République et canton de Genève

Grand Conseil

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R 801
Proposition de résolution de Mmes et MM. Lydia Schneider Hausser, Jean-Charles Rielle, Salima Moyard, Christian Frey, Roger Deneys, Isabelle Brunier, Cyril Mizrahi pour le maintien de l'emploi et d'un vrai service universel à la Poste (Résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 12 et 13 novembre 2015.

Débat

Le président. Nous passons à l'urgence suivante, la R 801, classée en catégorie II, trente minutes. Madame Lydia Schneider Hausser, je vous passe la parole.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous vous présentons ici une résolution que nous désirons envoyer à Berne. En résumé, la Poste doit cesser de privatiser et de restreindre ses prestations. Que se passe-t-il ? Vous avez certainement vu dans les médias qu'en septembre 2015, la Poste a pris la décision d'externaliser l'ensemble de ses transports par camion. Cela veut dire que ce processus entrera en pratique d'ici à fin 2016. Ce ne sont pas moins de 187 postes sur 14 sites qui seront privatisés dont certains ici, à Genève. Qu'est-ce que cela veut dire en pratique ? Cela veut dire que 187 postes seront transférés au secteur privé, avec, de manière sûre, une diminution de revenus de l'ordre de 1600 F à 2000 F par mois pour les personnes concernées. Cela veut dire qu'avec cette mesure, la Poste transfère son service de transports à des privés sans que des conventions collectives de travail soient exigées des entreprises qui obtiendront ces contrats. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Tout au plus, dans son ordonnance et dans ses contrats, la Poste demande que des négociations soient entreprises en vue de l'établissement d'une CCT, mais elle n'exige même plus une CCT préalable.

Dernièrement, la Poste a restreint ses prestations quant à la distribution du courrier recommandé ou des colis, c'est noté aussi dans la résolution. Dans certains immeubles sans accès ou dans lesquels les boîtes à lait ne sont pas assez grandes pour les colis, les habitants doivent se rendre à la poste. De nouveau, cela veut dire qu'on met dans des situations difficiles les personnes les plus faibles, à mobilité réduite. De même, les personnes qui travaillent à 100% - il y en a un certain nombre - ne parviennent plus à aller chercher leurs colis à moins de prendre une ou deux heures sur leur temps libre, à cause des horaires restreints des bureaux de poste.

Cette résolution demande donc au Conseil national puis au Conseil fédéral de faire en sorte que la Poste arrête de privatiser et qu'elle revienne sur sa décision concernant les employés qui transportent les colis de la Poste, c'est-à-dire les camionneurs. Je vous remercie de faire bon accueil à cette résolution. (Applaudissements.)

M. Bertrand Buchs (PDC). Le parti démocrate-chrétien est aussi préoccupé par la baisse de la qualité du service de la Poste, surtout pour les personnes âgées. Actuellement, si on vous livre un paquet, il faut descendre dans le hall de l'immeuble pour aller le chercher. Alors imaginez une personne âgée qui a de la difficulté à se déplacer: elle ne veut pas aller chercher son paquet. C'est la même chose pour la distribution de l'argent, qui ne se fera plus au niveau des appartements. Or, beaucoup de personnes âgées touchent leur AVS directement par le biais du facteur qui vient l'apporter. Cette perte est préoccupante pour nous, parce que c'est un plus que l'on offre à la population, c'est un service à la population, et la Poste ne peut pas se comporter comme n'importe quel autre service: elle doit ce service à la population et nous payons des impôts pour que ces services soient rendus. Le parti démocrate-chrétien soutient cette proposition et demandera son renvoi à la commission de l'économie.

M. Boris Calame (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, la Poste: service public. Quel pourrait être son véritable intérêt à distribuer le courrier directement chez son destinataire, alors même qu'il est client captif ? La mission de service public qui lui est donnée devrait permettre ledit service à la population. Non, Mesdames et Messieurs les députés, cette façon que la Poste a choisie pour rationaliser ses distributions n'est pas anodine. C'est en effet la meilleure façon d'obliger ses clients - encore une fois, captifs - de venir à l'office postal pour acheter d'autres services, produits ou encore prestations, ce qu'ils n'auraient pas fait autrement. Nous sommes ici dans une stratégie de marketing totalement sournoise. Non seulement le nombre d'offices postaux s'est drastiquement réduit ces dernières années, au plus grand désarroi des personnes à mobilité réduite, des travailleuses et travailleurs, des familles et, encore, de nos aînés, mais la Poste est aussi devenue un des plus grands bazars de Suisse, où il est important de faire venir le client pour gonfler le chiffre d'affaires et le bénéfice. Que reste-t-il alors du service public ? Pas grand-chose, si ce n'est de vouloir séduire les clients - captifs - en exposant à la vente «bonbonnaille», articles en tous genres et autres gadgets ! De fait, la Poste est devenue un concurrent direct de bon nombre de petits commerces de quartier. Du moment qu'elle oblige ses clients captifs à rejoindre l'office qui leur est assigné, elle joue et pratique quotidiennement une concurrence déloyale institutionnalisée. Le groupe des Verts vous encourage à voter cette résolution afin que la Poste redevienne ce qu'elle devrait être: une entreprise au service de la population.

M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, vous permettrez à l'Union démocratique du centre de dire qu'avec une résolution pareille, le parti socialiste fait preuve d'une totale incohérence. D'un côté, vous nous dites que vous voulez maintenir l'emploi, certes, mais est-ce que la prestation qui vous est chère dans nombre de vos prises de parole est négligée ? Non, on va simplement vers des petits emplois; on va vers des petits bureaux de tabac; on va vers des épiceries de montagne, peut-être. Mesdames et Messieurs les députés, avec ce type de résolution, vous me permettrez de vous mettre face à vos responsabilités. Parce que si vous étiez un peu plus souverainistes dans la manière de concevoir l'économie de la Suisse, peut-être n'auriez-vous pas eu à rédiger ce texte. Il est certain que face à l'intérêt et aux discussions que va susciter cette résolution, l'Union démocratique du centre ne s'opposera pas à son renvoi en commission - de l'économie, je crois.

M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le MCG soutiendra également cette résolution et la renverra également en commission. Ça ne date pas d'aujourd'hui et ça s'accélère malheureusement, la Poste démissionne de ses véritables missions de service public, poussée par le fait qu'on lui demande de rentabiliser toujours plus toutes ses opérations. Tout ça, en bout de course, a des conséquences: les fermetures de bureaux de poste, la délégation des transports à des entreprises privées dont on ne sait pas trop comment les employés sont payés, mais on peine à imaginer que leurs salaires soient équivalents à ceux qu'ils avaient en travaillant pour la Poste. Très certainement, ce sont de petits salaires.

On se rappelle encore de l'époque où le facteur venait, sonnait à la porte et apportait l'AVS dans sa sacoche en cuir chez les gens. Aujourd'hui, c'est vrai, cela a disparu. Internet aurait remplacé tout ça ? Internet n'a rien remplacé du tout ! Parce que ce que faisait le facteur de l'époque, c'était aussi du lien social, quelque part ! Et, maintenant, ce lien social a disparu et on doit le maintenir par ailleurs, avec l'IMAD, avec les assistants sociaux, avec l'Hospice général. Tout ça à nos frais, tandis qu'avant, c'était fait directement par la Poste. En tout cas, celle-ci participait à la diminution de cette demande. Cette résolution va dans le bon sens et je me réjouis qu'elle soit étudiée en commission, pour voir ce qu'il est possible de faire. Effectivement, la Poste est devenue un bazar et les employés au guichet de la poste sont plus incités à vendre leur bazar qu'à délivrer les prestations que les gens en attendent, pour les lettres et autres. C'est donc une bonne chose, espérons qu'on arrivera à sortir quelque chose à envoyer à l'Assemblée fédérale qui tienne la route ! Je vous invite donc à soutenir cette résolution et à la renvoyer en commission.

M. Serge Hiltpold (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, je crois que cette résolution pose un certain nombre de problèmes quand on mesure toutes les nombreuses activités de la Poste. En fait, si on regarde bien, la Poste a un service pour les lettres, pour les colis; elle a des services financiers. Je crois que cela mérite un renvoi à la commission de l'économie, pour analyser quelle est la politique de la Poste, en tout cas dans le canton de Genève. Quel est le déploiement de ses activités ? Est-ce qu'il y a une différenciation de sa politique en Suisse romande ou en Suisse alémanique ? Comment est-ce qu'elle traite la distribution des colis - qui semble libéralisée - dans le milieu rural ou dans le milieu urbain ? Ce n'est pas le même tissu et il n'y a peut-être pas le même service. Qu'est-ce que la Poste déploie comme service à Genève ? Je pense que cette résolution a le mérite de poser un certain nombre de questions. Pour le PLR, le meilleur endroit pour y répondre est la commission de l'économie, afin de voir ce qu'est un marché de monopole, ce qu'est un marché libéralisé et quels sont les aspects sur lesquels on peut agir. Je vous invite donc à renvoyer cette résolution à la commission de l'économie.

M. Pierre Vanek (EAG). Deux ou trois remarques; je serai très bref, comme à mon habitude. D'abord, pour briser le consensus consistant à dire qu'il faut renvoyer cette résolution en commission: sérieusement, les demandes concrètes que l'Assemblée fédérale examinera - en combien de temps ? Trois minutes et demie, si tout va bien ! - sont de maintenir l'emploi et le service universel, de préciser si nécessaire la législation fédérale. On ne va pas faire des dizaines d'heures de réunion: j'ai entendu les réserves libérales, mais tous les groupes sont d'accord. On évoque notamment une décision de la Poste prise en septembre 2015. Eh bien, si on veut rendre possible une quelconque intervention sur ce thème, il ne faut pas renvoyer ce texte en commission, remettre ça vingt-cinq fois à l'ordre du jour - comme une autre motion que nous avons traitée cet après-midi - et aboutir à quelque chose dans deux ou trois ans seulement ! Si nous sommes d'accord, renvoyons-la ou votons-la pour qu'elle soit transmise immédiatement à l'Assemblée fédérale ! Ce genre de résolution a un poids très limité, d'autant plus limité qu'elle intervient une, deux ou trois années plus tard ! Donc, mon Dieu, votons si nous sommes d'accord ou s'il y a une majorité ! Votons ça ce soir, ça ne mange pas de pain !

Quand même, Mesdames et Messieurs, il y a deux ou trois choses qu'il faut dire: tout ceci est le produit d'un processus de libéralisation du marché postal, de démantèlement de la grande régie publique qu'étaient les PTT en 1997. Alors nous avons tenté, très modestement, de ce côté-ci de la salle, de lancer un référendum fédéral pour enrayer cette mécanique délétère. (Brouhaha.) Maintenant, on subit les conséquences du démantèlement des PTT, les conséquences de la privatisation des télécoms qui ont fourni des recettes à toutes sortes de multinationales, recettes qui allaient auparavant au financement du service postal, avec l'exigence fédérale de faire de la Poste une entreprise comme une autre. De ce point de vue là, il faut s'armer, trouver des réponses et entamer un processus de reconquête en faveur du service public, en faveur du monopole public; mais ce n'est pas le propos de cette résolution. Notre collègue Boris Calame a martelé que la Poste avait des clients captifs et que cela lui profitait...

Le président. Il vous reste trente secondes.

M. Pierre Vanek. Il les a appelés clients captifs d'un monopole public, mais non, Mesdames et Messieurs, non ! (Exclamations.) Il s'agit d'usagers et de citoyens. Et nous pouvons, grâce à des votes comme celui que nous ferons dans cette assemblée, influencer et piloter la direction de cette entreprise publique ! C'est ça qu'il faut faire et il faut s'armer, dans nos rangs et en face, parce que vous en voyez les effets ! Je m'adresse à M. Lussi qui faisait aussi des reproches au parti socialiste.

Le président. Il vous faut conclure.

M. Pierre Vanek. Il faut rompre avec le néolibéralisme et il faut reconquérir les espaces pour le service public !

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député, c'est terminé !

M. Pierre Vanek.  (Hors micro.) Mais pour ce soir, nous vous proposons de voter cette très bonne résolution ! (Applaudissements.)

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Je n'ai pas une voix comme celle de M. Vanek, mais je n'en pense pas moins ! Une majorité s'est dessinée pour un renvoi en commission: c'est dommage ! C'est dommage, parce que plusieurs cantons ont déjà envoyé de telles résolutions. Il y a aussi eu des pétitions dans certains cantons qui sont beaucoup plus touchés, peut-être parce qu'ils possèdent de plus grandes unités de camionneurs. Par rapport au service postal et à sa détérioration, il est clair que cela a encore des conséquences beaucoup plus importantes dans des cantons moins urbanisés que Genève, mais à Genève aussi, cela pose des problèmes. On renvoie en commission, on peut faire traîner et enterrer une résolution ainsi. Dommage ! Nous continuerons à soutenir le renvoi direct au Conseil d'Etat et nous verrons quelles seront les majorités.

Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à Mme Danièle Magnin pour quarante secondes.

Mme Danièle Magnin (MCG). Très vite alors, Monsieur le président ! Je voulais simplement dire que nous avons auditionné la Poste à la commission des pétitions de la Ville, et ça a été un dialogue de sourds. Il faut agir vite. Je suis d'avis qu'il ne faut pas renvoyer en commission, mais, au contraire, agir tout de suite.

M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Brièvement, Monsieur le président, j'aimerais dire qu'il y a un dialogue constant avec la Poste, contrairement à ce qui vient d'être affirmé. Pour ma part, je la rencontre chaque année et il y a une discussion sur les bureaux de poste, sur les cases postales et sur les prestations de services, qui va largement au-delà de ce qui est inscrit dans cette résolution. C'est déjà une bonne raison pour renvoyer en commission et, je sais que vous y êtes sensibles, notamment de ce côté-ci de l'hémicycle... (L'orateur désigne les bancs de gauche.) ...un autre des enjeux est évidemment la question de l'aide à la presse et du tarif imposé aux journaux pour leur distribution. Pour ma part, je ne peux que vous inciter à renvoyer ce texte en commission pour avoir une discussion avec les dirigeants de la Poste qui viendront bien volontiers. Je pense que c'est une discussion qui vaut la peine d'être menée. Ensuite, j'aimerais quand même dire ici, notamment au député Vanek qui a les idées très arrêtées, mais semble-t-il toutes arrêtées dans les années nonante, parce que les PTT ont changé il y a dix-huit ans: il faudrait peut-être se mettre à jour ! On parle à l'horizon dix ans d'une suppression totale des facteurs et de leur remplacement par des drones: ce n'est pas forcément mon modèle de société, mais je pense que ça vaut au moins la peine d'en parler, d'en discuter. Rien que pour cette raison, je vous invite à renvoyer cet objet en commission.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Je fais voter l'assemblée sur la proposition de renvoi à la commission de l'économie.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 801 à la commission de l'économie est adopté par 54 oui contre 28 non et 2 abstentions.