République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 26 février 2016 à 18h10
1re législature - 3e année - 1re session - 5e séance
M 2274
Débat
Le président. Mesdames et Messieurs, nous poursuivons le traitement des urgences avec la M 2274. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à l'auteur de ce texte, M. Michel Baud.
M. Michel Baud (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, souriez, vous êtes filmés ! Souvenez-vous de ce slogan qui disait que quand il y a des caméras, on a tendance à se comporter un petit peu mieux. Ça, c'est la théorie. Dans la pratique, les retours sont unanimes: toutes les personnes qui ont eu l'occasion de travailler avec des caméras dans la police sont enchantées du système, cela évite... Comme je dis toujours, il y a l'arme à double tranchant; dans ce cas, c'est une sécurité à double protection, car on protège à la fois le policier qui intervient et la personne interpellée, de sorte à éviter tout débordement, et aussi des frais de justice inutiles pour recours et autres dépôts de plaintes. Pour ces raisons, je vous demande de renvoyer cette proposition de motion à la commission judiciaire et de la police afin qu'elle y soit traitée le plus rapidement possible. Je vous remercie.
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, une fois n'est pas coutume, nous devons regarder ce qui s'est passé chez nos amis et voisins vaudois, qui ont eu l'occasion d'étudier une telle proposition il y a à peu près une année, en mars dernier - lors d'une des dernières sessions du Grand Conseil vaudois, quand ils siégeaient encore ! Ce débat était assez intéressant. J'ai trouvé un article de presse qui l'évoque: plusieurs députés de l'UDC avaient critiqué ce système en disant notamment qu'«il ne faut pas laisser entendre que les policiers peuvent être les auteurs de bavures». Des socialistes s'y étaient opposés, comme certains autres députés de gauche... (Commentaires.) ...alors que d'autres socialistes demandaient pourquoi ne pas entrer en matière sur cet instrument: selon eux, «la police doit vivre avec son temps», cela «ouvre un débat», il faudrait «initier une phase test». Mesdames et Messieurs les députés, en consultant encore le cas de l'expérience tessinoise, on voit quelque chose d'assez curieux: il est écrit que les policiers tessinois disposent de cet appareil qui est enclenchable manuellement. Pour les socialistes, cet instrument est peut-être utile, mais dans les deux sens: il peut protéger un policier en cas d'agression, s'il doit témoigner suite à cela, mais à l'inverse, cela peut aussi protéger une éventuelle victime d'une violence policière contre les dénégations du policier qui dira: «Non, ce n'est pas moi !» Mais évidemment, à partir du moment où le policier peut l'enclencher à la demande - en gros, si je tape sur le manifestant, je ne mets pas la caméra, mais si je me fais taper dessus, je la mets en marche - ça pose un petit problème ! Le plus sage serait donc de renvoyer ce texte en commission ou de le refuser, mais certainement pas, en tout cas, de le voter sur le siège, d'autant plus que l'idée d'une phase test semble réellement indispensable si on veut éventuellement voir les aspects positifs pour tout le monde d'une telle proposition. Il s'agirait, me semble-t-il, de la commission judiciaire et de la police, mais c'est le maximum qu'on puisse faire, et j'en fais formellement la demande. (Commentaires.)
M. Raymond Wicky (PLR). Mesdames et Messieurs, chers collègues, en ce qui concerne le groupe PLR, nous n'étions pas forcément favorables à une urgence sur ce sujet, mais nous reconnaissons bien volontiers qu'il pourrait - et en cela, je vais suivre mon préopinant Roger Deneys, c'est peut-être rare, mais là c'est le cas...
M. Roger Deneys. C'est l'esprit d'escalier !
M. Raymond Wicky. Certes, cher collègue, certes ! Nous pensons qu'il est assez souhaitable d'examiner ce texte de manière plus approfondie, texte évoquant un instrument qui, comme le disait Roger Deneys, peut à la fois protéger les policiers contre des abus quant aux plaintes qu'on pourrait formuler à leur encontre, mais qui peut aussi, bien évidemment, protéger le citoyen contre certains abus policiers. Dans ce sens, nous soutiendrons un renvoi à la commission judiciaire et de la police.
Mme Emilie Flamand-Lew (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, en préambule, il me semble que l'hypothèse que le premier signataire nous a suggérée - comme quoi on est censé mieux se comporter lorsqu'on se trouve face aux caméras - est régulièrement démentie ici. Quoi qu'il en soit, les Verts se sont toujours opposés à la vidéosurveillance dans l'espace public, et vous vous doutez qu'ils sont a fortiori opposés à l'usage de mini-caméras portatives comme nouvel accessoire de la police. Cela pose un grand problème de protection des données et de la sphère privée. Imaginons par exemple que la police intervienne chez des gens pour tapage nocturne, les filme en pyjama, ou alors, plus grave, assistent à des scènes de violence domestique: est-il vraiment opportun que ce type de scènes soit filmé ? Nous avons tous en mémoire des fuites répétées d'images de vidéosurveillance aux mains de la police, et nous ne souhaitons pas que des données aussi sensibles soient récoltées. Plus pragmatiquement, cette motion pose également la question financière du coût d'achat, de maintenance et d'utilisation d'un tel équipement. On peut s'étonner d'une telle proposition venant de l'UDC, qui crie en permanence au loup par rapport aux finances publiques et cherche à réduire toutes les dépenses. Enfin, j'aimerais relever que les forces de police nord-américaines, abondamment citées dans l'exposé des motifs, ne forment pas pour nous un modèle à suivre: en effet, les caméras portatives de ces agents servent aussi, et hélas très fréquemment, à documenter les innombrables bavures généralement commises à l'encontre d'Afro-Américains, images que l'on retrouve ensuite sur YouTube. Notre police n'est pas celle-ci, fort heureusement, et nous ne souhaitons pas qu'elle le devienne. Pour cette raison, nous refuserons cette motion et nous refuserons également son renvoi à la commission judiciaire. (Quelques applaudissements.)
M. Vincent Maitre (PDC). La question de la vidéosurveillance - parce que c'en est une forme - qui nous est soumise aujourd'hui par cette proposition de motion a été largement débattue dans le cadre du projet de nouvelle loi sur la police, loi qui, comme vous le savez, n'est pas encore tout à fait en vigueur, mais qui devrait bientôt l'être, le dernier recours ayant été jugé devant le Tribunal fédéral. Cette question avait été débattue déjà sous l'impulsion de l'UDC, puisque nous avions autorisé, dans cette LPol, la vidéosurveillance dans les postes de police, à certaines conditions et dans certaines pièces de ces postes. Je me souviens que notre collègue Lussi avait déposé un amendement en commission pour équiper éventuellement les voitures de police de caméras de vidéosurveillance. C'était une idée qui avait été largement débattue, qui comportait des avantages et des inconvénients. Le résultat final venait d'un constat relativement implacable, de la bouche même du magistrat en charge, qui nous disait: «Vous pouvez constituer la base légale dans la LPol, ça ne me pose aucun problème; en pratique, je n'aurai tout simplement pas les moyens de la mettre à exécution.» En d'autres termes, les finances étant ce qu'elles sont, le conseiller d'Etat nous disait alors que ce projet de caméras n'était tout simplement pas réalisable dans les voitures de police. Par analogie, j'en déduis que la situation n'a probablement pas changé pour ce qui est d'équiper des policiers de caméras de vidéosurveillance. Il n'empêche que c'est l'occasion - pourquoi pas ? - de voir si les circonstances sont un peu différentes; peut-être alors cela mériterait-il d'être réétudié en commission. A ce titre-là uniquement, le PDC acceptera le renvoi, et réserve sa position pour le fond des débats.
M. Pascal Spuhler (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, comme plusieurs personnes l'ont dit, cette proposition qui nous est faite par l'UDC est tout à fait intéressante. Aujourd'hui, toutes les polices modernes sont équipées de caméras de surveillance, soit sur les véhicules, soit sur les policiers mêmes, ceci afin non seulement de les protéger contre toute agression ou incivilité à leur encontre, mais également de les protéger entre eux, pour éviter que certains collègues malheureusement ne commettent des exactions. Mesdames et Messieurs, il est important que la police puisse être protégée d'elle-même, en même temps ! Il est important que la police puisse être protégée pour elle-même. Le rôle de la police est important, nous le savons, et la vidéosurveillance, dans ce cadre-là, nous le savons aussi, n'a pas un but d'intrusion dans la vie privée, comme le sous-entendait la députée des Verts. C'est clair que si on se retrouve dans une scène spécifique, il y aura peut-être, comme le disait M. Deneys, un bouton visant à enclencher la caméra au bon moment seulement. Mais en l'occurrence, ce n'est pas ce genre de petit détail dont vous avez eu le plaisir de nous faire part qui est important. Le problème est de savoir si l'on veut équiper notre police d'instruments adéquats, d'une protection pour elle-même, d'une protection efficace également pour nos concitoyens. Il est donc clair que le MCG va soutenir la demande de renvoi de cette proposition de motion en commission, nous sommes très intéressés d'étudier cela avec les forces de l'ordre, car je pense que les premiers intéressés, ce sont quand même ceux qui interviennent sur le terrain; il faut connaître la compatibilité de leur travail avec ce genre d'instrument. Mesdames et Messieurs, nous ne pouvons que vous enjoindre de renvoyer ce texte en commission afin de l'y étudier.
M. Christian Zaugg (EAG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, pour tout dire, du côté d'Ensemble à Gauche, cette proposition ne nous enthousiasme pas beaucoup. Je pense que vous savez que l'Etat policier n'est pas exactement notre tasse de thé; mais bon, nous accepterons du bout des lèvres le renvoi à la commission judiciaire. Mais alors il faudra que les auteurs fassent de grands efforts pour nous convaincre ! (Rire.) Je vous remercie.
M. Michel Baud (UDC). Je voudrais apporter une précision à l'intention de mes préopinants qui parlaient du prix de ces caméras. J'ai sous les yeux toute une série de caméras: le premier prix est de 150 F, et cela va jusqu'à 200 F pour du «full HD». Je ne pense pas que le prix de cette caméra soit vraiment supérieur aux économies que nous pourrions faire en évitant par exemple des frais de justice. C'est une première chose. Pour l'aspect légal, je vous rappelle quand même que nous sommes le souverain: si nous voulons changer la loi et donner à nos forces de l'ordre la prérogative de porter ces caméras et de pouvoir s'en servir, nous avons le droit de le décider et nous pouvons le faire. Un dernier point concernant les caméras qui s'enclenchent à la demande: c'est un des nombreux systèmes qui existent; il existe aussi des caméras qui filment vingt-quatre heures sur vingt-quatre: dès que le policier a l'appareil sur lui, ça enregistre en permanence. Cela peut aussi enregistrer du moment que le policier se retrouve face à quelqu'un ou à un objectif, c'est un déclenchement par présence à distance. Le mieux est, je pense, d'en discuter dans cette commission, de voir les différentes opportunités et les différentes possibilités que nous avons, et, éventuellement, de faire un inventaire des coûts supposés pour équiper déjà les policiers qui travaillent dans des quartiers dits sensibles.
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi à la commission judiciaire. (Remarque.) Ah, j'ai vu trop tard, pardon ! Monsieur Marc Falquet, c'est à vous.
M. Marc Falquet (UDC). Non, ce n'est pas une erreur ! Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, j'ai été quelques années à la gendarmerie, et je peux vous dire que nous subissons quotidiennement des actes d'incivilité. (Remarque.) Je pense que personne à part les policiers ne sait ce que c'est de se faire insulter quasi quotidiennement, de recevoir des quolibets de la population. Des caméras auraient un but préventif et pédagogique évident pour éviter ces actes d'incivilité. Juste pour cela, ce n'est pas une question de mesures policières, d'Etat policier; c'est quand même pour protéger les gens. Dans aucune profession au monde vous n'accepteriez de vous faire insulter régulièrement, de manière souvent gratuite. En plus, souvent, toutes ces insultes ne font pas l'objet de plaintes, parce qu'on sait que des insultes... Le travail administratif généré par les plaintes fait qu'en général, les gendarmes ou les policiers ne déposent pas plainte. Juste pour cette raison, pour protéger la police également, je vous demande de soutenir cette motion.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, j'invite l'assemblée à s'exprimer sur le renvoi de cette proposition de motion en commission.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2274 à la commission judiciaire et de la police est adopté par 83 oui contre 10 non et 4 abstentions.