Séance du
jeudi 1 septembre 2022 à
17h
2e
législature -
5e
année -
3e
session -
18e
séance
R 970-A
Débat
Le président. Nous traitons à présent la R 970-A, classée en catégorie II, trente minutes. Le rapport est de Mme Christina Meissner, à qui je cède la parole.
Mme Christina Meissner (PDC), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Finalement, le long temps parlementaire a parfois des avantages ! C'est le cas pour cette résolution, qui demande, à juste titre, davantage de droits démocratiques pour le peuple colombien.
Parlons quand même du traitement de ce texte. Les experts auditionnés ont eux-mêmes reconnu l'inutilité d'envoyer une telle résolution à la Confédération, car elle n'agirait pas; ils ont ajouté que c'était au niveau de Genève, qui abrite la commission des droits de l'homme de l'ONU, que cette résolution pouvait avoir une valeur symbolique. Toutefois, les cantons n'ont pas la possibilité d'envoi direct à l'ONU, contrairement aux villes; or une résolution similaire a été déposée et adoptée en Ville de Genève. On peut imaginer que celle-ci fera le travail via l'Union des villes. Ainsi, Genève aura agi.
Maintenant, parlons du fond. Depuis le dépôt de la résolution, il y a eu des élections en Colombie, et toutes les craintes qui ont prévalu jusqu'entre les deux tours - par exemple la crainte qui circulait sur les réseaux sociaux de cas de fraude, qui risquait de tromper les électeurs et de les empêcher de voter librement, puis celle liée à un candidat surprise - ont été balayées, du fait du nombre extrêmement important de votants et, surtout, du résultat sans appel: l'opposition de gauche a triomphé ! L'ex-guérillero Gustavo Petro est non seulement parti favori pour les élections présidentielles, mais il a été élu ! Certes, cela n'effacera jamais les violences subies précédemment, mais il faut laisser une chance au nouveau gouvernement et voir si les promesses électorales seront tenues.
Mais tout porte à croire, quand on voit cette semaine que le gouvernement a renoué les relations diplomatiques avec le Vénézuéla et que le président multiplie les propositions pour que les cultivateurs de coca disposent d'alternatives viables... Eh bien, pour toutes ces raisons, non pas parce que nous ne soutenons pas le peuple colombien, mais parce que nous voulons laisser une chance à ce nouveau gouvernement, cette résolution doit être refusée.
M. Jean Burgermeister (EAG). Mme la rapporteure de majorité a parlé d'experts auditionnés par la commission, qui ont expliqué que cette résolution ne servait à rien. Je n'ai pas trouvé trace de cela dans le rapport. Alors je n'étais pas en commission, je me suis contenté de lire le rapport, en faisant confiance à son autrice. J'y ai vu des auditionnés qui pensaient qu'il s'agissait d'une démarche globalement positive pour soutenir des droits humains élémentaires, puisque nous parlons de cela: d'un soutien aux droits humains élémentaires du peuple colombien, qui a été victime d'une répression extraordinairement brutale de la part du gouvernement.
Effectivement, c'est de l'ancien gouvernement qu'il s'agit. On se réjouit bien sûr qu'il ait mordu la poussière et qu'un nouveau président de gauche ait été élu en Colombie, ce qui ouvre potentiellement la porte à une situation politique nouvelle, c'est exact. Mais enfin, cela ne doit pas nous empêcher de condamner cette répression. Mme Meissner a dit à juste titre qu'il aurait fallu voter cette résolution plus tôt. C'est d'ailleurs ce qu'Ensemble à Gauche a proposé, et c'est ce qu'une majorité de ce parlement - la même qui aujourd'hui nous dit que cela ne sert plus à rien de la voter, car elle est devenue caduque - a refusé de faire, au moment où la police colombienne tirait dans les rues contre la foule pacifique ! A ce moment-là, ce parlement a refusé de voter cette résolution !
Il faut rappeler que la mobilisation populaire partait du rejet d'une réforme fiscale absolument injuste qui visait en particulier à augmenter la TVA, qui est, vous le savez, l'impôt le plus injuste socialement parlant, le même d'ailleurs que prévoient de relever la droite et le Conseil fédéral, puisque la population suisse votera à ce sujet le 25 septembre, vous le savez: il s'agit, d'une part, d'augmenter l'âge de la retraite des femmes, et d'autre part, d'augmenter la TVA, et parallèlement bien sûr de faire un cadeau fiscal en or massif aux plus riches et aux plus grandes entreprises à travers la suppression de l'impôt anticipé. Evidemment, la comparaison s'arrête là, le contexte social en Colombie est très différent, et cette réforme a suscité une colère importante qui se nourrissait en réalité d'autres facteurs.
Il y a eu des dizaines de morts: des gens assassinés par la police. Il y a eu des centaines, voire des milliers d'arrestations arbitraires, des milliers de victimes en tout cas de cette répression extraordinairement brutale, qui a été condamnée par l'ONU. Je rappelle d'ailleurs que la Suisse est dépositaire des accords de paix en Colombie, qui n'ont jamais été respectés par les gouvernements de droite successifs. Cela montre à quel point... Et la droite, la Suisse, la Confédération est toujours restée muette - je me demande ce qu'elle aurait dit s'il s'était agi du Vénézuéla, si celui-ci avait osé commettre de telles exactions ! Il me paraît raisonnable de voter la résolution demandée et de soutenir, ni plus ni moins, les droits élémentaires du peuple colombien. Je vous remercie.
M. Philippe Morel (PLR). La barbarie humaine, la répression violente quelle qu'elle soit, les assassinats, les viols, les incarcérations abusives, la torture, les menaces de violence, où qu'ils soient dans le monde, quel qu'en soit l'exécutant, doivent être condamnés et tout doit être fait pour les empêcher et les combattre. Il est évident que ce qu'il s'est passé en Colombie est inacceptable et inadmissible. Malheureusement, cela survient dans beaucoup d'autres parties du monde et il nous suffit aujourd'hui d'ouvrir le journal pour détecter au moins cinq ou six endroits où cette barbarie humaine s'exprime. Elle est à condamner, nous ne pouvons pas l'accepter.
Il est vrai que Genève, à différents titres, possède une certaine légitimité pour condamner ces actes de violence et de barbarie humaine. Il est vrai que la Suisse également est légitimée pour le faire. Mais cela doit passer par une voie légale et efficace. Et la conviction, justifiée, des personnes qui condamnent ces violences doit s'exprimer par une voie juste et légale. Vous le savez, cela a été dit déjà plusieurs fois, Genève et notre parlement n'ont pas la possibilité d'utiliser cette voie, nous ne pouvons pas nous adresser à l'ONU, contrairement aux villes, et notre texte envoyé à la Confédération n'aura pas beaucoup d'avenir, ne trouvera pas beaucoup d'écoute et d'écho. Il n'empêche qu'il faut protester, il n'empêche que cela est inacceptable et que nous ne devons pas être silencieux. Mais il faut utiliser des voies légales, reconnues et efficaces.
Heureusement, pour ce qui est de la Colombie, cela a été dit, la situation a radicalement changé: le 19 juin 2022, au deuxième tour, M. Gustavo Petro a été élu président - un homme de gauche, le premier depuis des décennies ou peut-être même davantage dans ce pays. Il est d'obédience socialiste, il est le premier président de gauche de l'histoire de la Colombie et il a pour colistière Mme Francia Márquez, qui est d'origine africaine, pour la première fois dans ce pays. M. Gustavo Petro est un homme de paix, qui veut la justice sociale - il l'a dit et il s'y appliquera certainement - ainsi que la justice environnementale - on pense à l'Amazonie - et veut lutter contre la corruption. Nous n'avons aucun doute sur le fait que ses intentions soient nobles et sincères. Nous espérons simplement qu'elles puissent être réalisées.
Parce que la situation en Colombie est apaisée, parce que notre parlement n'a malheureusement pas beaucoup de moyens d'action, et sans aucunement condamner le fond de cette résolution qui est justifiée, nous vous recommandons, pour des questions de forme, son refus.
M. Yves de Matteis (Ve). Le groupe Vert désire soutenir cette résolution. Nous avons bien sûr entendu les arguments de celles et ceux qui refusent systématiquement ce type de textes parce qu'ils concernent des sujets de portée internationale. Mais en dehors du fait qu'il arrive au Grand Conseil de traiter de tels sujets - preuve en est l'existence de notre commission des affaires communales, régionales et internationales -, il est tout à fait clair que dans l'esprit des personnes qui avaient proposé la création de la commission des droits de la personne, cette dernière devait pouvoir aborder et même s'autosaisir de sujets concernant les droits humains dans le monde entier.
Comparaison n'est pas raison, mais nous avons voté, le 17 mars dernier, sauf erreur à l'unanimité de cet hémicycle, la résolution 989 intitulée «Ukraine: halte à la guerre - solidarité avec le peuple ukrainien». Je ne vois donc pas trop au nom de quoi on refuserait, pour des raisons purement formelles, une résolution intitulée «pour les droits démocratiques et humains du peuple colombien». Voilà pour la forme.
Concernant le fond, il faut souligner les nombreuses voix qui se sont élevées pour dénoncer la répression étatique en Colombie. La porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies responsable du respect des droits humains a ainsi critiqué la répression étatique lors des manifestations meurtrières à Cali, en Colombie, pourtant une des plus vieilles démocraties du monde. Quant à nous, même si cela est fait avec passablement de retard, il nous semblerait criminel de ne pas réagir. Cela d'autant plus que bon nombre de spécialistes ont jugé que la répression mentionnée est le symptôme d'un processus plus large de militarisation de l'Etat - même si ce n'est plus le cas aujourd'hui - dans le cadre de plus d'un demi-siècle d'un conflit armé impliquant un grand nombre de parties.
Les personnes auditionnées ont notamment confirmé que cette résolution avait sa raison d'être et que son adoption pourrait avoir une influence non seulement aujourd'hui, mais également dans le futur, si de telles répressions devaient se reproduire, afin de montrer que l'étranger - en l'occurrence Genève - garde une attention vigilante sur la situation en la matière, y compris en Colombie.
Pour toutes ces raisons, le groupe parlementaire Vert recommande à notre Grand Conseil d'adopter cette résolution. Merci, Monsieur le président.
M. Francisco Valentin (MCG). Comme cela a déjà été évoqué à plusieurs reprises, la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) a été saisie de cette résolution, qui, comme vous pouvez le constater, a été soutenue par trois signataires. Visiblement, l'opportunisme et la possibilité de faire parler de soi n'avaient pas suscité l'enthousiasme au sein de leurs divers groupuscules. D'ailleurs, le premier signataire a courageusement envoyé son collègue de parti, beaucoup plus aguerri et éloquent, pour défendre une résolution largement obsolète, limite trompeuse ! En effet, un certain malaise a immédiatement émergé parmi les commissaires, car plusieurs députés avaient des informations diamétralement opposées au tableau dépeint par les signataires. Il en a été de même lors de l'audition de la diaspora colombienne: cette résolution n'était pas ou plus tout à fait vraie depuis un certain temps; la Colombie, que tous connaissent pour diverses raisons, était sur la bonne voie pour une certaine démocratie. Cette résolution ne parlait pas de faire le procès du passé, qui, comme tout le monde le sait, pour la Colombie, les Colombiennes et les Colombiens, a été extrêmement douloureux, mais bien de s'ingérer dans des élections qui avaient déjà eu lieu.
Les signataires pourraient s'adresser à la représentante dont ils disposent au Conseil national, qui pourrait déposer ce genre de textes, plutôt que de s'imaginer... (L'orateur est interpellé.) ...que notre parlement se substitue au Département des affaires étrangères ou au Conseil de sécurité de l'ONU. Si nous sommes tous concernés par les drames et l'injustice dans le monde, l'ingérence dans un pays qui a élu son président démocratiquement n'est juste pas de notre compétence.
Pour cette raison, je vous propose de ne pas tremper notre nez dans la farine colombienne... (Rires.) ...et de refuser cette résolution. Nous nous réjouissons de voir le travail et le bilan du président de gauche Gustavo Petro. Je vous remercie. (Remarque.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à notre ancien président, M. Diego Esteban.
M. Diego Esteban (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe socialiste s'associe pleinement aux propos de MM. de Matteis et Burgermeister et soutiendra les deux amendements d'Ensemble à Gauche, en particulier celui qui permet à cette résolution de rester purement déclaratoire. Cela a l'avantage de nous éviter de nous substituer à la Confédération en matière de relations extérieures.
Non, voter un texte purement déclaratoire ne signifie en rien qu'il soit inutile. Cela traduit au contraire une intention de se servir de l'influence dont dispose notre assemblée pour exprimer un message, qu'il soit entendu et qu'il entraîne une réaction. Ce message est celui de la défense des droits humains et du rejet de la répression gouvernementale. Qui pourrait réellement s'y opposer ? Malgré l'évolution du contexte local, les dégâts causés par ces actes ne disparaîtront jamais.
Mais comme souvent lorsque l'on vote des résolutions dans cette enceinte, la discussion se focalise sur l'opportunité. Nous pouvons avoir la fierté d'accueillir à Genève le siège du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, de nombreuses autres organisations internationales, gouvernementales et non gouvernementales, et donc de missions permanentes de la majorité des pays du monde, y compris celle de la Colombie. Les décisions que nous prenons sur des violations des droits humains commises à l'étranger sont donc entendues par les autorités des pays concernés.
C'est en cela que je ne peux pas donner raison à Mme Meissner, M. Morel et M. Valentin sur l'impact de ce texte. Mais cela me donne l'occasion de demander à la droite un peu de cohérence: quand nous votons des propositions qui invitent Genève ou la Suisse à accueillir les réfugiés fuyant un conflit ou la répression, on nous oppose un risque d'appel d'air, comme si les peuples du monde entier se renseignaient quotidiennement sur le sort réservé par le Grand Conseil genevois à divers objets parlementaires. On ne peut pas ensuite dire de ces mêmes textes qu'ils sont inaudibles au-delà des frontières cantonales.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste vous invite à accepter les deux amendements de M. Burgermeister ainsi que la résolution.
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons à la procédure de vote et nous commençons par les deux amendements présentés par M. Jean Burgermeister. Le premier, si j'ai bien compris, consiste en une précision de l'invite...
Une voix. C'est que le gouvernement a changé et on... (Commentaires.)
Le président. Très bien. (Commentaires.) Merci, Monsieur le député. Ce premier amendement se présente donc comme suit:
«condamne
la répression brutale du peuple colombien par le gouvernement d'Iván Duque et la violation des droits humains et démocratiques fondamentaux,»
Le vote est lancé.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 42 non contre 33 oui et 2 abstentions.
Le président. Nous passons au deuxième amendement, qui consiste à supprimer l'invite au Conseil fédéral.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 44 non contre 34 oui et 1 abstention.
Mise aux voix, la proposition de résolution 970 est rejetée par 47 non contre 33 oui et 4 abstentions (vote nominal).