Séance du
vendredi 4 juin 2021 à
14h
2e
législature -
4e
année -
1re
session -
8e
séance
PL 11144-R-C
Premier débat
Le président. L'objet suivant est le PL 11144-R-C. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Le rapport de majorité est de Mme Diane Barbier-Mueller, qui est remplacée par M. Yvan Zweifel, et je lui passe la parole.
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, j'ai le plaisir de remplacer ici mon estimée collègue Diane Barbier-Mueller pour la présentation du rapport qu'elle a rédigé sur ce projet de loi qui, vous le savez, a fait plusieurs allers-retours - vous me direz que ce n'est pas le seul - entre la commission et notre plénière. Le texte modifie l'article 5, alinéa 3, de la LGZD, la loi générale sur les zones de développement, lequel prévoit que les prix et les loyers dans les zones de développement sont soumis au contrôle de l'Etat, aujourd'hui pour une durée de dix ans. Le but du projet de loi initial déposé par le MCG était d'étendre la durée de contrôle à vingt ans; il a ensuite été repris par le parti socialiste qui, pour une fois, s'est montré moins ambitieux et a suggéré un délai de quinze ans.
Si la démarche est louable, à savoir lutter contre les opérations spéculatives, ce problème a déjà été réglé depuis que notre parlement a voté la fameuse loi Longchamp. Il ne reste plus que l'histoire du contrôle en soi, et alors se pose la question de la disproportion de la durée proposée en regard de la garantie de la propriété privée qui, je vous le rappelle, Mesdames et Messieurs, figure tant dans la Constitution fédérale que dans notre charte cantonale.
D'ailleurs, un avis de droit commandé par le département indique que vingt ans, c'est à coup sûr anticonstitutionnel, quinze ans a priori aussi; après, on peut s'amuser à un jeu d'épicier pour déterminer s'il vaut mieux définir treize, douze ou onze ans, jeu auquel certains s'adonnent volontiers dans cette enceinte. Je rappelle ici que quinze ans, c'est 5475 jours, 131 400 heures et 473 040 000 secondes, alors que ceux qui s'imaginent qu'il s'agit d'une courte période y réfléchissent à deux fois.
Cette durée est surtout trop longue eu égard à un autre aspect, à savoir qu'elle empêche les adaptations aux vicissitudes des habitants. En effet, on peut décider d'acheter un bien dans l'optique de s'y installer, en s'y projetant à long terme, mais la vie peut par la suite amener des changements imprévus: le fait d'avoir des enfants ou, au contraire, d'être entré avec des enfants dans son logement et que ceux-ci, après leurs études, s'en aillent vivre de leur côté - ce qui est un bienfait pour les parents; des évolutions professionnelles qui peuvent conduire les gens à gagner plus ou, à l'inverse, à percevoir moins, par exemple dans le cadre d'un licenciement; une obligation de s'installer à l'étranger si, par hypothèse, l'un des deux membres du couple trouve un emploi ailleurs; d'autres problèmes encore.
Or, Mesdames et Messieurs, si on vend alors qu'on se trouve toujours dans la durée de contrôle, eh bien on ne réalise aucune plus-value. Alors vous me direz, à gauche, le terme «plus-value» étant par définition un gros mot, ça ne dérange personne. Mais il y a un problème, et pour l'illustrer, je vais reprendre l'exemple donné par la rapportrice de majorité, Mme Diane Barbier-Mueller, dans son rapport.
Un jeune couple avec deux enfants d'une dizaine d'années acquiert un cinq-pièces en zone de développement, les prix contrôlés lui donnent l'opportunité de devenir propriétaire. Dix ans plus tard, les enfants décident d'étudier à l'étranger; sachant que les probabilités sont grandes qu'ils ne reviennent plus vivre dans le domicile familial, le couple envisage de prendre un appartement plus petit, ce qui est évidemment une bonne chose, puisque cela libère de la place pour d'autres ménages, cela évite notamment la sous-occupation de logements. Avec un délai de dix ans, le couple revend son bien, le marché a augmenté d'environ 30%, le couple engrange une plus-value et peut, grâce à elle, acheter un nouvel appartement plus petit, mais peut-être mieux placé, ce qui, encore une fois, libère de la place pour quelqu'un d'autre.
Avec un délai de quinze ans, ce couple n'ayant pas l'obligation de déménager, il va rester dans un appartement trop grand et réaliser à la sortie du contrôle un bénéfice également plus grand. Personne n'y aura rien gagné, ce projet de loi n'aura pas atteint son objectif, que ce soit à quinze, à dix-huit, à vingt ou à douze ans. Ou alors, autre possibilité, le couple a besoin de déménager pour des raisons financières, il va revendre son appartement au prix d'achat à un nouvel acquéreur qui, lui, n'aura alors que cinq ans à attendre avant de percevoir une plus-value encore plus importante !
On peut s'amuser à combattre les plus-values, mais la réalité, c'est qu'ici, on va combattre une plus-value qui aurait été logique pour le primo-accédant et favoriser au contraire celui qui vient après, lequel aura moins de temps à attendre pour opérer un gain encore plus conséquent. Dans les deux cas de figure, ce texte n'aura pas eu les effets escomptés. Cet exemple démontre que la volonté du législateur aura été vaine, soit en péjorant les premiers acquéreurs, soit en encourageant des situations de sous-occupation. En définitive, Mesdames et Messieurs, vous l'aurez compris, la majorité vous invite à refuser cet objet.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, au cours des dix dernières années, le loyer moyen à Genève a augmenté de près de 20%. Pendant la même période, le salaire médian, lui, n'a crû que de 1,4%. La simple comparaison entre ces deux chiffres donne une explication - parmi d'autres, malheureusement - de la hausse des inégalités dans notre canton, de la création de situations de précarité, mais aussi de la perte d'autonomie vécue par certains ménages, ce qui les mène à se tourner vers des aides financières de l'Etat.
On remarque que la droite est particulièrement prompte à s'émouvoir et à s'égosiller en voyant ces subventions augmenter, mais beaucoup moins à tenter de régler le problème à la source, en s'attaquant en l'occurrence à la hausse des loyers. Or c'est précisément ce que vise le présent texte: il s'agit de limiter cette croissance en étendant la durée du contrôle des loyers, la faisant passer de dix ans actuellement à vingt ans dans le projet initial; un compromis autour de quinze ans a été proposé en commission, malheureusement sans rallier de majorité.
Je rappelle que la majoration du loyer s'opère dans la plupart des cas au moment d'un changement de locataire, ce qui touche en particulier les jeunes à la recherche d'un premier logement, les familles qui accueillent un nouvel enfant et qui ont donc besoin d'une pièce supplémentaire, les couples qui se séparent et dont l'un des deux membres doit chercher un nouvel appartement. Ces personnes se trouvent, même si c'est temporaire, dans une situation de plus grande vulnérabilité financière, et il est dès lors d'intérêt public de limiter la hausse des loyers en renforçant le contrôle sur ceux-ci.
Ce projet de loi, je le signale également, avait été déposé initialement par le groupe MCG, par M. Pistis pour être précise. Au regard des différentes discussions que nous avons menées en commission, nous espérons toujours pouvoir réunir une majorité autour de cet objet qui semble frappé au coin du bon sens, qui est parfaitement raisonnable, et c'est la raison pour laquelle je demande le renvoi en commission.
Le président. Merci, Madame. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission, je passe donc la parole aux rapporteurs et au Conseil d'Etat. Monsieur le rapporteur de deuxième minorité David Martin, c'est à vous.
M. David Martin (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Pour les raisons très bien décrites par ma préopinante, nous soutiendrons pleinement la demande de renvoi en commission.
M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de majorité ad interim. Monsieur le président, voilà au moins trois fois qu'on renvoie ce projet de loi en commission et qu'il revient en plénière ! Comme tout le monde l'a bien compris, le sujet a été traité en long et en large, nous avons tous les éléments à disposition, il faut voter aujourd'hui. La majorité s'oppose par conséquent au renvoi en commission.
Le président. Je vous remercie. Le Conseil d'Etat souhaite-t-il dire quelques mots ? (Remarque.) Tel n'est pas le cas, je mets donc la requête aux voix.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 11144 à la commission du logement est rejeté par 50 non contre 36 oui.
Le président. Nous poursuivons le débat. La parole revient au rapporteur de deuxième minorité, M. David Martin... s'il la sollicite. Oui ? Allez-y, Monsieur.
M. David Martin (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'aide à l'accession à la propriété, qui fait partie de la politique du logement du canton, fonctionne plutôt bien: elle permet à certaines familles aisées de la classe moyenne ou supérieure, soit celles qui en ont les moyens, d'acquérir un appartement et, partant, d'échapper à l'enfer - on peut le nommer ainsi - de l'augmentation systématique des loyers dans notre canton, un canton où l'immobilier est devenu l'un des placements les plus rentables, notamment pour nos caisses de pension.
Si l'accès à la PPE est possible, c'est bien parce que l'Etat a mis en place toute une série de mécanismes afin de contrôler les prix, en particulier la loi Longchamp qui régule les ventes, qui contraint les primo-accédants à être domiciliés dans leur bien, un ensemble de dispositifs efficaces, mais qui ne durent malheureusement que dix ans.
Des PPE contrôlées, Mesdames et Messieurs, on va pouvoir en produire encore un certain nombre, mais nous sommes dans un canton où la surface est limitée. J'entends les arguments de la majorité en lien avec la protection de la propriété privée - certes, il y a des droits constitutionnels à respecter -, mais si on regarde les choses sur la durée - vingt ans, trente ans, cinquante ans -, il ne sera pas possible de construire de la PPE éternellement, donc les logements vont finir par se retrouver sur le marché libre, voire être mis en location, ce qui contribuera encore à la hausse des loyers.
En réalité, ce projet de loi est tout à fait sensé. Ceux qui considèrent que l'accession à la propriété a un sens, et je ne le nie pas, devraient également soutenir la prolongation de la durée du contrôle, car elle garantit que cette possibilité perdurera dans le temps. Ce qu'on observe, c'est que les personnes qui achètent un logement le font pour y habiter, pas dans une logique de rendement au moment de la revente, donc il est tout à fait légitime d'exiger un renforcement du contrôle. Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs, les Verts vous invitent à voter ce texte.
M. Sandro Pistis (MCG). En 2013, de mémoire, le groupe MCG avait déposé ce projet de loi dans le but, cela a été relevé, d'éviter la spéculation sur des appartements qui étaient à l'époque achetés en masse par certains investisseurs. Il nous avait été rapporté que de richissimes personnes accaparaient ces PPE normalement destinées à la classe moyenne avant de les revendre dix ans plus tard.
Or, dans l'intervalle, notre Grand Conseil, via une initiative lancée suite à l'échec de la loi Longchamp, a soutenu le principe de celle-ci, tout comme le peuple. Grâce à ce dispositif, cela a été dit et répété, il n'est maintenant plus possible d'acquérir plusieurs logements: une personne intéressée à un bien situé en zone de développement, donc avec des prix contrôlés, ne peut acheter qu'un seul appartement, pas deux, trois ou quatre, le but étant d'éviter que les gens revendent leur acquisition droit derrière. Le problème a donc été réglé.
Aujourd'hui, le MCG continue à se battre pour encourager l'accès à la propriété, le MCG voudrait que la part de PPE construite en zone de développement augmente. Trop de Genevois doivent malheureusement quitter le canton pour s'installer soit en France, ce qui n'est pas acceptable pour nous, soit chez nos amis voisins, les Vaudois. Nous devons lutter pour préserver les intérêts de celles et ceux qui souhaitent acheter un appartement en zone de développement, qui cherchent à accéder à la propriété à des prix raisonnables. Voilà le futur pour ce Grand Conseil, pour Genève également. Mesdames et Messieurs, le problème ayant été résolu par la loi Longchamp, le groupe MCG n'entrera pas en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.
M. Sébastien Desfayes (PDC). J'aimerais revenir sur les propos tenus par la rapporteure de première minorité, qui a indiqué que les loyers à Genève ne cessaient d'augmenter; c'est vrai. Qui sont les victimes de la hausse des loyers ? Les habitants de la classe moyenne. Comment remédier à ce problème ? En construisant pour cette classe moyenne, que ce soit en locatif avec des ZDLOC ou en PPE avec des prix contrôlés.
Or les mêmes qui se plaignent de la croissance des loyers, qui sont issus des milieux auxquels appartient la rapporteure de première minorité, sont précisément ceux qui empêchent la construction, en zone de développement, de PPE en pleine propriété ou de ZDLOC ! Prenons l'exemple du PAV où l'on veut construire 33% de ZDLOC pour la classe moyenne, où l'on veut construire un tiers de PPE, eh bien les milieux représentés par la rapporteure de première minorité s'y opposent fermement ! On voit là toute l'ambivalence, pour ne pas dire plus, de cette position. Cela méritait d'être dit, Monsieur le président.
Pour le surplus, s'agissant de ce projet de loi, l'essentiel a été dit, inutile de répéter les choses. Comme on dit au parti démocrate-chrétien, cet objet arrive à l'heure de la fumée des chandelles, c'est-à-dire que la messe a déjà été dite par la loi Longchamp. Il ne fait guère de doute qu'il porte gravement atteinte à une liberté constitutionnelle, à savoir la garantie de la propriété privée. Je sais que les droits fondamentaux sont aujourd'hui considérés comme futiles par certains, il n'empêche que le Tribunal fédéral est toujours le garant de ces libertés et ne manquerait pas de casser un tel texte.
Enfin, cela a été souligné, proposer une durée de quinze ans, c'est ne pas tenir compte de l'évolution de la vie: certaines personnes doivent vendre parce qu'elles divorcent, parce qu'elles gagnent moins, et les forcer à conserver un bien immobilier sans pouvoir le revendre en réalisant une plus-value, c'est nuire à leur intérêt, étant précisé que ces mêmes personnes devraient payer des pénalités à leur banque, seraient victimes de ce qu'on appelle Casatax. Ce projet de loi constitue à bien des égards une attaque en règle contre la classe moyenne, raison pour laquelle le PDC s'y opposera. Merci.
M. André Pfeffer (UDC). Ce projet de loi propose d'augmenter la période durant laquelle l'Etat contrôle le prix de vente des appartements PPE en zone de développement: elle passerait de dix à quinze ans, voire à vingt ans. Les auteurs pensent que cette prolongation diminuerait ou stopperait la spéculation. Or la spéculation exercée par certains initiés, qui achetaient plusieurs biens et attendaient la fin du blocage de dix ans avant de les revendre avec bénéfice, a été clairement endiguée grâce à la loi Longchamp. Dorénavant, un acquéreur est obligé d'habiter lui-même son logement, donc ce type de dérive ne devrait plus avoir lieu.
Quant à la spéculation liée au prix ou à la rareté des objets, dans ce deuxième cas, il faut souligner qu'il existe un lien direct entre l'insuffisance de l'offre et l'augmentation des prix. Je donne un exemple: à Genève, les appartements PPE en zone de développement coûtent 6000 à 7500 francs le mètre carré, étant entendu que le prix des terrains et de la construction est limité et contrôlé par l'Etat. Dans d'autres villes de Suisse romande, les logements PPE sont d'environ 4000 francs, donc pratiquement un tiers de moins, mais sans contrôle du prix des terrains et de la construction. Dans la pratique, l'allongement de la durée de contrôle de dix à quinze ans, ou même à vingt ans, ne devrait objectivement avoir aucun effet sur les prix ni sur la rareté des PPE.
Enfin, nous émettons des doutes quant à la compatibilité de ce texte avec la législation fédérale. Un expert a relevé que le droit fédéral interdit un blocage illimité; en fonction de la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'augmentation de la durée de contrôle de dix à vingt ans, sans contrepartie ni subvention, lui semble disproportionnée. Pour ces raisons, notre groupe refusera ce projet de loi. Merci.
M. Alberto Velasco (S). Je constate que ceux qui mettent aujourd'hui en avant la loi Longchamp sont ceux-là mêmes qui, à l'époque, s'y étaient opposés ! Il ne faut pas oublier, chers collègues, que nous avions dû lancer une initiative populaire pour pouvoir défendre cette loi, donc je suis étonné que ceux qui l'avaient combattue, et combattue durement, l'utilisent maintenant comme justification pour ne pas appuyer ce projet de loi ! (Applaudissements.) On ne peut que douter de leur discours et de leur foi dans la loi Longchamp.
Cela étant, Mesdames et Messieurs, ce texte vise à contrôler non seulement les prix de vente, mais surtout les loyers, parce que ces objets sont aussi placés en location, donc l'objectif est aussi de contrôler les loyers. Et pourquoi ? Ma collègue l'a très bien expliqué, chiffres à la clé. Aujourd'hui, il n'y a aucune raison d'augmenter les loyers eu égard aux taux hypothécaires. Aucune raison ! Et pourtant, les chiffres sont là; comme l'a relevé un préopinant, on assiste à des hausses faramineuses dès qu'il y a un changement de locataire.
Ensuite, nous évoluons dans un marché totalement déstabilisé, c'est vrai, et de ce fait, les acquisitions qui se font et les loyers qui sont appliqués dépassent l'entendement pour le reste de la Suisse. Mesdames et Messieurs, quand le marché ne peut pas se réguler - et c'est vous, les libéraux, qui le dites, c'est votre théorie, qui est juste d'ailleurs -, alors c'est l'Etat, c'est la loi qui doit le faire. En l'occurrence, dans ce canton, le marché ne régule pas du tout le logement.
Mesdames et Messieurs, il y a deux choses dans la vie qui sont importantes: l'eau, parce qu'elle est source de vie, et puis le logement qui est également source de vie. Sans logement, personne ne peut étudier, personne ne peut se former, on ne peut même pas fonder une famille. Evidemment, s'il y avait profusion de logements, ça irait, mais il n'y a pas de choix, il n'y a pas de choix ! Il faut donc veiller à ce que chacun soit logé avec dignité, et c'est la raison pour laquelle nous sommes obligés de déposer un projet de loi de contrôle.
On nous dit que la loi Longchamp remplit son rôle, mais, Mesdames et Messieurs, vous savez très bien que de nombreuses familles ont acheté un appartement... (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Merci, Monsieur le président, je finis ! ...et la loi Longchamp a ses limites. Toute loi doit être modifiée en fonction des observations du terrain, en fonction du comportement du marché afin de correspondre à la réalité. Par conséquent, ne serait-ce que pour la dignité des personnes qui veulent se loger, soit comme locataires, soit comme propriétaires, Mesdames et Messieurs, je vous prie de voter ce projet de loi. Merci. (Applaudissements.)
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Mesdames et Messieurs les députés, nous vivons dans un petit canton, un canton dont les ressources en terrains, en espaces à bâtir sont limitées, extrêmement limitées ! Bientôt, il ne sera plus du tout possible de construire, donc la place qui nous reste aujourd'hui est notre dernière chance. Cela étant, la construction de PPE en zone de développement est un concept complètement bancal, puisque l'Etat permet aux gens d'accéder à des logements en dessous du prix du marché, ce qui induit toute une série de problèmes, notamment le fait que l'Etat offre finalement une plus-value importante qui sera générée au moment de la revente.
A priori, nous devrions tous avoir à coeur que l'Etat opère un contrôle sur les prix, un contrôle qui devrait durer aussi longtemps que possible. Ensemble à Gauche trouverait tout à fait logique, dans la mesure où l'Etat fait l'effort de mettre en place des infrastructures juridiques pour garder les prix bas, que ce contrôle soit permanent; ce serait la base élémentaire, en particulier lorsque la demande excède largement l'offre et que les gens font de la spéculation. Spéculation n'est pas un gros mot, pas plus que plus-value, mais le fait est qu'à cause de tout cela, certaines personnes ne peuvent pas accéder à un logement.
Et que nous propose la droite ? De transformer tous les acquéreurs en spéculateurs en leur disant: «Les prix augmentent, donc si vous êtes propriétaires, vous allez pouvoir spéculer et revendre votre appartement plus cher, et au final, vous pourrez acheter un autre logement sans y perdre.» Les locataires, eux, sont évidemment exclus du mécanisme, donc on crée avec ces PPE en zone de développement un système dans lequel les propriétaires s'enrichissent tandis que les locataires s'appauvrissent. Voilà ce que cherche à faire la droite, et en plus, elle essaie de limiter la durée du contrôle pour que cet enrichissement ait lieu le plus rapidement possible.
Pour conclure, j'aimerais souligner que ce projet de loi vise non seulement la revente, mais également les loyers, et c'est essentiel. Aujourd'hui, l'Etat prévoit tout un dispositif pour mettre sur le marché des appartements à loyers contrôlés, alors pourquoi est-ce qu'après dix ans, les propriétaires pourraient augmenter les loyers comme bon leur semble à chaque changement de locataire ? Ce alors qu'ils ont auparavant conclu un accord avec l'Etat et se sont engagés à mettre sur le marché des logements à loyers contrôlés ? C'est parfaitement inadmissible.
Ce texte représente un tout petit pas dans la bonne direction, mais il faut évidemment repenser le système dans son entier et supprimer la construction de PPE en zone de développement... (Commentaires.) ...il faut que l'Etat contrôle les loyers sur la durée, c'est-à-dire, pour reprendre une expression chère au PDC, «ad vitam aeternam». Merci. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je rends la parole au rapporteur de deuxième minorité, M. David Martin, pour deux minutes vingt-cinq.
M. David Martin (Ve), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. J'aimerais revenir sur les chiffres cités par le député Pfeffer, qui a mentionné que dans d'autres localités de Suisse romande, le prix moyen à la vente est de 4000 francs le mètre carré; à Genève, il est de 11 000 en moyenne à l'achat. Pourquoi ? Parce que nous sommes dans une ville où la pression immobilière est énorme. Aussi, le montant de 7500 francs le mètre carré évoqué par M. Pfeffer représente un effort extrêmement important, et comme l'a indiqué le député Bayenet, c'est vraiment absurde que ce dispositif ne dure que dix ans. Ceux qui défendent l'accès à la propriété devraient se réjouir d'une augmentation de la durée de contrôle.
D'ailleurs, un autre mécanisme existe, celui de la PPE en droit de superficie, qui est combattu par les adeptes absolus de la PPE en pleine propriété; eh bien que ce soit le contrôle pérenne sur cinquante ans ou le droit de superficie, ces mécanismes constituent en réalité nos seules options pour qu'on puisse parler pendant plusieurs décennies encore d'accès à la propriété pour la classe moyenne. Si on ne fait rien, dans cinquante ans, c'en sera fini de la PPE en zone de développement; dans cinquante ans, c'est sûr, le prix des appartements aura flambé. Vu la taille de notre canton, on ne peut pas concevoir une régulation par la seule offre, comme le prétendent certains, ça ne tient absolument pas debout. Je vous remercie.
Le président. Merci. Madame Caroline Marti, vous disposez encore de vingt-cinq secondes.
Mme Caroline Marti (S), rapporteuse de première minorité. Merci, Monsieur le président. J'aimerais juste répondre à M. Zweifel qui nous a dit: «Ce projet de loi, s'il est accepté, péjorera les primo-accédants.» Eh bien pardonnez-moi de ne pas m'apitoyer sur le sort de ces personnes qui, au moment de l'acquisition de leur logement, ont bénéficié d'un prix de vente réduit !
Le président. Merci...
Mme Caroline Marti. Je ne vais pas m'exclamer: «Oh, les pauvres, ils ne pourront pas réaliser une très large plus-value à la fin de la période de contrôle !»
Le président. Merci.
Mme Caroline Marti. Non, cet objet...
Le président. C'est terminé !
Mme Caroline Marti. ...doit être considéré sous l'angle de la protection... (Le micro de l'oratrice est coupé. Applaudissements.)
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi présente un risque de non-conformité à la constitution. Il a connu un parcours assez chaotique, certains l'ont rappelé. Déposé par le Mouvement Citoyens Genevois en 2013, il visait à faire passer la durée de contrôle des immeubles en zone de développement de dix à vingt ans. A l'époque, il s'agissait de déterminer si cette augmentation était conforme à la garantie de la propriété, et c'est la raison pour laquelle un expert avait été mandaté par le Grand Conseil, ce qui n'est pas banal. Ce spécialiste était arrivé à la conclusion qu'une hausse de dix à vingt ans était, selon toute vraisemblance, contraire à la garantie de la propriété.
Le Mouvement Citoyens Genevois a donc retiré cet objet qui a immédiatement été repris par deux députés actifs au sein d'une association que tout le monde connaît, à savoir l'ASLOCA. L'idée était de proposer un amendement pour descendre la durée de contrôle de vingt ans, ainsi que le demandait initialement le Mouvement Citoyens Genevois, à quinze ans - ou bien d'augmenter le contrôle actuel de dix à quinze ans. Le sujet a été soumis à la commission, mais l'entrée en matière a été refusée, ce qui fait que l'amendement n'a pas pu être présenté et que le projet de loi est revenu en plénière, laquelle l'a renvoyé une nouvelle fois en commission, le 21 mars 2019.
Six séances se sont tenues durant lesquelles divers intervenants ont été entendus et ont exprimé leur appréciation, mais aucun nouvel avis d'expert n'a été sollicité à ce moment-là. Maintenant, la question est de savoir, sachant qu'une durée de vingt ans est excessive et une période de dix ans insuffisante aux yeux de certains, si un délai de quinze ans est néanmoins envisageable. Le département n'a pas la réponse à cette question; en tout cas, le risque est là.
Je voudrais simplement relever que ce qui a été indiqué par M. le député Bayenet n'est pas exact: aujourd'hui, un bailleur ne peut pas augmenter le loyer comme bon lui semble à chaque changement de locataire, il a des règles à respecter, donc laisser penser que la loi actuelle ne protège pas les locataires est trompeur, il convient de tenir des discours qui sont conformes à la situation juridique actuelle. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat.
Une voix. Vote nominal !
Le président. Etes-vous soutenue ? (Plusieurs mains se lèvent.) Très bien, nous passons donc au vote nominal.
Une voix. Attention, il y a le vote nominal ! (Rires.)
Mis aux voix, le projet de loi 11144 est rejeté en premier débat par 54 non contre 38 oui et 1 abstention (vote nominal).