République et canton de Genève

Grand Conseil

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R 713
Proposition de résolution de Mmes et MM. Lydia Schneider Hausser, François Lefort, Anne Emery-Torracinta, Christine Serdaly Morgan, Roger Deneys, Brigitte Schneider-Bidaux, Roberto Broggini, Marion Sobanek, Catherine Baud, Melik Özden, Sylvia Nissim, Esther Hartmann, Sophie Forster Carbonnier du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale : Réhabilitation des sept manifestants condamnés suite à la manifestation du 9 novembre 1932
Ce texte figure dans le «Recueil des objets déposés et non traités durant la 57e législature».

Débat

Le président. Nous traitons maintenant la R 713, en catégorie II, trente minutes. La parole est à Mme la députée Schneider Hausser.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de résolution rappelle un triste souvenir, les événements du 9 novembre 1932... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...quand l'armée a tiré sur des civils, dernier cas où l'armée est intervenue en Suisse contre des manifestants, à Genève. Le résultat, tout le monde le connaît malheureusement: 13 morts et 65 blessés. En juin 1933, une cour d'assises fédérale juge les - entre guillemets - «responsables des troubles» et condamne sept personnes sur dix-huit accusés pour refus d'obtempérer aux ordres de la police, non pas pour la responsabilité des événements. Aujourd'hui, il est temps que ces manifestants, qui ont lutté, à l'époque, contre le fascisme à Genève, soient réhabilités. Les condamnations ont eu lieu pour des motifs dus au contexte historique plutôt qu'en raison d'une responsabilité directe liée au drame qui s'est déroulé sur la plaine de Plainpalais. L'Assemblée fédérale a déjà utilisé une telle procédure vis-à-vis de personnes condamnées; citons, par exemple, les condamnations des passeurs qui ont aidé... (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît, un peu de silence !

Mme Lydia Schneider Hausser. ...des centaines de personnes à se réfugier en Suisse lors de la dernière guerre mondiale - enfin, lors de la Seconde Guerre mondiale, et dernière, heureusement - et également ceux qui ont participé à la guerre d'Espagne. Cela permettra de remettre l'histoire à sa place et donc de réhabiliter les sept personnes suivantes: Léon Nicole, Auguste Millasson, Francis-Auguste Lebet, Jules Daviet, Albert Wütrich, Francis Baeriswyl et Edmond Isaak. Mesdames et Messieurs les députés, nous vous demandons de soutenir cette résolution. (Applaudissements.)

M. Pierre Weiss (PLR). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, cette résolution est pertinente à la forme puisqu'elle concerne Genève, contrairement à d'autres qui concernent parfois la Suisse. Sur le fond, Genève était divisée en 1932. Mme Lydia Schneider Hausser vient de rappeler les noms des victimes. Le hasard du calendrier de notre Grand Conseil nous a fait parler des Roms, et cela me permet de dire, au passage, combien, en ma qualité de président de la LICRA, j'ai été choqué par ce qui s'est passé tout à l'heure.

Donc aujourd'hui encore, parlant des événements de 32, événements tragiques qui se situaient une année à peine avant la montée en puissance du nazisme en Allemagne - on était en plein fascisme en Italie, c'étaient les années de l'après-Première Guerre mondiale - on s'aperçoit combien ces événements, au fond, sont encore diviseurs. Et je pense que la noblesse de notre société devrait être, à un certain moment, de réussir à imiter Kohl et Mitterrand qui, à l'ossuaire de Verdun, ont réussi à partir main dans la main. Ou encore, si vous voulez un autre exemple, de faire comme notre société qui sait lire - ainsi que Mme Schneider Hausser - le nom des victimes de 1602, et qui a accompli là son devoir de mémoire. Le devoir de mémoire pour 1932, je crois, est incomplet; il convient de s'y pencher, c'est notre responsabilité. Avant d'aller à Berne pour demander une annulation, il serait bon, à mon avis, d'aller à la commission des Droits de l'Homme, éventuellement, si cela était rejeté, de la renvoyer à notre Conseil d'Etat en l'approuvant dans l'esprit que je viens de décrire, pacificateur, dans un esprit de réunion, de mémoire sur le passé. Je vous remercie.

M. François Baertschi (MCG). Personnellement, j'ai été très surpris de prendre connaissance de cette proposition de résolution: on a rendu un jugement à propos de ces personnes, notamment de la plus célèbre d'entre elles, Léon Nicole; le jugement du Tribunal fédéral concernant ces gens a même été considéré par une partie de l'opinion comme trop souple et trop favorable aux accusés. Mais c'est un jugement qui était équilibré pour des observateurs objectifs de l'époque. Quelqu'un comme l'ancien conseiller d'Etat Picot, une personnalité très peu contestée, reconnue par beaucoup, a dit lui-même que c'était un jugement intelligent. Pourquoi ce jugement était-il intelligent ? Parce qu'il a permis à Léon Nicole et, je crois, à l'un ou l'autre conseiller d'Etat, de se présenter à l'élection de l'année suivante, ce qui a amené Nicole à être élu ! (Remarque.) Léon Nicole a passé ! Donc le peuple l'avait déjà réhabilité ! La réhabilitation a été démocratique, elle s'est faite au travers de l'élection d'un certain nombre de ces personnes, dont je ne pourrais pas citer les noms.

Personnellement, il y a une chose qui me dérange quand même beaucoup: j'ai du respect pour tout le monde, mais nous n'avons pas vécu cette période, nous ne savons pas comment c'était. Je crois qu'il ne faut pas la voir avec les yeux de 2014, mais avec ceux de l'époque, remettre les choses dans leur contexte, et cela de manière intelligente.

Mais il ne faut quand même pas l'oublier, on a un devoir de mémoire ! Et ce devoir de mémoire, on l'a aussi envers Léon Nicole, et là je vais citer une personnalité tout aussi incontestable, comment s'appelait-il déjà... Vincent, Jean Vincent... (Remarque.) ...grand chef du parti du travail, que les plus anciens, ou les personnes qui s'intéressent à l'histoire genevoise, connaissent. (Remarque.) Mon collègue Sormanni a même siégé avec lui, et d'autres aussi, j'imagine. Jean Vincent, donc, citait, dans un de ses livres, ce que Léon Nicole disait en 40, au moment du pacte germano-soviétique: il a fait l'apologie d'Adolf Hitler, en félicitant son «socialisme viril» ! Voilà la personne qu'on veut réhabiliter !

Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député !

M. François Baertschi. Est-ce que ce parlement veut demander cette réhabilitation ? Moi, en tout cas, je ne suis pas d'accord avec cela et je m'y opposerai. Merci, Monsieur le président.

Une voix. Bravo !

M. Bertrand Buchs (PDC). Le groupe démocrate-chrétien va laisser la liberté de vote. Nous avons longuement discuté de ce point à notre caucus, les opinions étaient divergentes, mais ce que nous pouvons dire est que ce qui s'est passé en 1932 est un épisode absolument tragique pour l'histoire de Genève et l'histoire de la Suisse, surtout pour celle de Genève puisque deux visions de la société se sont rencontrées et qu'il y a eu des morts sur la plaine de Plainpalais. Cela, nous ne voulons plus jamais le revoir. Cependant, comme je vous l'ai dit, certains étaient pour le fait de réhabiliter ces personnes, d'autres étaient contre, nous laissons donc la liberté de vote. Mais je crois que ce qu'a dit M. Weiss est très important: qu'on les réhabilite ou pas, le devoir de mémoire reste et nous devons continuer à apprendre à nos enfants ce qui s'est passé en 1932 à Genève, et faire en sorte que cela ne recommence plus. Merci beaucoup.

M. Stéphane Florey (UDC). Le groupe UDC refusera cette résolution notamment en raison de ce qu'a très bien expliqué M. Baertschi pour le MCG, mais également pour renvoyer le parti socialiste à ses considérations. Il s'agit là clairement d'une demande à l'Assemblée fédérale: pourquoi aller jusque-là ? Quand ça vous arrange on le fait, mais quand ça ne vous arrange pas on ne le fait pas ! (Commentaires.) Il y a une totale incohérence dans vos propos. (Remarque.)

Le président. S'il vous plaît !

M. Stéphane Florey. En ce qui me concerne, si je refuse ce texte, c'est aussi parce que ces personnes - c'est un point de l'histoire que je ne connais pas très bien, mais je parle d'après l'exposé des motifs et ce qu'a expliqué M. Baertschi - ont été condamnées pour appel à l'émeute et trouble de l'ordre public. Eh bien ma foi, qu'elles assument ! Elles ont été condamnées... (Commentaires.) ...et de ce point de vue là il n'y a aucune raison de les réhabiliter; elles assument leurs actes, voilà tout. En ce qui concerne notre groupe, nous refuserons donc cette résolution.

M. François Lefort (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, le temps a passé, un temps suffisant - 82 ans depuis les événements - pour pouvoir maintenant, dans la sérénité, réhabiliter les condamnés de 1932, comme les passeurs l'ont été, comme les brigadistes l'ont été. Ceux qui nous occupent ce soir ont été condamnés aux assises pour avoir refusé d'obtempérer aux ordres de la police, et pas pour délit de trouble grave à l'ordre public comme le prétendait le député Florey. Ils n'ont pas non plus été condamnés pour délit de révolution. Le temps a passé, et nous n'allons pas refaire le procès de ceux qui ont donné l'ordre de tirer, procès qui n'a jamais eu lieu. Non. Mais nous pouvons réhabiliter, comme le disait M. Weiss, la mémoire de ces sept condamnés aux assises, que cela soit, au mieux, en renvoyant ce cas à l'Assemblée fédérale, comme le propose cette résolution, ou au pire, comme le demandait M. Weiss, en renvoyant cette résolution au Conseil d'Etat. Les Verts soutiendront les deux propositions.

M. Michel Amaudruz (UDC). La problématique qui nous est soumise a connu un précédent, c'est l'affaire Grüninger. Si je connais bien l'affaire Grüninger, c'est parce qu'elle m'avait intéressé au moment des travaux de la Constituante, où la question se posait de savoir si quelqu'un qui avait désobéi, pour des motifs nobles, à une injonction objectivement et visiblement déplacée de l'ordre juridique, était punissable. J'aurais trouvé l'adoption de cette disposition très intéressante, parce qu'elle aurait évité la longueur de la procédure de réhabilitation de Grüninger. Grüninger, comme vous le savez tous, avait désobéi à des injonctions de l'autorité fédérale sur la question de l'immigration et du droit d'entrée des Juifs en Suisse. Il a été révoqué, ensuite de quoi il n'a plus trouvé d'emploi, a été appauvri, et sa famille a fini dans la misère. C'est seulement en 1992 ou 1995, je ne sais plus, que le Grand Conseil saint-gallois, après une longue procédure, a décidé de réhabiliter Grüninger.

Le président. Il vous faudra conclure, Monsieur le député.

M. Michel Amaudruz. Ah, il faut que je conclue ? C'est dommage parce que c'est un sujet passionnant ! Comme je dois conclure et que je n'aime pas... enfin, vous connaissez ma formule, je vais simplement dire qu'aujourd'hui, par rapport à ce cas particulier, j'ai une information largement insuffisante pour pouvoir, en un tournemain, me déterminer sur une question fondamentale. Et je ne serai pas pour renvoyer cette résolution au Conseil d'Etat, mais en commission. Je vous remercie, Monsieur le président !

M. Pierre Vanek (EAG). Nous soutiendrons, bien entendu, cette résolution. Je tiens à saluer - ce n'est pas souvent - l'intervention du député Pierre Weiss sur cette question; je crois qu'elle était frappée au coin du bon sens, de l'équilibre, et représentait le type de position qu'on doit adopter sur cette question aujourd'hui.

On doit réhabiliter ces manifestants, parce qu'ils ont été condamnés, et déjà à l'époque - Monsieur le président, vous le direz à M. Baertschi - le jugement était considéré comme particulièrement sévère, comme un jugement politique. Et c'était, évidemment, un jugement politique ! Alors vous nous répondrez qu'ils ont été réhabilités par la sanction d'un vote populaire, que Léon Nicole est entré au Conseil d'Etat; oui, mais dans cette affaire - et même si je sais qu'une élection au Conseil d'Etat, c'est très important pour certains - il y a quand même eu treize morts ! Et ces treize morts, à quelques pas d'ici, étaient des gens descendus dans la rue non pas pour faire la révolution ou pour troubler l'ordre public, mais pour s'opposer à la montée du nazisme et du fascisme, et qui exerçaient un droit et une liberté fondamentale - nous parlions de la liberté d'association, le droit de manifester en est une autre ! Eh bien ces gens ont été abattus ! Abattus par des tirs de l'armée suisse, commandée par un officier de l'armée suisse ! (Brouhaha.) Dans nos rues ! Et c'est une partie des gens qui participaient à cette manifestation qui ont été condamnés par les assises fédérales, ce qui justifie parfaitement de renvoyer l'objet aux Chambres fédérales.

Aujourd'hui, je ne propose pas de refaire le procès des responsables de ce massacre - les historiens le font, l'ont fait, le feront encore. Mais pour le moins, pour le moins, nous devons contribuer à faire annuler une condamnation parfaitement injuste, parfaitement unilatérale, parfaitement scandaleuse, qui noircit l'honneur de la République et canton de Genève ! Le député Florey disait que ces gens-là n'avaient qu'à prendre leurs responsabilités, qu'ils avaient fait des conneries, qu'ils avaient été condamnés et donc qu'ils devaient assumer; eh bien il y en a d'autres qui ont fait des conneries ! Par exemple aujourd'hui, nous avons une école qui porte le nom de notre camarade Aimée Stitelmann, qui a, dans les années 40, fait passer en Suisse des enfants juifs persécutés par les nazis en France voisine. Et elle a été condamnée !

Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.

M. Pierre Vanek. Et elle a été condamnée par une institution militaire de la même armée helvétique qui a tué le 9 novembre 1932. Alors il faut savoir reconnaître ses erreurs; dans ce cas-là nous l'avons fait, pour novembre 32 il faut aussi le faire. (Applaudissements.)

Mme Marion Sobanek (S), députée suppléante. Je remercie M. Baertschi d'avoir cité Albert Picot, ancien conseiller d'Etat, qui a eu l'idée de publier ses mémoires, sauf erreur en 1983. Il y dit clairement que le jugement de l'époque était probablement beaucoup trop dur, et que si l'on avait pris d'autres mesures, on aurait pu à son avis éviter cette confrontation, et donc les morts. Frédéric Martin, un ancien député de ce Grand Conseil, membre du parti démocratique, qui était le prédécesseur du parti libéral... Non, pas le prédécesseur, le...

Une voix. L'ancêtre !

Mme Marion Sobanek. ...l'ancêtre, merci beaucoup, a dit, lors de la délibération pour décider si cette manifestation devait être permise ou non: «Le droit de réunion est une chose sacrée, et nous ne nous permettrons pas d'y toucher.»

Encore une dernière chose pour dire que la révision de ce jugement est à considérer: dans les époques passées, on avait des lois différentes ! La majorité des Juifs qui ont péri ont eu un jugement en bonne et due forme ! La majorité des persécutés sous les régimes nazi ou franquiste ont eu des jugements en bonne et due forme, parce qu'on avait inventé des lois, et tout d'un coup ces gens devenaient des délinquants. C'est donc pour cela que nous demandons de procéder à une révision de cette condamnation, et j'invite cette assemblée à accepter cette résolution, ou du moins à la renvoyer en commission pour l'étudier. Car comme l'a dit très justement mon préopinant Pierre Weiss, qui, en sa qualité de président de la LICRA, est tout à fait conscient des droits de l'Homme et les défend... (Commentaires. Brouhaha.) ...nous avons ce devoir de mémoire. Je vous demande donc d'accepter cet objet ou de le renvoyer en commission, merci beaucoup. (Quelques applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à Mme la députée Danièle Magnin, à qui il reste quinze secondes.

Mme Danièle Magnin (MCG). Eh bien, ce sera très bref ! Je vous cite simplement Antigone: c'est ma meilleure réponse. (Commentaires.)

Une voix. Qui ?

Mme Danièle Magnin. Antigone !

Le président. Merci, Madame la députée. Je passe la parole à M. Bertrand Buchs, à qui il reste deux minutes.

M. Bertrand Buchs (PDC). Merci beaucoup, Monsieur le président. Comme on veut faire un devoir de mémoire, je vais vous lire la liste des treize personnes qui sont mortes ce jour-là, en 1932: Melchior Allemann, 31 ans; Hans Brugger, 28 ans; Francis Clerc, 54 ans, dont le fils était dans les recrues qui ont tiré sur la foule; Henri Fürst, 38 ans; Emile Guignet, 27 ans; Emile Henry, 55 ans; Edmond Junod, 29 ans; Alphonse Kolly, 41 ans; Jean-Pierre Larderaz, 23 ans; Gabriel Loup, 57 ans; Oscar Maurer, 25 ans; Edouard Quillet, 34 ans, et Marius Rattaz, 36 ans.

Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs les députés, je vais vous faire voter la demande de renvoi à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne).

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 713 à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) est adopté par 75 oui contre 8 non et 3 abstentions.