République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2214
Proposition de motion de Mmes et MM. Caroline Marti, Roger Deneys, Christian Dandrès, Jean-Charles Rielle, Romain de Sainte Marie, Thomas Wenger, Christian Frey, Lydia Schneider Hausser, Jocelyne Haller, François Lefort, Frédérique Perler, Boris Calame, Irène Buche, Jean-Michel Bugnion, Salima Moyard, Lisa Mazzone, Cyril Mizrahi : Un toit pour toutes et tous
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 26, 27 juin, 28 août et 9 septembre 2014.

Débat

Le président. Nous abordons les propositions de motions à l'ordre du jour depuis 2014. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à Mme Caroline Marti.

Mme Caroline Marti (S). Merci, Monsieur le président. Après des mois d'attente et plusieurs demandes d'urgence malheureusement chaque fois refusées, nous pouvons enfin traiter ce sujet ô combien important et, au demeurant, urgent, en plus en présence du président du Conseil d'Etat qui nous fait l'honneur d'être parmi nous cet après-midi. (Exclamations.) Je me réjouis de pouvoir mener ce débat avec vous.

Lors de la rénovation du quartier des Libellules, le magistrat Antonio Hodgers a cité le préambule de la Constitution fédérale dans son discours, à savoir que «la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres». Si je ne peux que souscrire à ses propos, malheureusement nous pouvons constater que les personnes qui vivent dans les appartements des Libellules, bien que ce soient effectivement des personnes précarisées, ne sont probablement pas les plus faibles membres de notre communauté, puisque, effectivement, il y a des personnes qui ont besoin de bénéficier de logements sociaux et puis il y a celles qui n'ont pas réussi à obtenir un logement social, bien qu'elles en aient besoin. Vous connaissez tout aussi bien que moi le manque cruel de logements sociaux dans notre canton. Ces personnes se retrouvent alors obligées de loger, par exemple, chez des tiers, de se faire héberger par leur famille... Mais, malheureusement, Mesdames et Messieurs les députés, ce ne sont pas encore les personnes les plus précarisées de notre canton. Il existe en effet des personnes qui ne peuvent pas être dépannées et hébergées par des tiers et qui doivent se débrouiller autrement. Beaucoup vivent, par exemple, dans leur voiture. Et puis, tout en bas de l'échelle de la précarité, il y a les personnes qui n'ont pas de logement, ne peuvent se faire dépanner par des tiers et n'ont pas de voiture et qui vivent donc dans la rue.

Je pense qu'il est important de rappeler certains principes légaux, notamment constitutionnels. La Constitution fédérale en son article 7 protège la dignité humaine. Cette même Constitution fédérale précise, en son article 12, que quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité. Finalement, la constitution cantonale complète ce dispositif en son article 19 qui prévoit que toute personne a droit à un environnement sain. Aujourd'hui à Genève, ce sont 500 à 1000 personnes qui vivent dans la rue, et la vie dans la rue est une vie non conforme à la dignité humaine. Cet état de fait, Mesdames et Messieurs les députés, est une complète faillite de notre filet social et est inacceptable pour le parti socialiste. Laisser ces personnes à la rue, les laisser vivre dans des conditions de santé, d'hygiène, de sécurité absolument déplorables est non seulement moralement inacceptable, mais c'est aussi irresponsable, de la part des autorités politiques, de laisser ces personnes s'enliser, perdre pied dans l'extrême précarité, puisque cela va immanquablement mener à leur marginalité, et la réinsertion sociale ou professionnelle de ces personnes en sera fortement péjorée. Vous pouvez bien imaginer que lorsque l'on n'a pas accès à des normes d'hygiène élémentaires, il est extrêmement difficile de pouvoir se réinsérer sur le marché professionnel et de trouver un logement décent. Aujourd'hui, nous manquons cruellement de places d'accueil dignes et pérennes pour les personnes qui sont sans abri. On dénombre 80 places entre le foyer de la Coulou et celui de l'Armée du salut.

Il est important, Mesdames et Messieurs les députés, de saluer les efforts faits par les communes, par exemple la Ville de Genève et la commune de Chêne-Bougeries qui a récemment ouvert un hameau de logements pour les personnes sans papier. La responsabilité ne peut pas être laissée à ces communes, notamment la Ville de Genève qui est une ville-centre très fortement confrontée à la problématique des personnes sans abri. On ne peut pas laisser les communes porter seules le poids de cette politique publique. Il s'agit d'une responsabilité cantonale de lutter contre l'extrême précarité. C'est pour ces raisons que le parti socialiste vous propose de renvoyer cette proposition de motion à la commission des affaires sociales. (Applaudissements.)

M. Bernhard Riedweg (UDC). Les sans-abri ont eu la force de venir dans notre canton sans y avoir d'attache. En cela, ils ont été aidés par des passeurs mal intentionnés et sans scrupule. Si les sans-abri reçoivent les soutiens préconisés dans cette motion, ils ne voudront plus quitter notre canton après s'être habitués à l'aide sociale.

Avec l'arrivée récente des migrants en provenance des pays en guerre mais au sein desquels il y a aussi des migrants économiques et climatiques - qui tous vont déposer une demande d'asile - le canton doit faire face à des problèmes logistiques supplémentaires tels que les logements, les soins médicaux, la formation et la sécurité entre les diverses catégories de la population. Ouvrir de nouvelles structures d'accueil permanentes tant en ville de Genève que dans les communes pour les sans-abri va se savoir à l'étranger par l'intermédiaire de messagers flairant une bonne occasion de gagner de l'argent sur le dos des plus faibles. Cela va créer un «appel d'air» dans lequel vont s'engouffrer d'autres personnes venant d'ailleurs. Il est triste de le dire mais il faut stopper cette hémorragie dans l'intérêt de nos concitoyens.

La question qui va se poser est de déterminer quelles seront les modalités de l'aide sociale dans les années à venir. Le système actuel aura de la peine à subsister au vu des finances de l'Etat, sachant que le nombre de dossiers d'aides sociales a plus que doublé en dix ans. Au budget 2016, il est inscrit une augmentation de 9,1 millions des montants liés aux prestations d'aide aux migrants versées par l'Hospice général. 5,6% des demandeurs d'asile en Suisse sont attribués au canton de Genève selon la clé de répartition fédérale, et cela au détriment des sans-abri. Il faut être conscient que les ressources financières et la construction de logements que notre canton devra consacrer aux gens en recherche d'abri seront soustraites aux subventions que l'Etat accorde déjà aux personnes précarisées locales, dont le nombre ne cesse de progresser. Maintenir des personnes nécessiteuses dans la rue est un acte difficile à supporter pour la population bien lotie, mais nous nous voyons obligés de décourager les gens à s'arrêter dans notre canton pour n'y solliciter que l'aide sociale.

Les personnes qui se présentent à nos frontières pour être prises en charge connaissent les risques qu'elles courent dans un lieu qu'elles ne connaissent pas et qui leur sera hostile en raison du climat et des conditions sanitaires et d'hygiène notamment.

La Constitution fédérale et la constitution cantonale protègent les habitants du pays voire du canton, mais pas nécessairement des gens venant par opportunisme, qui forcent le passage en espérant une vie meilleure.

Mesdames et Messieurs les députés, l'Union démocratique du centre vous demande de ne pas entrer en matière sur cette motion.

Mme Nathalie Fontanet (PLR). Pour le PLR, certaines valeurs ne se discutent pas. Il y a tout d'abord la responsabilité mais il y a également la solidarité. Nous sommes saisis d'une motion qui fait état de personnes qui sont sans abri. Alors, si certains s'amusent à analyser s'il s'agit d'étrangers, de Suisses, de personnes venues de loin ou de près, et les motifs qui les poussent, le PLR n'entend pas jouer à cela aujourd'hui. Le PLR entend se déterminer sur cette motion. Nous ne sommes pas persuadés que les moyens proposés sont les bons. Nous souhaitons en revanche faire une analyse, faire également un constat pour savoir ce qui est proposé aujourd'hui, ce qu'offrent les différentes communes... Nous avons appris dernièrement que la Ville de Genève avait ouvert un nouveau lieu d'accueil. Ce lieu répond-il aux besoins ? Quels sont les besoins ?

Dans ce contexte, nous souhaitons donc renvoyer cette proposition de motion à la commission des affaires sociales, de façon, nous l'espérons, que ce point puisse être examiné sereinement et que Genève, qui se veut également un lieu d'accueil, qui a une histoire dans ce domaine, puisse être digne sur cette question-là également. (Applaudissements.)

Mme Frédérique Perler (Ve). Puissiez-vous, Madame Fontanet - vous transmettrez, Monsieur le président - être entendue ! J'espère que nous pourrons effectivement étudier sereinement cette motion en commission.

Tout d'abord, pour rebondir sur les paroles du préopinant membre de l'UDC, il s'agit ici d'anticiper plutôt que de stopper l'hémorragie, une vaine action de notre point de vue. Cela dit, Genève, comme la plupart des grandes métropoles, est confrontée à la question des sans-abri, question qu'il ne faut pas esquiver. Deuxièmement, notre Grand Conseil travaille actuellement sur tout un processus de désenchevêtrement entre le canton et les communes. A ce titre-là, le canton est fortement concerné par cette question. Comme l'a rappelé le groupe socialiste, on ne peut plus laisser la charge et la responsabilité de s'occuper des sans-abri uniquement à la Ville de Genève. Le canton a également une responsabilité, notamment sur la question qui préoccupe les Verts, à savoir le nombre de mineurs qui vivent dans la rue et sont donc concernés par cette problématique. Ce nombre a doublé entre l'hiver 2013-2014 et l'hiver dernier. Cela doit nous inquiéter, et des dispositifs doivent être mis en place pour ces jeunes. Ce problème va bien au-delà de discours affreusement populistes sur les migrants qui ne viennent à Genève que pour profiter de l'aide sociale...

Un travail et une analyse en commission permettront de confirmer ou d'infirmer... Comme le PLR l'a évoqué, nous aurons ainsi l'occasion d'étudier les dispositifs déjà mis en place, d'explorer d'autres pistes et de faire un peu de pédagogie pour les personnes qui n'ont toujours pas compris que le problème des réfugiés de notre planète, qu'ils soient réfugiés de guerre ou climatiques, ne fait que commencer.

M. Olivier Cerutti (PDC). Je suis choqué par les propos de l'UDC. (Exclamations.) Je suis un descendant de migrant. Mon arrière-grand-père est arrivé en 1896 à Genève... (Commentaires.) Je vous ai écouté, vous me laissez parler maintenant, s'il vous plaît ! Mon arrière-grand-père est arrivé en 1896 à Genève et il y a été accueilli. Mon éducation m'interdit aujourd'hui de vous répondre. Je remercie le parti socialiste de cette motion et je vous propose de la renvoyer à la commission des affaires sociales, car la paupérisation de notre population est certainement très grave. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Jocelyne Haller (EAG). Je ne reviendrai pas sur ce qu'ont dit Mme Fontanet et Mme Perler. Leurs propos sont frappés au coin du bon sens et, comme elles, je déplore l'intervention de l'UDC. Nous soutiendrons le renvoi de cette motion à la commission des affaires sociales. Je vous rappelle que nous avons reçu, il y a quelque temps, une brochure éditée par le collectif de la Genève escamotée et qui décrivait bien la réalité des gens qui sont dans la rue. Et ce n'est pas celle qui vient de nous être décrite par un préopinant. (Brouhaha.)

Le renvoi en commission est indispensable aussi pour que l'on puisse avoir une réflexion sur l'accueil d'urgence, et pas seulement celui consistant à autoriser les gens à passer sept jours de suite dans un lieu d'accueil puis, après, à les obliger à aller ailleurs, par exemple à dormir dans une cave ou une cage d'escalier, avant de pouvoir revenir dans le lieu d'accueil. Ou encore à n'avoir que trente jours consécutifs dans un abri PC... (Brouhaha.) Nous devons véritablement nous poser la question de la qualité de l'accueil que nous réservons aux personnes aujourd'hui exclues et qui vivent dans la rue.

C'est bien pour cette raison-là que nous renverrons cette motion à la commission des affaires sociales. Je vous remercie de votre attention, si tant est que certains ont été attentifs ! (Applaudissements.)

M. François Baertschi (MCG). La motion déposée pose le problème des personnes qui se retrouvent sans domicile. Des personnes venant d'ailleurs ou celles d'ici peuvent malheureusement se retrouver SDF. Nous sommes un peu insatisfaits par cette motion, car elle n'évoque que l'accueil d'urgence. Or, pour le groupe MCG, ce qui devrait être mis en place ce n'est pas que l'accueil mais aussi l'insertion dans la société, parce que si des personnes se retrouvent sans toit c'est aussi le signe qu'il y a une misère humaine, un parcours douloureux. Si ces personnes sont là légalement et ont leur place ici, il faut leur donner des possibilités d'insertion. Le cas des personnes en situation illégale est particulier et il est difficile à gérer. Mais, à notre sens, il faudra compléter d'une manière ou d'une autre cette motion pour que la notion d'insertion soit reconnue, car cet élément d'insertion est important. Il faut remettre les gens dans la société autant que faire se peut. C'est pourquoi nous soutiendrons le renvoi de cette motion à la commission des affaires sociales.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, et passe la parole à M. Lussi pour trente secondes.

M. Patrick Lussi (UDC). Je vous remercie, Monsieur le président. Beaucoup veulent, comme à leur habitude, calomnier... Mais je me réjouis ces prochaines semaines de voir... En effet, je rappelle simplement à toutes ces belles âmes qu'aux Palettes il y aura bientôt un centre d'hébergement pour migrants. De prochaines implantations de centres sont aussi prévues dans des villes comme Thônex, Veyrier, Vernier ou même à Satigny. Des retours nous parviennent déjà... Mais vous arriverez, la bouche en coeur, à convaincre que ces gens sont absolument malotrus d'oser prétendre, d'oser dire que ces migrants ne doivent pas être près de chez eux... (Exclamations.)

Le président. Il vous faut conclure. C'est fini... (L'orateur continue à s'exprimer.) Je passe la parole à Mme Marie-Thérèse Engelberts.

Mme Marie-Thérèse Engelberts (HP). Merci, Monsieur le président. Je suis ravie que cette motion soit renvoyée à la commission des affaires sociales, car je voudrais rappeler une chose dont nous n'avons pas encore parlé. La situation des sans-toit peut concerner tout un chacun ici dans cette salle. Il suffit de perdre son emploi, d'avoir quelques difficultés de santé, de se retrouver au troisième sous-sol, pour finir dans sa voiture dans un premier temps et sur le trottoir dans un deuxième temps. Dans un troisième temps, si l'on a de la chance, on sera chez Emmaüs ou ailleurs.

Alors finalement que l'on puisse revoir l'ensemble du système qui n'est pas seulement destiné aux personnes migrantes, j'en fais aussi partie - et je remercie le canton de Genève pour cela... La situation individuelle de chacun d'entre nous, de chaque personne que nous côtoyons tous les jours, peut changer de manière immédiate. En six mois, nous pouvons voir des personnes que nous n'aurions jamais imaginées être dans une situation personnelle extrêmement grave. Alors soyons conscients de cet élément, revoyons le système à la fois pour ceux qui viennent d'ailleurs et qui bénéficient effectivement d'un certain accueil mais également pour chacun d'entre nous. Il faut faire attention à ce sujet. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Madame la députée. La parole est à Mme Nathalie Fontanet, pour une minute et cinq secondes.

Mme Nathalie Fontanet (PLR). Au vu des débats, il est important pour certains que ce sujet aille en commission, car on constate qu'il y a encore beaucoup d'incompréhensions quand on s'aperçoit finalement que certains n'arrivent pas à distinguer la question de l'asile de celle des sans-abri et de l'accueil d'urgence. Des amalgames sont faits. Je pense que ce sujet doit être traité pour que les personnes comprennent de quoi il est question. (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Madame la députée. Monsieur Bläsi, vous n'avez plus de temps de parole. Je passe la parole au président du Conseil d'Etat, M. François Longchamp.

M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, Madame l'auteure de cette motion, je suis très heureux d'être de retour de Berne où je siégeais ce matin à la Conférence des cantons pour représenter le canton de Genève à cette importante instance. Je ne sais d'ailleurs pas si j'ai loupé quelque chose ce matin. Je n'ai pas encore eu le temps d'échanger avec mes collègues. Mais certainement qu'ils me raconteront... (Rires.)

Je prends la parole pour vous indiquer, au nom du Conseil d'Etat justement, la chose probablement la plus importante de la journée, celle de vous demander de renvoyer cette motion à la commission des affaires sociales !

Le président. Je vous remercie, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons voter sur le renvoi de cette motion en commission.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2214 à la commission des affaires sociales est adopté par 72 oui contre 5 non et 4 abstentions.