République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 24 novembre 2017 à 15h40
1re législature - 4e année - 9e session - 49e séance
PL 11813-A
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs, nous reprenons notre ordre du jour ordinaire avec le PL 11813-A. Nous sommes en catégorie II, quarante minutes, et je cède la parole à M. Yvan Zweifel, rapporteur de majorité.
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, nous sommes saisis ici d'un projet de loi sur l'imposition des personnes morales. D'aucuns, comme moi, auraient évidemment préféré que l'on traite du PF 17, mais non, il s'agit d'un projet de mon estimé collègue d'Ensemble à Gauche qui me fait face, Jean Batou, sur l'imposition des personnes morales. Alors je pourrais user de facilités et vous dire qu'on n'a pas le temps de parler de ça, justement en raison d'une autre réforme d'importance bien plus grande celle-là, concernant l'ensemble des personnes morales, c'est-à-dire le PF 17, mais je laisserai d'autres le faire à ma place et je me concentrerai sur le sujet afin que personne ne puisse nous reprocher de ne pas vouloir débattre de fiscalité dans ce Grand Conseil.
Permettez-moi, Monsieur le président, de rappeler quelques chiffres. A Genève, l'impôt sur les personnes morales représente grosso modo 1,5 milliard de recettes fiscales, contre 3,8 milliards pour les personnes physiques. Sur ce montant, 305 millions proviennent de l'impôt sur le capital, le reste de l'impôt sur le bénéfice. Dans ce canton, 596 entreprises, soit 2% des personnes morales, paient 83% de l'impôt sur le bénéfice - oui, 2% des entreprises paient 83% de l'impôt sur le bénéfice ! En parallèle, 14 846 personnes morales ne déclarent pas de bénéfices, et donc ne s'acquittent pas dudit impôt.
Alors je rassure tout de suite la gauche, qui va faire un parallèle avec les contribuables et s'exclamer: «Mon Dieu, 14 846 sociétés se portent très mal dans notre canton !» Pas du tout, ce n'est pas parce qu'elles ne réalisent pas de bénéfices qu'elles se portent mal; en l'occurrence, il s'agit de petites entreprises dont le seul employé est souvent le patron qui, pour éviter la double imposition économique, augmente simplement sa rémunération au lieu d'inscrire un bénéfice. Celle-ci sera bel et bien taxée - je vois M. Batou esquisser une moue dubitative - et ça ne signifie pas que le commerce est en difficulté, bien au contraire.
Que nous propose ce projet de loi ? Que la fiscalité de ces 596 personnes morales, qui versent aujourd'hui 83% de l'impôt sur le bénéfice, soit augmentée pour chacune de 315 359 F en moyenne par année. Je pourrais naturellement vous sortir la fameuse ritournelle, Mesdames et Messieurs: «Ciel, ne faisons pas ça, ces entreprises vont partir !» Là-dessus, M. Velasco se lèverait en criant: «Et voilà le PLR qui continue son chantage !» Alors je ne vais rien dire, mais je vais faire deux hypothèses: admettons d'abord que nous ayons raison et que ces sociétés, échaudées par une nouvelle proposition de hausse d'impôts, se décident à quitter le territoire, que se passera-t-il ? Eh bien non seulement la hausse d'impôts proposée par M. Batou n'aura aucune retombée économique, mais on perdra 83% de la somme de 1,1 milliard dont s'acquittent ces entreprises au titre de l'impôt sur le bénéfice. Et qui va devoir passer à la caisse ? Toutes les autres entreprises et toutes les personnes physiques.
Mais imaginons maintenant que M. Batou ait raison et que ces sociétés, dans un éclair de lucidité communiste, restent dans notre canton en dépit de l'augmentation d'impôts. Que vont-elles alors faire ? Elles vont tout simplement devoir diminuer des charges car, contrairement à l'Etat qui voit certaines charges augmenter mais ne fait rien pour en diminuer d'autres, ces entreprises, elles, sont rationnelles et raisonnables, elles vont agir, et sur quoi ? Sur la charge la plus importante dans une entreprise, c'est-à-dire l'emploi ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Or une hausse d'impôts de 315 359 F, ça représente deux à trois postes pour ces sociétés ! Il y a donc un réel danger pour l'emploi.
Mesdames et Messieurs les députés, ce projet constitue un retour en arrière dommageable - j'avertis d'ores et déjà le président que je prends sur le temps de mon groupe, ça lui évitera de gaspiller sa salive - de même qu'une complexification de ce qui existe aujourd'hui, il vise à taxer davantage tout en rendant les choses plus compliquées, ce qui permettra ensuite de justifier l'engagement de fonctionnaires supplémentaires. Voilà l'idéologie rêvée par M. Batou !
En conclusion, Mesdames et Messieurs, la nécessité de conserver voire d'augmenter la substance fiscale de notre canton, couplée à une pyramide fiscale qui pénalise les finances cantonales à chaque départ d'un contribuable important, nous dicte de ne surtout pas accepter un tel projet, ce d'autant plus à la veille d'une réforme bien plus importante sur le même sujet. Ce texte est à l'image de l'idéologie de son auteur: il date du passé et ne mérite qu'une seule chose, rejoindre les oubliettes de l'histoire !
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. C'est avec grand bonheur que j'ai écouté la ritournelle du PLR sur la fiscalité. Bien évidemment, il n'est jamais question d'idéologie chez M. Zweifel, mais seulement d'une vision profondément perspicace de la réalité ! Pour ma part, j'aimerais prendre quelque distance par rapport aux chiffres qu'il nous a servis, adressant ainsi un petit clin d'oeil à notre collègue Bernhard Riedweg - que je ne vois plus, tiens, mais qui aurait sans doute fait mieux encore en matière de chiffres - pour m'essayer à un peu de pédagogie sur les impôts.
Il existe trois catégories d'impôts. Citons d'abord les plus anciens, ceux auxquels vous êtes attachés, Mesdames et Messieurs du PLR, c'est-à-dire les impôts d'Ancien Régime où chacun paie exactement la même chose. Nous avons un modèle fantastique de ce système - ce n'est pas tout à fait un impôt, mais une prime - avec l'assurance-maladie: chacun verse exactement la même somme pour son assurance de base, qu'il soit pauvre ou qu'il soit riche ! Ce système est absolument merveilleux pour les riches et parfaitement exécrable pour les pauvres, et force d'ailleurs l'Etat à débourser 350 millions sous forme de subsides pour les personnes qui ne peuvent pas s'acquitter de leurs primes. A cet égard, je me suis beaucoup amusé à voir le PLR s'abstenir sur notre proposition de réintroduire ces pauvres 5 millions qu'on voulait couper aux subventions à l'assurance-maladie ! Je le répète: ce mode de financement d'une prestation où chacun paie scrupuleusement la même chose constitue un système féodal d'Ancien Régime.
La deuxième classe d'impôts - un peu plus évoluée, celle-ci - à laquelle vous tenez également, c'est celle qui voit chacun payer le même pourcentage - 10% - de son revenu, c'est la flat tax. Ce serait là le rêve des membres du PLR pour la fiscalité des personnes physiques, s'ils se laissaient aller ! D'ailleurs, ils l'ont concrétisé en 1999 avec une baisse des impôts de 12% pour tout le monde, ce qui a naturellement très peu impacté les contribuables à revenu modeste, mais fait engranger d'énormes bénéfices aux plus fortunés. Cette idée d'un taux fixe pour tout le monde est tout aussi régressive, et j'espère qu'on la renverra un jour aux poubelles de l'histoire.
Eh bien, quelle n'a pas été ma déconvenue, quand je suis arrivé dans cet hémicycle comme député, de m'apercevoir que les personnes que vous appelez morales, quant à elles, dès lors qu'elles déclarent un bénéfice, paient justement un impôt identique pour toutes, soit 10% avec les centimes additionnels plus l'impôt fédéral, qu'il s'agisse d'une petite ou d'une grande entreprise ! Je me suis alors demandé s'il ne serait pas plus juste d'appliquer la règle connue de l'impôt progressif, où moins vous gagnez, plus votre pourcentage de contribution est faible, et plus vous gagnez, plus votre taux d'imposition est élevé. L'impôt progressif appliqué aux entreprises, comme il l'est aux personnes physiques. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Monsieur le président, je risque d'emprunter quelques minutes au temps de mon groupe, donc je vous épargne à mon tour votre précieuse salive. Pourquoi n'appliquerait-on pas cet impôt progressif aux sociétés ? Cela permettrait d'alléger les petites entreprises et de charger davantage les grandes qui, j'ai la faiblesse de le croire, sont attachées aux prestations qu'elles perçoivent de l'Etat et ne voudront pas se dérober autant que vous le pensez à l'imposition.
Ce projet de loi allait dans ce sens. On m'a objecté que nous nous trouvions à la veille d'une réforme bien plus importante, à savoir le PF 17. C'était la RIE III à l'époque, le peuple n'en a pas voulu, paix à son âme. Nous l'avons appelée le PF 17 - enfin, vous l'avez appelée le PF 17, parce que la RIE IV, ça aurait fait mauvais genre. Aussi, nous allons bientôt voter ce PF 17 qui va réduire le montant de 1,5 milliard prélevé sur les personnes morales à grosso modo la moitié, offrant ainsi un formidable cadeau fiscal aux entreprises. A titre personnel, j'y suis opposé.
Ce que nous impose la réforme du droit fédéral, c'est une taxation identique pour les sociétés à statuts et pour les sociétés ordinaires, qui aurait été de l'ordre de 16% si j'en crois les calculs de l'administration fiscale cantonale. Or nous pourrions imaginer, comme dans mon projet de loi, décliner ce taux de 14% à 18% selon qu'une compagnie réalise des bénéfices importants ou plus modestes. Un tel système existe dans d'autres cantons suisses, et je trouve qu'il s'agit d'une proposition raisonnable que de le mettre en pratique dans notre ordre fiscal actuel. Après tout, Mesdames et Messieurs, le peuple vous a déjà fait une surprise en refusant la RIE III, il pourrait vous en infliger une seconde en rejetant le PF 17.
Dans cette perspective, je vous demande de réfléchir sérieusement à l'introduction d'une imposition progressive pour les personnes morales, comme nous y sommes tous attachés s'agissant des personnes physiques, et ce pour une raison fondamentale - je conclurai là-dessus: parce que les inégalités sociales s'accroissent, parce qu'il y a de plus en plus d'entreprises qui font d'énormes profits et de petites entreprises qui sont en difficulté, comme il y a de plus en plus de revenus très élevés et de revenus très faibles, de fortunes immenses et de gens sans fortune aucune. Dans une société qui se polarise, l'impôt a pour fonction de corriger les inégalités et de réintroduire, à travers le rôle redistributeur de l'Etat, une certaine forme de justice sociale pour les prestations fondamentales.
A mon avis, c'est aller exactement dans le mauvais sens, en période de creusement des inégalités sociales, que de favoriser des taxes de plus en plus aplaties, où chacun paie la même chose, où les riches sont constamment déchargés en regard des plus pauvres; dans ces conditions-là, je vous assure que nous nous dirigeons vers une société toujours plus conflictuelle. Vous l'aurez voulu ! Personnellement, j'aurais préféré que nous en restions à une société redistributive où la justice sociale figure au coeur des préoccupations. Merci. (Quelques applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. La parole est pour dix secondes à M. le député Vanek, dix secondes !
M. Pierre Vanek (EAG). Oui ! Quand l'imposition progressive des personnes morales a été supprimée au bénéfice d'un taux unique, on nous avait dit que ce serait neutre. Comme pour la RIE II, on nous avait dit que ce serait neutre et qu'on n'y perdrait rien; or la commission externe d'évaluation des politiques publiques a ensuite rendu un rapport...
Le président. C'est terminé, Monsieur le député.
M. Pierre Vanek. ...indiquant qu'en réalité, on avait perdu 40 millions par an à ce titre-là. Ce projet de loi constitue donc un rétablissement parfaitement justifié de quelque chose qui avait été introduit de manière abusive.
M. Vincent Maitre (PDC). J'ai toujours beaucoup de plaisir à entendre le professeur Batou nous expliquer comment devrait fonctionner le monde et ce qu'est la justice fiscale, en dépeignant d'un côté les méchants riches, de l'autre les orphelins du système. En fait, et le rapporteur de majorité l'a parfaitement démontré, ce projet de loi manque sa cible, et la réalité est tout autre: selon les chiffres qui nous ont été fournis et les simulations produites par le département, on constate que les petites entreprises qui réalisent 1000 F à 5000 F de bénéfice par année ne profiteraient d'un rabais d'impôts que de quelques dizaines, au maximum centaines de francs, alors que les sociétés largement bénéficiaires, c'est-à-dire au-delà d'un million de francs, verraient au contraire leurs charges fiscales s'accroître de plus de 315 000 F par année. Il y a là intrinsèquement de quoi leur payer un billet aller simple en business class pour fuir Genève, et le plus loin possible !
Ce projet de loi est parfaitement inéquitable, il ne vise qu'à combattre ceux qui créent de la richesse, et M. Jean Batou serait bien inspiré, une fois ou l'autre, de s'y mettre et de les imiter pour se rendre compte de ce que cela signifie dans un canton comme le nôtre, qui connaît une fiscalité déjà largement excessive en matière de sociétés. A ma connaissance, en effet, Genève n'est pas réputé être un paradis fiscal, même au regard des pays voisins, de l'Europe ou de plus loin. Je l'encourage donc sincèrement à revoir ses grandes théories d'équité sociale. Pour une majorité d'entrepreneurs genevois de PME, la fiscalité est déjà suffisamment pénible à supporter comme ça, sans qu'on la fasse peser davantage encore avec un tel projet de loi. Mesdames et Messieurs, je vous invite donc à le refuser catégoriquement.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je prie la députée Meissner d'aller téléphoner à l'extérieur de la salle ! La parole est à M. Christo Ivanov.
M. Christo Ivanov (UDC). Merci, Monsieur le président de séance. Mesdames et Messieurs les députés, certains et certaines continuent de croire que Genève est victime d'une crise des recettes et s'ingénient en conséquence à proposer des hausses d'impôts, s'imaginant que cela engendrera des rentrées fiscales supplémentaires. Or les recettes fiscales genevoises provenant des personnes morales ont augmenté de 72% durant la période allant de 1998 à 2014, et de 60% pour les personnes physiques, ceci alors même que deux baisses d'impôts ont eu lieu en 1999 et 2009. Dans le même temps, les recettes issues des sociétés ont augmenté de 127%. La réalité comptable démontre qu'il n'existe pas de crise des recettes; en revanche, les charges de personnel ont crû de 40% durant la même période.
Faisant fi des évidences, ce projet de loi vise à augmenter les charges fiscales des entreprises qui paient déjà le plus, fragilisant ainsi bon nombre d'entre elles qui seront alors tentées par l'exode vers d'autres cantons suisses, voire d'autres pays. Cette fragilité sera répercutée sur les emplois ou les investissements. Faut-il prendre le risque, en votant ce texte, de pressurer davantage encore les sociétés, de les laisser partir vers d'autres cieux ? La réponse est non, évidemment. Espérons que la réforme PF 17 apporte de la clarté et une certaine justice fiscale pour le bien de notre collectivité. Pour toutes ces raisons, le groupe UDC vous demande de refuser ce projet de loi. Je vous remercie.
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, un petit mot tout d'abord pour dire que le groupe des Verts regrette la manière quelque peu expéditive dont ce projet de loi a été traité en commission...
Une voix. Ah bon ?
Mme Sophie Forster Carbonnier. Oui, nous le regrettons. En effet, il aurait été intéressant pour nous de nous renseigner davantage sur les taux d'imposition progressifs, de savoir s'ils existent ailleurs et quel en est l'impact, plutôt que de balayer aussi rapidement ce projet de loi. Bien évidemment, en raison du contexte actuel, c'est-à-dire la réforme de la fiscalité des entreprises qui nous dicte de supprimer l'imposition liée aux statuts, la commission n'a pas jugé opportun d'étudier cette question plus avant.
Tel que proposé, ce texte aurait pour conséquence des pourcentages d'imposition pour les entreprises variant de 18% à près de 27%. Pour les Verts, il n'est pas réaliste de fixer de tels taux à Genève au vu de la situation actuelle, sachant de surcroît ce que le canton voisin vient de décider et le contexte international dans lequel nous naviguons. Aussi, nous avons le regret d'informer l'auteur de ce projet que nous ne pourrons pas le soutenir et que nous nous abstiendrons à ce sujet. Merci.
M. Ronald Zacharias (MCG). Sincèrement, je suis un peu inquiet: à écouter la gauche, les Verts, le parti socialiste, je me dis que le Projet fiscal 17, c'est mal barré, parce que l'on continue encore et toujours à vouloir leur plaire pour éviter la rue. Voici donc le message que j'aimerais adresser à la droite aujourd'hui: ayons le courage de cesser de vouloir leur plaire et affrontons la rue si nécessaire, de toute façon on n'aura pas le choix.
Le problème de ces projets de lois à répétition, qui sont totalement déraisonnables - et après, on dit que j'ai joué l'incendiaire avec mes propositions alors qu'elles étaient, elles, extrêmement raisonnables ! - c'est qu'ils causent des dégâts. En effet, l'activité économique a horreur de l'incertitude; pour fonctionner, elle a besoin de visibilité, de stabilité, d'être rassurée quant au fait que l'environnement fiscal dans lequel elle se déploie est raisonnable et concurrentiel vis-à-vis des voisins.
Au moment précis où la France socialiste - qui n'est de loin pas un paradis fiscal, bien évidemment - songe à abolir une bonne partie de la substance de l'ISF, à l'heure où le canton de Vaud, qui se trouve à quelques kilomètres de chez nous, envisage également de réduire l'impôt sur la fortune - lequel, par ailleurs, est déjà moitié moins élevé que le nôtre - et s'apprête à accueillir nos entreprises dès le 1er janvier 2019 avec une flat tax de 14%, la gauche ne trouve rien de mieux à faire que de déposer une véritable machine à créer des chômeurs !
Mesdames et Messieurs les députés, il faut naturellement refuser ce texte avec vigueur, et je vous en remercie.
M. Thomas Wenger (S). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, c'est toujours un plaisir de passer juste après Ronald Zacharias ! S'agissant des débats sur la fiscalité, je crois que les gens voient et comprennent la différence qui existe entre le PLR et le MCG d'un côté - en tout cas l'aile Zacharias du MCG - et le parti socialiste et Ensemble à Gauche de l'autre.
Que propose ce projet de loi ? Une progressivité de l'impôt pour les personnes morales. Bien sûr que le groupe socialiste est en faveur d'une telle mesure, et pourquoi ? Tout le monde le comprendra: il est en effet logique que plus vous réalisez de bénéfice, plus vous gagnez d'argent - pour les personnes physiques, plus vous avez de revenus et de fortune - plus vous payiez d'impôts. Il s'agit de contribuer à ce qui fonde notre société, à savoir le principe de solidarité, de redistribution des richesses.
Ce n'est pas du tout un projet contre les riches, mais non, vivent les riches ! Plus il y a de fortunés, qu'il s'agisse de personnes morales ou physiques, plus il y a d'impôts, mais encore faut-il que leur imposition soit juste et équitable. On entend que la population n'y comprend plus rien, ne saisit pas la différence entre les partis politiques, la gauche, la droite, que tout ça ne veut plus rien dire. Or concernant la fiscalité, ça veut justement tout dire ! Quant à nous, nous sommes pour un impôt juste et équitable des personnes morales et physiques afin de financer les prestations, les conditions-cadres dont Genève bénéficie aujourd'hui, qui sont si importantes à la fois pour l'économie, pour nos entreprises et pour les citoyens qui résident sur notre territoire.
Est-ce que les sociétés, si ce projet de loi était accepté, vont partir ? On nous parle d'exode, du fait qu'elles seraient déjà étranglées par l'imposition pratiquée à Genève; eh bien moi, je pense qu'elles ne vont pas s'en aller... (Remarque.) Oui, Monsieur Zacharias, je vous rassure: sans doute y a-t-il quelques moutons noirs qui vont quitter le canton. J'avais préparé un document que je n'aurai malheureusement pas le temps de lire, mais prenons le cas d'Apple, qui est incroyable: sans entrer dans le détail, cette compagnie a négocié avec le fisc irlandais afin que, via une filiale, elle ne s'acquitte que de moins de 2% d'impôts en Irlande sur quasiment l'ensemble de ses bénéfices ! Lisez cet article du «Monde» ! On parle de 74 milliards qui n'ont pas été imposés entre les années 2009 et 2011 !
Est-ce vraiment ça qu'on veut ? Dans les Paradise Papers qui viennent de sortir, que peut-on lire ? Que des sociétés comme Nike, par exemple, jouent avec les failles de la fiscalité internationale à travers des montages fiscaux, s'exportent aux Pays-Bas et y paient moins de 2% d'impôts. Ce n'est pas du tout ce que les socialistes veulent. Nous souhaitons évidemment que nos entreprises soient prospères, mais que quand elles réalisent du bénéfice - et beaucoup de bénéfice - elles versent un impôt qui soit juste.
A l'échelle internationale, il existe des solutions multilatérales, comme BEPS. Encore une fois, on n'a pas le temps d'entrer dans les détails, mais qui cherche une solution pour que les bénéfices ne soient pas imposés uniquement dans des paradis fiscaux ? C'est le G20, c'est l'OCDE, parce que les Etats membres se rendent bien compte qu'un tel système fiscal n'est plus possible.
Les socialistes voteront ce projet de loi, car ils militent en faveur d'un impôt progressif pour les entreprises. Pourquoi ? Je le répète: pour financer les prestations sociales, la santé, la sécurité, la mobilité, toutes les conditions-cadres qui font que le canton de Genève est ce qu'il est aujourd'hui. Si nous voulons continuer à développer ces politiques publiques, nous devons faire en sorte que les personnes morales et physiques paient un impôt juste, équitable et responsable. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et passe la parole à M. Christophe Aumeunier pour trois minutes vingt.
M. Christophe Aumeunier (PLR). Merci, Monsieur le président. Surtaxer 3% des entreprises, surtaxer 596 sociétés de 315 000 F chacune en moyenne, respectivement faire courir à Genève le risque, comme l'a dit le rapporteur de majorité, de perdre 2000 emplois - on peut en effet supposer que 315 000 F correspondent à trois postes, donc 2000 emplois seraient en jeu - eh bien nous l'aurons tous compris, ce n'est pas une bonne idée, c'est une attaque frontale contre l'emploi.
A Genève, nous le savons, nous vivons une crise des dépenses, pas des recettes. On nous appelle ici à des impôts équitables, comme si nous étions très différents des autres cantons, comme si la Suisse était inique et que tout le système reposait sur des inégalités. Mais pas du tout ! Genève exploite sa ressource fiscale de la manière la plus importante qui soit, et d'une manière tout à fait disproportionnée. Avec ou sans le PF 17, le taux d'imposition dans le canton de Vaud sera de 13,8% en 2019, Mesdames et Messieurs les députés, avec ou sans le PF 17 ! Or là, on nous appelle à fixer un taux de 27%, c'est complètement déraisonnable ! Il faut avoir une vision pragmatique.
Le projet des auteurs constitue une vision de société issue d'un idéal collectiviste affranchi des réalités du moment, lesquelles nous dictent de préserver les conditions de l'entrepreneuriat à Genève, de protéger l'emploi et la prospérité et de cultiver une concurrence fiscale vis-à-vis de nos amis vaudois. C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, il faut fermement refuser ce projet de loi. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole revient maintenant au rapporteur de majorité, M. Yvan Zweifel, pour une minute trente-deux.
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de majorité. Une minute trente-deux, Monsieur le président, pour évoquer une différence importante entre les personnes morales et physiques, qui explique pourquoi, dans le cas des premières, on a une flat rate tax, et dans celui des secondes, un taux progressif.
La déclaration fiscale d'une entreprise ne constitue en fait que le prolongement de sa comptabilité commerciale, laquelle permet de différer ou d'anticiper des revenus et des charges. En effet, selon le barème proposé, vous avez la possibilité de jouer de telle manière que votre bénéfice se trouve dans la tranche juste au-dessus ou juste en dessous, ce qu'une personne physique n'a pas loisir de faire, à quelques exceptions près, par exemple en versant davantage de dons. Voilà pourquoi, dans le premier cas de figure, on a une flat rate tax, et dans l'autre, un taux progressif.
Pour conclure, Monsieur le président, et répondre à mon éminent collègue Jean Batou, la justice sociale, c'est avoir les moyens d'aider les personnes qui en ont besoin. Or faire fuir ceux qui apportent ces moyens, c'est créer de l'injustice sociale. C'est ce que nous ne souhaitons pas, et c'est pourquoi nous allons raisonnablement refuser ce projet.
M. Serge Dal Busco, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai l'impression que nous avons déjà mené ce débat à de nombreuses reprises, mais ce n'est pas grave, c'est l'occasion pour moi de répéter mes propos et de rappeler un certain nombre de réalités. Il y a quand même une nouveauté, il faut le reconnaître: c'est la première fois que j'entends M. Batou proposer une diminution de l'imposition pour certaines entreprises, ce n'était encore jamais arrivé - comme quoi, Monsieur, encore un petit effort et vous deviendrez à votre tour un fervent supporteur du PF 17 !
Non, évidemment, ce projet de loi est une manipulation, un tour de passe-passe digne du bonneteau puisqu'il vise à baisser les impôts de sociétés qui n'en paient pratiquement pas pour charger massivement celles qui apportent la substance fiscale. Franchement, Mesdames et Messieurs, il n'est pas sérieux de vouloir taxer les personnes morales qui engendrent nos recettes fiscales à près de 27% précisément au moment où, pas très loin d'ici et indépendamment d'ailleurs de la grande réforme fédérale, nos voisins ont fixé un pourcentage qui sera de moitié inférieur. Il faut rejeter ce texte avec détermination. Comme vous le savez, nous sommes engagés dans un projet de grande ampleur absolument indispensable pour notre économie, soit le PF 17, et c'est ce qui nous permettra de maintenir la substance fiscale à Genève.
M. Wenger m'avait habitué à des interventions plus éclairées que celle qu'il a effectuée aujourd'hui, me semble-t-il, en évoquant l'imposition anormalement basse dans certains paradis fiscaux, comme en Irlande, à l'appui de sa proposition. Je n'ai pas très bien compris le rapport, alors qu'il s'agit - à juste titre ! - de veiller à assurer le financement de nos prestations sociales. Bien sûr que c'est important, mais ce n'est certainement pas en portant notre taux d'imposition pour les entreprises qui créent la substance fiscale à près de 27% qu'on y parviendra. Mesdames et Messieurs, vous l'aurez bien compris, je vous invite à refuser ce projet de loi avec détermination. Merci.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat, et ouvre la procédure de vote sur l'entrée en matière de ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 11813 est rejeté en premier débat par 58 non contre 22 oui et 10 abstentions.
Une voix. C'est une bonne chose !