait neuf, contre deux nouveaux arrivants. La raison de tout ça, c'est que les neuf qui sont partis en avaient simplement ras-le-bol d'être pressés comme des citrons; les deux nouveaux arrivants sont probablement venus pour des raisons qui faisaient qu'ils voyaient encore un intérêt à venir dans notre pays. Maintenant, si on ramène ça à l'échelle cantonale, c'est exactement ce qui va se passer avec un tel projet de loi: on le sait, les personnes qui ont encore de la fortune à Genève ont horreur de l'incertitude dans le domaine fiscal et c'est ce climat d'incertitude que vous créez avec de tels projets de lois. Si on transpose ça au niveau cantonal, la grande différence est que des fortunes partiront, inévitablement, mais il n'est pas certain qu'il y en aura de nouvelles qui viendront. D'où le danger de cet objet ! En plus, ce texte est socialement irresponsable puisqu'on sait très bien que ce fameux 1% de contribuables qui apportent 70% de la substance fiscale permet justement à 40% des contribuables les plus faibles de ne pas payer d'impôts. Donc, en acceptant un tel projet de loi, on ne ferait qu'une chose: déstabiliser complètement notre système fiscal qui est socialement acceptable pour affaiblir encore les plus faibles. Finalement, c'est peut-être ce que vous voulez sur le fond, rétablir la justice fiscale dans le canton en obligeant ces 40% de contribuables les plus faibles à se résoudre à payer des impôts. Nous l'avons toujours dit, l'UDC fera tout son possible pour maintenir cette égalité fiscale et nous vous invitons par conséquent à refuser cet objet.

M. Ronald Zacharias (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, oui, exactement, vous lisez dans mes pensées ! Il y a deux ou trois ans, lorsque j'avais déposé un projet de loi concernant la LDTR, M. Velasco avait pris la parole en commençant par dire que les chaussettes lui en tombaient. L'avantage du présent texte, Monsieur Batou, c'est que des chaussettes, on n'en aura plus ! Plus personne n'aura de chaussettes ! (Rires.) Pourquoi ? Aujourd'hui, je ne parle même plus du bouclier fiscal, parce qu'on en a beaucoup parlé et tout le monde sait maintenant comment il fonctionne, mais sans le bouclier - puisque vous prétendez vouloir le supprimer - on verra qu'à partir d'un certain degré de fortune et de revenu, on sera bien au-delà du 100% d'imposition sur le revenu imposable. Tout le monde peut prendre ici sa petite calculette et consulter le barème. En augmentant encore au moyen de ce projet de loi l'imposition sur le revenu, on a la prétention, à gauche, que cela va encore augmenter les recettes fiscales, ce qui est extraordinaire. On est à 100%, on passe à 110%: aucun problème, il n'y a qu'à passer de 120% à 150% de taux d'imposition sur le revenu imposable ! On aura encore plus de recettes fiscales ! C'est pour ça que, moi, je prétends sérieusement que le problème n'est pas idéologique, il n'est pas électoraliste, il est médical ! (Rires.) Il est médical, je m'en suis ouvert au professeur Morel et je lui ai dit qu'il y a une inversion dans le champ cérébral de la gauche. Il me dit: oui, je le sais, mais la bonne nouvelle, c'est que ça s'opère ! Par contre, c'est très cher. Mais j'ai encore une bonne nouvelle, on a réussi à récolter des fonds, hein !

Sincèrement, j'ai encore des chaussettes, elles m'en sont tombées ! Comment un homme raisonnable peut-il prétendre qu'à partir du seuil... Lorsqu'on écoute M. Batou, le drame est qu'il y a une cohérence interne à son discours. Il y a quelque chose dans ce discours et on a envie de dire qu'il a raison. (Quelques applaudissements.) Oui, merci ! Mais lorsqu'on le place dans son contexte, lorsqu'on regarde les chiffres et qu'on regarde le taux d'effort qui est d'ores et déjà consenti aujourd'hui, on s'aperçoit qu'on est dans un décalage total par rapport au réel. Raison pour laquelle, encore une fois, et j'en suis épuisé, on va demander le rejet de ce projet de loi. (Applaudissements.)

Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Tout d'abord, je voulais remercier M. Zacharias: même s'il traite la gauche de malade, ses propos sont un peu plus modérés, parce qu'hier ses propos étaient inacceptables, je trouve qu'il aurait dû être rappelé à l'ordre par le Bureau. Pour en revenir à ce projet de loi qui vise à augmenter l'impôt sur la fortune par le biais des centimes additionnels, la première chose que nous voulons dire, c'est que les Verts soutiennent en fait l'abolition du bouclier fiscal; ils estiment que c'est par là qu'il faut empoigner les choses. Les Verts sont donc plutôt dubitatifs et notre groupe est divisé par rapport à ce projet de loi. En effet, pour une partie d'entre nous, ce texte pose le problème suivant: tant que le bouclier fiscal existe, si vous augmentez l'imposition sur la fortune, forcément, ce ne sont pas les plus riches qui vont passer à la caisse, mais la classe moyenne et la classe moyenne supérieure. Or, il nous semble à nous que c'est plutôt aux plus riches de passer à la caisse en ce moment, vu que la classe moyenne genevoise voit régulièrement son pouvoir d'achat régresser, notamment à cause de l'augmentation des primes de l'assurance-maladie. (Commentaires.) Ensuite, une partie de notre groupe estime qu'il faut voter ce projet de loi et que l'effort demandé est acceptable, compte tenu de la situation délicate dans laquelle se trouvent les finances cantonales et compte tenu aussi du fait que notre parlement se refuse à supprimer les niches fiscales, suppression que notre groupe appelle depuis de nombreuses années.

Pour conclure, notre groupe votera de manière assez disparate sur ce projet de loi. Je vous remercie, Monsieur le président.

M. Thomas Wenger (S). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, après les personnes morales, on passe aux personnes physiques. Monsieur le conseiller d'Etat, vous vous étonnez que je parle de l'Irlande, d'Apple, etc. En un sens, vous avez raison, parce que ça s'éloigne un peu du projet de loi; je vais aussi faire quelques digressions à propos des personnes physiques. On a eu ce débat beaucoup de fois, vous l'avez dit, mais il faut aussi avoir un débat sur la fiscalité un peu plus général et il vaut peut-être la peine de faire quelques digressions.

Vous nous dites très souvent - notamment M. Zacharias - que trop d'impôt tue l'impôt. Nous, ce qu'on dit, c'est: trop peu d'impôt tue les prestations. C'est ça, le problème, Monsieur Zacharias ! Si vous avez trop peu d'impôts, vous n'avez plus les mêmes prestations, vous n'avez plus les mêmes conditions-cadres dont j'ai parlé avant. Il y a une autre citation qu'on aime bien, Victor Hugo disait que: «C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches.» (Commentaires.) C'est ça, le problème. Le paradis des riches est fait de l'enfer des pauvres. S'il n'y a pas de redistribution juste et équitable des richesses via l'impôt, cela pose un problème pour les prestations, pour les personnes les plus fragilisées, les plus précarisées et même, aujourd'hui, pour la classe moyenne de ce canton qui paie des impôts, mais ne parvient même plus, pour certains, à payer l'assurance-maladie, par exemple. On a voté hier soir les subsides d'assurance-maladie que le Conseil d'Etat voulait rayer, les fameux 30 F. Je vous passe le détail des politiques fiscales, de santé et autres qu'on doit financer avec ça. La question est: y a-t-il un exode des personnes les plus riches de cet enfer fiscal présumé qu'est Genève ? Les faits sont là, la réponse est non ! Je vais vous prendre un exemple, Monsieur Maitre: il s'agit d'un rapport sorti en mars 2017 d'un cabinet nommé Knight Frank, une société britannique de conseil immobilier que vous devez connaître. Elle existe depuis plus de cent vingt ans, elle est implantée dans soixante pays; 15 000 personnes travaillent pour elle et elle a 400 bureaux à travers le monde. Que dit ce rapport pour la Suisse ? Ecoutez bien ! Les multimillionnaires dont la fortune nette dépasse 30 millions de dollars ont augmenté de 5% en Suisse en 2016. Les multimillionnaires en Suisse dépassent désormais le nombre de 7000.

Une voix. Ce n'est pas Genève !

M. Thomas Wenger. Genève arrive ! Genève est la huitième ville mondiale à les accueillir, avec plus de 2500 personnes qui ont plus de 30 millions de dollars de fortune. D'ici dix ans, le nombre devrait s'étendre de 20% en Suisse pour s'établir à plus de 8500 et le volume de la richesse totale de ces personnes devrait lui, par ailleurs, augmenter de 20%. Ces derniers devraient notamment être de 30% plus nombreux à Genève contre 10% à Zurich. Voilà ce que nous dit le rapport ! Il y a d'autres chiffres qu'on cite souvent dans «Bilan». Tous les cantons enregistrent par exemple une hausse du nombre des personnes avec une fortune de plus de 10 millions. Pour Genève, 0,36% de ces personnes détiennent 39% de l'ensemble de la fortune qui existe aujourd'hui dans notre canton. Certes, ces personnes paient énormément d'impôts - c'est la fameuse pyramide inversée - mais elles ont beaucoup d'argent. Elles ont beaucoup d'argent ! Alors le problème, c'est quoi ? Monsieur le conseiller d'Etat, vous allez me faire le chantage à la calculette, le chantage au déménagement fiscal. Certes, quelques moutons noirs sont partis, par exemple à Malte. Mais si on parle comme ça, il faudrait aussi un peu améliorer les contrôles de ces contribuables au niveau international et au niveau national. Est-ce que le contribuable en question vit à Malte ? Est-ce que les contribuables genevois qui partent à Gstaad et ailleurs vivent vraiment à Gstaad ? Personnellement, j'en doute ! Tout ça pour dire qu'il faut rééquilibrer l'imposition des personnes morales, mais également celle des personnes physiques pour financer ce principe de solidarité par la redistribution des richesses des plus riches envers ceux qui ont le plus de besoins et qui ne peuvent pas les financer. Ça s'appelle le principe de solidarité. C'est ça, Mesdames et Messieurs, qui fait le fondement de notre société, de notre canton et de notre pays ! (Applaudissements.)

M. Yvan Zweifel (PLR). Monsieur le président, j'ai entendu plein d'orateurs s'exprimer sur plein de sujets: ici, on parle bien de l'impôt sur la fortune ! Le projet que nous propose M. Batou, fondamentalement, c'est quoi ? Il existe aujourd'hui un impôt sur la fortune, il y a une tranche supplémentaire sur l'impôt sur la fortune et M. Batou veut rajouter une tranche supplémentaire à une tranche déjà supplémentaire. Cela sur un impôt dont le taux maximum est à Genève déjà le plus élevé de tout le pays, à 1%, pour rappel, alors qu'il n'est à Schwytz que de 0,17% ou de 0,72% dans le canton de Vaud. C'est de ça que l'on parle; on peut parler de plein d'autres choses, d'assurance-maladie, j'en passe et des meilleures, mais le fond du sujet est celui-là.

J'ai entendu beaucoup de théories, à commencer par celles du professeur Batou - comme dirait le rapporteur de majorité - qui nous a fait un cours ex cathedra de fiscalité communiste d'il y a deux cents ans. J'ai écouté beaucoup d'autres théories extrêmement intéressantes, notamment celle de M. Wenger. Moi, je vous propose de regarder un peu la pratique. (Commentaires.) On parle de l'impôt sur la fortune et la pratique est de regarder autour de nous. Qu'est-ce que l'on constate, Mesdames et Messieurs ? En Europe, par exemple, certains pays connaissaient l'impôt sur la fortune, mais ils l'ont aboli au fil du temps. Je cite quelques pays: l'Autriche en 1994, l'Irlande - chère à M. Wenger - en 1997, le Danemark en 1997, l'Allemagne en 1997, le Luxembourg en 2006, la Finlande en 2006 et la Suède en 2007. Qu'ont comme point commun ces pays ? Ce sont des pays qui, économiquement, vont bien; ce sont les moteurs économiques de l'Europe d'aujourd'hui. Ce sont des pays qui se sont rendu compte qu'il fallait arrêter de chasser la richesse, de chasser les riches et qu'au contraire, il fallait les garder chez soi de manière à pouvoir offrir des prestations de qualité à la population locale. Ces pays-là vont bien. Quels sont les pays qui ont gardé un impôt sur la fortune ou quelque chose de semblable à l'impôt sur la fortune, ou encore des taxes extrêmement élevées ? L'Italie, l'Espagne, la France, la Grèce. Comme par hasard, ce sont les parents malades de la même Europe. Aujourd'hui, ces pays ont réfléchi. Aujourd'hui, le Portugal a mis en place une nouvelle fiscalité pour attirer, notamment, les retraités d'autres pays. La Belgique qui avait pas mal de problèmes aussi a également mis en place une fiscalité plus attractive. L'Espagne a fait de même; l'Italie a fait de même. Et la France - enfer fiscal européen par excellence ! - est en train de réviser, voire d'abolir son impôt sur la fortune. Ces pays ont regardé ce qui se passait ailleurs et ils ont compris qu'il ne fallait pas trop imposer. Oui, il faut imposer, Monsieur Wenger, évidemment, mais il ne faut pas trop imposer ! Ces pays sont en train de corriger leurs erreurs.

Que propose le PL 11846 ? De faire exactement les erreurs que ces pays-là ont faites à l'époque, alors que la Suisse, elle, intelligente, ne les a justement pas faites. Mesdames et Messieurs, ne faisons pas les erreurs que des pays voisins sont en train de corriger et refusons ce projet ! M. Wenger citait tout à l'heure Victor Hugo, permettez-moi de citer Michel Audiard qui, lui, sur ce projet, n'aurait pas parlé d'erreur, mais de connerie. Il aurait dit, et il l'a dit d'ailleurs: «Les conneries, c'est comme les impôts, on finit toujours par les payer.» (Applaudissements.)

M. Patrick Lussi (UDC). Après un pareil exposé, difficile de prendre la parole ! Il ne m'a pas enlevé les mots de la bouche parce que je ne les avais pas, mais il a dit ce que je pensais ! Mesdames et Messieurs les députés, je crois qu'on commet une erreur tragique. Bien sûr, le plaidoyer sur ce qui se passe actuellement est brillant, Monsieur Batou. Tout le monde ne peut qu'adhérer à votre constat. Le problème, c'est que votre solution est calamiteuse, et M. Zweifel vient de le dire, penser que l'on va résoudre cela par l'impôt est une erreur dramatique. Cette erreur, je me fais fort de vous l'expliquer, mais je n'ai pas beaucoup de temps. C'est une des choses que l'UDC cherche à faire en vous disant d'arrêter de voir les grands ensembles, essayons de travailler un peu plus localement parce que, grâce à vous, il y a eu la mondialisation libérale, la mondialisation du capital et la mondialisation du personnel. Maintenant, au lieu de vouloir continuer à générer ceci, vous avez fait une très bonne motion, parce que nous avons les délocalisations d'entreprises qu'on envoie dans des pays où les gens ne gagnent rien. En somme, vous favorisez presque l'esclavage moderne. Non, la solution par l'augmentation de l'impôt n'est pas la bonne. Même si votre description de la situation est correcte, la solution est calamiteuse. L'UDC vous invite à ne pas accepter ce projet de loi.

Le président. Merci, Monsieur. La parole est à M. Stauffer pour deux minutes.

M. Eric Stauffer (HP). Merci, Monsieur le président. Merci de ne pas m'avoir limité dans les décibels, j'apprécie votre effort. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, une fois encore la gauche arrive avec une scie pour scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Vous transmettrez, Monsieur le président, j'aimerais poser une question aux auteurs de ce projet. Quand les gens ont de l'argent, ils sont très mobiles et pourraient partir habiter dans d'autres contrées plus favorables fiscalement. Mais alors, s'ils s'en vont, vous prendrez de l'argent à qui ? C'est toute la question. Aussi longtemps que vous n'aurez pas compris ça, vous n'aurez rien compris à l'économie: pour faire du social efficace, il faut une économie forte, il faut des gens qui aient de l'argent ! Tant et aussi longtemps qu'ils sont là, vous pouvez dépenser. Laissez-moi vous raconter une anecdote. Je ne donnerai pas de nom, mais quelqu'un est venu, un Belge, qui a demandé un forfait fiscal pour s'établir à Genève. (Commentaires.) Acteur très important dans l'immobilier, à la tête d'un fonds de plus d'un milliard de francs pour construire des logements dans le canton de Genève, il a eu la mauvaise idée de demander son passeport suisse. A l'arrivée de la première déclaration d'impôts, il s'est exilé dans un autre pays.

Une voix. C'est Berda ?

M. Eric Stauffer. J'ai dit que je ne citerai pas de nom, mais c'est un cas réel, Mesdames et Messieurs. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Malheureusement, si ces gens s'en vont... Il a créé des dizaines et des dizaines d'emplois; il a investi pour faire des logements, dont des logements sociaux !

Des voix. C'est faux ! C'est faux !

M. Eric Stauffer. Alors Monsieur Batou, Ensemble à Gauche, les socialistes, je vous l'ai dit: à force de convoiter l'argent du riche, vous finirez par voler celui du pauvre ! (Commentaires.) Ce projet de loi n'a pas sa place dans ce Grand Conseil.

Le président. Il faut terminer, Monsieur.

M. Eric Stauffer. Je termine, sa place est dans la poubelle !

Le président. Merci, Monsieur. Je passe la parole au rapporteur de minorité, M. Batou, à qui il reste quarante-sept secondes.

M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. C'est à moi ?

Le président. Minorité d'abord, majorité après !

M. Jean Batou. Ah, minorité d'abord ! Merci, Monsieur le président. Je rappelle simplement à tout le monde ici que le nombre de millionnaires à Genève augmente de 5% par an. Ils ne sont donc pas en train de fuir, leur nombre augmente ! (Commentaires.) Et leurs fortunes augmentent encore plus vite. Cette théorie qui soutient que les millionnaires s'en vont n'est donc qu'un écran de fumée. Non, ils ne sont pas assez taxés, ils viennent ici parce qu'ils y font d'excellentes affaires et vous les défendez parce que vous espérez un jour devenir millionnaire, Monsieur Stauffer. Vous l'êtes peut-être déjà, mais j'entends dire que vos affaires vont mal. (Commentaire de M. Eric Stauffer.) Malgré tout, vous défendez la fiscalité basse pour les millionnaires parce que, peut-être, un jour, vous aurez de l'argent.

Le président. Il vous faut terminer, Monsieur.

M. Jean Batou. Merci de voter ce projet de loi et de rétablir un peu plus de justice fiscale dans ce canton.

Le président. Merci, Monsieur. La parole est à M. Maitre: vous avez encore tout le temps de groupe.

M. Vincent Maitre (PDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Monsieur Batou, sur le principe et par rapport à votre théorie, vous ne trouverez personne dans cette enceinte qui vous dira que le principe de redistribution et de solidarité est une mauvaise chose et qu'il faut l'abolir à tout prix. Même les plus néolibéraux des néolibéraux vous diront que l'impôt se justifie malgré tout, pour autant qu'il soit d'abord proportionné et qu'il soit ensuite correctement redistribué. Manifestement, à Genève, vous le savez également, il y aurait de larges améliorations à faire en la matière. En réalité, avec toujours plus de normes, toujours plus de contraintes et toujours plus de taxes, vous êtes en train d'étouffer la machine. Oui, il y a peut-être toujours plus de millionnaires. Tant mieux, en valeur absolue, ça fait toujours plus de retombées fiscales ! Vous êtes en train de nous dire que, parce que votre syndicat, par hypothèse, rencontre toujours plus d'adhérents, vous augmenterez chaque année les cotisations. Montrez-nous la voie, peut-être que les milieux économiques vous suivront le lendemain, si cela s'avère efficace et si, à terme, le nombre de vos adhérents continue toujours d'augmenter. Il est évident que l'économie a besoin de bonnes conditions-cadres, et M. Wenger se vantait tout à l'heure que Genève doit à ses conditions-cadres ce qu'elle est aujourd'hui. Il faudrait au passage rappeler d'où elles viennent: certainement pas de vos milieux ! Ce sont plutôt les banques qui se trouvent à ma droite qui ont créé ces conditions-cadres aussi favorables à Genève. Laissez faire un minimum l'économie ! Il n'y a pas que des gens affreux et malhonnêtes dans les milieux économiques et dans les entreprises. Avec raison, vous citiez la RIE III de manière réitérée. A ma connaissance, l'augmentation de 0,22% sur les cotisations sociales est une proposition qui vient directement des milieux économiques et pas des vôtres. Chaque année, régulièrement, une immense entreprise multinationale que vous combattez pourtant est élue «entrepreneur de l'année». Elle offre les meilleures conditions à ses employés, elle les traite le mieux et leur sert en plus des salaires parmi les meilleurs. Eh bien, c'est ce qu'on appelle tout simplement du libéralisme humaniste ou raisonnable - je ne sais pas comment le qualifier. Cela marche ! Evidemment, il faut des conditions-cadres, mais celles-ci n'ont qu'un seul but, éviter les abus. Les abus, comme dans tous les milieux, sont commis par une infime minorité. Laissez la machine respirer un peu plus, y compris et surtout en matière fiscale, et les milieux économiques seront ravis de vous servir toutes les prestations dont la population a besoin. C'est notamment pour cette raison que ce projet de loi n'est pas acceptable: il va exactement dans le sens inverse.

M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, il s'agit des mêmes arguments - peu ou prou - que ceux qu'on a pu avancer hier soir s'agissant du bouclier fiscal. Fondamentalement, le problème en matière d'impôt sur la fortune, c'est que Genève est de loin le canton qui applique le taux maximum le plus élevé. Voilà que certains viennent avec l'idée de l'augmenter encore, idée saugrenue aux yeux du Conseil d'Etat ! On nous explique qu'il y a déjà beaucoup de contribuables soumis à ce fort impôt ici et, finalement, puisqu'ils sont là, on peut continuer à les presser davantage. Il y a toutefois une limite à ce raisonnement, Monsieur Batou, et il faudrait éviter à tout prix d'atteindre cette limite ! Parce que, lorsque vous enclenchez le mouvement inverse, c'est-à-dire lorsque vous enclenchez dans l'esprit de ces personnes le fait qu'elles ne sont pas les bienvenues à Genève, eh bien, elles s'en vont ! Voilà ! Et pour les faire revenir, il faudra déployer non seulement des trésors de conviction, mais certainement aussi d'autres arguments pour rendre plus attractive l'imposition de la fortune à Genève.

Vous savez que le Conseil d'Etat a eu l'occasion de présenter un plan financier quadriennal - dont ce parlement a discuté tout à l'heure - dans lequel il envisage de baisser l'impôt sur la fortune. C'est véritablement un problème et cela permettra le cas échéant d'ajuster le dispositif, aujourd'hui salvateur, qui s'appelle le bouclier fiscal. C'est ça, l'objectif qu'il faut viser: être plus attractif en matière d'imposition sur la fortune et certainement pas d'aller dans le sens proposé par ce projet de loi !

J'ai entendu M. Wenger dire qu'il faut de la redistribution. Effectivement, et j'apprécie décidément vos propos ce soir, Monsieur Wenger ! C'est exactement ce que notre système fiscal fait, et il le fait plus que partout ailleurs en Suisse, tant en ce qui concerne l'imposition du revenu que l'imposition sur la fortune. C'est précisément parce qu'on a cet effet distributif qu'il y a aujourd'hui une petite minorité de nos contribuables - à peine 1%, moins de 3000 personnes - qui paie plus de 30% de l'impôt sur le revenu. Evidemment, pour la fortune, c'est encore plus. Le Conseil d'Etat estime dans son ensemble qu'on atteint là les limites de ce qui est possible. Si on dépasse ces limites, les effets de cette opération seront à l'exact inverse de ce qui est visé par les auteurs de ce projet de loi. J'ai dû le dire une vingtaine de fois dans ce parlement, mais je continuerai à le répéter à chaque fois que l'idée saugrenue de péjorer ces conditions sera évoquée, ce qui arrivera encore malheureusement à de nombreuses reprises. Malheureusement, pour ce qui y est de faire preuve de persévérance dans ce domaine-là, la gauche est particulièrement tenace, mais je répéterai toujours avec la même conviction qu'il ne faut pas dépasser certaines limites. En l'occurrence, ces limites seraient largement dépassées avec ce projet de loi. Au nom du Conseil d'Etat, je vous invite évidemment à refuser ce projet de loi.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons voter sur l'entrée en matière.

Mis aux voix, le projet de loi 11846 est rejeté en premier débat par 63 non contre 25 oui et 6 abstentions.