République et canton de Genève

Grand Conseil

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RD 1155-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier le rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la pauvreté à Genève
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 1er et 2 juin 2017.
Rapport de M. Jean-Luc Forni (PDC)

Débat

Le président. Nous passons au RD 1155-A. La parole va au rapporteur, M. Jean-Luc Forni.

M. Jean-Luc Forni (PDC), rapporteur. Merci, Monsieur le président de séance. Bien que la tradition veuille qu'on ne prenne pas la parole aux extraits, je parlerai brièvement pour rappeler l'importance de ce rapport que l'on attendait depuis l'année 2011, suite à une motion qui l'avait demandé au Conseil d'Etat. Ce rapport, élaboré par la direction générale de la santé, propose d'esquisser les contours conceptuels de la pauvreté, qui est multifacette et pluridimensionnelle.

En quelques mots, si la pauvreté ne peut être chiffrée de manière univoque, il est toutefois à noter qu'à peu près un habitant du canton sur cinq assujetti au RDU est en risque de pauvreté, que 13,6% de la population genevoise reçoit des prestations sociales au sens large, que 5,5% des actifs avec une forte relation à l'emploi sont en risque de pauvreté et que 18% des bénéficiaires de l'aide sociale sont des actifs occupés. On relève plusieurs groupes à risque: les familles monoparentales, les familles nombreuses - soit trois enfants ou plus - ainsi que les personnes seules, en particulier les femmes. Souvent, c'est lié à la formation: l'absence de formation achevée, en effet, est synonyme de précarité et aggrave tous les indicateurs de pauvreté - précarité, aide sociale, surendettement, santé.

La commission des affaires sociales salue la publication de ce rapport, même si plusieurs commissaires se sont inquiétés qu'aucun véritable plan d'action ne lui ait été associé, que le rythme de cinq ans prévu pour publier un nouveau rapport soit trop lent, qu'il n'y ait pas non plus d'analyse qualitative et que certaines classes de la population, comme les jeunes, ne soient pas prises en compte. On nous a bien entendu promis que ce rapport serait évolutif et que les groupes de population qui n'y étaient pas inclus pourraient l'être par la suite; mais surtout, un groupe de travail a été mis sur pied par le département, qui va établir une feuille de route et travailler avec les communes et les institutions sur les différents constats de l'étude. Forte de ces garanties, la commission des affaires sociales vous invite, Mesdames et Messieurs, à accepter le présent rapport. Je vous remercie.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, comme l'a dit M. Forni: enfin ! Enfin une étude sur la pauvreté ! Nous l'attendions depuis un certain nombre d'années, et je dois dire que pour les acteurs du terrain, c'est un moment important parce qu'enfin est objectivé et documenté ce que ceux-ci affirment depuis longtemps, et cela répond aux signaux d'alarme qu'ils lançaient notamment quant à l'augmentation des besoins.

Il est tout de même utile de s'arrêter quelques instants sur cette étude, car le fait qu'on l'ait attribuée à la séance des extraits pourrait être un peu inquiétant, et je crois qu'il faut absolument souligner l'importance de ce document qui révèle des choses extrêmement importantes pour la conduite des politiques publiques dans ce canton et exprime aussi un certain nombre de choses sur les préjugés que nous avons aujourd'hui.

Le canton de Genève est l'un des plus riches de Suisse; or on apprend qu'une grande partie de la population - près de 30% - présente des risques de pauvreté tandis que 15% des citoyens ne peuvent pas se permettre d'accéder à des soins pour des motifs financiers et que 13,6% d'entre eux ont besoin des prestations de l'Etat parce que leur situation ne suffit pas à couvrir leurs charges. Mais surtout, je vous invite à relire la conclusion parce qu'elle est particulièrement éloquente: elle indique bien que cet accroissement des inégalités résulte aussi d'une détérioration et de la dérégulation du marché de l'emploi, et invite l'Etat à prendre des mesures importantes, à changer de cap, à rappeler à l'économie sa responsabilité en la matière.

Nous allons prendre acte du texte à proprement parler pour les raisons que je viens d'évoquer, mais j'aimerais quand même souligner deux éléments. Tout d'abord, nous ne sommes pas satisfaits quant au délai de cinq ans qui a été conservé alors que le projet initial demandait des enquêtes sur la pauvreté tous les deux ans - il nous semble qu'un terme de trois ans aurait été tout à fait adéquat et aurait peut-être permis de mieux ajuster les mesures des politiques publiques à ce que vit la population en réalité. Ensuite, et c'est l'une des réserves que nous avions observées en prenant acte de ce rapport, nous sommes particulièrement attachés à ce qu'il soit suivi d'effets, et le département nous a effectivement assuré avoir déjà pris date pour mettre en place des groupes de travail et passer à une phase opérationnelle.

Cela dit, je pense qu'il est important que notre parlement garde ce document en mémoire et ait surtout la préoccupation d'interpeller régulièrement le gouvernement pour savoir quelles suites concrètes lui seront données. Quand on voit un certain nombre de décisions prises ici, on peut craindre soit que ce document n'ait pas été lu, soit qu'il n'ait pas été compris. Dans les deux cas, Mesdames et Messieurs, je vous invite à prendre connaissance de cette étude et à surtout veiller à ce qu'elle soit suivie d'effets. Je vous remercie de votre attention.

M. Christian Frey (S). Comme cela a été rappelé, en 2011, le Grand Conseil avait renvoyé au Conseil d'Etat la motion 1950 dont la première signataire était Anne Emery-Torracinta, députée à l'époque, qui demandait au Conseil d'Etat d'émettre un rapport tous les deux ans - tous les deux ans, on le précise ! - ainsi que de mesurer l'évolution de l'endettement comme l'impact de la pauvreté sur la santé. Ensuite, en 2012, le Grand Conseil avait refusé le rapport du Conseil d'Etat, estimant qu'il ne répondait pas à deux points importants: d'une part à l'idée de la présentation tous les deux ans, d'autre part à l'évaluation de l'impact de la pauvreté sur la santé. Enfin, le 4 décembre 2013, le Conseil d'Etat s'engageait formellement à réaliser une étude pour 2015 au plus tard, qui répondrait aux deux demandes non satisfaites constatées par les députés du Grand Conseil.

Début 2017 - enfin, me direz-vous, enfin ! - le rapport est publié, malheureusement sans lien avec la question de la santé. Mieux vaut tard que jamais, nous disons-nous. Le groupe socialiste prendra acte de ce rapport qui a au moins le mérite d'exister, mais avec les remarques suivantes. D'abord, il faudra inclure dans le prochain document les personnes imposées d'office ainsi que les jeunes de 18 à 25 ans, comme l'a rappelé la députée Haller. D'autre part, il faudra y ajouter les informations qui peuvent être obtenues du CAPAS et plus particulièrement des services sociaux privés, comme le CSP et Caritas. Lors des auditions, en effet, on a vu qu'ils avaient énormément de choses à dire et à compléter sur la question de la pauvreté.

Il s'agira également d'impliquer les personnes concernées, autrement dit d'ajouter une dimension qualitative et non seulement quantitative, comme le fait l'OASI, l'Observatoire de l'aide sociale et de l'insertion. Enfin, nous ne sommes pas satisfaits du délai de cinq ans pour faire un nouveau rapport, qui est réellement trop long; il faudra donc transmettre un rapport intermédiaire au Grand Conseil dans un délai de trois ans au maximum. Je vous remercie.

Mme Frédérique Perler (Ve). Ce rapport était très attendu par le Grand Conseil. Même s'il est imparfait, comme cela a été souligné, il a toutefois le mérite d'exister, c'est déjà un bon point de départ. Beaucoup de choses ont déjà été dites; le groupe des Verts regrette également que ce rapport n'ait pas été accompagné dès le départ par un véritable plan d'action, même s'il est vrai que le Conseil d'Etat a déjà réuni un groupe de travail - on attend d'ailleurs beaucoup de ce dernier, notamment des comptes rendus réguliers auprès de notre Grand Conseil. Ce rapport ne comporte pas non plus d'analyse qualitative, ce qui est regrettable; encore une fois, il s'agit d'un premier rapport, mais il faudra que ce soit le cas par la suite et qu'il soit assorti d'un processus évolutif. Quant au délai, le Conseil d'Etat, par la voix de M. Poggia, a estimé qu'un rapport par législature était suffisant. Pour le groupe des Verts, c'est insatisfaisant: si on veut suivre la situation au niveau des politiques publiques, au niveau du budget, si on veut prendre en compte les inégalités sociales qui perdurent ou se font jour dans la ville la plus riche du monde, il convient d'avoir régulièrement un retour sur le travail du Conseil d'Etat à travers sa feuille de route. Il faut en effet que ce type de rapport, même s'il est très détaillé une fois par législature, puisse véritablement constituer un outil pour nous, les députés qui votons les politiques publiques et nous occupons également de l'économie de ce canton. Néanmoins, le groupe des Verts prendra acte de ce rapport.

Le président. Merci, Madame la députée. La parole échoit maintenant à M. François Baertschi. (Exclamations.)

Des voix. Echoit !

M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président de séance; vous êtes de premier choix, si je puis dire ! Il est vrai que ce rapport aurait déjà dû sortir en 2011, lors de la législature précédente. Nous sommes maintenant heureux de pouvoir enfin en disposer afin d'avoir une vision globale de la pauvreté à Genève. Néanmoins, s'il est important d'avoir une vue globale de ce problème de société essentiel, il ne s'agit pas seulement d'observer, mais aussi d'agir à la source, et pour cela, il faut agir sur le mal. Or on voit que la «surconcurrence» frontalière... (Exclamations.) ...crée des conditions-cadres très négatives pour la population genevoise, que cette «surconcurrence» frontalière... (Remarque de Mme Salika Wenger.) Je le répète, et vous transmettrez, Monsieur le président de séance, à Mme Salika Wenger qui apprécie particulièrement ce genre d'arguments... (Remarque de Mme Salika Wenger.)

Le président. Madame Wenger, s'il vous plaît ! Vous prendrez la parole après, si vous le souhaitez. (Remarque de Mme Salika Wenger.) Allez-y, Monsieur Baertschi.

M. François Baertschi. Merci, Monsieur le président de séance. La «surconcurrence» frontalière cause des problèmes gigantesques, notamment, pour une bonne partie, la paupérisation de la population genevoise. Nous devons nous y atteler, ça doit véritablement être le chantier du siècle, et le MCG est prêt pour ça. Je vous remercie.

M. Marc Falquet (UDC). Oui, il faut reconnaître... Selon la gauche, il faut refaire un rapport dans trois ans; bien, donc on en refera un dans trois ans, puis dans six ans, ceci alors que la situation de l'emploi se dégrade depuis trente ans à Genève, notamment en raison de la libre circulation des personnes et de la concurrence de l'Union européenne, du marché européen. Voilà la véritable raison de la pauvreté, c'est parce qu'on n'engage plus les Genevois ! Si l'Etat a fait son travail en établissant la préférence cantonale, il faut maintenant que les entreprises privées aient cette conscience, fassent preuve de solidarité avec nos employés, avec les jeunes qui ne trouvent pas de travail.

Or certaines entreprises ne veulent pas engager de Suisses, ils préfèrent embaucher des étrangers, et pourquoi ? Parce que les ressources humaines sont étrangères, les entreprises n'ont pas cette conscience sociale. Il faut se réveiller: vous pouvez publier autant de rapports que vous voulez, les gens se retrouveront toujours sur le carreau, et ça va continuer, ça va se dégrader tant que les employeurs ne prendront pas leurs responsabilités. Ils peuvent le faire, les grands magasins peuvent le faire; simplement, pour l'instant, ils n'ont pas cette conscience.

Pour ma part, je demande que l'économie privée ait cette conscience professionnelle, engage prioritairement des Genevois. L'UDC a déposé un texte dans ce sens, mais il est combattu par tout le monde ! Ça signifie qu'on ne défend plus la population genevoise, et ce sera un thème récurrent ces prochaines années. Nos jeunes sont sur le carreau: à compétences égales, on va toujours choisir quelqu'un d'autre, soit en le payant moins cher, soit parce que les ressources humaines sont d'un autre pays, voire colonisées par les frontaliers. Il faut le dire, c'est inadmissible ! Merci.

Une voix. Bravo ! (Quelques applaudissements.)

Mme Simone de Montmollin (PLR). Puisque nous sommes à la séance des extraits, je n'entendais pas prendre la parole, mais je crois qu'il faut revenir à l'objet de notre débat: il s'agit d'un premier état des lieux sur la pauvreté... (Brouhaha.)

Le président. Un peu de silence, s'il vous plaît !

Mme Simone de Montmollin. ...réalisé par le département, que nous avons remercié pour son travail. Il n'est pas exhaustif dans toutes les dimensions que cette thématique pourrait revêtir, mais il a le mérite de poser des bases solides, des bases méthodologiques pour pouvoir suivre l'évolution de ce phénomène selon des critères définis, partagés et reproductibles. On peut donc déjà saluer le département pour ce travail.

Maintenant, de là à dire qu'on va résoudre toutes les problématiques liées à la pauvreté grâce à ce rapport, c'est peut-être lui donner des ambitions qu'il ne nourrit pas. Aujourd'hui, on a des pistes, un certain nombre de mesures peuvent être prises directement suite à la publication de ce rapport, mais il faut garder raison quant à son objectif premier, qui était d'établir des bases concrètes, quantitatives, que l'on puisse suivre dans le temps. C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs, nous vous encourageons à l'accepter tel quel, et puis de là viendront des mesures qui pourront constituer des solutions aux nombreuses problématiques liées à ce phénomène de la pauvreté.

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, vous l'avez dit: vous attendiez - nous attendions - ce rapport sur la pauvreté depuis 2011. Nous l'avons aujourd'hui avec les imperfections qui sont obligatoirement liées aux critères, aux indices pris en considération pour observer la pauvreté, ou la précarité, c'est-à-dire le stade dans lequel se trouvent certaines personnes qui risquent à tout moment de basculer du côté de la pauvreté. Il est important que nous disposions d'un outil comme celui-ci pour pouvoir élaborer et adapter nos politiques publiques.

Pourquoi tous les cinq ans ? Une fois par législature, cela peut sembler long, mais il s'agit d'un gros travail, et il faut le faire. Entre-temps, bien sûr, nous disposons d'autres éléments d'appréciation, ce n'est pas comme si nous avancions les yeux bandés: nous avons des informations relatives au chômage, à l'aide sociale qui est préoccupante et qui peut, elle aussi, nous amener à creuser certaines questions particulières, aux prestations complémentaires familiales qui démontrent à quel point les personnes qui travaillent ne réalisent souvent pas un revenu suffisant pour faire face à leurs charges. Aussi, entre chaque étude globale tous les cinq ans, le travail se poursuit, je n'ai pas besoin de vous le préciser.

Je terminerai en disant que, comme certains d'entre vous l'ont très justement évoqué, la question de l'emploi est fondamentale: sans un revenu suffisant, la précarité puis la pauvreté s'installent rapidement, donc je vous demande - et je remercie d'avance ceux qui le font déjà - de soutenir toutes les démarches qu'entreprend le Conseil d'Etat par l'intermédiaire de mon département non pas pour favoriser nos demandeurs d'emploi, mais pour rétablir un équilibre, une concurrence loyale entre nos demandeurs d'emploi et des personnes pouvant accepter, lorsqu'il n'y a pas de convention collective de travail, des salaires très nettement inférieurs, compte tenu du coût de la vie beaucoup plus bas là où ils résident. A cet égard, je souhaiterais que les milieux politiques qui sont les plus virulents à l'égard de la politique du Conseil d'Etat de lutte contre la pauvreté et la précarité puissent, une bonne fois pour toutes, exprimer une position claire à l'égard de nos mesures en faveur des demandeurs d'emploi; je l'attends encore désespérément. Merci.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. La parole n'est plus demandée.

Le Grand Conseil prend acte du rapport de commission RD 1155-A.