Séance du
vendredi 20 mai 2022 à
16h30
2e
législature -
5e
année -
1re
session -
4e
séance
La séance est ouverte à 16h30, sous la présidence de M. Jean-Luc Forni, président.
Assistent à la séance: MM. Mauro Poggia et Antonio Hodgers, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes et MM. Serge Dal Busco, président du Conseil d'Etat, Anne Emery-Torracinta, Nathalie Fontanet, Thierry Apothéloz et Fabienne Fischer, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Alexis Barbey, Jean Batou, Jacques Béné, Thierry Cerutti, Jennifer Conti, Pablo Cruchon, Christian Flury, Fabienne Monbaron, Patrick Saudan, Léna Strasser et Vincent Subilia, députés.
Députés suppléants présents: Mmes et MM. Rémy Burri, Denis Chiaradonna, Nicolas Clémence, Florian Gander, Aude Martenot, Françoise Nyffeler, Jean-Pierre Pasquier, Helena Rigotti et Gabriela Sonderegger.
Annonces et dépôts
Néant.
Le président. Je désigne la première vice-présidente de l'assemblée, Mme Céline Zuber-Roy (PLR), présidente de la commission de grâce. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
Questions écrites urgentes
Le président. Vous avez reçu par messagerie les questions écrites urgentes suivantes:
Question écrite urgente de M. Stéphane Florey : Subventionnement d'une association politique par l'université (QUE-1732)
Question écrite urgente de M. Jacques Blondin : Application du plan hydrogène cantonal (QUE-1733)
Question écrite urgente de M. François Baertschi : Service cantonal de l'assurance-maladie : pourrait-on aider les assurés ? (QUE-1734)
Question écrite urgente de M. Sylvain Thévoz : Le Conseil d'Etat prend-il suffisamment au sérieux les menaces russes à son encontre ? (QUE-1735)
Question écrite urgente de M. Sylvain Thévoz : Ultima ratio regum : et pan dans le nez ? (QUE-1736)
Question écrite urgente de Mme Caroline Marti : Imposition minimale du bénéfice des entreprises multinationales à 15% : quelles recettes pour le canton ? (QUE-1737)
Question écrite urgente de M. Bertrand Buchs : A quand l'organisation des assises cantonales sur le gaspillage alimentaire ? (QUE-1738)
Question écrite urgente de M. Stéphane Florey : Burn-out, stress post-traumatique, suicides : état des lieux de la santé mentale de nos policiers (QUE-1739)
Question écrite urgente de M. Pierre Conne : Luttons contre les violences faites aux enfants et adolescents ! (QUE-1740)
Question écrite urgente de M. Pierre Nicollier : Remplacements à l'école primaire : le service des remplacements est-il en crise ? (QUE-1741)
Question écrite urgente de M. Gilbert Catelain : Où va l'eau de l'Aire ? (QUE-1742)
Question écrite urgente de M. Sylvain Thévoz : Eaux-Vives : à quand des mesures de contrainte du trafic individuel ? (QUE-1743)
Question écrite urgente de Mme Sophie Desbiolles : Promouvoir le lait en 2022, vraiment ? (QUE-1744)
Question écrite urgente de Mme Adrienne Sordet : Le Conseil d'Etat prévoit-il une alternative durable au projet actuel du boulevard des Abarois (Bernex) ? (QUE-1745)
Question écrite urgente de M. Pierre Eckert : Photovoltaïque à Genève : qu'est-ce qui empêche les SIG de garantir un prix de rachat fixe sur plusieurs années ? (QUE-1746)
QUE 1732 QUE 1733 QUE 1734 QUE 1735 QUE 1736 QUE 1737 QUE 1738 QUE 1739 QUE 1740 QUE 1741 QUE 1742 QUE 1743 QUE 1744 QUE 1745 QUE 1746
Le président. Ces questions écrites urgentes sont renvoyées au Conseil d'Etat.
Questions écrites
Le président. Vous avez également reçu par messagerie la question écrite suivante:
Question écrite de M. Pierre Eckert : Rénovations énergétiques dans les PPE : comment lever les obstacles ? (Q-3891)
Le président. Cette question écrite est renvoyée au Conseil d'Etat.
Premier débat
Le président. Nous poursuivons nos débats avec les urgences et le PL 13095-A qui est classé en catégorie II, quarante minutes. (Un instant s'écoule.) Madame la rapporteure de majorité, je vous cède la parole - la parole va donc à Mme Diane Barbier-Mueller.
Mme Diane Barbier-Mueller (PLR), rapporteuse de majorité. Merci, Monsieur le président. En préambule, je souhaiterais vous féliciter pour votre accession à la présidence. (Exclamations. Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée.
Mme Diane Barbier-Mueller. Je ne l'avais pas encore fait. (Rires.) Ce projet de loi fait suite à l'accord de 2020, qui résulte d'un large consensus entre les différents partis, excluant, malheureusement pour eux, Ensemble à Gauche et l'UDC. L'accord prévoyait une répartition équitable des catégories de logements pour répondre aux besoins de toute la population: des logements subventionnés, des logements ZDLOC - soit des locatifs aux prix contrôlés pendant dix ans - et des logements en PPE. La grande nouveauté de cet accord était l'introduction de la PPE dans la loi, puisqu'elle n'y figurait pas jusqu'alors.
Vous me direz, pourquoi en faire un projet de loi si c'est simplement ce qui a été défini dans l'accord de 2020 ? Eh bien, parce que le département du territoire, lors du traitement en commission d'un autre projet de loi, a décidé de se laisser une marge de manoeuvre et revenait ainsi en quelque sorte sur cet accord. D'ailleurs, si vous lisez le rapport, le Conseil d'Etat le reconnaît: dans l'accord, il était prévu de la PPE - de la propriété par étage - en pleine propriété, mais ça l'arrangeait de se laisser une réserve en droit de superficie. Ce projet de loi revient donc sur l'accord de 2020.
En 2020, nous avions spécifié que la PPE s'entendait en pleine propriété; c'est un argument qui avait réussi à rallier une partie du PLR dubitative dans un premier temps. Le problème du droit de superficie, c'est le manque de visibilité sur le long terme, puisqu'il est accordé pour une durée maximum de 99 ans. Il implique le paiement d'une rente - donc d'un loyer - au propriétaire du terrain; par conséquent, cette forme de PPE n'offre pas les mêmes garanties que la PPE en pleine propriété.
Tout ce que demandent les signataires de ce texte, c'est le respect de la parole donnée. La PPE en pleine propriété était l'exigence de certaines parties prenantes de l'accord, qui ont notamment consenti à inscrire dans la loi 18% de logements HBM. C'est pourquoi la majorité de la commission vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à respecter votre parole et à accepter ce projet de loi. Merci.
Présidence de Mme Céline Zuber-Roy, première vice-présidente
Mme Badia Luthi (S), rapporteuse de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, pour ce projet de loi, la droite a refusé toutes nos demandes d'auditions, malgré le fait qu'elles auraient pu amener des éclaircissements sur la position des signataires et de leurs alliés. Ces refus ont donc fermé la porte à des réflexions et à des débats potentiels pour approfondir certaines questions, s'agissant d'un texte qui sert avant tout les intérêts des promoteurs immobiliers et des grands propriétaires plutôt que ceux des locataires. A ce sujet, il est important de rappeler que ce projet était mis en avant et défendu par les représentants des milieux immobiliers. On devine très vite de qui on parle.
Mesdames et Messieurs les députés, rappelez-vous que toute la question des catégories de logements en zone de développement a fait l'objet de longues discussions entre la droite et la gauche. Ces discussions ont abouti à un consensus qui a permis de mettre fin à un processus judiciaire très complexe et d'asseoir ce consensus sur une situation satisfaisante pour tous les partis sauf pour Ensemble à Gauche, qui avait refusé l'accord. L'accord a permis de déterminer le pourcentage minimum de logements HBM et de logements en PPE, en droit de superficie ou en pleine propriété; finalement, chacun y trouvait donc son compte. Aujourd'hui, la droite dépose ce projet de loi qui remet en question l'accord de 2020. Elle demande en effet qu'à chaque nouvelle construction en zone de développement, la part dévolue à la PPE soit entendue uniquement en pleine propriété. Ainsi, elle exclut la PPE en droit de superficie.
La minorité aimerait préciser que tous les partisans d'une politique sociale du logement ont ratifié l'accord parce qu'ils ont considéré que le ratio minimum de PPE fixé ne conduirait en aucun cas à la vente forcée de terrains publics. Le PL 13095 tel qu'il est proposé peut par contre pousser les collectivités publiques à vendre à des privés, ce que l'accord permettait justement d'éviter. D'autre part, cette nouvelle mesure comporte un risque: celui de retarder la mise en oeuvre des PLQ. Comme vous le savez, l'aliénation des terrains publics implique un processus législatif potentiellement long, avec de fortes possibilités d'opposition.
Mesdames et Messieurs les députés, le bon sens veut que l'on garde un équilibre, une pesée équitable entre les intérêts des privés et l'intérêt public qui, théoriquement, devrait primer sur tout autre intérêt. C'est pour ces raisons que notre minorité vous recommande de refuser ce projet de loi.
La présidente. Merci, Madame la rapporteure de première minorité. Le rapporteur de deuxième minorité... Ah, il est remplacé ! (La présidente rit. Rires. Remarque.) Voilà, très bien. Monsieur Burgermeister, vous avez la parole.
M. Jean Burgermeister (EAG), rapporteur de deuxième minorité ad interim. Je... (Un instant s'écoule.) Je vous remercie, Madame la présidente; je suis interrompu par des députés PLR turbulents. Je voulais d'abord répondre à Mme la députée Barbier-Mueller qui disait qu'Ensemble à Gauche avait malheureusement été exclu de l'accord signé entre le Conseil d'Etat et les partis gouvernementaux. Qu'elle se rassure: nous nous sommes exclus nous-mêmes car nous ne souhaitions pas y participer. Et pour cause: nous avions dit que c'était de la poudre aux yeux; d'abord, la répartition était trop injuste, avec une surreprésentation des PPE et une sous-représentation des logements accessibles à la population en proportion des catégories sociales au sein de cette population. Mais, surtout, l'argument consistant à dire «nous signons cet accord pour bénéficier d'une paix historique sur le logement» s'écroule comme un château de cartes devant nos yeux, Mesdames et Messieurs, vos yeux ébahis à vous toutes et tous, au sein du PS et des Verts, qui y avez sans doute cru. Peut-être même, sait-on jamais, M. Hodgers a-t-il péché un peu par naïveté et cru sincèrement que la droite allait arrêter de défendre avec acharnement les intérêts d'une petite minorité, les plus riches et celles et ceux qui ont la possibilité d'accéder à la propriété.
Voilà la preuve, Mesdames et Messieurs, qu'il s'agissait là d'un accord de dupes puisque ce projet de loi et d'autres - il n'y a pas uniquement celui-ci: il y a eu une salve de projets de lois de ce type - visent à attaquer la législation en matière de logement et à défendre les intérêts des propriétaires. Il y a notamment eu, à la commission du logement, le projet de loi pour la suppression pure et simple du droit de préemption par le canton et les communes ! C'est-à-dire, Mesdames et Messieurs, l'idée que la propriété privée doit passer avant les intérêts de la collectivité publique. Puis il y a eu la dérégulation des conditions d'accession à la propriété par étage, la PPE. Enfin, avec ce projet de loi, on veut donc rendre obligatoire la propriété par étage en pleine propriété.
Tout cela, Mesdames et Messieurs, revient à faire en sorte qu'une petite minorité, celles et ceux qui en ont les moyens, puisse acheter des terrains à des sommes souvent modiques, notamment dans le cadre du PAV, pour faire fructifier ces investissements et s'enrichir aux dépens de la majorité de la population qui est locataire - pas uniquement par choix, comme semble le penser Mme Diane Barbier-Mueller, mais bien parce que la propriété est inaccessible à la grande majorité. C'est pourquoi nous vous appelons à rejeter ce projet de loi comme ceux qui viendront par la suite et à défendre les intérêts de la majorité de la population en matière de logement.
M. Sébastien Desfayes (PDC). Chers collègues, je tiens quand même à apporter une précision aux deux rapporteurs de minorité: il existe un principe constitutionnel en droit suisse, celui de la garantie de la propriété. Il en existe un deuxième, c'est que l'Etat doit favoriser l'accession à la propriété; la propriété n'est donc pas indigne, la propriété n'est pas de la spéculation: la propriété est un droit fondamental de l'individu. Je pense que cela méritait d'être souligné !
Je crois qu'un rapporteur de minorité est quand même conséquent avec son idéologie, c'est le second rapporteur - je ne dirai pas le deuxième mais le second, qui remplace son collègue au pied levé. C'est vrai qu'Ensemble à Gauche s'est déclaré indigne... (Rire.) ...ou s'est exclu de cet accord sur le logement pour des considérations qui lui sont propres mais que nous connaissons tous. Le rêve d'Ensemble à Gauche est en effet de construire 100% de logements sociaux; c'est que la classe moyenne disparaisse du canton et que l'on construise, que l'on bétonne la campagne genevoise de barres d'immeubles.
Une majorité extrêmement large s'est heureusement dégagée, dont la préoccupation principale était de répondre à l'intérêt de l'ensemble de la population et qui a, dans ce contexte, fait des concessions réciproques. La droite et le centre ont donc accepté qu'il y ait un quota de logements sociaux, 33%; la gauche a accepté qu'il y ait aussi des logements réservés à la classe moyenne, que ce soit en locatif, ZDLOC, ou en propriété. Et il existait dans cet accord un point fondamental: c'est qu'il fallait inclure, dans cette zone de développement, un minimum de 20% de logements en pleine propriété. Tel était notre accord.
Il n'a jamais été remis en question; si on lit le Mémorial du Grand Conseil, si on se réfère aux débats parlementaires ayant abouti au vote de la paix des braves, il est évident que dans l'esprit de tout le monde - y compris d'Ensemble à Gauche puisque telle était l'intervention du député Bayenet, que nous regrettons d'ailleurs beaucoup -, par 20% de PPE, il était entendu 20% en pleine propriété. Le projet de loi sur lequel nous allons nous prononcer aujourd'hui clarifie simplement cette évidence et je m'étonne, du fait de la parole donnée, que certains de nos amis de la gauche ne votent pas ce texte. Je ne comprends pas !
Enfin, vu que le second rapporteur de minorité, le vrai, cette fois, est parmi nous - avec un certain retard, mais il est maintenant quand même présent -, je m'étonne qu'il ait mentionné dans son rapport de minorité que la mixité sociale est le cheval de Troie de Genève. Nous avons une nouvelle Cassandre au sein de ce parlement ! En ce qui me concerne, je ne pense pas que la mixité sociale en matière d'aménagement soit un cheval de Troie; c'est au contraire la garantie d'une société apaisée et ouverte, d'une société où les gens se mélangent. Merci.
Une voix. Bravo.
M. André Pfeffer (UDC). L'objectif de ce projet de loi est de clarifier une position liée à un accord sur le logement conclu en 2020. Cet accord fixait, pour la zone de développement, la réalisation d'un tiers de logements sociaux, d'un tiers de logements à loyers contrôlés pendant dix ans et d'un tiers de logements dits «au libre choix du promoteur», dont 20% de PPE en pleine propriété.
Suite à l'interprétation du Conseil d'Etat, le problème actuel est de savoir si les éventuelles PPE en droit de superficie, catégorie de logements très marginale, sont à comptabiliser dans le quota des PPE en pleine propriété. Pour la majorité, la part de 20% est destinée aux PPE en pleine propriété. Les PPE en droit de superficie, extrêmement rares, doivent être comptabilisées dans la part dite «au libre choix du promoteur», qui représente tout de même 13% des logements globaux.
L'interprétation de l'exécutif et surtout les raisons de ce changement sont surprenantes. Notre Conseil d'Etat nous explique, avec une certaine désinvolture, la difficulté de compenser entre deux périmètres - une obligation légale - ou l'éventuelle obligation de vendre pour un propriétaire, alors que les petits propriétaires sont fortement incités à le faire et en plus pour un montant souvent en dessous du prix du marché.
Mais le plus important, c'est qu'il y a beaucoup trop peu de propriétaires à Genève. La construction de PPE est une nécessité. La PPE ne concerne pas uniquement les riches. Une grande part de notre population désire devenir propriétaire et des milliers de Genevois quittent chaque année notre canton, souvent pour acheter un logement ailleurs.
Pour finir, j'aimerais quand même dire qu'à la lecture de l'audition de notre conseiller d'Etat, il est légitime de se demander si celui-ci - et le jeune père de famille qu'il est - pense comme nous et, surtout, ne vit pas dans un autre monde.
Le groupe UDC soutient ce projet de loi. Merci de votre attention.
Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi fait effectivement suite à l'accord accepté par une large majorité des partis de ce Grand Conseil il y a quelques années pour définir ce que nous allons construire à Genève et dans quelles proportions, s'agissant des différentes catégories de logements, et il revient dessus. C'était le projet de loi dit des trois tiers: un tiers de LUP, un tiers de logements locatifs libres et un tiers laissé à la libre appréciation du promoteur. Et puis il y avait des objectifs complémentaires, notamment ce 20% de logements en PPE - sans qualificatif ! Si on ne qualifie pas quel type de PPE doit être inclus dans ce 20%, eh bien ça peut donc être de la PPE en pleine propriété, comme c'est généralement d'usage à Genève, mais ça laisse de fait ouverte la possibilité de faire de la PPE en DDP.
J'entends les arguments des initiants de ce projet de loi, qui disent: oui, mais pour nous, dans notre esprit, la PPE, c'est de la PPE en pleine propriété. Il est possible - et ça nous est déjà arrivé dans ce Grand Conseil - de revenir sur un accord en disant qu'on ne l'a peut-être pas assez bien formulé, que ce n'est peut-être pas assez précis pour exposer ce qu'on cherche à mettre en oeuvre dans la loi. Mais ça nécessite alors d'aller voir les différents partenaires de cet accord, de discuter avec eux et de trouver une nouvelle formulation qui puisse convenir à tout le monde.
Or ce n'est absolument pas ce que fait la droite actuellement: elle essaie de passer en force en déposant un texte toute seule dans son coin, en forçant le pas des travaux en commission par le refus de l'ensemble des auditions que nous avions requises et puis en demandant aujourd'hui un traitement urgent de ce texte. Or je ne vois absolument pas en quoi ce projet de loi est urgent puisqu'il relève en réalité d'une situation tout à fait théorique: il n'y a, à l'heure actuelle, aucun cas concret de périmètre en train de se développer où ces 20% de logements en PPE seraient en réalité des PPE en droit de superficie.
Et puis je ne comprends pas très bien non plus pourquoi la droite de ce parlement est tellement réfractaire au fait d'inclure dans ce quota de 20% de PPE la possibilité de faire de la PPE en DDP. Parce qu'en réalité, les propriétés par étage en droit de superficie sont moins chères à l'acquisition puisqu'elles ne sont pas en pleine propriété; de ce fait, elles sont plus accessibles. S'agissant de partis qui passent leur temps à nous parler d'accès à la propriété, ils devraient au contraire défendre ce mode d'habitat qu'est la PPE en droit de superficie.
Pour terminer, la raison pour laquelle le parti socialiste va s'opposer à ce projet de loi, c'est qu'il comporte un risque. Le risque, c'est que sur un petit périmètre - comme c'est d'ailleurs le cas actuellement dans le projet de développement des Coudriers -, si on n'a pas la possibilité de faire de la PPE en DDP mais uniquement de la PPE en pleine propriété, cette répartition des trois tiers dont 20% de PPE amènerait de facto les collectivités publiques à devoir vendre leur terrain dans les cas où l'Etat ou ces collectivités publiques seraient en possession de la totalité du terrain. Et ça, évidemment, c'est absolument inadmissible pour le parti socialiste, parce que les terrains publics, qu'ils soient détenus par l'Etat ou par les communes, doivent servir les intérêts d'une politique sociale du logement pour être en mesure d'offrir des logements bon marché aux classes moyenne et populaire - et donc du logement locatif contrôlé et non de la PPE vendue en pleine propriété. Voilà les raisons pour lesquelles le parti socialiste refusera ce projet de loi. Je vous remercie.
La présidente. Merci. Je vois des réactions; je vous informe qu'effectivement, juste pour ce débat, les mentions d'Ensemble à Gauche et des socialistes ont été inversées. Monsieur Pagani, en tant que rapporteur de deuxième minorité, est-ce que vous voulez vous exprimer maintenant ou vous préférez attendre la fin du débat ?
M. Rémy Pagani (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Ça dépend du temps qu'il me reste, Madame la présidente.
La présidente. Il vous reste une minute comme rapporteur de minorité et quatre minutes sur le temps de votre groupe; vous avez donc cinq minutes en tout.
M. Rémy Pagani. Alors je prends la parole maintenant, si vous le permettez.
La présidente. Je vous la donne.
M. Rémy Pagani. Merci, Madame la présidente. D'abord, je voudrais m'excuser pour ce retard dû à des problèmes d'intendance. (Rires.) Cela étant... (L'orateur rit.) Il faut bien trouver une explication ! (L'orateur rit. Rires. Commentaires.) Enfin, bref !
Mesdames et Messieurs les députés, pour nous, Ensemble à Gauche, il y a d'abord un point infranchissable: la construction de PPE en pleine propriété sur des terrains durement acquis par la collectivité. Que ce soit au PAV ou dans l'ensemble du canton, il n'est pas question que certains puissent se faire de l'argent, après dix ans de contrôle, sur des terrains de la collectivité; parce que c'est ça, la logique. Pour nous, c'est une limite infranchissable et, historiquement, elle l'a d'ailleurs toujours été - y compris pour les milieux de droite, Mesdames et Messieurs !
La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Rémy Pagani. Nous mettons tellement, tellement de temps à acquérir des terrains, dans un canton exigu, je vous le rappelle, que si nous voulons mener une politique sociale du logement, ou une politique tout court, il n'est pas question pour nous - et il ne devrait pas en être question pour vous, la majorité qui est sortie de cette commission, non plus - de vendre des terrains à des privés qui ne se gêneront pas, d'une manière ou d'une autre, après dix ans, lorsque les contrôles seront levés, pour spéculer et revendre ces appartements; parce que c'est ça, la logique dans laquelle ils nous emmènent.
Deuxième point: la question de l'accès à la propriété. Vous le savez très bien, il faut - allez, soyons généreux - 800 000 francs pour un logement, et je suis dans le bas de gamme; disons un million. Il faut en outre 20% de fonds propres; qui a 20% d'économies aujourd'hui si ce n'est des gens de milieux extrêmement aisés ? Pas la classe moyenne supérieure, mais la classe moyenne riche ! Pas avec le salaire d'une enseignante et d'un médecin, mais avec deux salaires extrêmement bien fournis ! C'est pour ça que nous ne soutiendrons pas cette politique-là.
Le troisième problème, c'est la construction de logements bon marché. Statistiquement, vous savez très bien, et je vous le rappelle, que 90% de la population ne peut pas accéder à la propriété par étage - je viens de le dire; c'est négatif pour nous mais positif pour vous. En conséquence de quoi, il faut que nous construisions des logements pour cette majorité, ce 90% de la population qui statistiquement ne peut et n'arrive pas aujourd'hui... Je suis sur des stands, dans la rue, je discute avec les gens et on me dit: «Ah, la demande qu'on vous fait, à vous qui êtes député, c'est d'avoir un cinq-pièces à moins de 3000 francs.» Vous vous rendez compte dans quelle situation on se trouve ! Des couples, de jeunes couples qui commencent leur vie active et on leur taxe déjà, en plus des assurances sociales, 3000 francs pour un logement, c'est-à-dire plus de 25% de leur revenu ! Alors que selon l'OMS, il faut y consacrer en moyenne 16% de son revenu pour avoir une vie à peu près convenable ! Ce n'est pas possible ! Ces logements bon marché qui correspondent aux besoins de la population - je vous le rappelle: à 90% de la population - doivent donc être des LUP et des locatifs libres, auxquels nous ne voyons pas d'inconvénient.
Sauf que pour les LUP, Mesdames et Messieurs, si vous regardez le rapport du Conseil d'Etat - ce que je vous invite à faire -, on est loin du compte. Les LUP représentent aujourd'hui 0,3% de la production du canton; en 2020, on a construit exactement 0,34% de LUP. C'est d'ailleurs pour ça que nous nous opposons à cette stratégie: les promoteurs se ruent pour construire de la PPE, et puis les LUP on verra bien... Y compris quand c'est obligatoire, Madame la rapporteuse de majorité: même si c'est obligatoire, on les construira après ! Ou on en confiera la construction à des fondations pour qu'elles s'en chargent à notre place et on leur donnera des sucres à cette fin ! C'est possible de le faire, et la majorité de la population n'est donc pas servie ! Elle n'est pas servie; en conséquence de quoi - je m'arrête là pour l'instant -, nous nous opposerons fermement à ce texte, y compris en envisageant le lancement d'un référendum. Je vous remercie de votre attention.
Une voix. C'est bien dit !
M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs, cette précision dans la loi ne change pas du tout le fond. Avec cette modification de répartition, on avait voulu faire un tiers-un tiers-un tiers. Il s'agissait de garantir un tiers de logements sociaux - dont 16,5% de HBM, ce qui n'existait pas avant dans la loi, c'est donc un plus pour le logement social; un tiers central de locatif contrôlé, ce qu'on appelle les ZDLOC et qui n'existait pas avant non plus; et enfin, un tiers au libre choix du promoteur qui réalise ces logements, dont une part au moins de 20% de PPE, mais elle peut être de 33% ! Elle peut être de 33% ! Par conséquent, si c'est 20% de PPE en pleine propriété, il reste 13% de PPE possible en droit de superficie. On ne peut donc pas dire qu'on tue la PPE en droit de superficie, c'est complètement faux ! On garantit simplement que la part minimum de 20% de PPE qui a été acceptée soit en pleine propriété. C'est tout ! Sur le reste, on n'a rien changé. On a fait un progrès, parce que, on le voit dans les dernières statistiques, au cours des dix dernières années, quasiment aucun logement pour la classe moyenne n'a été construit ! Rien ! Quasiment rien ! On a construit soit des PPE, soit des logements sociaux. Je pense que cette répartition un tiers-un tiers-un tiers était une bonne chose, et il faut un certain temps pour que cela se mette véritablement en route - en ce sens, les statistiques que vous avez citées, Monsieur Pagani, sont un peu dépassées, vous transmettrez, Madame la présidente. Par ailleurs, effectivement, cela va aussi booster la construction de logements sociaux.
Ensuite, affirmer que si la collectivité détient l'entier du périmètre en question, elle devra vendre des terrains... Pas du tout ! Pas du tout ! Il est précisé que cette répartition s'applique «en principe» à une parcelle, à un PLQ ou à une région. Si on ne peut pas le faire sur le périmètre concerné... Parce qu'on est obligé de maintenir une certaine souplesse: si vous avez une petite parcelle de 3000 mètres carrés et que vous construisez un seul immeuble, est-ce que vous pensez que vous allez attribuer le rez-de-chaussée à des HBM, le milieu à des ZDLOC et le haut à des PPE ? Bien sûr que non ! Ce qui ne pourra pas être réalisé à cet endroit sera donc réalisé à côté ou dans la région; le «en principe» figure dans la loi. L'essentiel, c'est que le principe de base soit respecté et que l'on compense; si on ne peut pas réaliser de PPE parce que la collectivité détient le 100% des terrains - on nous a cité un exemple -, eh bien il n'y aura pas de PPE sur cette parcelle ! Mais ce sera compensé à côté ! Ou dans la région ! Même le conseiller d'Etat opine du chef ! Donc arrêtez de penser que cette mini-modification de la loi va bouleverser cet accord qui a été trouvé ! Cela ne changera rien au fond de l'affaire ni au fait qu'il faut procéder à cette répartition: des logements sociaux, des ZDLOC pour la classe moyenne et aussi des PPE. C'est pour cela que nous vous invitons à voter ce projet de loi ce soir. Merci.
La présidente. Merci, Monsieur le député. Monsieur Patrick Dimier, vous avez la parole pour vingt-sept secondes.
M. Patrick Dimier (MCG). J'ai rarement besoin de beaucoup plus ! C'est juste pour revenir sur ce qui nous a été dit tout à l'heure. Il semblerait que ce projet soit de la poudre aux yeux. J'invite mon préopinant qui a tenu ces propos à aller du côté de Romont, il aura des résultats stupéfiants ! (Rires.) Quant au fait de tenir parole, j'aimerais rappeler ici la pensée de Voltaire, qui a dit que la politique est le moyen pour des hommes sans principes de diriger des hommes sans mémoire ! (Rire.)
M. David Martin (Ve). En préambule, je reviendrai sur les propos de certains de mes préopinants, qui nous ont rappelé que la propriété est garantie dans la Constitution. Sous-entendu: la position de la gauche la remet en question - ce qui n'est pas du tout le cas ! Mais j'ajouterai aussi, puisqu'on se réfère à la Constitution fédérale, que ce même texte contient d'autres articles, notamment les articles 41 et 108, qui parlent d'acquisition de terrains en vue de la construction de logements qui permet d'abaisser le coût du logement, ou d'autres notions comme celle d'encouragement aux activités d'organisations oeuvrant à la construction de logements d'utilité publique. La Constitution fédérale parle donc du logement sous toutes ses facettes, et je pense qu'il est important de le rappeler.
Ensuite, les Verts se sont effectivement opposés à ce projet de loi pour exactement les mêmes raisons que celles qui ont été extrêmement bien décrites par M. Sormanni, que je félicite pour son excellente compréhension - à mon sens; en tout cas, je la partage - de cet accord de la «paix des braves». Par contre, le MCG a voté ce projet de loi parce qu'il n'aura pas d'effet, or nous nous y opposons parce qu'il n'aura pas d'effet ! (Commentaires.) Nous sommes donc dans l'épaisseur du trait. Pourquoi n'aura-t-il pas d'effet ? Parce que, dans les PLQ où le foncier est détenu très largement par des privés, ce n'est absolument pas un problème de construire 20% de PPE en pleine propriété; cela va donc se faire. Et effectivement, dans les quelques cas où il s'agit de propriétés publiques, il ne sera pas du tout nécessaire de vendre les terrains pour réaliser ce 20%, dans la mesure où ils seront compensés à l'échelle du périmètre. C'est donc un débat complètement inutile.
Par contre, la raison pour laquelle nous nous opposons fermement à ce projet de loi, c'est qu'il révèle une attitude de méfiance vis-à-vis du Conseil d'Etat qui n'est pas du tout conforme à l'esprit qui régnait à l'époque où nous avons signé cet accord du 4A, qui justement avait été qualifié d'«accord de paix». Nous critiquons donc fortement cette attitude de méfiance.
Par ailleurs, cela a été dit par la députée Marti, nous ne comprenons pas pourquoi la majorité de droite part en guerre contre la PPE en droit de superficie. C'est absolument incompréhensible. Il existe de nombreuses régions dans le monde - Londres, Singapour, ou même certaines communes vaudoises proches d'ici, comme Saint-Cergue - où le droit de superficie est pratiqué sans aucun problème, sur des décennies, avec des parcelles qui sont sous ce régime depuis des siècles et qui ne font l'objet d'aucune remise en question. Qu'est-ce que cela permet ? Cela permet justement la stabilité des prix sur le long terme, qui est aussi un objectif de la Constitution fédérale. Nous ne comprenons donc pas cette attitude de méfiance et de critique de la PPE en droit de superficie, qui est un excellent modèle. De notre point de vue, la droite se tire une balle dans le pied, parce que la seule conséquence de cette modification, cela va être, d'une certaine manière, de ne pas inciter les acteurs qui le voudraient à réaliser de la PPE en droit de superficie; cela va produire, à terme, à l'échelle du canton, moins de PPE accessibles à la classe moyenne.
En synthèse, c'est absolument incompréhensible et nous regrettons vivement que l'accord sur le logement avec cet article 4A ne puisse pas demeurer en l'état dans un climat de confiance mutuelle. Merci de votre attention.
Une voix. Bravo !
M. Cyril Aellen (PLR). J'aimerais répondre très brièvement à certains points, tout en soulignant d'abord qu'effectivement, la meilleure explication qu'on ait entendue aujourd'hui est celle de M. Sormanni, qui a présenté les choses de façon extrêmement objective, et je souhaitais l'en remercier - vous transmettrez.
Quant à la rapportrice de première minorité, dire qu'on n'a pas fait les auditions... Si ! On n'a fait que ça, puisqu'il s'agissait d'un accord entre les partis et qu'à mon souvenir, à la commission du logement, tous les partis étaient représentés.
Est-ce que c'est la remise en question d'un accord ? La réponse est non. En réalité, à mon sens, ce projet de loi résulte d'une inadvertance - j'ai pesé mes mots: «inadvertance» - du département dans une note en lien avec le traitement d'un autre projet de loi, qui à mon avis résulte elle-même d'une confusion avec une discussion où effectivement la question de la PPE en pleine propriété et de la PPE en droit de superficie était évoquée; mais cette discussion a eu lieu dans le cadre des négociations autour du PAV. Là, il y a une confusion. Je vous fais d'ailleurs une confidence: après avoir voté ce projet de loi en commission, j'ai été approché par un membre du comité de l'ASLOCA que vous connaissez bien, qui m'a dit: «Effectivement, Cyril, tu as raison: cette discussion sur la PPE en droit de superficie versus en pleine propriété n'a pas eu lieu dans le cadre de cet accord, mais dans le cadre des négociations autour du PAV.»
Deuxièmement, j'ai été un peu choqué par les propos de M. Pfeffer - même si, sur le fond, je suis d'accord avec lui - par rapport au magistrat. Alors je tente une deuxième fois de dire plutôt du bien du magistrat - la dernière fois, ça m'a valu des foudres, j'espère que ce ne sera pas le cas cette fois -, parce que je trouve que lorsqu'il a été entendu, il nous a parlé avec nuance; il a expliqué que, à son sens également, il s'agissait de PPE en pleine propriété, que cela avait été discuté ainsi - d'ailleurs, cela ressort du Mémorial. C'est donc de cela qu'il s'agit quand on parle aujourd'hui de la parole qui a été donnée, et je trouvais important de le dire.
Je répondrai à M. Martin - vous transmettrez, Madame la présidente - que le PLR, et la partie de la droite qu'il représente, n'a rien contre la PPE en droit de superficie. Ces deux formes de propriété ne sont juste pas de la même nature ! Et Madame Marti - vous transmettrez également -, oui, la PPE en droit de superficie, c'est beaucoup moins cher, parce que cela a beaucoup moins de valeur ! En fait, il y a une différence fondamentale - mais on peut ne pas être d'accord: la PPE en droit de superficie a une vocation de maintien des prix, alors que la PPE a aussi une vertu patrimoniale ! Et c'est toute la différence. C'est pour cela que le PLR, qui défend la propriété aussi dans son aspect patrimonial, souhaite qu'on puisse, dans certains cas, constituer de la PPE en pleine propriété, qui présente cette caractéristique, contrairement à la PPE en droit de superficie. Mais ce n'est pas pour cela que la PPE en droit de superficie n'est pas bien !
Enfin, un dernier mot à l'attention de M. Pagani. Je n'ai rien compris: 0,34% de LUP... Je ne vous ai pas suivi, il faut que vous me réexpliquiez ! Ensuite, vous dites qu'il faut beaucoup de fonds propres pour acheter de la PPE. Vous avez raison. Je répète: vous avez raison. Vous vous plaignez des mensualités élevées en location. Vous avez raison aussi. Mais le meilleur moyen d'avoir des petites mensualités, c'est effectivement d'être propriétaire d'une PPE. Merci.
La présidente. Merci, Monsieur le député. Je donne la parole au rapporteur de seconde minorité pour trente secondes. Monsieur Pagani, c'est à vous.
M. Rémy Pagani (EAG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Madame la présidente. J'aimerais revenir sur l'article de la Constitution qui est cité. Il est faux de dire que la propriété est un droit. La propriété est garantie. C'est une autre manière de dire que ce n'est pas un acquis; c'est une garantie dès le moment où on est propriétaire. C'est une nuance juridique. Cela étant dit, je réponds...
La présidente. Il vous faut conclure.
M. Rémy Pagani. ...à M. Sormanni: j'évoquais un rapport de 2020, ce n'est pas vieux ! Je rappelle que 0,34%, c'est le nombre de constructions LUP qui ont été réalisées en 2020.
La présidente. C'est terminé, Monsieur le député, je vous remercie. Je donne donc la parole à...
M. Rémy Pagani. Oui, Madame la présidente, mais j'aimerais aussi connaître l'ordre dans lequel... (Le micro de l'orateur est coupé. L'orateur continue de s'exprimer hors micro.)
La présidente. Bien sûr, je peux vous donner l'ordre: c'est celui des rapporteurs. Maintenant, c'est donc la rapporteure de première minorité, Mme Badia Luthi, qui a la parole.
Mme Badia Luthi (S), rapporteuse de première minorité. Merci, Madame la présidente. Nous tenons juste à rappeler que le logement est un droit fondamental et qu'il constitue la première condition pour qu'une personne puisse vivre dignement. C'est pour cela que nous ne comprenons pas pourquoi on veut aujourd'hui réduire les droits de la plus grande part de la population...
Des voix. On réduit rien ! (Commentaires.)
Une voix. Mais laissez-la parler !
Mme Badia Luthi. ...qui ne cherche qu'à s'abriter, au profit des intérêts d'une minorité qui ne cherche qu'à faire des bénéfices. Les alliés des partis bourgeois sont en train d'étendre leurs attaques sur le terrain du logement. Merci.
La présidente. Merci, Madame la rapporteure de première minorité. Je donne la parole à Mme la rapporteure de majorité, Diane Barbier-Mueller, pour une minute cinquante.
Mme Diane Barbier-Mueller (PLR), rapporteuse de majorité. Merci, Madame la présidente de séance. Je ne vais pas revenir sur les nombreuses incohérences des deux rapporteurs de minorité. Seulement, parler d'une attaque contre les locataires... Je ne vois pas vraiment le rapport avec le fait qu'on veuille faire en sorte que certaines personnes deviennent propriétaires ! Au contraire, celles-ci pourraient même libérer des logements. Mais bref, par rapport au refus d'auditions mentionné, j'invite les socialistes qui en ont parlé ainsi que M. Martin à se référer au rapport sur le PL 12093 du 27 août 2019: toutes les auditions qui traitent du sujet avaient été menées dans le cadre de l'accord sur le logement.
Ensuite, j'aimerais juste relever une ironie: parler de stabilité des prix, de prix abordables et de Londres... Je pense que M. Martin n'a pas tout à fait étudié le marché de l'autre côté de... (Remarque.) Et de Singapour, oui ! Et enfin, j'aimerais préciser un peu les arguments de M. Pagani: aujourd'hui, dans le canton, 11% du parc immobilier est en LUP, sachant que LUP est une appellation: cela ne regroupe pas tous les logements à prix abordables et sociaux, et cette appellation exclut parfois certains logements communaux - dont les prix sont contrôlés et qui ont des objectifs de taux d'occupation et de taux d'effort - ainsi que certains logements HLM. C'est donc une ineptie d'en parler. Merci, Madame la présidente de séance.
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi est au fond le fruit d'une jolie histoire de politique genevoise. La commission d'aménagement a débattu d'une modification de zone - d'ailleurs à l'ordre du jour de votre Grand Conseil aujourd'hui - dont fait l'objet un petit périmètre, sur lequel, puisqu'il est à 100% en main publique, on ne peut pas construire de la PPE. Or comme le Conseil d'Etat a promis ce périmètre depuis longtemps à l'Hospice général, la planification prévoyait 100% de logements d'utilité publique. Mais voilà, c'était après l'accord sur le logement, la «paix des braves», et, dans cette commission, la plupart des gens ont estimé qu'il serait opportun que, quoique cette parcelle soit en main de l'Hospice général - un bailleur social - et donc à 100% publique, nous arrivions ensemble à créer l'esprit de l'accord sur le logement des trois tiers, c'est-à-dire un tiers de LUP, un tiers de locatif, un tiers de PPE. Cette demande a été formulée, à vrai dire, permettez-moi de le révéler, par Le Centre et le PLR, soucieux d'assurer cette mixité et cet équilibre. Quoi de plus légitime que de faire vivre cet esprit, y compris sur des parcelles publiques ? Ce n'était pas évident, puisque l'Hospice général avait prévu de construire - il s'agit de cent logements, c'est un tout petit projet - des logements d'utilité publique.
Mon collègue Apothéloz et moi-même sommes allés discuter avec l'Hospice général, qui nous a convaincus de faire du locatif. Nous nous retrouvions donc avec deux catégories: du LUP et du locatif. Mais la droite nous a dit: «Ce serait quand même bien qu'il y ait un peu de PPE !» Nous sommes donc retournés vers l'Hospice général pour leur demander s'ils ne pouvaient pas envisager de réaliser également de la PPE. Ce à quoi ils ont répondu qu'étant donné qu'il s'agissait d'une parcelle publique, cela impliquait forcément que la PPE soit en DDP. Nous avons dit: «Ecoutez, s'il vous plaît, c'est ce que nous demande la droite !» Bon, eh bien, nous l'avons fait, et l'Hospice général, pour la première fois de son histoire, s'apprête à réaliser de la PPE sur ses terrains. Et patatras ! De quoi nous accuse-t-on ? De rompre l'accord du logement et son esprit ! S'ensuit le dépôt d'un projet de loi, toutes affaires cessantes, avec quand même, lors de la précédente session, je vous le rappelle, une demande de traitement en urgence sans passage en commission. Et tout cela pourquoi ? Parce que nous avons tenté de répondre à une demande que je continue à estimer légitime de la part de la droite.
Si l'on remonte aux autres cas de PPE en DDP dans le canton, on constate qu'ils se comptent sur les doigts d'une main - et même moins: j'ai trois cas en tête. Le deuxième cas est celui des Grands-Esserts. L'excellent magistrat PLR Thomas Barth me dit: «Ah, c'est une parcelle de la CPEG ! Antonio, est-ce que tu ne pourrais pas nous aider à avoir un peu de PPE ?» Je réponds que oui, bien sûr, mais que cela doit être de la PPE en droit de superficie. C'était donc la CPEG, ça n'a pas été facile à négocier. A la demande d'un magistrat PLR, on a quand même réussi à introduire à Veyrier un peu de PPE en DDP. Quel est le dernier cas ? C'est celui d'un projet porté à l'époque par mon prédécesseur, M. François Longchamp, qui, constatant à Pont-Rouge la construction de cent logements LUP, a dit que cela n'allait pas et qu'il fallait qu'on en dédie une moitié à de la PPE en pleine propriété et l'autre moitié à de la PPE en DDP. La PPE en pleine propriété exigeait un projet de loi d'aliénation - qui a été refusé par ce parlement !
Ce sont les trois cas de PPE en DDP. Par conséquent, si sur le fond - et j'y viens -, politiquement, on peut vivre avec ce projet de loi, selon l'application qu'on lui donne, je dois dire que le procès d'intention qui le sous-tend est quand même problématique. Et surtout, finalement, comme cela a été dit, hors PAV, le foncier étant essentiellement privé, ce projet de loi touchera surtout les propriétaires privés, parce que les cas de parcelles publiques, ce sont ceux que j'ai mentionnés. L'accord de l'article 4A LGZD, cela a été relevé, qui contient cette notion de «en principe», nous permet a priori de ne faire que du locatif. C'est peut-être le remords que l'on peut avoir en lien avec le cas de la modification de zone des Coudriers: pourquoi a-t-on parlé de PPE en DDP ? En effet, sans cela, le présent projet de loi n'aurait pas été déposé.
Je souhaite donc vraiment qu'on revienne ensemble à l'esprit qui a présidé à l'accord sur le logement, qui est celui de la mixité sociale, comme cela a été rappelé par le député Desfayes. A ce titre, malgré la situation foncière, on doit utiliser les outils pour chercher cet équilibre qui est celui des trois tiers. La loi prévoit 20% de PPE, mais c'est un taux défensif à mes yeux. Mon but, c'est un tiers, donc 33%, et si je comprends bien les auteurs de ce projet de loi, la PPE en DDP sera possible, mais elle doit s'inscrire dans le solde de ce tiers de PPE, c'est-à-dire que son taux serait de 13%. Il y aurait 20% de PPE en pleine propriété et jusqu'à 13% de PPE en DDP. C'est ainsi que l'on peut lire ce projet de loi, en tout cas j'espère que chacun le comprend de cette façon, car il n'y a que comme ça qu'on pourra l'appliquer, d'un point de vue très concret. Finalement, on peut se demander si on allait vraiment réaliser 13% des logements du canton en PPE en DDP, alors que j'ai cité trois opérations, c'est-à-dire moins de 1% des logements construits !
Ce projet de loi consiste donc à poser un panneau d'interdiction de circuler à plus de 120 km/h sur une piste cyclable. Si vous voulez, vous pouvez ! Pourquoi pas ? Ça ne sert à rien ! Soyons clairs ! Parce qu'en réalité, il n'y a aucune intention et aucune possibilité pour l'Etat de mener une politique foncière d'acquisition de parcelles privées pour ensuite en faire de la PPE en DDP ! C'est quelque chose qui n'existe ni dans la loi ni d'ailleurs dans la tête d'aucun des sept conseillers d'Etat.
Par conséquent, si ce projet de loi est nécessaire pour rassurer les gens, eh bien soit ! Ce n'est pas la position du Conseil d'Etat, qui vous invite à refuser cet objet et qui, par ma voix, précise un élément de nature juridique important: sur les parcelles publiques, l'article 4A permet de trouver des arrangements tels qu'on les a connus - et, en réalité, hors PAV, ce sont des cas assez exceptionnels, je pense donc qu'il n'y aura pas de problème et pas d'obligation de projet de loi d'aliénation de parcelles publiques -, mais cette obligation de 20% de PPE en pleine propriété peut être une obligation d'aliénation pour des propriétaires privés, pour des propriétaires familiaux, pour des promoteurs, qui peut-être, à un moment donné, en fonction du marché, ne souhaitent pas vendre leur terrain, et qui, en raison de cette loi, se retrouveraient dans l'obligation de vendre. Or cette obligation-là constitue, selon l'analyse juridique du Conseil d'Etat, une atteinte à la garantie de la propriété et à la liberté économique, qui sont deux principes constitutionnels forts de notre pays.
Ainsi, Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat vous recommande de refuser ce projet de loi. Si vous l'acceptez, j'insiste sur cette analyse juridique - parce que ce n'est pas la première fois qu'une loi du Grand Conseil serait annulée: à notre sens, ce projet de loi est une atteinte trop forte à la garantie de propriété, parce qu'il va en définitive essentiellement contraindre des propriétaires privés à vendre leur propriété par lots, or ce n'est peut-être pas leur choix, ils ont la liberté économique de le faire ou non. En l'occurrence, il y aurait cette contrainte, qui serait évidemment appliquée par le Conseil d'Etat si votre souhait est d'inscrire cette disposition dans la loi.
Je regrette donc cette mésaventure; à la limite, on aurait pu en discuter sur le fond, mais dans des conditions de négociations dignes de celles qui ont présidé à l'accord sur le logement. Quoi qu'il en soit, sur le plan politique, je vous le dis, pour moi ce projet de loi ne mange pas de pain, comme on dit trivialement. Je le répète, c'est un panneau d'interdiction de circuler à plus de 120 km/h sur une piste cyclable. Cela crée de la densité législative, ce qui fera dire à certains que Genève est un enfer législatif. Mais pour le reste, cela n'a pas d'impact, ni sur l'article 4A LGZD ni sur la politique du logement. Reste ouverte la question juridique, qu'on laissera aux juges le soin de trancher le cas échéant. Merci de votre écoute.
La présidente. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote.
Mis aux voix, le projet de loi 13095 est adopté en premier débat par 53 oui contre 37 non et 1 abstention.
Le projet de loi 13095 est adopté article par article en deuxième débat.
Mise aux voix, la loi 13095 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 54 oui contre 39 non (vote nominal).
Premier débat
La présidente. A présent, Mesdames et Messieurs, nous abordons notre dernière urgence: le PL 12720-A, qui est classé en catégorie II, quarante minutes. Le rapport est de M. Sébastien Desfayes, à qui je cède la parole.
M. Sébastien Desfayes (PDC), rapporteur. Merci, Madame la présidente de séance. Mesdames et Messieurs les députés, le PL 12720 a été déposé en parallèle à deux autres textes, l'un de M. Patrick Dimier, l'autre de M. Pierre Bayenet, respectivement les PL 12715 et PL 12746. Ces trois projets de lois faisaient suite à plusieurs affaires retentissantes que nous connaissons tous et toutes, des dossiers politico-médiatiques qui ont secoué la république. En substance, ils visaient le même but, c'est-à-dire créer l'institution de procureurs extraordinaires.
Le projet du député Bayenet prévoyait que le procureur général puisse spontanément se désister au profit d'un procureur extraordinaire et que, dans certaines circonstances, la chambre pénale de recours nomme un tel procureur. Celui du député Dimier était beaucoup plus radical, si tant est que l'adjectif soit approprié, dès lors qu'il proposait l'instauration de procureurs extraordinaires quand des personnalités politiques sont mises en cause dans des procédures pénales. Enfin, le PL 12720 du député André Pfeffer stipulait qu'en cas de plainte pénale contre un magistrat du Ministère public, un procureur extraordinaire soit automatiquement désigné.
Ces trois objets ont été examinés au cours de très nombreuses séances - onze, sauf erreur - par la commission judiciaire et de la police dans une ambiance toujours excellente, quoique légèrement tendue à certains moments. Les débats ont été extrêmement riches, la commission a pu compter sur l'appui du directeur du département de droit pénal de l'Université de Genève, le professeur Sträuli.
Le texte qui vous est soumis aujourd'hui a pour origine le projet de loi du député Pfeffer, mais celui-ci a été fondamentalement retravaillé par la commission qui, pour établir ou tenter d'établir un consensus, a formé un groupe de travail. Sa «ratio legis», c'est de dire que la justice doit non seulement être impartiale, mais également donner l'image de l'impartialité. D'ailleurs, cette «ratio legis» constitue une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, il ne suffit pas à un procureur d'être impartial, il doit vraiment, par ses actes, par son image, montrer qu'il l'est.
Force est de constater que la loi sur l'organisation judiciaire présente une lacune en ce sens qu'un procureur pourrait aujourd'hui instruire une affaire où l'un de ses collègues est directement impliqué. Aux yeux du justiciable genevois, il est clair qu'une telle situation n'est pas acceptable, et ce n'est donc pas par hasard que de nombreux cantons utilisent le système des procureurs extraordinaires.
Le but de ce projet de loi - je reviendrai après sur les arbitrages opérés par la commission judiciaire -, c'est que chaque fois qu'un magistrat du Ministère public est entendu comme partie, c'est-à-dire en tant que prévenu ou plaignant, dans le cadre d'une procédure pénale, un procureur soit désigné. Voilà le premier cas de figure. La seconde situation consiste en une désignation potestative du Ministère public qui, dans le cadre de circonstances extraordinaires, peut demander la nomination d'un procureur tout aussi extraordinaire.
A quels arbitrages la commission judiciaire a-t-elle dû procéder ? Le premier et le plus important concerne le champ d'application. Fallait-il, comme le souhaitaient certains, étendre l'institution des procureurs extraordinaires au monde politique ? Eh bien à l'exception d'un parti, je crois, l'avis a été extrêmement clair: nous n'avons pas envie de créer une justice de classe à Genève. Voilà, nous ne voulons pas d'une justice différente selon que l'on est un homme politique ou un citoyen lambda. Cela a été parfaitement clair, une majorité forte s'est dégagée par rapport à ce principe.
Le deuxième point essentiel a trait à l'autorité de désignation. Nous avons hésité, penchant d'abord pour le Grand Conseil qui pourrait nommer un procureur extraordinaire au cas par cas, mais cette configuration n'est évidemment pas opportune au regard de la séparation des pouvoirs. Alors revenait-il au Ministère public de désigner lui-même ces procureurs extraordinaires ? Non. Il y aurait eu un problème de prévention évident. La conclusion la plus simple était que cette mission soit confiée au Conseil supérieur de la magistrature.
Enfin, la question était de déterminer qui officierait à cette fonction. D'anciens procureurs du canton de Genève ? Non, cette solution n'aurait pas été satisfaisante, parce qu'il s'agit d'un métier extrêmement complexe qui évolue rapidement, et il faut être au fait de ce qui se passe en ce moment même au sein de la profession. Nous avons ainsi considéré qu'il fallait des personnes extérieures à Genève qui exercent en tant que procureurs, soit dans d'autres cantons, soit au Ministère public de la Confédération.
Mesdames et Messieurs, il s'agit ici d'un projet de loi très équilibré, qui n'a certes pas recueilli de consensus, mais une très large majorité tout de même, qui répond à un problème concret à Genève et que je vous recommande ou, en tant que de besoin, vous enjoins de soutenir. Merci. (Applaudissements.)
Présidence de M. Jean-Luc Forni, président
M. Youniss Mussa (S). Chères et chers collègues, à la suite de certaines affaires politico-judiciaires, la commission judiciaire et de la police a été saisie de pas moins de trois projets de lois visant la désignation de procureurs extraordinaires afin de garantir une impartialité du Ministère public ainsi qu'une égalité de traitement entre justiciables.
Le point qui a été longuement discuté au sein de la commission concerne le champ d'application de la nouvelle loi. Il est évident qu'il y a actuellement une lacune en cas d'empêchement objectif des magistrats du Ministère public, c'est-à-dire lorsqu'un procureur est partie à une procédure pénale. Concrètement, comment un justiciable peut-il considérer que le Ministère public est impartial alors qu'une partie à la procédure est son collègue ? Ainsi que mentionné dans l'excellent rapport du député Sébastien Desfayes, qui vient de nous le rappeler lui-même, la justice ne doit pas seulement être impartiale, mais également avoir l'apparence de l'impartialité. Le simple fait qu'on puisse douter de l'objectivité du Ministère public, même sans fondement, pose un problème pour le fonctionnement et l'irréprochabilité de la justice dans notre canton. Rien que le fait que des collègues qui se côtoient soient susceptibles d'enquêter les uns sur les autres justifie l'instauration du mécanisme des procureurs extraordinaires.
J'ai entendu dire, durant nos travaux de commission, que la désignation de procureurs extraordinaires créerait une catégorie particulière de justiciables constituée de procureurs; c'est tout simplement faux. Cette nouveauté dans l'organisation du Pouvoir judiciaire permettra précisément à tous les justiciables, y compris aux procureurs, de voir leur affaire instruite par un procureur totalement impartial, qui s'avère ne pas être leur collègue. Imaginez un procureur accusé de violence domestique; un magistrat du Ministère public pourrait se retrouver à plaider contre l'un de ses propres collègues ! Une telle procédure ne pourrait pas être conduite sans conflit d'intérêts. Le projet de loi qui vous est soumis ici sert à régler ce problème.
Ce potentiel conflit d'intérêts évident explique pourquoi seuls les magistrats du Ministère public sont inclus dans le dispositif. Un procureur expérimenté exerçant dans un autre canton sera désigné par le Conseil supérieur de la magistrature, qui lui attribuera la procédure. Cela permettra de garantir le droit à un procès équitable et à une instruction sans conflit d'intérêts. Inclure d'autres fonctions, telles que celles de députés ou de conseillers d'Etat, conduirait à réserver à ceux-ci un traitement particulier qui n'est pas justifié. Le pouvoir intrinsèque à une fonction politique ne peut pas légitimer un traitement spécifique dans le cadre d'une instruction pénale; cela serait perçu comme un privilège basé sur la fonction, et non comme un réel besoin induit par un conflit d'intérêts. A l'heure où les politiques sont souvent décriés et dans une société qui souhaite l'abolissement de tout privilège des élus, le peuple ne comprendrait pas qu'on les inclue dans le texte. Dans ce cas, je le répète, il s'agirait d'un avantage, et non d'une correction empêchant un conflit d'intérêts.
Mesdames et Messieurs, ce projet de loi est proportionné, son champ d'application répond à un souci à la fois d'égalité de traitement et d'instructions impartiales. Dès lors, le parti socialiste le soutient. Je vous invite à rejoindre la majorité écrasante de la commission judiciaire, qui a longuement travaillé sur la thématique et fini par accepter le présent texte, car il comble une lacune inquiétante. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. André Pfeffer (UDC). Comme l'a relevé le rapporteur, des incidents se sont produits qui ont soulevé certaines questions. Mais l'objectif de ce projet de loi est uniquement d'éviter tout risque de conflit d'intérêts. Aujourd'hui, si un procureur fait l'objet d'une plainte pour une quelconque infraction, l'instruction doit être menée par l'un de ses collègues et, surtout, le classement du dossier ou la défense de l'acte d'accusation devant les tribunaux incombe au Ministère public, là où il travaille. Il est évident qu'une personne ne peut pas être à la fois juge et partie.
Afin de corriger cette situation, les démarches principales suivantes sont proposées. D'une part, si un procureur genevois doit être entendu en tant que plaignant ou prévenu dans le cadre d'une procédure pénale, le président du Conseil supérieur de la magistrature désigne un procureur extraordinaire. D'autre part, les procureurs extraordinaires sont des titulaires au sein du Ministère public d'un autre canton ou de la Confédération. Enfin, ils sont élus par le Grand Conseil.
Ce mode de procéder renforce notre justice de même que son indépendance. Lors de circonstances exceptionnelles, le Pouvoir judiciaire lui-même peut nommer un procureur extraordinaire afin d'éviter tout conflit d'intérêts. Le procureur extraordinaire n'intervient et n'est rémunéré que pour l'exécution d'un mandat. Dans ce cas, il n'est évidemment pas nécessaire de solliciter un procureur genevois pour cette tâche.
En tant que premier signataire, je remercie M. Desfayes pour son excellent rapport ainsi que la commission judiciaire et de la police, laquelle nous présente ici un texte équilibré, de nature à consolider le Pouvoir judiciaire, qui évite tout type d'ingérence et surtout qui a trouvé un large consensus alors qu'il s'agit d'un sujet tout sauf anodin. Le groupe UDC soutient ce projet de loi. Merci de votre attention.
Une voix. Bravo !
Mme Dilara Bayrak (Ve). Il s'agit ici, je le redis encore une fois, de la désignation d'un procureur extraordinaire quand un magistrat du Ministère public est une partie plaignante ou fait l'objet d'une plainte pénale pour un crime ou un délit. C'est une solution simple qui est proposée par la commission judiciaire et de la police pour un problème qui soulève des questions bien plus complexes. Face au constat que l'indépendance et l'impartialité des magistrats ne peuvent être garanties lorsque des procureurs doivent instruire des affaires concernant leurs collègues, la commission a discuté en long, en large et en travers pour trouver une manière de concrétiser l'instauration de procureurs extraordinaires au sein du canton de Genève.
Pour y parvenir, nous avons auditionné de nombreuses personnes: l'Ordre des avocats, le Ministère public lui-même à plusieurs reprises ainsi que les professeurs Sträuli et Malinverni, que nous remercions et dont les propos ont été relatés dans le rapport du député Desfayes. Nous avons discuté du nombre de procureurs extraordinaires à nommer, hésitant quant à la fourchette à fixer, oscillant entre trois et cinq, ou encore quatre; c'est cette deuxième solution qui a été retenue. Nous avons débattu du seuil de gravité des infractions ouvrant la voie à l'appel de procureurs extraordinaires pour finir à une formulation large qui comprend les crimes et les délits, en excluant bien sûr les contraventions.
Nous nous sommes également demandé si le dispositif devait concerner exclusivement des crimes ou délits perpétrés dans le cadre des fonctions, et comme l'a indiqué mon collègue Youniss Mussa, il s'agit au final de toutes les procédures qui ont trait aux procureurs. C'est mieux ainsi, étant donné que le problème de voir instruire sa procédure par un collègue avec qui on partage les bureaux ou qui travaille dans le même bâtiment persiste peu importe la nature de l'infraction, qu'elle soit d'ordre privé ou commise dans le cadre des fonctions.
Ensuite, nous avons cherché à définir à quel stade un procureur extraordinaire devait être nommé: au moment où la plainte est déposée ou un peu plus tard ? En tenant compte des éléments apportés par le Ministère public, notamment le fait que les magistrats du Pouvoir judiciaire sont souvent cibles de plaintes, même si c'est généralement à tort, et pour éviter de devoir désigner un procureur extraordinaire à peu près chaque dimanche ou chaque semaine, nous sommes convenus que ce serait uniquement au stade où le procureur doit être entendu que cette nomination aurait lieu.
Une dernière question a été soulevée, c'était de savoir qui allait «bénéficier», entre guillemets, de ce système. On a parlé de l'application aux procureurs, il y a eu un consensus, mais il fallait déterminer si le dispositif devait s'étendre aux députés, voire aux conseillers d'Etat. Autant le groupe Vert a refusé d'emblée une telle option pour les députés, puisque nous avons des moyens comme tout justiciable de faire recours si nous ne sommes pas satisfaits de la façon dont nous avons été traités dans le cadre d'une procédure, autant la question de savoir si les conseillers d'Etat devaient disposer de procureurs extraordinaires était légitime. Somme toute, le groupe Vert est arrivé à la conclusion que les procédures concernant des conseillers d'Etat doivent être instruites par des procureurs de Genève, car il faut une connaissance spécifique des questions politiques et des personnes qui constituent le milieu politique genevois. Merci.
M. Patrick Dimier (MCG). Le groupe MCG est plutôt content et satisfait d'avoir initié l'ensemble de ces projets de lois. Si nous ne l'avions pas fait, le monde politique serait sans doute resté silencieux. Et pourtant ! L'une des problématiques que les partis peinent à soulever dans ce genre d'affaires, c'est l'extrême politisation des juges. Ceux-ci, faut-il le rappeler, sont désignés par les partis politiques, leurs liens d'intérêts sont évidents. Les dossiers qui nous ont occupés me rappellent la pensée de Guitry, qui disait: «Gardez-moi de mes ennemis. Quant à mes amis, je m'en charge.» Parce que ça vient de la même cantine...
Une voix. C'est l'inverse.
M. Patrick Dimier. Alors c'est l'inverse, mais ça revient au même ! Ça revient au même: il faut se méfier de tout le monde, surtout en politique. Les liens sont à ce point incestueux qu'ils présentent de réels dangers.
L'idée de soumettre a minima les conseillers d'Etat à des procédures extraordinaires, voyez que même les Verts y ont réfléchi, même les Verts étaient sur le ballant; la politisation extrême du Pouvoir judiciaire leur avait peut-être échappé ou ils ne l'avaient pas analysée comme nous l'avons fait.
Mais la politique suisse en général et genevoise en particulier fonctionne à petits pas. Nous avons tenté d'embrasser l'ensemble du sujet en une fois et il s'avère que nous avons fait preuve d'un trop gros appétit. Cela étant, nous n'excluons pas de revenir à la charge sur cette thématique.
Ce qui nous semble surtout très important, et c'est le point positif du projet de loi, c'est l'autorité qui désigne les procureurs extraordinaires. Ainsi que cela a été souligné plus tôt, nous avons eu de longs débats sur ce seul sujet, et le CSM constitue évidemment la bonne solution. C'est l'autorité de sanction par excellence; dans notre système judiciaire, elle ne fait pas contestation puisque, comme vous le savez, elle est composée de non-magistrats, c'est-à-dire de personnes qui ont une vision différente, et pas corporatiste.
Bien que ce texte n'aille pas suffisamment loin à notre avis, Mesdames et Messieurs, nous vous invitons à le soutenir - nous vous enjoignons, pour reprendre la parole du rapporteur, de le soutenir ! -, parce que je pense et nous pensons au MCG que nous faisons ainsi un pas dans la bonne direction; l'objectif, par ce premier pas, est de parvenir à dépolitiser la scène locale de la justice. J'ai dit, merci beaucoup.
M. Pierre Vanek (EAG). Le fait que Patrick Dimier nous enjoigne de faire ceci ou cela n'est pas très raisonnable et surtout pas très légal, puisque tout mandat impératif pour les députés est proscrit. Enjoindre signifie ordonner, et nous ne prenons d'ordres de personne, ni de Patrick Dimier, quelle que soit l'amitié qu'on peut lui porter, ni d'aucun autre coin de la salle.
Je ne vais pas refaire le long laïus que certains, à trois ou quatre reprises, ont déjà tenu sur ce projet de loi, j'indiquerai simplement qu'Ensemble à Gauche se félicite d'avoir apporté sa pierre à l'édifice, comme cela a été relevé par l'un ou l'autre des intervenants, à travers la contribution initiale de Pierre Bayenet à la réponse à cette problématique. Nous saluons les travaux effectués par la commission et la synthèse qui a été opérée, nous nous rallions de bon coeur à la solution trouvée et la voterons.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Nous procédons au vote.
Mis aux voix, le projet de loi 12720 est adopté en premier débat par 68 oui et 21 abstentions.
Le projet de loi 12720 est adopté article par article en deuxième débat.
Mise aux voix, la loi 12720 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 65 oui et 21 abstentions (vote nominal).
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons nos travaux à 18h05.
La séance est levée à 17h50.