Séance du
vendredi 24 mars 2023 à
15h
2e
législature -
5e
année -
11e
session -
68e
séance
PL 13141-A
Suite du premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs, nous reprenons le traitement du PL 13141-A, que nous avons entamé hier soir. Il s'agit d'une urgence classée en catégorie II, quarante minutes. Je donne la parole à M. Patrick Lussi pour quatre minutes.
M. Patrick Lussi (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes en fin de législature, et il est tragique que précisément pour cette raison, certains députés aient une lecture... je ne vais pas dire partielle, mais, disons, orientée et ne tiennent pas compte du réel sujet de ce projet de loi. Nous avons dû étudier et nous prononcer sur une planification pénitentiaire dans le cadre de la commission.
Bien sûr que ça représente du travail, bien sûr que les propositions d'amendements ne vont pas, d'autant que ceux-ci devraient viser le texte en soi, et non notre système carcéral suisse: ça commence avec la police qui arrête trop, jusqu'au Ministère public qui incarcère à l'excès... Bref ! On a fait tout un plaidoyer alors qu'il s'agissait simplement de répondre à un impératif. Evidemment, ça déplaît à certains, le fait que nous n'ayons pas pu voter le projet des Dardelles a amené un problème s'agissant de la détention. Mais en somme, ce projet de loi vise uniquement à fixer des gabarits. On nous a reproché et on a reproché au projet de loi la quantité de places, le fait que nombre d'entre elles soient superflues.
Alors si l'opposition croit être pertinente en faisant preuve d'une impertinence pas possible, j'ai moi aussi envie de jouer les impertinents en répondant qu'avant que les gens aillent en prison, ils commettent des infractions, des délits. On ne peut pas simplement soutenir qu'on n'a plus besoin d'établissements carcéraux et qu'il faut remettre les détenus à l'extérieur, notamment avec la sempiternelle prière du bracelet électronique, dont on connaît les limites, on sait que ce n'est pas possible. Mais surtout, qu'on arrête avec cette rengaine selon laquelle, dans certains pays, il y a moins de délinquance, tout va bien; c'est oublier de préciser que dans ces endroits, qui se trouvent généralement du côté du nord, il fait froid et les gens sortent peut-être moins; de manière générale, la population montre un peu plus de respect envers les autorités, le droit et surtout autrui.
En définitive, Mesdames et Messieurs, pourquoi est-ce qu'on construit des prisons ? Pour empêcher certains de continuer à nuire. En effet, on ne peut pas dire que la délinquance soit une bénédiction pour notre société. En fonction de cela, l'Union démocratique du centre ne peut que souligner que ce projet de loi a été largement étudié, que les auditions ont été menées, il s'agit d'établir une planification pénitentiaire. On ne peut pas, comme certains hurluberlus ou parce qu'on a des idées ubuesques, simplement affirmer: «On ne veut plus de détention administrative, on ne veut plus de ceci, on ne veut plus de cela.» Rappelons que le Conseil d'Etat est obligé de se conformer au droit supérieur, en l'occurrence aux exigences fédérales en la matière. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs, l'Union démocratique du centre vous enjoint de refuser les amendements déposés par les minoritaires. Nous avons reçu un amendement bénéfique de notre président, enfin du rapporteur de majorité, qui se trouve être aussi le président de la commission et qui va nous en parler. Par rapport à toutes les âneries que nous avons entendues...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Patrick Lussi. ...il stipule seulement que dans le cadre de la planification pénitentiaire, tous les projets de bâtiments présentés...
Le président. C'est terminé.
M. Patrick Lussi. ...seront soumis au Grand Conseil.
Le président. Merci bien...
M. Patrick Lussi. Mon Dieu, que demander de plus ? Soyons raisonnables...
Le président. Merci !
M. Patrick Lussi. ...et cessons, puisque jusqu'à nouvel ordre, nous sommes toujours en démocratie, de vouloir faire la révolution... (Le micro de l'orateur est coupé.)
M. Jean-Pierre Pasquier (PLR). Depuis le malheureux refus des Dardelles, depuis qu'il a fallu reprendre à zéro tout un programme de reconstruction de nos prisons, le temps a passé, les choses ne s'améliorent guère. En effet, les conditions de détention à Champ-Dollon ne sont de loin pas satisfaisantes, et le département a formulé une proposition avec les moyens dont nous disposons compte tenu de l'exiguïté de notre territoire. Nous voilà donc saisis de cette planification pénitentiaire. Il s'agit d'un projet-cadre, et non d'une organisation concrète des choses; c'est la première pierre d'un édifice qui, par la suite, devra aborder tous les problèmes spécifiques un à un pour les résoudre; ils feront l'objet de futurs trains de projets de lois que le département nous soumettra.
La gauche s'oppose à cette planification globale, elle ne l'a pas votée en commission. Ce refus se base sur deux axes récurrents: d'une part, le fait qu'on incarcère trop à Genève, d'autre part, une méfiance structurelle de la gauche envers les prisons. On incarcère trop à Genève ? C'est le Ministère public qui ordonne ces incarcérations, et notre premier pouvoir n'a pas autorité sur lui, il ne peut pas lui intimer l'ordre de les limiter. Cependant, nous pouvons modifier les lois en vigueur de sorte qu'il soit plus difficile d'envoyer les gens derrière les barreaux.
La gauche n'aime pas les prisons, c'est viscéral. Mais qui les aime ? Personne ! Reste que la réalité est têtue, et au principe de rêve idéal s'oppose celui du réalisme: les prisons constituent un mal nécessaire, ne serait-ce que pour garantir notre sécurité. Il convient toutefois d'assurer la dignité des détenus, et sur ce point, Mesdames et Messieurs, nous sommes tous d'accord.
Aujourd'hui, nous devons approuver ce projet de loi sur la planification pénitentiaire. Quels que soient les amendements qui vous seront proposés - et que nous refuserons -, la gauche ne votera pas ce texte pour les deux raisons de fond que je viens d'évoquer; c'est son droit, et je le respecte. Mais notre devoir à nous, députés qui avons le sens des réalités, notre responsabilité n'est pas de rejouer la pièce des Dardelles que nous jouâmes il y a trois ans. Notre devoir n'est pas de refuser, pour diverses raisons plus ou moins obscures, un projet dont Genève a urgemment besoin. Notre devoir est de sortir le moins tardivement possible du cadre lamentable de Champ-Dollon, qui tombe en ruine. Notre devoir, Mesdames et Messieurs, est de dire oui à ce projet de loi afin que l'horizon pénitentiaire genevois se dégage devant nous. Merci de votre attention. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Sébastien Desfayes (PDC). Il s'agit d'un texte excellent et indispensable. Excellent, d'abord, parce qu'il répond aux différentes préoccupations exprimées lors du rejet du projet, on va dire, ubuesque des Dardelles. Toutes les demandes qui avaient été formulées à cette occasion ont été entendues par le Conseil d'Etat, nous avons obtenu ce que nous voulions. Nous disions: il faut créer une prison pour les femmes; le Conseil d'Etat nous a suivis. Nous disions: ce projet doit être économe en foncier; le Conseil d'Etat nous a suivis. Nous disions: il faut redimensionner le projet des Dardelles, qui était d'une radicalité pharaonique; le texte obéit à cette revendication. Enfin, ce projet de loi prévoit une véritable planification pénitentiaire et ne met pas le Grand Conseil devant le fait accompli, comme c'était le cas pour les Dardelles.
Ensuite, je disais qu'il est aussi indispensable. Vous avez entendu M. le député Jean-Pierre Pasquier à ce propos, je partage en tout point son opinion: il n'y a rien de pire que les combats d'arrière-garde qui nuisent aux intérêts de ceux que l'on prétend défendre. La prison de Champ-Dollon, dans sa forme actuelle, est terminée: elle est en ruine, elle est au bout - et peut-être plus encore - de son parcours.
On a dit et on répète sans arrêt que les conditions de détention sont indignes. Mais qu'est-ce que ça signifie exactement, cette indignité ? Ça signifie par exemple qu'en été, il fait cinquante degrés à l'intérieur de cette prison où les détenus sont entassés. En hiver, c'est exactement le contraire: il fait moins de quinze degrés certains jours de décembre et de janvier. Ceux qui ne me croient pas peuvent téléphoner au Dr Gétaz, responsable de l'unité médicale de Champ-Dollon, qui leur parlera des conditions sanitaires. Contactez également Me Hayat, que j'ai eue ce jour au téléphone et qui, comme moi, était plus que réservée par rapport au projet calamiteux des Dardelles: elle vous dira qu'aujourd'hui, il y a une urgence impérieuse à voter cet objet.
On peut dire: «La politique du Ministère public est trop répressive.» Mais il existe, par rapport à la problématique de la détention préventive, un projet de loi qui vise à instaurer deux juges assesseurs au Tribunal des mesures de contrainte (TMC); au lieu de se plaindre de la politique du Ministère public, faites avancer ce projet. A ce propos, il est consternant de constater que celui-ci figure dans l'ordre du jour du Grand Conseil parce que son délai de traitement a été dépassé. Faites votre travail, car je suis convaincu que ce texte portera ses fruits.
Soyons cohérents et n'oublions pas que les mesures alternatives, si elles peuvent apporter quelques solutions, ne résoudront pas tous les problèmes. Si l'on veut défendre les droits humains et la dignité, il n'y a pas d'autre choix que d'adopter ce projet de loi. Merci. (Huée. Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Pablo Cruchon (EAG). Mesdames les députées, Messieurs les députés, le groupe Ensemble à Gauche refusera ce projet de loi sur la planification pénitentiaire. Nous le rejetterons, parce qu'il s'agit d'une occasion manquée de réfléchir sérieusement à la stratégie pénitentiaire, à la façon dont on enferme les gens, pourquoi et dans quelles conditions. Ce document représente plutôt une image de la politique qu'on mène actuellement et qui nous a envoyés droit dans le mur. Voyez - le député Desfayes les décrivait à juste titre, cette fois - les conditions inacceptables, inhumaines dans lesquelles nos détenus sont maintenus à Genève. C'est d'autant plus inadmissible que beaucoup d'entre eux et elles n'ont rien à faire en prison.
Evidemment, c'est le rôle du législatif d'indiquer au Pouvoir judiciaire quand il se trompe et qu'il doit établir une meilleure planification pénitentiaire, c'est le rôle du législatif de dire: «Nous ne voulons pas enfermer des gens qui ont des impayés d'amendes TPG, nous ne voulons pas que ces personnes finissent en prison.» C'est le rôle du législatif d'avoir une vision de la planification pénitentiaire, du nombre de places à disposition.
Par ailleurs, et ça a été relevé, les alternatives n'ont été que très peu traitées lors des travaux de commission. Mais surtout, il n'y a aucune innovation: aucune des pistes suggérées, soit pour développer des alternatives, soit pour établir des accords avec les autres cantons, n'a été retenue. Je m'excuse, mais ce texte est lamentable du point de vue de l'innovation et de l'avancée sur ces questions.
Et alors au contraire, la question des droits humains ne figure pas du tout au centre de ce projet de loi; ce qui constitue le coeur du texte, c'est l'injonction de construire plus de prisons. C'est la seule chose: pour réagir, il faut construire plus ! Or nous n'avons pas affaire à ce problème-là, nous avons affaire à une politique de répression, de criminalisation de la pauvreté et de la migration, voilà ce qui crée l'engorgement massif de nos prisons.
Par conséquent, nous devons, en tant que Grand Conseil, et pas seulement dans le cadre de la planification pénitentiaire, mais dans l'ensemble de nos interventions, plaider pour un changement de politique, et cela passe par la création d'autres espaces, d'autres prisons, d'autres lieux d'accueil qui soient différents. D'ailleurs, pour preuve, vous avez sûrement toutes et tous entendu le témoignage de cette jeune femme qui se bat pour son frère, lequel est actuellement à Curabilis alors qu'il n'a pas fait l'objet d'une condamnation pénale.
Nous en sommes là, nous rencontrons des problèmes au sein de cette structure, mais cette planification n'y répond pas. Que fait-on des cas psychiatriques qui dépassent le cadre de Belle-Idée ? Ce texte n'en dit rien. Pour revenir sur l'ensemble des enjeux, que fait-on exactement avec la justice des mineurs ? C'est la même problématique qui se pose, et on obtient toujours la même réponse: il faut construire plus, il faut construire plus gros, c'est ce qui va nous sauver. Non, nous refuserons ce projet comme nous rejetons la politique pénale menée actuellement dans ce canton ainsi que la vision proposée par le Conseil d'Etat en la matière. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
M. Jean-Marie Voumard (MCG). Nous sommes en 2023, c'est magnifique, tout le monde est beau, tout le monde est gentil, on n'enferme plus personne, il n'y a plus besoin de construire de prisons ! C'est ce que veulent les représentants de la gauche, c'est ce qu'ils nous ont fait comprendre à la commission des visiteurs. Je suis quand même un ancien policier, je peux vous dire que les crimes, il y en a toujours eu, il y en aura toujours. Je peux entendre que certaines personnes ne méritent pas d'aller en prison pour des amendes, on peut trouver une autre solution, mais ça n'a rien à voir avec la politique pénitentiaire.
Nous sommes en train de définir une planification pénitentiaire. C'est un projet d'avenir. Comment mieux gérer les choses, nous diriger vers un but fixé, mieux gérer la détention, le nombre de places, etc. ? Il ne s'agit pas de tout modifier, comme la gauche veut le faire. Le MCG suivra le rapport de majorité à la lettre, et le suivra correctement. De plus, nous accepterons volontiers les amendements de M. Barde - il y en a deux -, car ils entrent dans la ligne de conduite de notre groupe. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo, Jean-Marie !
Mme Dilara Bayrak (Ve). Chers collègues, il est des textes qui ont un impact sur notre république; celui-ci en fait partie. On reproche à la gauche d'émettre des idées d'arrière-garde, dogmatiques, de faire preuve d'angélisme parce que nous n'avons pas voté la prison des Dardelles, un projet qui, soit dit en passant, a été refusé par une majorité du Grand Conseil, majorité qui n'est certainement pas de gauche. Aujourd'hui, on nous dit que nous voulons absolument tout changer dans ce projet de loi sur la planification pénitentiaire.
Alors analysons les amendements proposés par la gauche. Article 1, alinéa 2: «Cette prise en charge doit en particulier viser à réduire le nombre de récidives et assurer la réinsertion des personnes détenues ou suivies.» Allons vers la suite: «L'amélioration du fonctionnement des autres prestations à l'attention des personnes détenues ou suivies, garantissant en tout temps une prise en charge des droits humains.» Nous demandons une séparation de l'exécution des mandats d'observation qui sont fondés sur le droit civil et sur le droit pénal. Ce sont des choses qui touchent fondamentalement aux droits humains. Rien à voir avec le fait de vouloir jeter ce projet de loi à la poubelle, rien à voir avec les considérations que j'ai pu entendre dans cette enceinte.
Il est faux de soutenir que nous sommes complètement à l'encontre de ce qui va dans le sens de ce projet de loi. En réalité, nous voulons qu'il aille plus loin et que les droits humains y soient inscrits, puisque c'est précisément une intention qui va guider notre système pénitentiaire pour les années à venir. Est-ce si arrière-gardiste que ça d'exiger l'inscription des droits humains dans ce texte ? Est-ce si dogmatique que de vouloir que le taux d'occupation ou les besoins des mineurs soient effectivement mentionnés dans le projet de loi ? Revoyez votre copie, examinez les amendements présentés par la gauche; je vous invite à les voter, puis à accepter ce projet de loi ainsi amendé. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. La parole va à M. Sylvain Thévoz pour trois minutes cinquante.
M. Sylvain Thévoz (S). Merci, Monsieur le président. Au parti socialiste, nous étions venus au rendez-vous de cette planification pénitentiaire avec une ouverture d'esprit, la conscience que Champ-Dollon est au bout du rouleau - tout le monde est d'accord avec ça. Malheureusement, nous n'avons rien obtenu de ce rendez-vous de la planification pénitentiaire. Nous n'avons même pas vu M. Poggia, qui est venu à une séance, puis a disparu.
Nous demandons, dans le cadre de nos amendements - Mme Leonelli l'a rappelé - d'améliorer ce projet pour qu'il soit économiquement moins lourd et plus fort du point de vue des droits humains. Tous nos amendements ont été refusés par la droite; ce grand rendez-vous qui devait nous mettre d'accord pour les prochaines années - les dix prochaines années - est raté: il est raté par la faute du magistrat, qui n'a pas été là, et par la faute de la droite, qui a refusé de soutenir ne serait-ce qu'un amendement pour améliorer le texte. Nous ne pouvons pas voter celui-ci en l'état, à moins que des amendements soient acceptés; je laisserai Mme Strasser les présenter. Merci.
M. Mauro Poggia, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je suis non pas attristé par les propos des rapporteurs de minorité et des députés de la gauche, parce que la tristesse a ceci de commun avec la déception qu'il faut une attente préalable, voire un espoir. Or cela fait longtemps que je ne caresse plus l'espoir d'une quelconque amélioration de la compréhension du sujet sur ces bancs. Je constate depuis maintenant quelques années que ceux qui déplorent à longueur d'année les conditions déplorables de détention dans notre canton en sont finalement les principaux artisans.
Au point que le leitmotiv que l'on a entendu marteler aujourd'hui et hier soir - «il faut que ça change, mais pas ainsi» - pourrait donner l'impression que la souffrance que vous dénoncez et affirmez prendre en compte, Mesdames et Messieurs, laquelle est bien réelle - souffrance des personnes incarcérées, mais aussi de celles qui travaillent dans ces mauvaises conditions -, est devenue un fonds de commerce politique.
Cette conclusion s'impose, Mesdames et Messieurs, lorsque l'on prend la mesure du travail réalisé par le Conseil d'Etat pour aller dans le sens des injonctions exprimées par votre Grand Conseil lors du vote sur le projet des Dardelles, que nous aurions d'ailleurs pu reprendre tel quel, puisque, comme vous le savez, celui-ci a été refusé à une voix près. L'entêtement, l'obstination auraient pu nous amener à nous dire: «Nous revenons avec le même projet et négocions avec certains afin de faire changer les majorités.» Eh bien non, nous avons tiré les conclusions démocratiques de ce vote et avons oeuvré pour tenir compte des injonctions qui nous étaient adressées.
Comme M. le député Desfayes l'a signalé, le projet de loi qui vous est soumis démontre non seulement par son contenu, mais aussi par son processus la volonté du gouvernement de travailler avec le parlement pour construire des lieux de détention dignes, et je pense que cette démarche doit être saluée.
Le droit fédéral, nous le savons, ne fait qu'augmenter les infractions. Chacun - tous partis confondus, d'ailleurs - estime que certains comportements doivent être réprimés, avant ça qu'ils doivent être considérés comme inadmissibles, mais ensuite réprimés par des sanctions pénales. Ainsi, le cadre pénal ne fait que s'accroître d'année en année.
Il y a un manque chronique de places à Genève depuis vingt ans, et ce que vise ce texte, c'est à créer des places pour les besoins d'aujourd'hui, pas pour ceux de demain. Il manque à l'heure actuelle trois cents places dans nos constructions carcérales à Genève.
Par ailleurs, il n'y a pas suffisamment de places de travail, notamment pour donner des qualifications. Vous êtes les premiers à dire - et avec raison -, vous qui dénoncez ce projet de loi, que la prison ne doit pas constituer qu'une seule sanction; elle doit être un lieu où l'on prépare l'après-détention, où l'on peut acquérir une formation que l'on va ensuite mettre à contribution, peu importe que l'on reste dans notre pays ou que l'on retourne ailleurs une fois la peine purgée. Or aujourd'hui, certaines personnes - vous le savez, les médias s'en sont fait l'écho encore récemment - ne peuvent tout simplement pas travailler alors que c'est une obligation, une fois la condamnation prononcée. Il s'agit d'un plus que nous souhaiterions offrir aux personnes en détention préventive; un plus, parce que cela rapporte un peu d'argent, mais aussi, on le comprend bien, parce que les journées passent beaucoup plus vite lorsqu'on fait autre chose que rester en cellule en attendant la sortie.
Vous avez dénoncé l'absence de places pour femmes. Nous créons des lieux pour femmes avant jugement et pour la détention. Malgré cela, il en manque encore. Nous faisons l'objet de critiques nationales et internationales constantes et nous versons des indemnités à des personnes que nous maltraitons. Or cet argent serait mieux investi si on faisait en sorte qu'elles ne soient plus maltraitées.
Quand j'entends les propositions qui nous sont faites, je cherche quelque chose de convenable. J'ai entendu - merci, j'ai pris des notes, parce qu'on apprend toujours ! - ce qu'il faudrait faire pour répondre à la problématique: il faudrait renoncer à incarcérer des personnes qui ne présentent pas de dangerosité.
Alors d'abord, c'est sans doute méconnaître qu'en toute modestie, je ne suis ici que pour représenter le gouvernement, c'est-à-dire le pouvoir exécutif, et que les gens sont placés en détention par le pouvoir judiciaire, pas par moi. Aussi, même si je pouvais concevoir que peut-être il y aurait des alternatives, ce qui n'est pas le cas, je serais bien incapable de les appliquer.
Ensuite, il faut savoir que Genève est un lieu qui - malheureusement ou heureusement, parce qu'il y a une richesse ambiante - attire des personnes venant de partout dans le monde, des personnes qui n'ont aucune attache avec notre canton. Alors à moins de considérer que ces personnes n'ont pas à attendre leur jugement et qu'elles peuvent aller où bon leur semble dans l'intervalle, ce qui fera des jugements par défaut ou par contumace à la pelle, il faut évidemment qu'elles soient présentes ne serait-ce que pour faire valoir leurs droits. Sinon, nous ne les aurions plus sous la main.
Vous rencontreriez encore d'autres problèmes que vous vous empresseriez de dénoncer, par exemple le fait que les personnes revenant ici se feraient arrêter, puis placer en exécution de peine pour des sanctions au sujet desquelles elles n'auraient pas été défendues, puisque absentes, ce qui conduirait à des problématiques de droits humains encore plus importantes. Dès lors, excusez-moi, mais je n'ai pas besoin d'entendre des propositions comme celles-là.
Je dispose de services compétents qui sont là pour essayer de faire mieux, et vous avez raison: il existe des méthodes alternatives aux peines prononcées actuellement. Bien sûr que nous travaillons sur la question des bracelets électroniques, sur les travaux d'intérêt général, mais il ne faut pas oublier que nous sommes cadrés par le droit fédéral et que nous ne pouvons pas simplement décider, s'agissant d'une personne, que parce que nous n'avons plus de place, nous allons lui mettre un bracelet électronique ou lui faire balayer les trottoirs. Les choses sont beaucoup plus complexes que cela.
Certes, il y a encore du travail à effectuer, mais quand j'entends que les prisons seraient pleines de personnes exécutant des sanctions converties pour des amendes liées à une prise indue des transports publics, excusez-moi, consultez les statistiques: vous verrez qu'il s'agit d'une infime minorité, et d'ailleurs de moins en moins importante, puisque nous oeuvrons en amont pour informer ces personnes de la possibilité de faire des travaux d'intérêt général, nous collaborons aussi avec une fondation pour le désendettement qui est prête à les soutenir le cas échéant. Rappelons toutefois que généralement, avant une conversion d'amende, il y a déjà eu une dizaine d'interpellations de la personne, qui a été invitée à prendre contact avec les autorités pour trouver des solutions; lorsqu'on en arrive à la conversion, c'est véritablement soit que la personne a des problèmes d'ordre médical, et il faut évidemment les prendre en considération, soit qu'elle est totalement désinvolte par rapport à notre ordre juridique.
Je voudrais remercier le rapporteur de majorité de même que la majorité qui semble se dessiner maintenant dans ce Grand Conseil pour leur soutien. Il est évident que l'office cantonal de la détention travaille main dans la main avec le département des infrastructures pour parvenir à des solutions qui soient acceptées par toutes et tous. Ce matin encore, je rencontrais les autorités de Choulex, après avoir déjà rencontré celles de Puplinge, pour essayer d'obtenir le soutien de ces communes; je dois dire que le projet actuel, qui a été redimensionné à la baisse, trouve un écho favorable auprès des communes sur lesquelles il est implanté.
Le fait que nous n'ayons pas à déclasser de la zone agricole, c'est-à-dire des surfaces d'assolement, constitue également un avantage important, sous réserve peut-être de ce fameux parking qui, vous le savez, se trouve directement sur des câblages de l'ensemble des installations et qui, de toute façon, ne reviendrait plus jamais à la zone agricole. Un véritable effort a été consenti pour aller dans le sens de ce que nous avons entendu de la part de tous les acteurs, Mesdames et Messieurs, raison pour laquelle je vous remercie d'adopter ce projet de loi.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote d'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 13141 est adopté en premier débat par 58 oui contre 38 non.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.
Le président. Nous sommes saisis d'un premier amendement de Mme Léna Strasser, qui figure à la page 126 du rapport:
«Art. 1, al. 1 (nouvelle teneur) et al. 2 (nouveau, l'al. 2 ancien devenant l'al. 3)
1 La présente loi a pour but de fixer les orientations relatives à la planification pénitentiaire, afin que le canton prenne en charge adéquatement les personnes détenues ou suivies, en particulier en disposant d'espaces de privation de liberté conformes aux standards reconnus.
2 Cette prise en charge doit en particulier viser à réduire le nombre de récidives et assurer la réinsertion des personnes détenues ou suivies.»
Madame Strasser, c'est sur cet amendement que vous souhaitez vous exprimer ?
Mme Léna Strasser (S), rapporteuse de première minorité. C'est sur les amendements en général, puisque nous n'avons pas eu la possibilité de prendre la parole avant le conseiller d'Etat.
Le président. Il suffit d'appuyer sur le bouton pour demander la parole.
Mme Léna Strasser. Vous êtes allé un peu vite, Monsieur le président.
Le président. Bon, vous la prendrez tout à l'heure. Je mets aux voix l'amendement... (Commentaires.) Vous voulez intervenir maintenant ? Alors allez-y.
Mme Léna Strasser. A priori, quand je presse sur le bouton, c'est que j'ai envie de parler ! (L'oratrice rit.) Globalement, contrairement à ce qu'on a entendu dans le cadre des prises de parole tout à l'heure, nous ne sommes pas opposés à cette loi-cadre, nous avons réalisé un travail en commission en proposant des amendements qui visent réellement à fixer des conditions dignes et à rendre ce projet de loi lisible. On est loin de l'«hurluberlisme» dont nous avons été taxés.
Nous avons questionné le fait que Genève veuille tous les types de détention sur son territoire, nous avons questionné le lien avec la planification romande, nous avons questionné aussi l'augmentation des places, mais nos amendements visent bien le projet de loi et consistent à lui donner les fondements d'une loi-cadre, parce que - vous transmettrez à M. Lussi, Monsieur le président - ce projet de loi ne fixe pas de gabarits, il établit une vision d'ensemble et laisse des ouvertures extrêmement larges pour que nous puissions définir ensuite le nombre de places et la manière dont elles seront disposées.
Vous transmettrez également à M. le conseiller d'Etat que l'espoir fait vivre et qu'il l'a certainement bien compris, puisque dans la stratégie pénitentiaire qui figure en annexe du projet de loi, il reprend en grande partie des propositions émises non seulement par la gauche, mais également par la commission des visiteurs officiels. Preuve en est qu'il est possible d'avancer ensemble pour autant qu'on s'entende sur la définition d'une loi-cadre.
Pour conclure sur les amendements, pour nous, il est clair que la planification pénitentiaire mérite d'être adaptée aux besoins s'agissant du respect de la dignité humaine, de la désistance, de la réinsertion, et cela doit se faire en prenant en compte l'ensemble des acteurs sur le territoire suisse, en s'inspirant de modèles qui ont fait leurs preuves ailleurs et en pensant également l'ensemble des lieux comme des espaces spécifiques à chaque type de détention et surtout des espaces à taille humaine, ce qu'on n'a peut-être pas retrouvé dans le texte. Nos propositions d'amendements, c'est en fait le retour des amendements présentés en commission; pour certains, cela peut paraître des détails, mais nous avons vraiment essayé de mettre en avant la dignité dans ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Antoine Barde (PLR), rapporteur de majorité. Je ne reviendrai pas sur chaque amendement par la suite, mais concernant le premier, qui vise à supprimer la notion de «qualité et quantité», il nous paraît passablement aberrant, sachant que notre commission se bat depuis des années précisément pour assurer la qualité et la quantité des places de détention.
Quant à l'ajout de la mention «réduire le nombre de récidives», je ne pense pas que ce soit quelque chose qu'on décrète ainsi en l'inscrivant dans un texte de loi. De manière plus générale, en entendant certains arguments de la minorité, on se croirait un peu dans «L'Ile aux enfants», le pays joyeux des enfants heureux et surtout des monstres gentils. Mesdames et Messieurs, je vous incite à refuser tous les amendements de la minorité.
Le président. Je vous remercie. Nous reprenons la procédure de vote avec, pour commencer, l'amendement de la première minorité que j'ai cité, à l'article 1.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 57 non contre 39 oui.
Mis aux voix, l'art. 1 est adopté.
Le président. Nous continuons avec un amendement déposé par la deuxième minorité:
«Art. 2, lettre a (nouvelle teneur)
a) la rénovation/transformation d'établissements pénitentiaires, afin que tous les régimes de détention bénéficient d'infrastructures adaptées;»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 56 non contre 40 oui.
Le président. Ensuite, Mme Strasser nous soumet la demande de modification suivante:
«Art. 2, lettre a (nouvelle teneur)
a) la construction ou la rénovation/transformation d'établissements pénitentiaires, afin que tous les régimes de détention bénéficient d'infrastructures adaptées;»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 57 non contre 40 oui.
Le président. Voici un autre amendement de Mme Strasser:
«Art. 2, lettre c (nouvelle teneur)
c) l'augmentation du nombre de personnes exécutant leur peine sous une forme alternative (notamment le travail d'intérêt général, la surveillance électronique et la semi-détention) dans le but de réduire le nombre d'incarcérations;»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 56 non contre 40 oui et 1 abstention.
Mis aux voix, l'art. 2 est adopté.
Le président. La première minorité nous propose également l'amendement suivant:
«Art. 3, al. 2, lettre b (nouvelle teneur)
b) respecter un taux d'occupation des établissements pénitentiaires garantissant la dignité des détenus et les conditions de travail du personnel;»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 54 non contre 40 oui et 1 abstention.
Le président. Nous passons à la prochaine demande d'amendement, qui émane de Mme Dilara Bayrak:
«Art. 3, al. 2, lettre f (nouvelle teneur)
f) garantir une prise en charge des personnes mineures adaptée à leurs besoins spécifiques.»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 55 non contre 38 oui et 1 abstention.
Mis aux voix, l'art. 3 est adopté.
Le président. Nous sommes saisis d'un nouvel amendement de la première minorité:
«Art. 4, al. 1, phrase introductive (nouvelle teneur)
1 Le canton doit disposer des types d'espaces de privation de liberté suivants:»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 57 non contre 39 oui.
Le président. Mme Katia Leonelli propose ensuite de supprimer la sous-note et la phrase introductive à l'article 4, alinéa 6. Madame Strasser, il vous reste cinquante-quatre secondes.
Mme Léna Strasser (S), rapporteuse de première minorité. Cinquante-quatre secondes ?
Le président. Oui.
Mme Léna Strasser. D'accord. S'agissant de notre amendement à l'article 4, alinéa 6, l'idée est vraiment de souligner ce que cette disposition met en exergue: ce n'est pas de la taille des infrastructures qu'on parle ici, mais bien des taux d'occupation à respecter. Je pense qu'il y a vraiment un principe à poser dans cette disposition, qu'il faut parler de «taux d'occupation» et non de «taille des infrastructures». A aucun endroit dans le texte on n'évoque la taille des infrastructures qu'on souhaite, ce sera fait dans les projets de lois qui seront déposés par la suite et traités à la commission des travaux. Dès lors, il faut rectifier l'article 4 dans ce sens-là.
Le président. Merci bien. Nous procédons au vote sur l'amendement de la deuxième minorité visant à supprimer la sous-note et la phrase introductive à l'article 4, alinéa 6.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 56 non contre 40 oui.
Le président. S'agissant de la même disposition, la première minorité nous soumet une demande d'amendement libellée comme suit:
«Art. 4, al. 6, sous-note et phrase introductive (nouvelle teneur)
Taux d'occupation
6 Les établissements ou secteurs de privation de liberté doivent respecter les taux d'occupation maximaux suivants:»
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 56 non contre 40 oui.
Mis aux voix, l'art. 4 est adopté, de même que l'art. 5.
Le président. M. Sylvain Thévoz présente l'amendement suivant:
«Art. 6 (nouvelle teneur avec modification de la note)
Communication et approbation par le Grand Conseil
La stratégie pénitentiaire, le plan directeur des infrastructures pénitentiaires et ses rapports d'évaluation sont transmis pour approbation au Grand Conseil par le Conseil d'Etat.»
Je lui cède la parole pour vingt secondes.
M. Sylvain Thévoz (S). Merci, Monsieur le président. Le projet de loi qui nous est soumis tient sur quelques pages, il y a huit articles. Tout le reste, c'est la stratégie pénitentiaire et le plan directeur des infrastructures pénitentiaires, qui prennent 150 pages, le coeur du projet. Or, Mesdames et Messieurs les députés, on ne se prononce pas dessus, et c'est un problème démocratique s'agissant d'une question comme la prison, qui est un lieu retiré de la société. Nous vous invitons donc à voter cet amendement, qui permettra simplement au Grand Conseil d'approuver - ou non - ces documents, à tout le moins de s'y intéresser. Merci de soutenir cet amendement d'importance. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie. Monsieur Barde, il vous reste trente secondes.
M. Antoine Barde (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Très brièvement, Mesdames et Messieurs, l'amendement que j'ai déposé à l'article 6 va tout à fait dans le même sens; je vous demande de suivre l'amendement de la majorité.
Le président. Merci. A présent, je mets aux voix l'amendement de M. Thévoz.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 54 non contre 40 oui et 1 abstention.
Le président. Les deux derniers amendements sont issus de la majorité. Voici le premier:
«Art. 6 Communication (nouvelle teneur)
La stratégie pénitentiaire, le plan directeur des infrastructures pénitentiaires et ses rapports d'évaluation sont transmis sous forme de rapports divers au Grand Conseil par le Conseil d'Etat.»
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 94 oui (unanimité des votants).
Mis aux voix, l'art. 6 ainsi amendé est adopté.
Le président. Enfin, nous nous prononçons sur le dernier amendement déposé par M. Barde:
«Art. 7 Présentation des projets (nouvelle teneur)
Le Conseil d'Etat soumet au Grand Conseil les différents projets de lois ouvrant un crédit d'étude et/ou d'investissement, ainsi que les éventuels projets de lois de modification de limites de zones consécutifs au plan directeur des infrastructures pénitentiaires.»
Mis aux voix, cet amendement est adopté par 96 oui (unanimité des votants).
Mis aux voix, l'art. 7 ainsi amendé est adopté.
Mis aux voix, l'art. 8 est adopté.
Troisième débat
Mise aux voix, la loi 13141 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 57 oui contre 39 non (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)