République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2086
Proposition de motion de Mmes Marie Salima Moyard, Anne Emery-Torracinta, Lydia Schneider Hausser, Prunella Carrard : Rénovations énergétiques des bâtiments : améliorons les conditions-cadres pour l'application de la loi sur l'énergie !
Ce texte figure dans le «Recueil des objets déposés et non traités durant la 57e législature».

Débat

Le président. Nous passons à l'examen de la proposition de motion 2086, qui détient un record: elle est passée trente-sept fois à l'ordre du jour ! Nous sommes en catégorie II, trente minutes, et je cède la parole à son auteure, Mme Salima Moyard.

Mme Salima Moyard (S). Merci, Monsieur le président. Quel triste record ! Mesdames et Messieurs les députés, la question qui figure au coeur de cette motion est toujours d'actualité, malheureusement: c'est celle des rénovations énergétiques des bâtiments qui, comme vous le savez, sont de très gros gaspilleurs d'énergie. Cette motion date d'il y a trois ans mais sa problématique est loin d'être obsolète. Les références au programme de législature changent puisque c'est celui de 2010-2013 qui est indiqué dans la motion, que je réactualise en vous citant le programme de législature 2014-2018: «[...] il est impératif de réduire progressivement la consommation énergétique des individus, des entreprises et du patrimoine bâti, pour atteindre un niveau compatible avec les ressources planétaires vers 2050 (société à 2000 W).» La loi sur l'énergie a cinq ans; les audits avancent, péniblement - c'est l'objet de la motion 2150 dont nous discuterons dans peu de temps - et les rénovations avancent encore plus lentement, même pour des bâtiments qui sont de véritables passoires énergétiques.

Que vise cette motion ? Le groupe socialiste sait combien le dossier est complexe mais il est quand même en droit de se demander, après cinq ans, si tout est fait au niveau du service cantonal de l'énergie - le ScanE - pour accompagner au mieux le tournant énergétique et le chemin vers la société à 2000 watts. La question avait déjà été vaguement effleurée, notamment par la motion 2057, qui avait été acceptée par le Grand Conseil et renvoyée au Conseil d'Etat et qui demandait un bilan général de la loi sur l'énergie; c'était au printemps 2012. L'objectif de cette motion est d'aller plus loin en proposant au Conseil d'Etat certaines pistes concrètes d'amélioration du fonctionnement et de l'application de la loi sur l'énergie, notamment en réfléchissant à la fusion des nombreux fonds de financement énergétique existants. En effet, il y en a un pour les privés, un autre pour les collectivités publiques, il y a - ou il y avait, c'est à voir - celui pour éco21, celui d'écoclimat, il y a encore le Chèque Bâtiment Energie... L'idée serait de voir s'il n'existe pas de possibilité de synergie afin de gagner du temps, des compétences et éventuellement des jetons de présence, ce qui ne serait pas tout à fait inutile en ces temps budgétairement difficiles.

L'autre idée de cette motion est d'envisager un guichet unique d'information pour les très nombreux acteurs qui doivent jongler avec les différents interlocuteurs de l'Etat pour avoir les réponses techniques à leurs questions. D'autres invites sont plus générales: information sur les éco-gestes et la rénovation énergétique, promotion et renforcement de la formation dans les métiers d'avenir en lien avec les professionnels sur le terrain. La dernière invite, qui concerne les moyens à disposition du service cantonal de l'énergie, a déjà été en partie réalisée par le conseiller d'Etat Hodgers puisque certains moyens ont été donnés à ce service, de manière insuffisante certainement, mais c'est déjà un bon signe - on peut donc considérer que cette invite est partiellement réalisée. Ces invites sont modestes quant aux moyens qu'elles requièrent - l'heure est assez peu à la dépense - mais se veulent concrètes et efficaces. L'idée n'est pas de dépenser davantage mais de proposer des pistes pour utiliser les moyens à disposition de manière plus efficace. Le renvoi de cette motion en commission sera donc l'occasion pour le département de M. Hodgers de faire un bilan sur ce pilier qu'est la politique publique de l'énergie qui, au sens du groupe socialiste, est trop souvent oubliée de nos débats parlementaires. Il pourra nous indiquer ce qui a été fait, ce qui reste à faire, les obstacles et sa position sur les pistes concrètes proposées. C'est pour toutes ces raisons que le groupe socialiste vous propose de renvoyer cette motion en commission. Je vous remercie. (Quelques applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. J'imagine que vous ne parlez pas de la commission des Droits de l'Homme ?

Mme Salima Moyard. Non, bien entendu. Je n'ai cessé de parler d'énergie, donc il va de soi qu'il s'agit de la commission de l'énergie, Monsieur le président.

Le président. Certes, mais c'est toujours bien de le préciser ! Je vous remercie et passe la parole à M. le député Bernhard Riedweg.

M. Bernhard Riedweg (UDC). Merci, Monsieur le député... Monsieur le président, pardon ! Cette motion demande que l'Etat coordonne les mesures d'assainissement de 80 000 bâtiments après avoir fait un état des lieux consistant à mesurer les performances énergétiques du parc immobilier genevois. Accélérer la rénovation et l'assainissement énergétique des bâtiments du canton avec un taux de rénovation de 2% par an pour atteindre l'objectif d'une société à 2000 watts en 2050 est évalué au bas mot à 36 milliards en quarante ans. Le taux de rénovation énergétique du parc immobilier genevois est actuellement de 1% environ et ne se fait que dans le cadre de la rénovation générale des immeubles, qui coûterait encore 15 milliards, ce qui fait monter la facture totale à 51 milliards.

Si la rénovation énergétique de tous les immeubles genevois était menée à bien, cela abaisserait les émissions de CO2 de 70%. C'est dans le chauffage des immeubles, dont l'isolation laisse à désirer, que la marge de manoeuvre est la plus grande pour atteindre le standard Minergie. Ces investissements de 51 milliards peuvent paraître énormes, mais ils s'étaleront sur quarante ans. L'économie sur les frais de chauffage, la création d'emplois et la diminution de la pollution de l'air ne suffisent de loin pas à financer les rénovations. Toutefois, la taxe CO2 pourrait être utilisée, partiellement du moins, pour assurer le financement de l'assainissement des bâtiments. Finalement, ce sont les locataires qui seront sollicités en devant consacrer davantage d'argent à leur loyer, qui est déjà considéré comme trop élevé. L'UDC vous demande de refuser cette motion. Merci, Monsieur le président.

Mme Danièle Magnin (MCG). Pour le MCG, le renvoi en commission s'impose. Les paramètres actuels sur ce sujet semblent beaucoup trop flous et il faudrait étudier le sujet de façon bien plus approfondie. L'opinion de la personne qui s'exprime, à savoir la mienne, c'est qu'il ne doit pas revenir aux locataires de payer les énormes fuites d'énergie des bâtiments et qu'il faut trouver un juste milieu entre le coût des rénovations, qui est trop important, et celui de l'énergie qui, lui aussi, est trop élevé. On apprend par exemple que les seuls cycles d'orientation fermés pendant la pause estivale auraient coûté 90 000 F en frais d'électricité alors qu'il s'agit de bâtiments vides et qu'on parle du plein été, donc d'une période où l'on ne chauffe pas. Je pense que les montants doivent être correctement mesurés en comparant le prix des rénovations avec celui des économies d'énergie avant qu'on ne décide de quelque chose, et c'est pour cela que je demande le renvoi en commission.

Mme Lisa Mazzone (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai été étonnée d'apprendre qu'il s'agit ici d'une motion datant de 2012 tant les invites sont encore tout à fait pertinentes. C'est dire à quel point on a pris du retard et on n'a pas mesuré l'importance de l'enjeu de cette transition énergétique. Il nous semble primordial de renvoyer cette motion en commission, une motion qui demande dans le fond de petites mesures pour un grand objectif, à savoir d'assurer notre survie énergétique, laquelle passe notamment par la rénovation des bâtiments.

Je rappelle que cette rénovation permettra - elle le permet déjà - à l'économie locale de se développer et représente un énorme enjeu pour notre canton; il faut donc s'y atteler au plus vite. J'aurais aussi envie d'ajouter qu'il nous suffirait d'appliquer la loi sur l'énergie, mais une motion figurant plus loin dans l'ordre du jour demande justement l'application de cette loi, qui a été souhaitée et adoptée par la population pour réaliser le tournant énergétique et répondre aux enjeux également fixés dans le cadre de la stratégie énergétique fédérale. Nous soutiendrons donc le renvoi de cette motion en commission et espérons que ce sera l'occasion de mettre en place des mesures ambitieuses pour atteindre les objectifs fixés, car nous en avons un peu assez des paroles et des bonnes intentions, il s'agit maintenant de passer aux actes. Je vous remercie.

M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, cette motion est intéressante puisque son objectif est de favoriser les énergies renouvelables. Cela dit, ce qui est proposé là est assez complexe et surtout nanti d'une lourdeur administrative qui serait certainement de nature à décourager les gens d'opérer ces investissements. Il faut bien faire attention à ne pas les décourager en ayant l'intention inverse. Nous sommes quand même d'accord d'étudier cette motion et de la renvoyer à la commission de l'énergie car il y a peut-être quelque chose à en tirer, mais je le redis encore une fois: la lourdeur proposée ici pour l'organisation et l'incitation, telle quelle en tout cas, sera certainement de nature à décourager les gens d'effectuer quoi que ce soit dans ce domaine. A mon avis, il faut justement veiller à éviter cet écueil, qui plus est alors que ça va être un travail énorme pour le service cantonal de l'énergie, si c'est lui qui est chargé de cette gestion, de mettre en place tout cela. Attention donc à la lourdeur administrative et à ne pas décourager les gens. Mais s'agissant de l'objectif d'essayer de pousser les consommateurs ou les propriétaires d'immeubles et de villas...

Le président. Il vous reste trente secondes.

M. Daniel Sormanni. ...à mettre en place les énergies renouvelables, nous disons oui. Renvoyons cet objet en commission et on verra ce qu'on pourra en faire.

M. Olivier Cerutti (PDC). Personnellement, je travaille dans les métiers techniques du bâtiment. Le fait d'améliorer les conditions-cadres pour l'application de la loi sur l'énergie, qui a été votée par le peuple il y a quelques années, me paraît tout à fait opportun. On sait que cette loi est difficile d'application et, à mon avis, établir un inventaire de ce qui se fait de bien et de moins bien va dans le bon sens. Je vous invite donc à voter le renvoi de cette motion à la commission de l'énergie.

M. Serge Hiltpold (PLR). J'apprécie toujours quand les enseignants nous pondent des textes sur l'amélioration énergétique ! Je vais simplement préciser à Mme Moyard ce qui a déjà été entrepris depuis le dépôt de cette motion. S'agissant de la première invite, l'évaluation est en réalité déjà demandée à tous les propriétaires via l'indice de consommation de chaleur - l'ICC - que chacun d'entre eux a le devoir de calculer sous peine d'une amende administrative. En ce qui concerne le guichet unique, ce n'est pas à l'Etat de donner conseil directement auprès des propriétaires. Il y a des services privés qui font ça très bien, à savoir les ingénieurs, les mandataires, les professionnels qui travaillent en collaboration avec les services de l'Etat comme l'office cantonal de l'énergie, lequel doit aussi discuter avec d'autres services, notamment celui des monuments et des sites. Lors d'une autorisation de construire ou de travaux, il y a un arbitrage à faire, qui relève des compétences de ces services. Le guichet unique ne va donc pas aider plus que cela. Ensuite, s'agissant des délais, chaque propriétaire a reçu une information du département sur la mise en conformité avec l'article 56A RCI au 31 janvier 2016, ce qui pose un certain nombre de problèmes - on en rediscutera à propos d'un prochain texte parlementaire.

Avant de donner des intentions, il suffit de définir des règles, notamment en ce qui concerne l'assainissement des arcades, les typologies d'intervention, la façon de faire. Je crois qu'il faut être extrêmement froid. M. Riedweg a avancé le chiffre de 51 milliards; on peut retenir 36 milliards de travaux. Comment pensez-vous réaliser un assainissement énergétique de 36 milliards dans un délai aussi court ? Vous avez affaire à des professionnels de la construction. Alors la théorie, c'est bien, mais il y a des projets qui prennent du temps, des phases qui vont durer des décennies, il ne faut pas se mentir. Avoir les autorisations, les réalisations, un «input», c'est très bien; mais il y a une réserve de travail considérable, et je crois qu'il faut avoir les pieds sur terre: on ne peut pas réaliser ces travaux aussi vite simplement en termes de capacité des entreprises de construction, ou alors les marges seraient terribles avec 36 milliards de travaux en deux ans, et j'invite tous les parlementaires à ouvrir des entreprises dans la construction ! Non, vous savez que ce n'est de loin pas possible.

Restons pragmatiques: je pense que ce texte mérite d'être renvoyé à la commission de l'énergie afin que l'office cantonal de l'énergie - l'OCEN - puisse informer les membres des commissions spécialisées sur ce qui se fait, ce qui va se faire, comment on va traiter les délais. On voit que le département a bougé dans ce dossier. A titre personnel, je refuserais cette motion, mais je pense que ce sujet mérite quand même un débat en commission de l'énergie afin que nous soyons rassurés quant à ce que fait le département et que nous puissions obtenir des informations sur les objectifs en termes de délais.

Une voix. Très bien !

Mme Salima Moyard (S). J'aimerais juste réagir sur trois points. J'observe que l'UDC, alors même que la société à 2000 watts est l'objectif du canton et du Conseil d'Etat, que le peuple a voté via la loi sur l'énergie, considère visiblement que ce n'est pas du tout un objectif à atteindre, puisque vous avez simplement dit que c'était trop cher et qu'il n'y avait rien à faire. C'est vrai, pourquoi même simplement essayer de déterminer si on peut améliorer le chemin pour y arriver ?! J'observe, je note, je regrette.

En ce qui concerne M. Sormanni et sa crainte de lourdeurs administratives, rassurez-vous, Monsieur, ce n'est pas du tout l'objectif du parti socialiste. D'ailleurs quand, dans l'avant-dernière invite, nous proposons de fusionner les fonds - c'est une proposition, on l'étudiera en commission - c'est bien dans le but de simplifier les choses, d'avoir moins d'acteurs qui réfléchissent sur des problématiques très similaires, justement de manière à être plus efficace, donc c'est exactement l'inverse de ce que vous redoutez, vous n'avez pas de craintes à avoir de ce côté-là.

Quant aux remarques de M. Hiltpold, je relève que suivant les sujets, le PLR est très tatillon quant au fait que des fonctionnaires parlent du fonctionnement de l'Etat; par contre, que les entrepreneurs du domaine de la construction s'expriment sur leur propre secteur, il n'y a pas de problème ! Et les députés de milice qui s'intéressent à ce sujet...

Le président. Il vous faut conclure.

Mme Salima Moyard. ...feraient mieux de retourner à leurs crayons ! Je ne peux que regretter cette attitude. Encore heureux, Monsieur Hiltpold, qu'il se soit passé quelque chose depuis trois ans ! Nous le savons d'ailleurs en partie parce que nous avons eu de petits points...

Le président. Je vous remercie, Madame la députée.

Mme Salima Moyard. Je termine, Monsieur le président. Nous avons eu de petits points de situation à la commission de l'énergie...

Le président. Merci beaucoup.

Mme Salima Moyard. ...mais pas un bilan global, et ce sera donc l'occasion de le faire. Merci donc de soutenir le renvoi de cette motion en commission.

M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, c'est très volontiers que je vous présenterai en commission l'action du département en matière de rénovations énergétiques des bâtiments. Le bâti représente 50% de la facture énergétique de notre société, tandis que la mobilité n'en constitue que 25%. On voit ainsi à quel point, si nous voulons réussir l'avènement de la société à 2000 watts - et nous le devons ! - le bâti est fondamental et structurant.

M. Hiltpold a très largement évoqué les actions présentes du département qui, à vrai dire, répondent pratiquement à toutes les invites de cette motion. Le travail est en cours, peut-être pas de manière aussi détaillée que la motionnaire le souhaiterait, mais globalement, le département oeuvre dans ce sens-là et l'a d'ailleurs fait savoir au parlement en réponse à la motion 2057 déposée par le groupe des Verts, qui demandait justement un bilan de la loi sur l'énergie. Répondre à cette motion aujourd'hui reviendrait à effectuer un copier-coller de ce que vous a répondu le Conseil d'Etat s'agissant de la motion 2057; et, d'un point de vue énergétique, en termes d'économie de papier, je pense que ce n'est pas idéal.

Par contre, nous pouvons faire le point en commission sur les actions en cours, sur le guichet unique, sur les incitations auprès des propriétaires, sur la prochaine interdiction du simple vitrage, et par là même offrir aux membres de cette commission une vision globale des orientations actuellement prises. Mais n'oublions pas, Mesdames et Messieurs, et nous n'allons pas pouvoir occulter cette part du débat, que pour aboutir à une vraie politique sur les rénovations énergétiques des bâtiments, nous devrons également travailler sur la LDTR, qui représente l'un des instruments clefs de cet objectif. Bienvenue donc à cette motion en commission, où nous aurons l'occasion de faire le point sur les travaux actuels et à venir.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Je mets à présent aux voix la demande de renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2086 à la commission de l'énergie et des Services industriels de Genève est adopté par 85 oui et 1 abstention.