République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 5 juin 2015 à 17h10
1re législature - 2e année - 6e session - 36e séance
PL 11279-A
Premier débat
Le président. Nous avons fini nos urgences et passons donc au point suivant de notre ordre du jour, le PL 11279. Nous sommes en catégorie II, avec quarante minutes de débat. Monsieur Ivanov, vous avez la parole.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la commission du logement s'est réunie à huit reprises pour traiter cet objet, sous les présidences successives de MM. Amsler et Buschbeck. Le PL 11279 propose une nouvelle catégorie de logements, soit 30% de logements destinés à la vente à prix coûtant. Cette proposition n'est pas réaliste économiquement car elle crée une nouvelle catégorie de vente de logements, à prix coûtant, qui n'existe pas. Par conséquent, la définition de l'expression «à prix coûtant» induit un contrôle avec un mécène, en l'occurrence l'Etat, ce qui veut dire que les contribuables construisent en espérant faire mieux que le privé. De plus, on ignore s'il s'agit d'une vraie propriété, les droits de ce propriétaire n'étant pas établis. La personne ne pourra pas non plus valoriser sa part et, pour cela, elle va s'endetter auprès d'une banque et ne pourra pas constituer son deuxième pilier. Les personnes ne comprennent plus le sens d'autant de contrôle et de contraintes. Ce projet de loi est donc irréalisable et cette position s'appuie sur un avis de droit de Me Manfrini rendu à propos du PL 11141, avis de droit qui indique que le contrôle de l'Etat ne peut s'étendre au-delà de dix ans. En l'état, cela n'est pas possible. En Suisse, la propriété du sol est une propriété privée et ce régime ne peut prévoir un contrôle de l'Etat ad aeternam. Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission vous demande de refuser l'entrée en matière sur ce PL 11279.
Présidence de M. Jean-Marc Guinchard, premier vice-président
M. Mathias Buschbeck (Ve), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs, chers collègues, nous avons été relativement déçus par l'accueil réservé à ce projet de loi en commission puisque nous avions une proposition pour permettre au plus grand nombre de devenir propriétaire. On sait que cela est extrêmement difficile; ce d'autant plus depuis que la FINMA et les autres organes de contrôle ont encore durci les conditions. Aujourd'hui, celles-ci sont extrêmement restrictives. C'est pour cette raison que nous voulions créer cette nouvelle catégorie de logements à prix coûtant, une autre catégorie à côté des zones ordinaires. En principe, quelqu'un qui achète un bien immobilier devient propriétaire, mais lorsqu'il le revend, il fait une plus-value, et cette plus-value s'accumule de propriétaire en propriétaire. Ainsi, les prix du marché n'ont actuellement plus rien à voir avec le prix de revient des biens, à cause des plus-values successives faites sur ces biens.
Pour cela, pour permettre au plus grand nombre de devenir propriétaire, nous avons déposé ce projet de loi, selon un modèle qui existe déjà: on le connaît, c'est le modèle du Coin de terre qui permet aujourd'hui de proposer aux habitants du canton de Genève, aux membres de ce type d'associations, des villas à moins d'un million de francs, entre 500 000 F et 1 million, bien en dessous, donc, de ce que propose aujourd'hui le marché. Nous faisions cette proposition pour que chacun puisse devenir propriétaire. Effectivement, c'est compliqué, mais si on s'arrêtait chaque fois que quelque chose est compliqué, on ne ferait plus rien ! C'est compliqué vu qu'aujourd'hui la propriété privée est tellement protégée, tellement sacralisée que, quand on essaie d'introduire une petite exception à ce fonctionnement ordinaire, on bute sur des complications. Aujourd'hui, malgré tout, l'association du Coin de terre existe toujours et, plutôt que de dire tout simplement non à cette proposition, il aurait été intelligent d'au moins lui laisser une chance et de l'amender si des problèmes se posaient en effet.
A mon avis, le résultat du vote sur cet objet en commission est assez symptomatique des problèmes de la politique du logement à Genève aujourd'hui. Quand nous avons déposé ce projet de loi, nous pensions réellement qu'il pouvait être soutenu très largement, tout d'abord par la droite, puisqu'il permettait d'accéder à la propriété, ce qui est une de ses vieilles revendications, et également par la gauche, puisqu'il permettait aux classes modestes d'accéder aussi à la propriété du logement. Ce projet pouvait donc réunir l'ensemble du parlement. Au lieu de ça, tout le monde a préféré lui trouver des défauts: la droite en disant que ce sont des propriétaires au rabais, qu'on est propriétaire en entier ou qu'on ne l'est pas - du coup, ils ne le seront pas du tout ! La gauche avait une certaine crainte de voir le nombre de locataires fondre: peut-être que c'est désagréable pour eux ? Ainsi, au lieu d'avoir une unanimité sur cet objet dans ce parlement ce soir...
Le président. Il vous reste trente secondes.
M. Mathias Buschbeck. ...on se retrouve avec personne pour le soutenir, et c'est fort dommage, puisqu'il permettrait au plus grand nombre de devenir propriétaire.
Mme Magali Orsini (EAG). L'idée de ce projet de loi qu'Ensemble à Gauche soutiendra est d'introduire dans la législation cantonale le droit d'option, c'est-à-dire la possibilité pour l'Etat ou la commune... (Brouhaha. Commentaires.) Mais le droit d'option était marqué ? (Commentaires.) Veuillez m'excuser, Monsieur le président !
Le président. Nous sommes effectivement au point 29 de notre ordre du jour. La parole est à Mme la députée Sophie Forster Carbonnier.
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Merci, Monsieur le président. Le groupe des Verts partage les regrets du rapporteur de minorité. Selon nous, il y avait ici l'opportunité de permettre à la classe moyenne de véritablement accéder à la propriété à Genève. L'objectif de ce projet de loi des Verts était de faciliter cette accession. Aujourd'hui, s'il est incontestable que beaucoup rêvent de devenir propriétaires, peu ont les moyens d'y parvenir, tout simplement parce que les objets sur le marché sont trop chers et soumis à une certaine spéculation. Donc, pour contourner l'obstacle du prix, un obstacle réel pour la classe moyenne, ce texte proposait de créer un parc de logements sans but lucratif, à savoir des logements destinés à la vente à prix coûtant, sans plus-value pour le vendeur. Les prix de ces logements pouvaient ainsi rester stables dans le temps, toute spéculation étant rendue impossible pour ces biens. Il faut indiquer que cet objet, tout utopique qu'il semble, n'est pas vraiment une utopie puisqu'il existe déjà dans la réalité genevoise: l'association Coin de terre applique déjà cette méthode de même qu'une autre association à la Jonction. Ces deux expériences extrêmement positives démontrent que l'idée de ce projet de loi était tout à fait applicable et possible. Dans ce contexte, il aurait normalement dû séduire l'ensemble de cette assemblée. Le groupe des Verts regrette donc le sort que le parlement lui a réservé.
M. Ronald Zacharias (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes là encore saisis d'un de ces projets racoleurs déposés par la gauche verte, qui appelle un retour à la réalité. Mis à part le fait que la catégorie des logements destinés à la vente à prix coûtant n'a pas pu être définie, même vaguement, on retrouve dans ce projet toute la déconnexion habituelle d'une partie de la gauche par rapport à la réalité économique. D'une part, la forme de propriété visée dans ce projet - ou plutôt ce qu'il en reste - est en violation flagrante avec la protection que confère notre ordre juridique à la propriété. D'autre part, de deux choses l'une: soit il s'agit d'une catégorie autonome de logements, et personne ne les construira, faute de sens tout simplement, soit cette catégorie doit être compensée par d'autres mécanismes du logement aidé et, à ce moment-là, on n'a plus véritablement affaire à des logements à prix coûtant. Ce qui est certain, c'est qu'avec des projets de ce type, plus rien ne se construira, car ce texte supprime les éléments moteurs de la construction de logements sociaux. Ce retour à la réalité préfigure la position de notre groupe qui est de rejeter ce projet de loi. Je vous remercie.
M. Michel Baud (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, voilà une mesure qui part d'un bon sentiment; il est clair qu'il est toujours assez tentant de pouvoir accéder à la propriété au prix coûtant. Hélas, on se rend compte que la plupart des personnes auditionnées n'étaient vraiment pas convaincues par ce projet de loi qui visiblement n'était pas totalement abouti; beaucoup étaient perplexes quant aux conséquences que cela pourrait avoir, c'est-à-dire presque aucune nouvelle construction, peu d'impact sur la population, mais surtout une augmentation considérable de travail pour le département. Pour ces raisons-là, nous vous demanderons aussi de refuser ce projet de loi.
M. Olivier Cerutti (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, si ce projet de loi a pour but de savoir si nous sommes favorables à la classe moyenne, je dirai qu'au parti démocrate-chrétien, nous sommes très favorables à cette classe de population. Mais pourquoi passer par ce texte qui part dans toutes les directions ? Modifier la LGZD au profit d'une nouvelle catégorie ? Au profit de qui, Mesdames et Messieurs ? Au profit des LUP ? Des coopératives ? De la PPE ? Voire au profit d'une remise à plat de la planification générale ? Manque de formulation, Mesdames et Messieurs ! Pour le reste, la commission a cherché pendant de longues séances la définition du prix coûtant. Pour moi, le prix coûtant, c'est quand on va à la boulangerie, qu'on commande son petit pain et qu'on repart après l'avoir payé au prix demandé. Malheureusement, il faut savoir que quand le boulanger n'a pas vendu tous ses petits pains, le soir, il les met à la corbeille. La définition du prix coûtant, c'est l'ensemble des coûts générés: la rémunération du capital et la prise du risque. Restent les questions ouvertes, même si l'auteur du texte rétorque que sa formulation parle d'elle-même. Malheureusement, les doutes sur les objectifs nous ont finalement amenés à régler cette fausse bonne idée en vous demandant de refuser ce projet de loi.
M. Bernhard Riedweg (UDC). Est-ce que la vente d'objets immobiliers sans but lucratif existe vraiment dans notre canton ? Quelles pourraient être les motivations d'un promoteur immobilier pour rechercher des terrains à construire qui sont de plus en plus rares ? D'obtenir les autorisations, de donner suite aux oppositions, de bloquer des fonds propres durant plusieurs années dans l'attente des autorisations nécessaires, de faire face aux risques qu'il encourt si, en fin de compte, il se voit imposer de vendre à prix coûtant ? On pourrait éventuellement compter sur un mécène qui mettrait la différence entre le prix du marché et le prix coûtant. Dans ce registre, seul l'Etat pourrait envisager de faire de la promotion immobilière, alors qu'il ne dispose que de 30 millions de francs dans son budget annuel. L'Etat serait appelé à contrôler ce marché spécifique qui vise à empêcher la plus-value sur la revente d'un bien immobilier et à favoriser l'accession à la propriété pour des gens ayant des revenus moyens et un minimum de fonds propres. Tout cela se ferait sur une durée indéterminée alors que le contrôle de l'Etat ne peut pas dépasser les dix ans.
Economiquement et juridiquement parlant, le contenu de ce projet de loi n'est pas réaliste. Que le marché de l'immobilier genevois soit surveillé par l'Etat pour éviter la spéculation est une bonne chose, mais ce texte impose trop de contraintes aux promoteurs, ce qui pourrait les décourager à construire dans le canton et les inciter à traverser la frontière cantonale ou à aller en France voisine.
Une voix. Bravo !
M. Bernhard Riedweg. Cela n'arrangerait pas la population locale qui souffre déjà d'un manque de logements depuis des décennies et cela couperait d'un coup ses rêves d'acquérir un bien-fonds. A vouloir trop exiger dans le domaine de l'immobilier, déjà fort tendu, on risque de faire augmenter les prix de la construction, ce qui a une incidence directe sur les prix de vente. Pour acquérir un logement de 500 000 F, ce qui devrait être un des prix les plus bas à Genève, il faudrait que les fonds propres soient de 100 000 F. Or, à Genève, 83% de la population déclare moins de 100 000 F de fortune imposable. Ces gens ne sont pas éligibles pour devenir propriétaires dans le canton de Genève ! Il y a une solution tout de même, c'est celle de l'héritage. Hériter, toutefois, c'est recevoir un gâteau quand vous n'avez plus de dents pour le manger ! Il y a donc beaucoup d'appelés, mais peu d'élus sur le marché. Je ne peux pas vous donner de meilleure nouvelle, Mesdames et Messieurs, et nous vous demandons de refuser l'entrée en matière. Merci, Monsieur le premier vice-président.
M. Christian Dandrès (S). Le groupe socialiste a examiné ce projet de loi avec un certain intérêt, dans la mesure où il mettait le doigt sur la part que représentait dans les plans financiers le bénéfice de la promotion. C'est vrai que limiter cette part et la supprimer permettrait d'étendre quelque peu le pourcentage qu'a rappelé tout à l'heure notre collègue Riedweg. Néanmoins, on l'étendrait de 5% au maximum et on resterait dans une situation où ces logements seraient inaccessibles à 80% ou 75% au moins de la population. Si ce projet de loi prévoyait que les logements à la vente à prix coûtant se substituent aux propriétés par étage ordinaires, le groupe socialiste l'aurait naturellement voté. Le problème est qu'il met en balance les logements d'utilité publique - les LUP - dont on a parlé, qui manquent cruellement dans notre canton, et les logements destinés à la vente, même s'ils sont à prix coûtant. Ce projet pourrait mettre en péril la politique que le Conseil d'Etat est en train de développer, ou tente petit à petit de développer, en favorisant la coopérative, qui permet à plus de personnes de se loger et pallie aussi les difficultés que peuvent rencontrer les locataires, à savoir notamment les résiliations du contrat de bail à des fins spéculatives, les congés-vente, et je vous passe les autres horreurs auxquelles on peut être confronté sur le marché immobilier locatif.
Le problème, c'est que ce projet de loi propose une alternative qu'il ne devrait pas proposer. Il aurait fallu le retravailler, je pense qu'un simple amendement aurait été un peu trop léger. C'est regrettable que ce projet de loi n'ait pas été pensé en amont de manière un peu plus juste, à savoir comme une alternative à la PPE, et non pas comme un affaiblissement de la politique sociale du logement.
M. Cyril Aellen (PLR). Ce projet de loi a eu au moins deux mérites. Premièrement, en lisant certaines citations du rapporteur de minorité, notre collègue vert M. Mathias Buschbeck, je n'ai pas pu m'empêcher de sourire, parce que je n'avais pas l'habitude d'entendre de telles phrases dans la bouche de représentants des partis verts. Je vais le citer, à l'antépénultième paragraphe de la page 38: «Pour la gauche, le risque est bien trop grand de voir fondre sa machine électorale que constitue la défense des seuls locataires.» Voilà pourquoi la gauche s'oppose à ce projet de loi, selon les Verts ! (Quelques applaudissements.) Très franchement, merci beaucoup ! (Commentaires.)
Deuxième mérite de ce texte: quand Mme Mahrer est venue nous le présenter, on lui a posé la question suivante: qu'est-ce que des prix coûtants ? Elle nous a dit que la formulation parlait d'elle-même. Je suis donc allé voir ce qu'a répondu Mme Kast et, pour une fois, je suis d'accord avec elle. (Commentaires.) Je souhaitais le dire, et je vais la citer: «Mme Kast relève que, selon la législation actuelle, le promoteur privé ne voudra pas construire sans en tirer un certain bénéfice. Ce bénéfice est contrôlé par l'OLO afin qu'il soit raisonnable.» Tout ça pour dire qu'il faut des raisons partielles que je partage avec notre collègue Dandrès, et je pense que ce projet de loi est une fausse bonne idée.
Par contre, il pose une bonne question, et j'aimerais faire une comparaison, même si comparaison n'est pas raison. Les caisses d'allocations familiales notamment, ou les assurances-accident, sont soit publiques, soit privées, et, finalement, le privé doit faire au moins aussi bien que le public: c'est la règle. Il y a quelques domaines publics réservés, je pense à la SUVA. En matière de logements sociaux, on doit faire passer une obligation, une logique de résultat, ce qui revient à déclarer que, dorénavant - je l'ai dit dans les ateliers du logement, mais je le répète volontiers ici en plénière - il va falloir arriver à une logique où on fixera des objectifs de loyers aux privés, avec des taux d'occupation obligatoire et avec des corrélations entre les deux pour que cela corresponde à des loyers raisonnables. Ce sera fait à prix coûtant pour le public et le privé aura la possibilité de faire aux mêmes conditions, de mon point de vue. S'il y arrive, tant mieux pour lui, quelle que soit sa marge, petite ou grande, et s'il n'y arrive pas, il ne le fera pas ! A mon avis, en passant à une logique de résultat avec un partenariat «public-privé», entre guillemets, dans lequel le secteur public agit, si le privé parvient à faire aussi bien ou mieux, il en tirera les bénéfices. Peut-être que cela constituera une piste qui permettra non plus d'avoir le public et le privé en opposition pour les logements sociaux, mais en concurrence. Que rêver de mieux, qu'ils se battent pour faire le plus de logements possible, chacun d'entre eux !
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je dois dire que j'ai été assez surpris de cette façon d'envisager la problématique du logement. D'abord, je ne crois pas que ce soit une fausse bonne idée, c'est une fausse idée tout court ! Il y a un mélange, puisqu'on cite une coopérative en Ville de Genève qui a mélangé l'aspect coopératif et celui de la vente, en vendant au bout d'un moment à certains qui veulent acheter ces appartements. Je considère que c'est une erreur, on fait un mélange des genres. Le groupement des coopératives a justement une charte où il est écrit qu'il est interdit de vendre. Autrement, ce n'est pas une coopérative: c'est déguiser des PPE en coopératives, et ça, c'est vraiment une fausse idée tout court ! Par conséquent, ne mélangeons pas ces deux choses. Je soutiens les coopératives à 100%, mais en tout cas pas les fausses coopératives qui vendent leurs appartements après avoir obtenu un droit de superficie, au bout d'un moment, avec en plus un taux favorable pour leur permettre de construire, peut-être même encore avec la garantie de l'Etat pour pouvoir construire avec 5% de fonds propres - et, à la fin, elles vendent les appartements ? Non ! Ça, c'est tout simplement un scandale ! Laissons les PPE faire leur travail de PPE.
Je pose la même question sur le prix coûtant: ça veut dire quoi ? J'ai lu en long, en large et en travers les deux rapports et on voit que cette notion n'a pas vraiment été définie. Donc, il est clair que ce n'est pas une bonne idée, et c'est la raison pour laquelle nous refuserons ce projet de loi.
M. Mathias Buschbeck (Ve), rapporteur de minorité. Je vous ai tous écoutés avec beaucoup d'attention; je dois vous dire que j'ai entendu passablement de bêtises et je le regrette. Je ne sais pas si c'est par volonté de ne pas comprendre ou par volonté de ne pas entrer en matière. Parce que dire que lorsqu'on mettra un terrain à disposition d'un promoteur, il ne va pas construire compte tenu de la situation actuelle, c'est faire preuve d'une mauvaise foi crasse: en effet, le prix coûtant s'appliquera à partir de la première revente et les conditions de vente lors de la construction du bien immobilier ne seront pas du tout affectées par cette démarche. C'est en fait lors de la revente et des ventes successives qu'on empêche la plus-value. Je regrette le dogmatisme de cette salle qui empêche le plus grand nombre, à terme, de disposer d'un parc immobilier bon marché, alors qu'on sait que les prix de l'immobilier, les prix à la vente notamment, sont inaccessibles pour le plus grand nombre.
Présidence de M. Antoine Barde, président
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Le cas de l'association du Coin de terre est vraiment particulier, car il s'agit d'un droit de réméré, un cas quasi unique en Suisse. Je vais citer M. Burgisser, directeur de l'office cantonal du logement, qui signale que, concernant le droit de réméré, il doit y avoir un problème, étant donné que celui-ci a été introduit dans la législation fédérale. Il dit que le problème qui se posera dans la durée sera donc celui de la limitation du droit de réméré, donc en l'occurrence dans le temps. Ce projet de loi met en balance ou en rivalité les HM-LUP et les logements en vente à prix coûtant: c'est une mauvaise équation. Pour toutes ces raisons, il convient de refuser l'entrée en matière.
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi a le mérite de poser une question intéressante, face au constat partagé de la difficulté pour la population genevoise, notamment sa classe moyenne, d'accéder à la propriété. Il part de la réalité que le principal frein à l'accès à la propriété est bien le prix de celle-ci. Autrement dit, c'est avant tout le prix de vente d'une propriété privée que compte obtenir son propriétaire actuel qui forme le principal obstacle à l'acquisition de ces biens par les nouvelles générations. Je crois qu'on doit admettre que notre canton est un canton attractif qui a connu un fort développement économique; les générations des années soixante et septante ont pu acquérir des biens en zone agricole à des prix défiant toute concurrence, parce qu'on déclassait allégrement à l'époque. Aujourd'hui, la valeur de ces biens a tellement pris l'ascenseur, en termes économiques, qu'il est pratiquement impossible de devenir propriétaire. Cela a été dit par la plupart des intervenants. Selon le Crédit suisse, seuls 15% de la population genevoise peuvent devenir propriétaires. Or, sur l'ensemble des logements créés ces dernières années, on a construit plus de 30% de PPE. La question est donc: pour qui édifie-t-on ce surplus de PPE, si on constate en même temps que seuls 15% de la population peuvent y accéder ? Cela sans compter les mesures anticycliques prises par le Conseil fédéral, la BNS, la FINMA et l'Association suisse des banquiers. Finalement, ce projet de loi pose la question de savoir comment la propriété privée peut se transmettre d'une génération à une autre, sans coup de massue, avec des nouvelles personnes qui arrivent aujourd'hui à 40 ans sans avoir les ressources pour accéder à la propriété.
La réponse est évidemment complexe et délicate, cela a été dit également par le rapporteur de majorité, parce que la définition du prix coûtant est tout de même abstraite. Bien sûr, le prix de la construction est, lui, maîtrisé; on sait combien coûte un ouvrage, le gros oeuvre, etc. Par contre, le prix du foncier lui-même est par essence un prix spéculatif. Ce que je veux dire par là, c'est que le foncier est par essence un prix lié à la situation économique, géographique et sociétale. Pour juger un bien, les professionnels de l'immobilier considèrent trois critères qui sont les suivants: sa situation, sa situation et sa situation ! Tant que vous êtes à Genève, je le répète, vous vous trouvez dans une région attractive.
Alors comment déterminer ce prix de base ? Pour la zone de développement, il y a une réponse: le prix est fixé de manière administrative. Là-dessus viennent s'ajouter le prix de la construction ainsi que la marge du promoteur, soit 18%. Ça, c'est le modèle établi pour la zone de développement. Evidemment, en zone ordinaire, il n'y a pas ce type de référence, ce qui ouvre encore d'autres questions. Finalement, le prix coûtant, selon la notion des Verts, c'est un prix de vente non spéculatif. Autrement dit, on revend sa propriété avec une plus-value, certes, mais une plus-value raisonnable, qui n'est pas de 50% ou de 100%, comme on l'a vu ces dernières années à Genève.
L'outil proposé par ce projet de loi n'est pas conforme car il est difficilement compatible avec la législation supérieure; déterminer le prix coûtant, selon la notion introduite par ce texte, constituerait un vrai casse-tête pour l'administration, pour les raisons que j'ai évoquées. Par contre, je suis d'accord avec M. Sormanni: en ce qui concerne les PPE et les coopératives, il faut bien séparer l'une et l'autre. Avoir des PPE qui n'entrent pas dans une logique spéculative du marché, c'est possible; c'est possible en droit de superficie. En droit de superficie, les villes de Berne et de Bienne ou d'autres villes alémaniques ont construit d'importants parcs de PPE. En fait, ce sont les bourgeoisies qui l'ont fait. Une grande partie de Londres est également construite ainsi, et on voit que ces PPE ont l'effet voulu par ce projet de loi, à savoir que le prix est contrôlé à chaque changement de propriétaire et qu'il ne s'envole pas de manière spéculative. Or, c'est un essai qui existe déjà dans le canton, dans la commune de Chêne-Bourg, et qui pourrait, si votre Conseil y consentait, s'appliquer à certains logements au sein du PAV: une petite proportion pourrait bénéficier de ce système-là.
Pourquoi pas, donc, quant à la philosophie; pas sous cette forme-là. C'est pourquoi le Conseil d'Etat vous invite à rejeter ce projet de loi, mais pas fondamentalement son idée, sur laquelle nous pourrons revenir ensemble, notamment dans le cadre du débat sur le PAV.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous passons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 11279 est rejeté en premier débat par 75 non contre 10 oui et 2 abstentions.