Séance du jeudi 1 septembre 2022 à 17h
2e législature - 5e année - 3e session - 18e séance

PL 13054-A
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Alberto Velasco, Xhevrie Osmani, Glenna Baillon-Lopez, Badia Luthi, Youniss Mussa modifiant la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève (LRGC) (B 1 01) (Renvoi en commission ou ajournement)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 19, 20 mai, 2 et 3 juin 2022.
Rapport de majorité de M. Christian Flury (MCG)
Rapport de minorité de M. Romain de Sainte Marie (S)

Premier débat

Le président. Nous enchaînons avec le PL 13054-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je cède la parole au rapporteur de majorité, M. Christian Flury.

M. Christian Flury (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ce projet de loi vise à limiter à deux par parti et par objet le nombre de demandes de renvoi en commission lors du débat en plénière. La rédaction de ce texte est la conséquence directe de ce qu'on peut qualifier de flibuste parlementaire, ce dont un projet de loi a fait l'objet en fin d'année passée; des manoeuvres qui ont eu pour conséquence de faire perdre presque deux heures à notre parlement. Parfois, certains députés insistent sur les demandes de renvoi en commission avec l'espoir que d'autres les votent par erreur. Régulièrement, des députés demandent des votes nominaux sur des sujets dont les autres peinent... (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît, un instant, Monsieur le rapporteur. Je prierai les groupes de bien vouloir tenir leurs colloques ou caucus à l'extérieur de la salle, parce qu'on n'entend plus l'orateur ! Poursuivez, Monsieur le rapporteur.

M. Christian Flury. Merci, Monsieur le président. Je disais donc que régulièrement, des députés demandent, sur certains sujets, des votes nominaux dont les autres collègues peinent à saisir la nécessité. C'est leur entière liberté ! Ces aléas composent et font partie de la bouillonnante vie parlementaire genevoise.

Si la majorité de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil peut comprendre les raisons qui ont conduit à la rédaction de ce projet de loi, elle n'est cependant pas d'avis qu'il faille réglementer à tout prix et restreindre le champ de manoeuvre des députés.

Pour ces motifs, la majorité de la commission des droits politiques vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à rejeter ce projet de loi. Je vous remercie.

M. Romain de Sainte Marie (S), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai écouté très attentivement le précédent débat. Je ne sais pas si j'ai mal compris la position du PLR, de la rapporteure de minorité; je ne sais pas si le PLR est complètement schizophrène d'un vote à l'autre, mais j'ai entendu tout à l'heure - à moins que je me sois totalement trompé - des arguments évoquant le manque d'efficience du Grand Conseil, l'ordre du jour engorgé, bien trop de temps passé sur certains débats inutiles... Bref, j'ai entendu tous ces arguments-là. D'accord. Là, nous traitons d'un projet de loi qui vise précisément à nous permettre d'avancer de façon un peu plus efficace dans nos débats, c'est-à-dire d'éviter que, lors d'un débat sur un objet, le renvoi en commission soit demandé dix, quinze, vingt fois, alors qu'il a déjà été refusé dix, quinze, vingt fois.

Cette stratégie peut servir de deux façons: premièrement, pour faire perdre du temps - vous vous en souvenez, la fois dernière qu'elle a été utilisée de la sorte, c'était lors du débat sur la réforme du cycle d'orientation. Le même parti qui nous dit qu'il faut améliorer l'efficacité du Grand Conseil et que celui-ci perd trop de temps use de stratégies pour faire perdre du temps ! Je me demande si ce n'est pas un peu schizophrénique... Mais bon, peut-être que le PLR m'expliquera !

La deuxième stratégie est, ma foi, celle du hasard: sur un malentendu, comme aurait dit Jean-Claude Dusse, ça peut toujours finir par passer ! C'est la deuxième façon dont peut servir la stratégie de la demande de renvoi en commission à répétition.

Si on veut vraiment essayer de faire en sorte que nos travaux soient de qualité et efficaces... Deux demandes de renvoi en commission par parti et par rapporteur, cela me semble suffisant. Imaginons qu'il y ait une majorité et une minorité sur un objet, que la majorité soit composée de quatre partis et donc la minorité de trois. Cela fait déjà trois partis, plus le rapporteur de minorité, sans compter qu'il peut y avoir plusieurs rapporteurs de minorité - jusqu'à trois, pour rappel ! Cela ferait au minimum huit demandes de renvoi en commission quand même ! Huit demandes ! Huit demandes de renvoi en commission, est-ce véritablement insuffisant ? Huit demandes de renvoi en commission, au minimum, est-ce véritablement une prise en otage de notre démocratie ? J'ai de la peine à le croire et j'ai encore plus de peine à comprendre, après le débat sur l'objet précédent, que visiblement la majorité de ce parlement refuse le présent projet de loi, alors que plus tôt, j'ai entendu de nombreux arguments allant dans le sens de l'amélioration de l'efficacité de notre Grand Conseil. Raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à accepter ce projet de loi - et, si possible, à ne pas demander le renvoi en commission ! (Rire.)

Une voix. Chiche !

Une autre voix. J'hésite !

M. Pierre Vanek (EAG). C'est encore un de ces projets qui visent à faire gagner du temps et à mieux faire fonctionner le parlement, etc. Je pourrais refaire la même intervention que tout à l'heure. Bien sûr que parfois les groupes se rendent ridicules par des demandes excessivement répétées de renvoi en commission. C'est une tactique d'obstruction parlementaire possible. Il y en a en tout cas sept ou huit autres qui permettraient, quand on connaît la LRGC - ce qui est mon cas -, de bloquer les débats avec telle ou telle astuce. Mais c'est absolument idiot de vouloir éliminer ces possibilités de contestation parlementaire. La flibuste parlementaire, c'est un procédé qui relève du débat politique: quand un groupe fait des demandes répétées de renvoi en commission ou use d'un autre moyen de flibuste parlementaire, il signale quelque chose, il signale l'indignation particulière que tel projet lui inspire, et laissons-le faire ! C'est la manifestation d'une opinion politique et de la liberté qu'ont les différents députés et les différents groupes.

Parce que le chemin consistant à enlever... Le rationnement peut se justifier. On pourrait avoir un rationnement en matière, je ne sais pas, d'électricité: on pourrait répartir des quotas d'électricité entre les ménages et les différentes industries en fonction des besoins réels. C'est une chose. Mais le rationnement des possibilités d'interventions parlementaires et des possibilités de renvoi... Alors après on va rationner autre chose ! On va rationner - et cela a été proposé, je ne sais plus par quel groupe - le nombre d'objets que chaque groupe peut déposer ! On aurait donc des groupes qui se trouveraient dans l'impossibilité de déposer dix projets de lois s'ils en avaient envie, au motif que c'est trop, que ça engorge la machine, et que, pour qu'elle fonctionne bien, il faut que le nombre d'objets parlementaires soit limité.

Le processus est sans fin. En fait, il se poursuit depuis les années 90 en tout cas. Je suis entré dans ce parlement à une époque où chaque député, dans tous les débats, avait le droit de prendre trois fois la parole dix minutes ! Et on a cru qu'on allait gagner beaucoup de temps en limant les choses, en introduisant des catégories de débat, en limitant le nombre de minutes d'intervention des députés. En fait, plus ça change dans ce domaine-là, plus c'est la même chose ! On n'améliore pas l'efficacité de notre parlement; ce projet de loi est inutile et correspond à une volonté de réglementer les débats de manière excessive. Avec toute l'amitié que je porte à son premier signataire, je pense que ce n'est pas une bonne idée. On aurait pu gagner du temps... en évitant d'avoir à traiter ce projet de loi ! (Commentaires.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Alberto Velasco pour deux minutes trente-neuf.

M. Alberto Velasco (S). Merci, Monsieur le président. En lisant le rapport, j'ai constaté que mon collègue d'Ensemble à Gauche, que j'apprécie beaucoup d'ailleurs...

Une voix. C'est une appréciation partagée !

M. Alberto Velasco. D'accord ! ...avait dit qu'une des raisons pour lesquelles il trouvait que ce projet était un peu idiot, c'était que les députés ont une certaine maturité. Alors là, je m'étonne ! Franchement, quand je vois certains débats dans ce Grand Conseil, je me demande, cher collègue, si vous avez été, je ne sais pas, illuminé ce jour-là en déclarant cela ! Non, non, s'il y avait de la maturité, on n'aurait pas assisté pendant une soirée entière à quarante demandes de renvoi en commission, alors qu'on savait pertinemment que cette loi allait passer ! Et qu'il ne restait que le référendum - que le PLR a lancé par la suite. Les mêmes... (Commentaires.) Les mêmes... (Commentaires.) Et Madame Fiss, ces 64 000 francs dont vous vous êtes permis, de façon malheureuse et pas très honnête, de déplorer la dépense - vous transmettrez, Monsieur le président -, ce soir-là, vous, votre parti, la droite, les a dépensés ! Ce soir-là, Madame ! Quand M. Alder comptait-il les jetons de présence ? Mais, Monsieur Alder, si vous voulez, vous pouvez faire un don à la république ! Personne ne vous oblige à percevoir les jetons de présence ! C'est un droit et vous pouvez dire: «Monsieur le président, à partir de maintenant, je renvoie tous mes jetons de présence à la république, puisque je n'en ai pas besoin !» D'autres députés en ont besoin.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce projet de loi voulait... Tout à l'heure, on a débattu d'un objet visant à réduire la durée du débat sur les comptes, qui est fondamental pour une république, qui est extraordinairement important - une fois par année ! Et voilà que le même groupe refuse ce projet de loi. On ne comprend plus rien ! Plus rien ! Parce que, franchement, pendant toute une soirée, débattre de manière imbécile sur des recettes de cuisine, sur l'âge de sa grand-mère, enfin, je ne vous dis pas... C'est très intéressant pour les citoyens ! Très intéressant ! Toute une soirée ! Et qu'on vienne ensuite nous dire qu'il faut réduire le débat dans le cadre des comptes, sur les politiques publiques, alors vraiment, c'est de l'hypocrisie totale ! A un moment donné, je me suis demandé s'il ne fallait pas retirer le projet de loi, mais je me suis dit: non, c'est tellement hypocrite que ce projet de loi aura au moins eu un mérite: démontrer l'hypocrisie de la majorité de droite de ce parlement ! Merci.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, chères et chers collègues, lors de son audition par la commission des droits politiques, l'auteur et premier signataire de ce projet de loi a expliqué qu'il souhaitait cadrer les débats de notre Grand Conseil et éviter qu'un groupe ou un député puisse demander plus de deux renvois en commission. Il s'appuyait sur un exemple de débat récent, à l'occasion duquel plusieurs renvois en commission ont été demandés par le même groupe, sans succès toutefois, puisque les majorités n'ont pas changé au cours de la procédure. Il a en outre dit vouloir éviter ce genre de «flibuste parlementaire».

Le groupe démocrate-chrétien n'est pas opposé par principe à des modifications de la loi qui régit le fonctionnement de notre Grand Conseil, on l'a vu à l'occasion du traitement du point précédent. En revanche, nous sommes toujours sceptiques par rapport à des textes déposés en relation avec un seul événement. Il faut constater en effet que des demandes de renvoi en commission successives et systématiques ne sont pas faites régulièrement dans cet hémicycle. A nos yeux, un projet de loi doit être et rester une norme générale et abstraite et ne doit pas être adopté afin d'éviter la survenance d'une circonstance qui ne s'est présentée que rarement dans le passé.

Si l'auteur et premier signataire de ce projet de loi souhaite effectivement que nous évitions de perdre du temps, il suffit, et c'est ce que le groupe démocrate-chrétien vous recommande de faire, de rejeter purement et simplement ce texte en nous ralliant aux conclusions très majoritaires de la commission des droits politiques. Je vous remercie.

Mme Joëlle Fiss (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, renvoyer des projets de lois en commission sert principalement à les améliorer. C'est partir du principe que l'intelligence collective peut servir à perfectionner un texte. Le rapporteur de majorité a totalement raison de souligner qu'il est illusoire de vouloir cadrer les débats par une modification de la LRGC. Oui, parfois, il y a des manifestations de mécontentement. Mais cela fait partie du travail parlementaire; cela fait partie de la démocratie. Si on régulait sévèrement les renvois en commission, non seulement on risquerait d'ouvrir une boîte de Pandore pour d'autres interdictions antilibérales, mais en plus on pourrait empêcher d'excellents textes de voir le jour. Dans un parlement, ce sont toujours les textes qui doivent être la priorité. Les députés sont au service de ceux-ci.

Tout le monde sait que ce projet de loi constitue une réaction à un incident très précis, qui a été cité à plusieurs reprises par mes collègues socialistes. Oui, il y a eu des incidents exceptionnels, mais modifier une règle pour l'exception, c'est irresponsable. D'ailleurs, si on parle bien du débat sur la réforme du cycle d'orientation, vu les résultats du référendum - le peuple a rejeté les réformes proposées -, j'imagine que la majorité des Genevois aurait certainement souhaité un renvoi en commission ! Mais bon, ça, c'est pour l'anecdote !

Le PLR ne votera pas l'entrée en matière sur ce projet de loi, parce qu'on ne peut pas réglementer les comportements ou les réactions humaines. Si un député est fâché, il est fâché. Il a le droit de l'être. C'est sa liberté individuelle ! (Exclamation.) Vous savez quoi ? Il a peut-être même été élu pour être fâché ! (Commentaires.)

Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite donc à suivre le rapporteur de majorité et à confirmer sa décision de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. (Applaudissements.)

M. Patrick Lussi (UDC). Enormément de choses pertinentes ont déjà été dites dans cet hémicycle. Mesdames et Messieurs les députés, l'Union démocratique du centre tient à ce que tout un chacun dispose d'un espace de parole et de décision. Il est dommage que, pour un cas... Parce qu'en définitive, ce projet de loi résulte d'un cas. Celui-ci mérite peut-être discussion, mais on l'a vu, ce projet de loi sur le cycle d'orientation a généré bien des soucis, bien des problèmes, bien des questions, et le peuple a même tranché en sa défaveur. Vouloir créer une règle à partir d'un cas et empêcher les renvois en commission... Je précise que chaque fois que ces renvois sont demandés, il y a des dispositions qui ne conviennent pas à certains groupes politiques ou du moins à la politique qu'ils représentent. Et cela va d'un côté comme de l'autre: cette fois-ci, c'était la droite. Je crois que si on établissait une statistique sur le nombre de renvois, on constaterait qu'ils viennent beaucoup plus souvent de la gauche. Donc, je vous en prie, restons raisonnables, sachons raison garder ! Ce projet de loi nous a fait perdre du temps pour une discussion qui est peut-être utile ce soir, mais ne l'acceptons pas ! Merci de le refuser.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je mets maintenant aux voix l'entrée en matière sur ce projet de loi.

Mis aux voix, le projet de loi 13054 est rejeté en premier débat par 62 non contre 19 oui et 3 abstentions.