République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 27 mars 2014 à 17h
1re législature - 1re année - 6e session - 36e séance
R 731
Débat
Le président. Nous passons aux urgences qui ont été demandées aujourd'hui, en commençant par la proposition de résolution 731. Il s'agit du point 146 de l'ordre du jour. Nous sommes en catégorie II, avec trente minutes de parole. Je passe la parole à M. François Lefort.
M. François Lefort (Ve). Merci, Monsieur le président. C'est sur la proposition de nombreux groupes de ce parlement que nous avons demandé, au nom de la commission de l'environnement et de l'agriculture, l'urgence sur ce point à l'ordre du jour maintenant. Quelle est la situation qui nécessite, par cette résolution, de relancer le débat sur les conditions-cadres minimales nationales dans l'agriculture ? Ce sont les fortes disparités cantonales entre salaires minimaux prévus dans les contrats types de travail. Ces disparités sont accrues par les grandes différences cantonales en matière d'horaire hebdomadaire de travail, ce qui pénalise les entreprises agricoles des cantons aux meilleurs contrats types comme celui de Genève, tant du point de vue de leur compétitivité que de leur viabilité. Finalement, cela procure un avantage concurrentiel indu aux entreprises agricoles des cantons qui pratiquent les salaires minimaux les plus bas et les horaires les plus élevés. Genève a les meilleures conditions-cadres, ce qui est une bonne chose. En comparaison, le salaire horaire zurichois est inférieur de 21%, celui du Valais de 26% et celui de Glaris de 34%. Pour ce dernier cas, cela signifie que la production est finalement 34% moins chère à Glaris qu'à Genève.
Or cette situation n'est pas synonyme de sous-enchère salariale. Ça y ressemble, mais ce n'en est pas. Ce serait le cas dans toute autre branche mais pas dans l'agriculture, qui n'est pas soumise à la loi sur le travail. Si ce n'est pas synonyme de sous-enchère salariale, c'est parce qu'il y a un contrat type glaronnais qui stipule un salaire horaire de 11,10 F pour 66 heures de travail hebdomadaires. Tant que ce n'est pas synonyme de sous-enchère salariale prouvée et répétée, la commission tripartite de la Confédération ne pourra proposer un contrat type prévoyant des salaires minimaux au niveau national. De 2005 à 2008, cette commission tripartite a pourtant observé le marché du travail agricole au niveau fédéral et effectivement constaté de la sous-enchère salariale. Mais elle a conclu que ces pratiques n'étaient pas suffisantes pour justifier l'édiction de salaires minimaux nationaux, justement parce qu'il existe un contrat type à 66 heures par semaine et 11,10 F de l'heure.
Cette sous-enchère salariale s'est aggravée depuis 2008. Elle entraîne des disparités très fortes entre les cantons aux meilleurs contrats types et à la meilleure surveillance du marché du travail - comme Genève - et ceux aux contrats types pratiquant les salaires minimaux les plus bas. Cette situation n'est plus tenable, ni pour les employés de l'agriculture, ni pour les entreprises agricoles des cantons comme Genève qui pratiquent les meilleurs salaires et se voient pénalisées sur le marché national. Le coût du travail a des conséquences sur le prix des produits, et les mauvaises conditions salariales ou la sous-enchère introduisent une concurrence déloyale sur le marché agricole en tirant les prix vers le bas. Cette situation inacceptable met en danger des entreprises agricoles pourvoyeuses d'emplois locaux et d'une nourriture produite localement. Elle porte donc avec elle le risque de voir disparaître une partie de la production agricole locale au profit des importations. Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous serions reconnaissants de soutenir cette résolution. Par un amendement, nous vous proposons d'ailleurs de la renvoyer non pas au Conseil fédéral mais à l'Assemblée fédérale, de façon qu'un contrat type national instaure un salaire minimum dans l'agriculture basé sur les conditions du canton de Genève. La référence au niveau national doit être Genève, et non pas Glaris. C'est ce que demande cette résolution, et je vous remercie de la renvoyer directement à l'Assemblée fédérale.
M. Lionel Halpérin (PLR). J'espère qu'on peut discuter des choses de manière un peu plus sereine que tout à l'heure. Conformément à l'article 79A de la loi portant règlement du Grand Conseil, un député peut en tout temps interrompre le débat. Aujourd'hui, la difficulté - et je pense que la responsabilité du Bureau est engagée à ce sujet - c'est que... J'ai eu l'occasion de demander, il y a deux heures environ, quelle était la base légale qui avait permis au Bureau de modifier la convocation qui a été adressée valablement. A ma connaissance et jusqu'à présent, la seule réponse qui nous a été donnée est une référence à l'article 7 de la LRGC, qui ne donne aucune base légale pour ce faire. A moins que vous n'ayez effectivement une base légale à nous exposer qui donne une compétence particulière au Bureau à ce sujet - mais comme je vous ai dit, j'ai lu cette loi à l'endroit et à l'envers et n'y ai absolument rien trouvé - je pense qu'il serait sain pour nos débats qu'on puisse faire voter cette plénière à la majorité simple afin de déterminer si nous siégeons ce soir ou non. La modification en question ne peut pas être de la compétence du Bureau ! Si on applique ce raisonnement et que le Bureau peut changer à lui seul les convocations, cela signifie aussi qu'il peut à un moment ou à un autre ajouter des sessions, où il y aurait dix personnes présentes ! Puis on voterait et on ferait passer des articles pour des lois qu'on a envie de faire voter à ce moment-là ! Ce serait là un pouvoir complètement exorbitant donné au Bureau, et je ne peux pas imaginer une seule seconde que ce pouvoir-là soit effectivement entre les mains du Bureau.
Mme Martine Roset (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, je reviens à notre résolution sur les contrats de travail. Le PDC soutiendra cette résolution. Le débat de ce matin a démontré qu'il y a une volonté de ce parlement de biffer les inégalités. Les différences entre cantons quant aux conditions de travail des employés agricoles en sont une. Notre canton du bout du lac a souvent été précurseur et presque toujours frondeur. En renvoyant cette résolution à l'Assemblée fédérale, nous ne faillirons pas à notre réputation. Les employés agricoles suisses et les agriculteurs genevois vous en remercient d'avance.
M. Eric Leyvraz (UDC). Le groupe UDC va évidemment soutenir cette résolution. Dans l'agriculture, nous avons déjà beaucoup de peine à lutter contre la concurrence étrangère. C'est quand même extraordinaire que dans le même pays, on ait une concurrence d'environ 25% entre deux villes similaires comme Genève et Zurich ! Ce n'est tout simplement pas possible. Je crois que si on veut garder une agriculture dans ce canton, si on veut surtout garder des maraîchers... Les maraîchers exportent dans toute la Suisse, ils sont reconnus pour leurs performances, ce sont d'excellents paysans. Mais ils vendent aussi beaucoup dans la région de Zurich et ont perdu des parts de marché à cause de la différence de prix. Quand on vend des salades ou des tomates, ce sont parfois quelques centimes qui font la différence. Ces gens-là sont prétérités de façon totalement injuste. On vous demande donc de soutenir cette résolution. Je vous rappelle qu'à Genève, nous avons les salaires les plus élevés et les horaires les plus favorables de Suisse dans le domaine de l'agriculture. Voilà qui pourrait franchement être un modèle pour toute l'agriculture - ceux de la gauche doivent être d'accord. Alors soutenez cette résolution, ce sera bien pour tous les travailleurs agricoles. Merci.
M. François Baertschi (MCG). Nous avons eu tout à l'heure un bel exemple d'une sorte de - comment dire ? - culture bolchevik ! (Exclamations.) Il y a eu le «social-bolchevisme», le «Vert-bolchevisme», les communistes de bénitier ou encore le «PLR-bolchevisme» s'agissant des taxis. (Protestations.) Eh oui ! S'agissant des taxis, on veut une centrale unique, on veut... (Commentaires.) ...on veut à tout prix étatiser certaines tâches qui doivent être du domaine du privé. Autant nous voulons que le public soit respecté et occupe une place importante, autant certaines dérives de ce parlement et de ce canton sont inquiétantes. Bien évidemment, la résolution que nous avons aujourd'hui a une autre couleur. Elle est aussi beaucoup plus douce du fait qu'il s'agit de personnes... Comment dire ? Il y a une sorte de traitement à plusieurs vitesses dans la Genève que nous connaissons. Les chauffeurs de taxi sont les mal-aimés, d'aucuns sont un peu plus favorisés, notamment certains médecins. Quand on entend des donneurs de leçons dans cette enceinte, c'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité ! On défend certains lobbys, mais qui ne défend pas des lobbys dans cette salle ? J'aimerais bien le voir, j'aimerais bien l'entendre et j'aimerais en avoir la preuve. Mais il n'y a pas grand-monde, assurément. Il est certain que cette résolution ne va rien changer pour Genève. Ça ne va rien changer, puisqu'on garde les conditions-cadres des CCT. On va juste faire un peu la leçon aux autres cantons, ce qui ne nous change pas. En revanche, la première invite me semble tout à fait inacceptable. Si nous sommes d'accord pour un développement des conventions collectives et sociales dans l'agriculture et dans les autres professions, il serait intéressant de renvoyer cette résolution en commission pour étude. Je vous remercie.
M. Frédéric Hohl (PLR). Je suis désolé, Monsieur le président, de revenir sur l'article 79. Je ne veux pas polémiquer non plus. Voilà neuf ans que je suis député. C'est vrai que le Bureau a quelquefois décidé de nous relâcher le soir du budget ou le soir des comptes, et nous en étions tous très heureux. C'est vrai que c'est une tradition, vous l'avez fait très souvent. Mais malheureusement, je crois que cette tradition ne tient juridiquement pas la route. Voici la seule chose qu'on vous demande, Monsieur le président, puisque vous nous avez convoqués à 20h30: est-ce que nous avons formellement le droit de siéger à 20h30 ? N'ayez pas peur de faire voter à la majorité simple. Si on perd, ce n'est pas grave. On rentre dans les rangs et on finit notre session sans aucun problème. Mais vous ne nous répondez pas ! Du coup, on revient forcément sur cet article 79. On aimerait bien avoir des réponses.
M. Georges Vuillod (PLR), député suppléant. J'aimerais juste spécifier encore une fois un certain nombre de points concernant la concurrence et la distorsion de concurrence qu'il y a actuellement. L'ensemble du parlement souhaite préserver la zone agricole. Je l'ai bien compris et je m'en réjouis. Mais qui dit préserver la zone agricole dit également soutenir les entreprises qui travaillent la terre. Il me semble donc que si on veut garder une agriculture nourricière et concurrentielle dans ce canton, il faudrait quand même arriver à avoir une uniformisation des conditions de travail au niveau national. Par conséquent, je vous remercie de bien vouloir soutenir cette résolution.
M. Jean-François Girardet (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, cet objet présente quand même un fond technique. J'ai entendu mon préopinant M. le député Baertschi demander le renvoi de cette résolution à la commission de l'environnement et de l'agriculture. Je pense en effet qu'elle ne presse pas à ce point. On peut très bien en expliquer les tenants et aboutissants pour obtenir un soutien unanime de ce Grand Conseil. Une fois qu'elle aura été étudiée à la commission de l'environnement et de l'agriculture, on pourra ainsi la soutenir et la renvoyer ensuite aux Chambres fédérales ou au Conseil fédéral. Je vous remercie de soutenir le renvoi en commission.
M. François Lefort (Ve). Je m'exprimerai brièvement sur le renvoi en commission. La commission de l'environnement et de l'agriculture est bien sûr tout à fait inutile. Vous transmettrez à mes préopinants du MCG que leurs qualificatifs ont été un peu exagérés. Comme ils étaient extrêmement exagérés, ils sont devenus extrêmement insignifiants. Nous n'avons pas besoin d'être unanimes. Nous avons juste besoin d'une majorité pour envoyer cette résolution à l'Assemblée fédérale. Et c'est ce que je vous demande. C'est ce que je demande à la majorité - raisonnable et non insignifiante - de ce parlement de faire ce soir.
M. Pascal Spuhler (MCG). Je m'excuse, mais je vais juste différer un peu le débat. J'aimerais aussi revenir sur certains propos, notamment ceux de M. Frédéric Hohl que je soutiens entièrement. Monsieur le président, vous avez pris une décision qui n'est pas correcte par rapport au règlement. Je m'en réfère maintenant à l'article 7 de la LRGC - qui précise ce que comporte la convocation, à savoir les horaires et les séances - ainsi qu'à l'article 32, qui définit les compétences du Bureau. Or les compétences du Bureau ne sont pas de décider si une séance va être supprimée ou non alors qu'elle a été convoquée. Enfin l'article 79, Monsieur le président, stipule par analogie que la levée de séance peut être décidée par les deux tiers suite à une motion d'ordre. Monsieur le président, je vous demande formellement de passer à cette motion d'ordre qui a été demandée à multiples reprises par nos camarades du parti libéral-radical. Je fais encore formellement cette demande. Je demande un vote pour la séance de ce soir, Monsieur le président, selon l'article 79 de la loi portant règlement du Grand Conseil.
Le président. Messieurs Spuhler, Hohl et autres intervenants, je vous ai bien entendus. Nous allons finir ce point à l'ordre du jour. Je réunirai ensuite le Bureau. (Commentaires.) La parole est à M. Eric Leyvraz.
M. Eric Leyvraz (UDC). Merci, Monsieur le président. Je pense que s'il y avait plus de viticulteurs et moins d'avocats dans cette assemblée, ça irait peut-être un peu mieux ! (Applaudissements.) En ce qui concerne la résolution, je trouve évidemment dommage de la renvoyer en commission. Mais, Monsieur Lefort, je pense que si on veut qu'elle ait du poids, il faut vraiment avoir l'unanimité de ce parlement. Sinon, elle perd de sa valeur. Si on pouvait la renvoyer à la commission de l'environnement, la traiter rapidement pour convaincre ceux qui ne sont pas convaincus et ensuite avoir une approbation totale de ce parlement, ce serait quand même mieux.
M. Jean-François Girardet (MCG). J'ai entendu les grandes explications de M. Lefort...
Le président. Il vous reste trois secondes, en fait.
M. Jean-François Girardet. Oui, trente secondes, Monsieur le président.
Le président. Trois secondes !
M. Jean-François Girardet. Trois secondes ? Alors, en trois secondes: j'ai tout compris parce que j'ai relu l'exposé des motifs. On aura bien un salaire minimum national mais basé sur les CCT-Agri de Genève et adapté aux cantons, et ceci canton par canton. J'imagine que c'est correct, et c'est ça qu'il fallait...
Le président. Il vous faut conclure.
M. Jean-François Girardet. ...préciser. Je vous remercie. (Remarque.)
Mme Nicole Valiquer Grecuccio (S), députée suppléante. Le groupe socialiste a entendu avec intérêt les préopinants MCG qualifier les membres de cette enceinte de bolcheviks. Si c'est être bolchevik que de proposer un salaire mensuel de 3300 F et un salaire horaire de 16,90 F pour 45 heures de travail hebdomadaires, il s'agit là d'un qualificatif que l'on peut collectivement tout à fait assumer. (Brouhaha.) On constate que Genève, après énormément de discussions, a édicté un contrat type de travail qui a mis d'accord...
Le président. S'il vous plaît, un peu de silence !
Mme Nicole Valiquer Grecuccio. Merci, Monsieur le président. Vous savez, le sort des ouvriers agricoles passionne généralement les foules ! Si Genève a réussi à édicter un contrat type de travail pour 45 heures à 3300 F en misant sur le partenariat, il faut quand même souligner que c'est largement, largement un minimum, qui reste bien en dessous du salaire minimum légal de 4000 F revendiqué par le parti socialiste. Mais il vaut mieux ce contrat type que pas de contrat type du tout. Nous saluons donc la proposition et la présentation qui ont été faites par M. Lefort. Nous aimerions également vous rendre attentifs au fait que, dans la plupart des cantons, ces personnes travaillent entre cinquante et cinquante-cinq heures par semaine pour des salaires de misère, qui oscillent entre 13 F - voire même 11 F ! - et 14 F de l'heure. Je ne pense pas que demander à la Confédération d'appliquer les minima genevois soit faire offense à un quelconque parti politique. Au contraire, nous devrions tous et toutes être très fiers de dire qu'il y a un minimum que l'on doit appliquer pour offrir des conditions de travail que je n'ose même pas qualifier de dignes - on parle quand même de 3300 F. S'il vous plaît ! Je pense qu'il s'agit là d'un minimum que l'on peut demander aux Chambres fédérales. Oui, au moins ce contrat type ! Si ça ne tenait qu'au parti socialiste, c'est encore bien autre chose que l'on demanderait. (Quelques applaudissements.)
M. Serge Hiltpold (PLR). J'aimerais juste revenir sur l'amendement que mes collègues François Lefort, Simone de Montmollin et moi-même avons présenté. Il faut simplement être juste. Ce n'est pas au Conseil fédéral mais à l'Assemblée fédérale qu'il faut demander de traiter ce problème. Je crois qu'un renvoi en commission est parfaitement inutile. Le but de cette résolution est d'instaurer un salaire minimum national. Ce n'est donc pas une compétence relevant d'une commission parlementaire genevoise. Je pense que si on veut avoir du poids et une étude qui soit correcte, il faut que les Chambres fédérales s'en occupent. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé, avec M. Lefort, de remplacer dans le texte le Conseil fédéral par l'Assemblée fédérale.
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous avons une demande de renvoi en commission. Je vous soumets cette proposition.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 731 à la commission de l'environnement et de l'agriculture est rejeté par 83 non contre 1 oui et 1 abstention.
Le président. Nous sommes saisis d'un amendement de MM. Lefort et Hiltpold et de Mme de Montmollin. Cet amendement consiste à changer le destinataire de la proposition de résolution en remplaçant le Conseil fédéral par l'Assemblée fédérale, ce qui modifiera également le titre.
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 83 oui et 4 abstentions.
Mise aux voix, la résolution 731 ainsi amendée est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale par 85 oui et 2 abstentions.