Séance du
vendredi 8 octobre 2021 à
14h
2e
législature -
4e
année -
4e
session -
25e
séance
PL 12889-A
Premier débat
Le président. Nous enchaînons avec le PL 12889-A. Le rapport est de Mme Jocelyne Haller, à qui je laisse la parole.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Comme vous l'aurez constaté, Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi n'est pas tout à fait un inconnu pour vous, puisque... (Brouhaha.)
Le président. Un instant, je vous prie ! (Le président marque un temps d'arrêt en attendant que le silence se rétablisse.) Poursuivez.
Mme Jocelyne Haller. Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi n'est pas tout à fait un inconnu pour vous, Mesdames et Messieurs, puisqu'il se situe dans la droite ligne du PL 12731 qui, lui aussi, visait à soutenir les locataires risquant une résiliation de leur bail en raison des effets de la crise covid sur leurs revenus.
Ce dernier texte, qui prévoyait une aide à fonds perdu, a été suivi par le PL 12798 dont les auteurs, prenant acte de l'opposition au principe d'une aide à fonds perdu, proposaient un prêt sans intérêts remboursable sur une durée de sept ans, toujours afin d'éviter les déboires résultant de la résiliation d'un bail pour des motifs économiques suite à la pandémie. L'objet a été rejeté parce qu'il n'était pas suffisamment précis, parce qu'il soulevait un certain nombre de questions... des questions auxquelles il avait pourtant été répondu lors de son examen à la commission des affaires sociales ! Mais au moment de son passage en plénière, aucun de ces éléments n'a été pris en considération.
Voilà pourquoi j'ai déposé le présent projet de loi, le PL 12889, qui intègre toutes les réponses aux objections formulées à l'encontre des précédents textes, de sorte qu'il est non seulement légitime, mais tient de plus particulièrement bien la route. Lors des travaux à la commission des affaires sociales, un intérêt a été manifesté, l'ensemble des commissaires estimant qu'il serait particulièrement dommageable que des locataires perdent leur logement pour des raisons financières résultant de la crise covid, mais ils n'étaient pas satisfaits des dispositions prévues.
Un groupe a souhaité le remanier et en revenir à la formule d'une aide à fonds perdu. Nous avons travaillé de manière intense sur ce projet de loi qui a été modifié à plusieurs reprises et qui, à un moment donné, semblait réunir une certaine majorité qui lui aurait permis d'être validé. C'est là que sont apparus d'autres amendements qui ont drastiquement altéré le texte, qui en ont réduit la portée, qui ont diminué le nombre de mois à prendre en considération et qui, au final, ont fait qu'il a été refusé par tout le monde, tant par ceux qui l'avaient déposé et qui y étaient particulièrement attachés que par ceux qui y étaient opposés, nous amenant à considérer que ceux-ci avaient bien tiré leur épingle du jeu, puisqu'ils étaient parvenus à transformer ce projet de telle façon qu'il ne soit acceptable pour personne.
C'est ainsi que nous nous retrouvons aujourd'hui, après un rejet quasi unanime - il n'y a eu qu'une seule abstention - de la version drastiquement amendée, à devoir nous prononcer sur le projet de loi initial. Et la majorité qui est hétéroclite, puisque des motifs différents ont présidé au refus du projet, vous proposera pour les uns de le rejeter, pour les autres - dont je fais partie - de l'adopter.
J'ai déposé un amendement parce que, dans la mesure où nous en revenons au contenu initial, la période de référence n'est plus d'actualité; je vous propose ainsi de déplacer la durée d'application, qu'elle aille non plus de novembre 2020 à juillet 2021, mais de décembre 2021 à juin 2022, tout simplement pour réactualiser le texte. Je vous remercie de votre attention.
M. Didier Bonny (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, le projet de loi 12889 a été cosigné par sept Vertes et Verts, démontrant que le soutien individuel aux locataires risquant la résiliation de leur bail en raison des effets de la crise du covid-19 sur leurs revenus constitue une préoccupation importante pour le groupe écologiste. Toutefois, à la fin des travaux de commission... (Brouhaha.)
Le président. Un instant, s'il vous plaît ! (Le président marque un temps d'arrêt en attendant que le silence se rétablisse.) Poursuivez, Monsieur le député.
M. Didier Bonny. Toutefois, à la fin des travaux de commission, ses deux commissaires ont refusé le texte sans aucun état d'âme tant il avait été dénaturé par la droite.
Et pourtant, la gauche - qui, rappelons-le, ne détient que six sièges en commission - avait fait preuve d'ouverture dès le début de son examen pour qu'il ne soit pas, comme c'est trop souvent le cas à la commission des affaires sociales, balayé par la majorité. C'est ainsi que pour tenter de trouver une majorité, elle avait tendu la main au MCG afin que, je résume, cette aide ne devienne pas une source de surendettement pour les bénéficiaires et que ceux-ci soient domiciliés sur le territoire de la République et canton de Genève.
Principe auquel la gauche aurait sans doute pu se rallier si la machine parlementaire ne s'était pas emballée avec une pluie d'amendements - merci le PLR ! - visant à vider de toute substance le projet de loi, jusqu'à le rendre inacceptable pour tout le monde après huit séances de commission, comme Mme Haller l'a démontré de manière magistrale dans son rapport.
Mais pour les locataires qui auraient besoin d'un soutien financier afin d'éviter la résiliation de leur bail, tout n'est pas perdu. Grâce à l'initiative du PLR et à la majorité de droite qui l'a soutenu lors de la session de juillet, ils n'auront plus de toit, mais pourront participer à une grande fête post-covid ! Elle est pas belle, la vie ? Compte tenu de ce qui précède, vous aurez compris que la députation Verte entrera en matière sur le projet de loi tel qu'il avait été déposé et votera l'amendement de Mme Haller. Merci. (Applaudissements.)
M. Bertrand Buchs (PDC). Lorsqu'un projet de loi est refusé à l'unanimité d'une commission moins une abstention - pour des raisons différentes, il est vrai, suivant les groupes - et qu'on se rend compte que le texte ne fonctionne pas, eh bien il faut le rejeter, un point c'est tout.
Lors des discussions en commission, on a réalisé qu'on allait peut-être verser de l'argent à des gens qui ont des loyers très élevés; ainsi, un indépendant comme un médecin ou un dentiste pourrait très bien exiger qu'on lui paie une partie de son loyer sous prétexte qu'il n'arriverait pas à s'en acquitter. On en arrivait à des questions complètement aberrantes et on n'était plus sûrs du ciblage des bénéficiaires de cette aide financière.
Je rappelle qu'on a voté une loi pour aider les gens à payer leur loyer, un montant de 12 millions qui a été quasiment complètement dépensé. On a donc déjà mis en oeuvre ici un soutien au paiement du loyer, ça a été fait. Maintenant, on n'a jamais obtenu de chiffres précis, on ne sait pas combien de personnes exactement auraient vraiment besoin d'une aide de l'Etat. Ces questions ont été posées, mais on n'a jamais eu de réponse, ni de la part des bailleurs ni de la part de l'ASLOCA. Je le répète: on ignore qui a réellement besoin de soutien pour s'acquitter de son loyer sachant que des allocations existent déjà, qu'il est possible de se faire aider. Ce projet de loi est inutile, il faut le refuser ainsi que tous les amendements qui seront présentés.
M. Alberto Velasco (S). Je me suis étonné qu'il y ait eu une unanimité pour refuser ce projet de loi, alors je viens de m'informer auprès de mes collègues. C'est quand même une pratique assez dégueulasse, quoi ! On prend un texte qui a été déposé par Mme Jocelyne Haller, on le maquille de telle sorte que ses auteurs eux-mêmes ne puissent plus le voter, puis ceux qui ont vidé le projet de sa substance ne l'acceptent pas non plus ! C'est de la flibusterie parlementaire, tout simplement ! (Applaudissements.)
De quoi s'agit-il ici ? Il s'agit d'aider des gens dans une difficulté extrême en raison du covid et qui, pour plusieurs raisons, ne peuvent plus s'acquitter de leur loyer. Vous savez très bien, Mesdames et Messieurs, que quand on ne paie pas son loyer, on est mis en demeure et on risque la résiliation du bail, et perdre son bail, c'est perdre son logis. Cela fait des mois et des mois que ce parlement tergiverse, incapable de répondre à cette nécessité.
On nous dit qu'ils peuvent aller à la charité, qu'ils peuvent demander de l'aide à l'Hospice général ou chez Caritas. Mais le devoir d'un Etat qui se respecte, Mesdames et Messieurs, c'est de faire en sorte que ce qui est fondamental, c'est-à-dire se nourrir et se loger, soit assuré par droit. Par droit ! Non par charité, mais par droit. Cet objet visait précisément à établir un droit pour toutes les personnes dans une situation difficile, transitoire, pour qu'elles puissent obtenir une aide directe de l'Etat, pas des associations caritatives. Dans ce Grand Conseil, on commence à développer une certaine pratique consistant à dire: «Les pauvres n'ont qu'à aller au caritatif et on votera quelques millions pour les associations et les holdings caritatives.» Mais, Mesdames et Messieurs, il y a des prestations qui sont du ressort des droits humains !
Il est temps que vous preniez conscience qu'à Genève, il y a quand même 80% de locataires et que ce Grand Conseil a le devoir de répondre aux besoins de cette population, qu'il ne peut pas refuser constamment tous les projets de lois. On l'a vu hier soir et on le verra encore un peu plus tard: tout ce qui est mis en place en faveur des locataires, tout ce qui vient de l'ASLOCA est systématiquement refusé. C'est vraiment un déni de démocratie ! Nous refuserons ce projet de loi... (Remarque.) ...mais si Mme Haller présente des amendements, nous les accepterons évidemment. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je rends la parole à Mme Jocelyne Haller pour une minute et cinquante-neuf secondes.
Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Il a été dit que d'autres systèmes d'aide existaient et pouvaient intervenir en faveur des personnes en difficulté pour payer leur loyer et qu'à ce titre, ce projet de loi était inutile. On a cependant oublié de préciser que ces dispositifs s'adressent aux travailleurs et travailleuses précaires et non à la population visée par le présent texte qui, lui, cible la classe moyenne inférieure, des gens qui traversent une mauvaise passe. Voilà pourquoi il était question d'un prêt et non d'une aide à fonds perdu: nous considérions qu'à un moment donné, ces personnes verraient leur situation se rétablir et seraient en mesure de rembourser le crédit qui leur avait été consenti.
J'aimerais rappeler que quand il s'est agi de soutenir les entreprises durant la crise covid, Mesdames et Messieurs, vous avez libéré des centaines de millions sans le moindre état d'âme; aujourd'hui, alors qu'on cherche à instaurer un dispositif pour aider les locataires dont nous savons qu'ils seront inévitablement confrontés à une situation compliquée pour le paiement de leur loyer, vous n'entrez pas en matière. Permettez-moi de dénoncer cette pratique.
Vous invoquez le risque d'un surendettement, mais entre deux maux, il convient de choisir le moindre, à savoir s'endetter sans intérêts auprès de l'Etat pour conserver son logis plutôt que d'entrer dans une spirale d'endettement. Excusez-moi, mais, à un moment donné, s'il faut faire un choix, alors nous optons très clairement pour un prêt sans intérêts permettant de sauver son appartement.
Quant à la question des loyers trop élevés, rappelez-vous, pour ceux qui sont membres de la commission, qu'il a été proposé de renvoyer cette question au règlement d'application pour déterminer la manière de procéder. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous demande de rejeter ce projet de loi qui est tout simplement inapplicable. Il suffit d'en lire l'article 2, alinéa 1, lettre b: bénéficient de ce prêt les personnes qui «peuvent attester d'une perte de revenu causée par la crise sanitaire du COVID-19 les plaçant dans l'incapacité financière de payer leur loyer». Il faut donc avoir subi une perte et que celle-ci place les gens dans l'incapacité de s'acquitter de leur loyer. Qu'est-ce qui les place dans l'incapacité, sachant que tout le monde peut établir des priorités sur ce qu'il considère devoir payer avant autre chose ? Et un lien de causalité est encore nécessaire entre les deux. Mesdames et Messieurs, imaginez les ressources qu'il va falloir mettre en place pour déterminer si ces conditions sont réalisées ! Les bonnes intentions sont respectables, mais il convient tout de même de ne pas oublier qu'à la fin, ce sont des hommes et des femmes qui doivent appliquer la loi. Ici, c'est tout bonnement impossible. Merci.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, je soumets à vos votes l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 12889 est rejeté en premier débat par 50 non contre 37 oui.