Séance du
vendredi 8 avril 2022 à
16h
2e
législature -
4e
année -
10e
session -
57e
séance
M 2600-A
Débat
Le président. Nous sommes arrivés au terme de nos urgences et reprenons l'ordre du jour ordinaire. Voici l'objet que nous traitons maintenant en catégorie II, trente minutes: la M 2600-A. Je remercie les deux rapporteurs de bien vouloir prendre leur carte avec eux. (Un instant s'écoule.) Monsieur Batou, vous êtes attendu à la table. Pour commencer, la parole revient à M. Christo Ivanov.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Oui, merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la proposition de motion 2600 invite le Conseil d'Etat à introduire une taxe à la charge des propriétaires de surfaces commerciales vacantes en prenant en compte les éléments suivants: celle-ci ne viserait que les propriétaires de locaux commerciaux vides depuis une année pouvant être transformés en logements et son taux augmenterait progressivement chaque année. Or l'idée d'imposer du commercial vide contrevient frontalement à la garantie de la propriété ainsi qu'à la liberté économique. De plus, cela concernerait un petit nombre d'objets difficilement identifiables. (Brouhaha.)
Le président. Un instant, s'il vous plaît. (Le président marque un temps d'arrêt en attendant que le silence se rétablisse.) S'il y a des conversations dans la salle qui se déroulent hors micro, je préfère qu'elles aient lieu à l'extérieur. Reprenez, Monsieur le rapporteur de majorité.
M. Christo Ivanov. Merci, Monsieur le président. Les grands propriétaires immobiliers sont généralement des fondations, des caisses de pension ou des communes comme la Ville de Genève. Les bureaux ou arcades vides constituent un vrai problème, c'est une réalité, il faut le reconnaître. Mais cet objet se base sur des chiffres de l'OCSTAT qui, à mon avis, ne sont pas à jour.
Si on prend l'exemple de ce qui se passe dans les pays anglo-saxons avec les locaux commerciaux, le taux de vacance est de l'ordre de 10%, ce qui peut paraître énorme, mais permet une grande flexibilité au marché. Avec la pénurie de logements à Genève, dont on sortirait avec un taux de 1,5%, il faut imaginer un pourcentage de vacance des surfaces commerciales et des arcades de 3% ou 3,5%.
Concernant la proposition consistant à transformer des locaux commerciaux en logements, je vous rappelle que nous avons voté la loi de notre ancien collègue Ronald Zacharias qui prévoit de convertir des bureaux ou arcades en surfaces habitables aux frais des propriétaires. Partant, la solution existe déjà. Ce texte est une fausse bonne idée et il convient de le rejeter, ce que je vous invite à faire au nom de la majorité de la commission fiscale. J'ai dit, Monsieur le président.
M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion tombe sous le sens. Dans notre canton, il y a un déséquilibre très important entre les surfaces louées pour l'habitation et les locaux commerciaux, un déséquilibre sans doute dû aux rendements supérieurs procurés par les bureaux et arcades, mais qui va à l'encontre des besoins de la population.
L'objectif de ce texte - une proposition de motion reste une incitation - est de demander au Conseil d'Etat de prendre en compte une préoccupation de notre parlement et des citoyens. Il s'agit d'introduire une taxe incitative pour que s'accélère, et ce n'est pas le cas actuellement, la transformation de surfaces commerciales en surfaces habitables, mais des surfaces habitables qui répondent aux besoins prépondérants de la population, c'est-à-dire avec des loyers modérés, abordables.
Et c'est bien là l'enjeu: nous savons qu'il y a aujourd'hui plus de 300 000 mètres carrés de locaux commerciaux vacants - voire plus - alors que nous sommes confrontés à un manque criant de logements pour les locataires avec des loyers qui correspondent à leur situation. C'est dans cette optique-là que cet objet serait adressé au gouvernement, et c'est la raison pour laquelle je vous invite à le soutenir.
M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, chers collègues, les locaux commerciaux vides représentent un vrai problème à Genève, et il y en a une prolifération. Le chiffre de 337 218 mètres carrés de surfaces vacantes valable pour 2019 n'a certainement pas évolué à la baisse depuis, et ce alors que nous nous trouvons dans un contexte tendu de pénurie de logements, plus particulièrement de logements à prix abordables.
Nous sommes conscients du fait que tous les bureaux vides ne peuvent pas être transformés en appartements, pour plusieurs raisons allant de l'agencement architectural des lieux jusqu'à l'emplacement des bâtiments; c'est pourquoi le texte ne s'appliquerait qu'aux «propriétaires de locaux commerciaux vides depuis une année pouvant être transformés en logements», ce qui nous paraît raisonnable.
Les mécanismes qui conduisent un certain nombre de locaux à être maintenus vacants sont bien décrits dans le rapport de minorité: ils sont principalement motivés par l'appât du gain. En ce sens, l'idée d'introduire une taxe n'est certainement pas mauvaise et pourrait motiver les propriétaires à replacer leurs objets en location ou encore à les convertir en vue d'autres usages. Bien entendu, il y aurait passablement d'autres mesures à prendre pour diminuer le nombre de surfaces commerciales vides, ne serait-ce que d'arrêter d'en construire.
La majorité du groupe estime que l'instauration d'une taxe sur les bureaux vacants sera de nature à inciter certains propriétaires à remettre leurs locaux en location, voire à les transformer; une minorité juge en revanche que l'effet ne sera que très faible et s'abstiendra. Je vous remercie.
M. Stéphane Florey (UDC). Une telle taxe ne servirait qu'à garnir les caisses de l'Etat, mais en ne répondant en rien au problème. Posez-vous au moins la question suivante, Mesdames et Messieurs: pourquoi y a-t-il autant de locaux commerciaux vides ? La proposition de motion n'y répond pas, c'est déjà un premier aspect.
Ensuite, je relève une contradiction entre ce que propose l'objet et le discours que tiennent réellement les motionnaires, parce que chaque fois qu'on essaie d'amener des solutions pour prioriser la transformation de surfaces vides en logements ou les surélévations, chaque fois qu'on dépose ce type de textes, ce sont exactement les mêmes personnes qui refusent systématiquement les dispositifs pour la simple raison qu'on va favoriser les riches, qu'il s'agira d'appartements de luxe. C'est toujours le même discours.
Finalement, non seulement cette proposition de motion n'apporte rien, mais elle contrevient au droit du propriétaire de décider lui-même s'il souhaite convertir ou non ses locaux en logements. Nous la refuserons donc pour les motifs que je viens d'expliquer. Je vous remercie.
M. Alexandre de Senarclens (PLR). Encore une taxe ! On sent une certaine gourmandise, une forme de jubilation de la part des signataires de cette proposition de motion. En fait, le monde d'Ensemble à Gauche est assez simple, binaire, sans nuance, et parfois, je dois le reconnaître, Monsieur le président, j'envie ses membres tant cela doit être reposant et apaisant.
Les propriétaires - les méchants ! - qui sont accompagnés des banques et du commerce international, selon le rapporteur de minorité, sont des spéculateurs, et ils sont bien évidemment à distinguer des gentils, à savoir le monde associatif ou les locataires. Ces vilains ont pour objectif de maintenir les locaux commerciaux vides le plus longtemps possible pour faire monter les prix du marché.
La réalité est bien différente. Naturellement, celui qui investit dans le domaine immobilier cherche un rendement, il n'a pas d'intérêt à long terme à laisser des surfaces vacantes. D'ailleurs, les investisseurs sont pour l'essentiel ou dans une large proportion des acteurs institutionnels, ceux qui essaient de faire fructifier notre AVS ou notre deuxième pilier; parmi eux figure en particulier la CPEG. Garder des locaux vides coûte cher, et ils ne le font ni par plaisir ni par convenance; il y a des frais d'entretien, un impôt sur la fortune ou un impôt immobilier complémentaire - tant pour les privés que pour les institutionnels, d'ailleurs.
Les motionnaires nous expliquent que cela devrait pousser les propriétaires à transformer leurs bureaux et arcades en logements, mais c'était précisément l'objectif de la loi qui a été combattue ardemment par toute la gauche et qui est passée en référendum: elle visait à convertir des locaux commerciaux en appartements. Malheureusement, sa mise en oeuvre est réfrénée par un manque de bienveillance de la part du département dans les requêtes qui lui sont présentées.
Cette proposition de motion ne servira à rien si ce n'est à faire plaisir à Ensemble à Gauche, qui trouve là une nouvelle manière de taxer; elle est dogmatique, contraire à la garantie de la propriété et, pour tous ces motifs, le groupe PLR la rejettera sèchement. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Sylvain Thévoz (S). Mesdames et Messieurs les députés, le parti socialiste soutiendra cette proposition de motion qui est frappée au coin du bon sens. Plus de 330 000 mètres carrés de bureaux vacants dans le canton de Genève en 2019, c'est l'équivalent de quatre-vingts terrains de football, c'est quatre-vingts fois la Praille. Ces surfaces sont vides, inutilisées, soustraites non seulement aux logements, mais aussi potentiellement à l'économie. Certains s'exclament: «Ouh là là, imposer une taxe dynamique» - il s'agit d'un incitatif afin que les locaux vides retournent sur le marché ou soient plus rapidement mis à disposition pour devenir du logement ou être occupés par des entreprises - «c'est une entrave à la liberté économique !» Non, c'est le contraire: maintenir artificiellement des arcades vacantes, c'est précisément empêcher l'économie de se développer.
Il est intéressant de relever que le prix du mètre carré pour les locaux commerciaux est de plus de 660 francs au centre-ville de Genève alors qu'il retombe à 450 francs en périphérie. Et comme par hasard, où sont situés le plus grand pourcentage de locaux vides ? Au coeur de la cité. Cela amène tout de même quelques éléments pour soutenir l'hypothèse qu'il y a bien là une visée spéculative. Là où le mètre carré est très cher, là où il est dispendieux de louer des biens, on les maintient à 660 francs le mètre carré, voire plus, on préfère ne pas les louer.
Il ne s'agit pas d'être gentil ou méchant, il s'agit de calculs économiques, Monsieur de Senarclens - vous transmettrez au PLR, Monsieur le président. On préfère ne pas les louer du tout plutôt que de les louer moins cher, ce qui fait que des entrepreneurs qui aimeraient disposer de surfaces, qui souhaiteraient lancer une petite entreprise ne peuvent pas le faire, tout ça parce que des gens laissent leurs locaux vacants simplement pour maintenir les prix du marché artificiellement hauts. Pour le parti socialiste, ce procédé est contraire à l'économie, empêche les petites sociétés de se lancer avec des frais de location bas, et puis c'est complètement factice par rapport à la situation réelle.
Il y a une surproduction de bureaux et certains en auraient besoin pour démarrer un petit commerce, donc il faut encourager les personnes qui possèdent ces surfaces vides à les remettre sur le marché. Comment faire ? Avec cette proposition incitative... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) ...de taxe qui conduira ceux qui s'assoient sur des bureaux vacants à les remettre en location, même pour un peu moins cher que les standards du marché, faute de quoi ils devront payer à l'Etat le bénéfice indu qu'ils réalisent sur ces locaux qu'ils gardent artificiellement vides. Le parti socialiste vous invite à soutenir ce texte - je terminerai là-dessus, Monsieur le président - et donc à le renvoyer au Conseil d'Etat. Merci. (Applaudissements.)
M. Rémy Pagani (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, mon collègue Jean Batou l'a dit, nous soutenons cette proposition de motion dont nous sommes les auteurs. Vous connaissez ma position par rapport aux dirigeants des pays anglo-saxons, mais ils ont au moins l'avantage de faire respecter les lois du marché, à savoir que quand il y a moins d'offre, les prix augmentent, tandis que lorsqu'il y a beaucoup d'offre, les prix diminuent. En l'occurrence, il y a moins de demande que d'offre, donc les prix devraient baisser, ce qui n'est pas le cas dans notre ville, encore moins dans notre canton.
Et ne dites pas, Monsieur de Senarclens, que c'est parce que les propriétaires ont un avantage à... Non, ils ont un avantage à maintenir leur bilan, et peu de gens vont vérifier si les bureaux sont occupés ou pas. Ces bilans sont maintenus pour faire «rayonner l'entreprise», entre guillemets, et informer faussement - faussement ! - les actionnaires de la situation financière des groupes financiers, parce que ce sont bien de grands groupes financiers qui gardent les locaux commerciaux vides. C'est pourquoi mon collègue Bayenet a proposé, avec l'accord du groupe Ensemble à Gauche, de taxer les personnes qui jouent à ce petit jeu-là, qui ne respectent pas les lois du marché que vous soutenez, Monsieur de Senarclens.
Je rappelle, en ce qui concerne la défense des locataires, que nous avions lancé une initiative dans les années 80 qui a été validée par le corps électoral et qui visait - qui vise encore, parce que cela figure dans la loi - à relouer les appartements vides. Relouer les appartements vides ! Malheureusement, le Conseil d'Etat - sauf M. Moutinot, je crois, à une époque - n'a pas utilisé cette loi qui a pourtant été soutenue par la population pour imposer aux propriétaires de relouer les logements, et heureusement, parce que les propriétaires se sont trouvés dans une situation assez difficile et ils relouent maintenant de manière systématique, ce qui n'était pas le cas dans les années 80 où il y avait mille logements vides. Aujourd'hui, on se retrouve dans le même contexte.
Ce que vous allez provoquer, Monsieur de Senarclens, c'est que nous allons lancer une initiative pour que ces arcades - car oui, il y a aussi des arcades vides, hélas - et ces locaux commerciaux, non seulement au centre-ville, mais dans tout le canton, soient soumis de manière forcée aux lois du marché. Voilà ce que nous réclamons, que les bureaux soient remis en location à 250 francs le mètre carré, ce qui est la moindre des choses. Je vous remercie de votre attention.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je vous signale que dans cette enceinte, on s'adresse au président, on évite dans la mesure du possible de citer nommément des députés et de s'adresser uniquement à eux. Madame Danièle Magnin, vous avez la parole.
Mme Danièle Magnin (MCG). Merci, Monsieur le président. Chères et chers collègues - mais c'est à vous que je vais le dire, Monsieur le président -, dans le cadre de cette proposition de motion, nous sommes face à un sommet d'hypocrisie ! Lorsque le MCG avait déposé un texte visant précisément à ce que les locaux commerciaux inutilisés puissent être transformés en logements - voire retransformés, parce qu'il y a déjà eu des conversions dans l'autre sens dans beaucoup de rues -, on nous avait sèchement répondu non sous prétexte que d'aucuns auraient éventuellement pu faire de l'argent grâce à ça. Mais enfin, je vous signale que l'argent, c'est le nerf de la guerre et qu'il ne sert à rien de vouloir toujours faire autrement et autre chose.
Aujourd'hui, à gauche, vous vous apercevez qu'il y a de nombreux bureaux vides et pas assez d'appartements. Il vous a donc fallu vingt ans pour le constater ? C'est complètement ridicule ! Plus vous restreignez les libertés, plus ça pose de problèmes. Il faut de la souplesse dans la vie commerciale d'un pays; à défaut, on se trouve devant des sottises, des âneries, des imbécillités, des situations absurdes telles que celle que vous nous présentez maintenant.
Alors oui, il est certainement vrai... (Remarque.) Je n'ai pas compris ce que me soufflait M. Jean Romain, mais il me le répétera peut-être tout à l'heure. Il est certainement vrai que des propriétaires d'arcades ont renoncé à louer celles-ci pendant un certain temps parce qu'ils ne pouvaient pas en obtenir un prix suffisant. Je le sais, car je siège à la commission de l'aménagement et de l'environnement du Conseil municipal de la Ville de Genève, et des commerçants et représentants de la chambre nous ont indiqué que cela arrivait parfois.
Or ce ne serait pas le cas si on pouvait changer la destination de certaines surfaces commerciales. Je peux vous citer des immeubles au boulevard Georges-Favon, par exemple, de magnifiques bâtiments de la période fazyste qui accueillaient des appartements au départ, puis certains d'entre eux ont été transformés en bureaux, et maintenant on ne peut pas les faire redevenir des logements. Un peu de souplesse, voyons ! Ce sera peut-être à nous, Grand Conseil, de modifier les lois afférentes à ce domaine pour que les choses fonctionnent mieux, mais taxer des locaux vacants alors que déjà les propriétaires n'encaissent pas de loyer, c'est à se taper la tête contre les murs, c'est complètement stupide, injuste et inique ! Bien entendu, nous ne soutiendrons pas cet objet. Merci.
Une voix. Bravo.
M. Jacques Blondin (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion, cela a été clairement dit, part du principe que les propriétaires de locaux commerciaux vides sont des spéculateurs et rien d'autre. Voilà qui a le mérite d'être limpide. Alors il y en a certainement parmi eux, on ne peut pas l'exclure, mais la réalité genevoise, vous la connaissez mieux que moi, et comme cela vient d'être souligné, transformer des surfaces industrielles en appartements, c'est compliqué, cela coûte cher et ne réglerait pas à moyen terme la problématique du manque de logements. Vous me direz, cela en amènera deux à trois mille sur le marché, c'est peut-être une bonne chose. (Remarque.) Oui, c'est toujours bon à prendre !
Cela étant, il existe tout de même des lois économiques à respecter. Les propriétaires ont réalisé des investissements, et il s'agit d'entrepreneurs, ils attendent un retour sur investissement; on peut certes discuter longuement des lois du marché, mais vous l'avez indiqué: nous sommes également responsables de ce qui se passe au centre-ville. Or nous n'avons pas forcément les mêmes approches quant à ce à quoi devrait ressembler son développement, et ce n'est pas pour rien que certains locaux au coeur de la cité se vident au profit de ceux situés en périphérie. On a mis en place toute une politique qui favorise ce processus et on en paie le prix aujourd'hui.
Par ailleurs, et cela a été mis en exergue lors d'une audition, la taxe poserait un problème juridique, je pense que le Conseil d'Etat le mentionnera, car pour justifier un impôt, il faut une prestation. Ici, on voit mal, d'un point de vue juridique, par quel biais on pourrait offrir une prestation quelconque pour légitimer la perception de cette taxe. Le parti démocrate-chrétien, partant du principe que le marché doit agir et qu'il faut prendre des mesures pour favoriser la transformation de certains bureaux en appartements, mais sans taxe ni pénalités, rejettera cet objet. Merci.
Le président. Je vous remercie. La parole retourne à M. Jean Batou pour une minute vingt-trois.
M. Jean Batou (EAG), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Juste pour éclairer la lanterne de ceux qui ne s'en souviennent pas, le projet dit MCG, la loi Zacharias visait à transformer des locaux commerciaux en logements et à retransformer ceux-ci en bureaux sans aucun contrôle des loyers. C'était donc une idée bien inspirée de Ronald Zacharias qui, pour les personnes qui l'auraient oublié, n'est pas un grand ami de ceux qui ne disposent pas d'une fortune supérieure à 20 millions de francs. Bon.
D'autre part, il existe deux raisons pour lesquelles des surfaces commerciales sont maintenues vides, et mon collègue Rémy Pagani a raison d'avoir insisté là-dessus: il ne s'agit pas seulement de les garder vacantes pour pouvoir les relouer plus tard au prix le plus cher, de perdre quelques mois en attendant que la conjoncture soit meilleure, mais surtout de conserver la valeur de l'actif que l'on possède. En effet, baisser les loyers, c'est diminuer le rendement d'un bien et donc sa valeur par la même occasion. Partant, c'est une pure spéculation allant à l'encontre des besoins de la population et des locataires qui se cache derrière cette politique. Voilà pourquoi il faut accepter le texte déposé par Ensemble à Gauche.
Le président. Merci bien. Je repasse la parole à M. Christo Ivanov pour une minute quarante-trois.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Je rappelle que la LDTR a été assouplie pour permettre de transformer des locaux commerciaux en logements suite au vote de la loi Zacharias par ce Grand Conseil en 2015. J'insiste sur ce point pour celles et ceux qui l'auraient oublié. Laisser des bureaux vides coûte cher aux propriétaires, qui sont d'ailleurs de grandes caisses de pension - CPEG, CAP -, des fondations, des institutionnels, des communes comme la Ville de Genève ou des fondations communales. Ces revenus importants financent l'AVS et le deuxième pilier, paient les retraites.
Cette proposition de motion veut introduire une nouvelle taxe, soit un nouvel impôt. Trop d'impôt tue l'impôt, comme dit l'adage. Rien ne justifie cette taxe. C'est toujours le même discours chez la minorité: vous voulez taxer les riches, les spéculateurs et tout, mais heureusement qu'il y a encore des gens qui investissent et qui travaillent, heureusement que nous avons des entrepreneurs dans ce canton ! Mesdames et Messieurs, la majorité de la commission fiscale vous recommande de refuser cet objet. Je vous remercie.
M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, la question des bureaux vacants à Genève constitue un sujet récurrent de la politique, vous le savez, parce qu'il y a en effet quelque chose de choquant à savoir que plus de 300 000 mètres carrés de surfaces utiles restent vides à longueur d'année alors que la pénurie de logements frappe toutes les catégories sociales de notre petite république.
Ce constat a amené le peuple genevois à voter un projet de loi issu des rangs MCG en 2015. Ce texte stipulait que les locaux commerciaux transformés en appartements n'étaient pas soumis à la LDTR. Le Conseil d'Etat a eu beau expliquer que c'était déjà le cas, que ce genre de conversion n'était pas soumise à la LDTR, déjà avant l'adoption de la loi, il a tout de même fallu enfoncer une porte ouverte, et la population avec. Le MCG avait annoncé que cela allait nous permettre de mettre sur le marché deux à trois cents logements par année. Mesdames et Messieurs, sept ans plus tard, ce sont en tout et pour tout trente appartements qui ont été créés. Et encore: il n'est pas sûr qu'on puisse les attribuer à cette disposition puisque, encore une fois, si la LDTR prévoit un blocage quand on cherche à transformer des logements en bureaux, il n'y a pas de restrictions dans l'autre sens et, par conséquent, le prix des loyers est déplafonné.
Il y a quelque chose de choquant, et nous travaillons là-dessus, quand bien même notre marge de manoeuvre est limitée par le droit fédéral, la liberté du commerce et de l'industrie et la garantie de la propriété, ainsi que par un certain nombre de protections environnementales. Mesdames et Messieurs, plus de deux tiers des surfaces concernées sont situées dans des secteurs trop touchés par le bruit ou le risque d'accident majeur pour que le logement soit autorisable. Plus de deux tiers des surfaces ! Cela a été communiqué plusieurs fois par le département à la presse et au parlement, et il serait bon qu'on intègre cette donnée dans le débat.
Dès lors, en effet, ce ne sont plus 300 000 mètres carrés qui peuvent être convertis en appartements; ceux-ci seraient illégaux parce que trop exposés au bruit et au risque d'accident majeur. Par ailleurs, au-delà de l'interdiction légale, il est hors de question que l'Etat tolère que des gens vivent dans de telles conditions. On peut y travailler, mais on ne peut pas y habiter, c'est ce qu'indique très clairement le droit fédéral, pour des raisons de protection de la santé des citoyens. Voilà donc qui ramène le potentiel de bureaux convertibles à une fraction un peu plus basse, autour des 80 000 mètres carrés, c'est-à-dire l'équivalent de 800 logements.
Alors pourquoi est-ce que rien ne se passe ? C'est quelque peu un mystère. Les propriétaires ne touchent pas de rentrées locatives; ils ont certes une valeur d'actif, mais pas de rendements. Les administrateurs présentent peut-être les choses sous un autre angle, mais les propriétaires doivent comprendre qu'ils ont beau avoir une valeur d'actif, celui-ci n'offre pas de rendements. Il est dès lors surprenant que la situation perdure. Pour moi, il s'agit d'un vrai mystère. J'ai souvent interpellé des professionnels à ce sujet, mais sans obtenir de réponse claire. Il se peut que certains locaux commerciaux fassent partie de portefeuilles si importants que les pertes locatives paraissent insignifiantes.
Ce que je ressens - mais ce n'est qu'une impression, il n'y a pas d'objectivité -, c'est que certains propriétaires préfèrent attendre que le marché affiche une meilleure conjoncture plutôt que d'ajuster les prix à la baisse. Comme souvent en matière foncière à Genève, le marché ne fonctionne que dans un seul sens: à la hausse. Or les lois du marché devraient fluctuer à la hausse ou à la baisse en fonction de l'offre et de la demande. Il y a un échec du marché dans ce domaine.
En outre, au-delà du gain en logements que nous pourrions réaliser, M. Thévoz a raison de souligner qu'il faudrait déjà diminuer le prix des surfaces commerciales pour les PME, indépendants et commerçants. De nombreux petits commerces périclitent, car leur loyer est trop élevé. Or une baisse de loyer leur permettrait de retrouver une place, notamment au centre-ville où il leur est si dur de s'établir, et plus largement là où des arcades sont libres. L'enjeu est crucial à ce niveau-là également, avant même de parler d'appartements, et cela, Mesdames et Messieurs des bancs de droite qui êtes sensibles par nature aux aspects commerciaux, eh bien il faut le considérer. Ce n'est pas juste la question de la crise du logement, c'est aussi la place du petit commerce, qui se saigne aux quatre veines après deux années de pandémie. Or on constate que les loyers des bureaux vides ne diminuent pas. Le marché n'est jamais baissier à Genève, Mesdames et Messieurs, et ce n'est pas normal. Comme cela a été relevé, au bout d'un moment, la colère de la population se transforme en initiative populaire, créant sur son passage des règles dont on regrette ensuite la rigidité.
Voilà le message que j'aimerais faire passer ce soir. Certes, cette proposition de motion est problématique, elle est certainement contraire au droit supérieur, quand bien même nous devons en examiner la portée en matière de création de taxe - c'est un volet fiscal -, mais dans le fond, la question qu'elle soulève est pertinente, que ce soit pour créer quelques logements - même si le potentiel n'est pas immense - ou pour rendre des surfaces aux commerces, aux petits indépendants, à celles et ceux qui travaillent dix heures par jour, dont les charges fixes sont lourdes et qui ne voient jamais, jamais leur loyer baisser, y compris lorsque des mètres carrés sont vacants. Il est également important de souligner ce point. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous nous prononçons à présent sur cette proposition de motion.
Mise aux voix, la proposition de motion 2600 est rejetée par 56 non contre 37 oui (vote nominal).