Séance du
vendredi 29 janvier 2021 à
16h05
2e
législature -
3e
année -
8e
session -
52e
séance
M 2725
Débat
Le président. Nous passons à notre dernière urgence, classée en catégorie II, trente minutes. Monsieur Florey, vous avez la parole.
M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Il y a urgence, et c'est un peu le thème récurrent de ces derniers mois avec tous les projets votés au Grand Conseil concernant l'économie en général, spécifiquement pour certains secteurs d'activité, mais aussi pour l'emploi. Toutefois, il n'y a pas que ça: derrière ces emplois et derrière ces entreprises, il y a des contribuables qu'il ne faudrait pas non plus oublier ! Aujourd'hui, comme tout un chacun, les contribuables essaient tant bien que mal d'encaisser le choc de cette crise sanitaire. Ces contribuables - plusieurs milliers aujourd'hui - ont de plus en plus de difficultés à s'acquitter de leurs impôts. Il faut bien insister sur le fait qu'il s'agit de gens qui ne refusent pas de payer: ils ont simplement des difficultés passagères dues à une baisse de revenus quand ils se retrouvent aux RHT ou au chômage. Cela accentue ces difficultés, mais ils font tout ce qu'ils peuvent pour s'acquitter de leurs impôts et répondre à leurs obligations de citoyens. Aujourd'hui, ces personnes doivent être aidées aussi et c'est pour cela qu'il est demandé au Conseil d'Etat de suspendre les intérêts moratoires des factures d'impôts. Je vous le rappelle, le Conseil d'Etat l'a fait pour l'année 2020 quand il a renoncé purement et simplement à encaisser les intérêts de retards à partir du mois de mars.
Ce que demande ce texte, c'est de prolonger l'arrêté qui avait été voté au mois de mars 2020, de le prolonger pour l'année 2021, tant que cette situation pénible pour tout le monde durera. Voilà simplement ce que demande cette proposition de motion, nous vous remercions de lui faire bon accueil.
Présidence de M. Diego Esteban, premier vice-président
M. Sébastien Desfayes (PDC). Il s'agit là vraiment d'une excellente proposition de motion; je le dis d'autant plus volontiers que l'UDC a simplement copié une motion du PDC déposée l'année dernière, au début de la crise du covid. Effectivement, les intérêts moratoires en temps de covid sont extrêmement problématiques, parce qu'ils amplifient l'endettement voire le surendettement des ménages et des entreprises. J'invite tous les députés à se rendre aux audiences de mainlevée qui ont lieu deux fois par semaine au tribunal, au cours desquelles l'administration fiscale procède ou tente de procéder au recouvrement de ses créances sur les contribuables: il s'agit d'une véritable cour des miracles ! Non pas que l'administration fiscale et encore moins le département des finances soient impitoyables, mais on constate simplement que nombreuses sont les personnes à Genève qui sont incapables de faire face à leurs obligations. Un intérêt ne fait qu'amplifier l'ampleur de la dette, étant précisé que les dettes d'impôts sont exclues du calcul du minimum vital, comme vous le savez, ce qui accentue encore le surendettement des contribuables. Aujourd'hui, considérant les intérêts négatifs, tous ceux qui sont capables de payer leurs impôts les paient, mais les plus précaires se trouvent face à des difficultés énormes et ce texte répond à cette situation dans une certaine - ou une modeste - mesure.
Il faudra encore examiner un point en commission: à Genève, nous avons un système dit postnumerando et la suppression des intérêts se justifiait en 2020, sachant que les impôts étaient payés par rapport aux revenus générés en 2019, c'est-à-dire avant la crise du covid. On peut supposer que cette suppression des intérêts n'a plus tellement de sens aujourd'hui, sachant que l'impôt va être déterminé par rapport à des revenus bien moindres pour les ménages précarisés, puisque réalisés - ou plutôt non réalisés - l'année dernière, en pleine crise du coronavirus. Nous soutenons donc cette proposition de motion avec cette réserve qui sera examinée en commission.
M. Jean Batou (EAG). Monsieur le président, vous direz à notre collègue Sébastien Desfayes qu'il vient de se contredire puisqu'il nous a dit qu'il fallait soutenir ce texte, mais qu'il fallait peut-être ne pas le soutenir. Surtout, il s'est contredit par rapport à ce qu'il a dit auparavant concernant l'aide aux locataires. Il nous expliquait sentencieusement qu'il ne fallait pas arroser tout le monde parce que s'il y avait des gens qui en avaient besoin, d'autres allaient abuser de la situation et que la proposition de motion visant à aider les locataires était donc un texte arrosoir. Or, il vient de soutenir, ou peut-être pas - puisqu'il n'est pas tout à fait d'accord avec lui-même -, exactement le même genre de proposition !
Pourquoi est-ce que le groupe Ensemble à Gauche ne soutiendra pas ce texte ? Tout d'abord, parce que nous défendons des aides ciblées et non des déductions fiscales ! Des aides ciblées qui permettent de juger des besoins effectifs des personnes ! Or, si les soutiens sous forme de déduction fiscale vont peut-être soulager quelques personnes de manière juste, ils vont peut-être profiter à quelques mauvais contribuables qui ne veulent pas payer leurs impôts. Ce que nous voudrions, nous, c'est que les aides soient données à toutes les personnes qui en ont besoin, en particulier aux personnes les plus précarisées, mais pas sous forme de déductions fiscales. En fin de compte, ces déductions vident les caisses de l'Etat et empêchent précisément les aides ciblées de toucher les personnes pour qui elles sont le plus nécessaires.
L'objectif de cette proposition de motion est finalement contradictoire: cela va réduire les recettes publiques et empêcher qu'on aide ceux qui en ont le plus besoin. Surtout, ce texte ne fait pas la différence entre les contribuables réellement en difficulté et ceux qui sont en retard dans le paiement de leurs impôts parce qu'ils considèrent que payer les impôts est la dernière chose à faire par rapport à toutes leurs autres obligations. Pour toutes ces raisons, nous refuserons de soutenir cette proposition de motion.
M. Yvan Zweifel (PLR). Monsieur le président de séance, la plupart des choses ont été dites par mon collègue Desfayes et je me joins très volontiers à ses propos. Deux points, peut-être. J'ai écouté attentivement mon estimé collègue Jean Batou et je me suis dit: ah, je crois qu'il fait une confusion ! Il nous explique que si on votait ce texte et que les intérêts étaient à nouveau suspendus, comme ça a été le cas en 2020, cela équivaudrait alors à une forme de déduction fiscale. Non, Mesdames et Messieurs les députés ! Personne ne dit que les gens ne vont pas s'acquitter des impôts qu'ils doivent payer: les intérêts ne sont pas les impôts ! Les intérêts, c'est une forme de punition - ou d'amende, si vous voulez -, d'une part, parce que je n'ai pas versé les acomptes dans le délai imparti, le 10 de chaque mois à partir du mois de mars; d'autre part, entre le moment où je dois envoyer ma déclaration fiscale, c'est-à-dire le 31 mars de chaque année, et le moment où je reçois ma taxation, si les impôts dus sont supérieurs aux acomptes que j'ai versés l'année précédente, je dois alors payer un intérêt sur cette différence. Mais ça ne change rien, ce ne sont pas des impôts ! Ce sont des intérêts sur une part d'impôts que je vais effectivement verser comme contribuable parce que je ne les ai pas réglés dans le délai imparti.
Or, ici, l'idée est justement de suspendre cela parce que les gens vont effectivement payer leurs impôts - payer les impôts qu'ils doivent - contrairement à ce que laisse entendre M. Batou. Simplement, vu la situation que l'on connaît, ils vont peut-être faire leur déclaration un peu plus tard, ils vont peut-être décaler le versement d'un certain nombre d'acomptes ou tout simplement attendre un peu plus longtemps avant de recevoir aussi leur taxation, parce que l'administration fiscale, comme vous pouvez le deviner, est un peu débordée ces derniers temps. Donc, le temps qu'ils prennent pour remettre la taxation s'allonge et si, par hypothèse, cette différence existe, les intérêts continuent à courir.
La seule chose que demande ce texte, ce n'est pas une baisse fiscale: il n'y a pas de déduction fiscale, contrairement à ce que fait croire M. Batou. Non, Mesdames et Messieurs, il s'agit simplement de dire que celui qui versera ses impôts comme il le doit, mais qui a peut-être dû décaler le paiement de ses acomptes ou de la différence due suite à la taxation, n'aura pas d'intérêts punitifs à payer là-dessus.
Deuxième point que je voulais évoquer: vous avez vu les chiffres qui ont paru. L'année passée, on nous avait dit que cette mesure aurait un coût d'environ 64 millions de francs, mais cela partait de l'hypothèse qu'un certain nombre de gens verseraient en retard et leurs acomptes et la différence à payer suite à la taxation ou encore que ces personnes rendraient leur déclaration un peu plus tard que prévu. D'après ce que l'on a entendu, il s'avère que l'immense majorité des contribuables ont fait leur déclaration dans les temps, qu'ils ont payé leurs acomptes dans les temps et qu'il n'y a donc pas de perte pour l'Etat.
Pour toutes ces raisons, le groupe PLR vous invite à voter cette proposition de motion.
M. Stéphane Florey (UDC). Monsieur le président, je remercie tout d'abord M. Zweifel pour ses commentaires; sur le fond, je ne peux qu'approuver et rejoindre ce qu'il dit. Par contre, je m'étonne des considérations de M. Batou. Sur le fond, celui-ci accuse tout le temps les mauvais payeurs et les mauvais contribuables, mais c'est totalement contraire à la situation que nous vivons aujourd'hui. Oui, de tout temps, il y a eu des mauvais payeurs, comme ceux qui sont négligents, mais on ne pourra rien faire contre eux. Covid ou pas, pour eux, ça n'a absolument rien changé ! La plupart des gens qui se retrouvent taxés d'office ne le sont pas depuis l'année dernière ou cette année, ils le sont depuis bien longtemps ! Ce sont des gens qui, pour la plupart, s'en foutent, pour parler bon français: ils se disent que, de toute façon, ils paieront quand ils en auront envie ou quand ils le pourront. Finalement, ils laissent leur propre situation se dégrader, mais ce n'est pas la majorité de la population: ce n'est qu'une infime partie du problème qu'on soulève ici.
Là, ce qu'on veut, c'est aider la partie de la population qui se retrouve fortement péjorée par la situation d'aujourd'hui à cause d'une perte ou d'une baisse momentanée de revenus, ce qui accentue ses difficultés à boucler les fins de mois. Comme il a été justement relevé, quand vous vous retrouvez à devoir payer des intérêts moratoires, ce n'est pas ce qui va vous arranger, ce n'est pas ce qui va vous aider à sortir de cette situation. Donc si, en acceptant de suspendre ces intérêts, on peut déjà alléger un tant soit peu la facture des contribuables et leur dire qu'on sait qu'ils font des efforts, eh bien, c'est aussi quelque part une reconnaissance pour ceux qui représentent malgré tout la majorité de la population, ceux qui paient leurs impôts !
M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe des Verts soutient de façon totale les propos du député Batou ! Nous pensons tout d'abord que l'Etat a aussi besoin de moyens pour attribuer toutes les aides que nous avons votées ces derniers temps. Nous soutenons bien entendu le fait que ces moyens doivent être attribués et nous avons voté un certain nombre d'aides ciblées. Toutes les aides que nous avons votées, nous les avons assujetties à des conditions - des conditions qui deviennent de plus en plus limitées, bien entendu, et nous soutenons ce fait. Au départ, c'était relativement compliqué d'obtenir ces aides; maintenant, c'est beaucoup plus simple - tant mieux ! Enfin, il existe quand même encore un certain nombre de conditions.
Le problème, pour l'Etat, n'est pas seulement de perdre des intérêts: il est clair que si vous ne payez pas vos impôts, l'Etat va aussi manquer de liquidités. Or, l'Etat a besoin de ces liquidités, pas seulement pour fournir les aides dont on a parlé tout à l'heure, mais aussi pour payer la fonction publique, voire faire certains investissements. Sans cela, l'Etat devra emprunter. Même s'il est vrai que l'emprunt est peut-être bon marché, ce n'est pas une raison. L'Etat va manquer de liquidités si on ne paie pas ses impôts ! Ensuite, il y a certainement de bonnes et de mauvaises raisons pour ne pas s'acquitter de ses impôts. On peut se dire que si on n'a pas besoin de payer d'intérêts, on peut garder son capital de côté, le placer, si on trouve un placement intéressant, et ne pas payer ses impôts. Il y a donc quand même certaines complications, des problèmes qui peuvent survenir.
Nous ne sommes pas totalement contre cette mesure, mais je pense qu'il faut en étudier les implications; le député Desfayes a aussi dit qu'il fallait considérer le système postnumerando pour savoir si cette mesure valait la peine ou pas. Je propose ici, formellement, le renvoi de cette proposition de motion à la commission fiscale.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole va maintenant à M. Jean Batou pour trente-huit secondes.
M. Jean Batou (EAG). Merci, Monsieur le président. Trente-huit secondes, ce sera bien assez pour dire que s'il y a des contribuables modestes qui ne peuvent pas payer leurs impôts à temps, il s'agit de les aider ! Ce sont des salariés, ce sont des locataires, ce sont des retraités, ce sont des gens qui ont de la peine à payer leur assurance-maladie ! C'est avec des aides à ce niveau que l'Etat doit intervenir, et pas en réduisant les recettes fiscales ! Nous ne nous opposerons évidemment pas au renvoi en commission de cette proposition de motion, mais nous la combattrons en commission.
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Stéphane Florey, pour vingt-neuf secondes.
M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Sur le renvoi en commission: je ne vois honnêtement pas ce que vous aurez de plus, à part qu'on vous dira que la mesure, comme c'était le cas l'année passée, coûte 64 millions - pour autant que personne ne paie ses factures, ce qui n'est absolument pas le cas. Cette mesure n'est donc pas aussi extraordinaire qu'on le prétend. Moi, je vous enjoins - j'enjoins au PDC en tout cas - de renoncer à cette demande de renvoi en commission et de soutenir ce texte...
Le président. Merci.
M. Stéphane Florey. ...comme le fait le PLR. Et si on...
Le président. Merci, c'est terminé, Monsieur le député. (M. Stéphane Florey s'exprime hors micro.) Mesdames et Messieurs les députés, avant de vous faire voter le renvoi en commission de cette proposition de motion, je passe la parole à M. le conseiller d'Etat Mauro Poggia.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Monsieur le président de séance, Mesdames et Messieurs les députés, si l'enfer est pavé de bonnes intentions, certains en sont les carreleurs: ici, il est question d'une perte de revenus d'un minimum de 40 millions de francs pour l'Etat ! S'il s'agit d'une perte de revenus qui correspond à une bouffée d'oxygène pour des personnes qui, réellement, ne peuvent pas supporter le coût de ces intérêts, je pense que nous sommes tous d'accord qu'il y a là quelque chose à faire. Or, cette décision qu'on veut vous faire voter serait prise de manière totalement indistincte pour l'ensemble des contribuables qui ne paient pas ou ne paieront pas les impôts qu'ils doivent. Cela en 2021, mais aussi pour toutes les années suivantes, pour les taxations et rectificatifs sur l'année 2021 qui seront faits à l'avenir !
Mesdames et Messieurs les députés, prenons un exemple avec votre serviteur: ayant l'intention d'acquérir un petit bien immobilier, je pourrais très bien me dire que je peux réduire l'emprunt et augmenter l'apport de fonds propres en ne versant pas mes acomptes provisionnels, puisque tout cela est fait à coût zéro. Donc, au lieu de mettre cet argent dans les caisses de l'Etat qui en a largement besoin, je le consacrerai à cette acquisition, dans mon intérêt personnel. Tout le monde conviendra que ce serait proprement scandaleux ! Eh bien, ce serait tout simplement possible avec le texte qui vous est proposé. On voit donc bien qu'il y a des limites qui ne doivent pas être franchies. D'autant plus que, vous le savez, les acomptes provisionnels peuvent être modifiés en tout temps: une personne qui viendrait malheureusement à perdre son emploi en 2021 pourrait demander immédiatement la rectification de ses acomptes provisionnels et elle n'aurait évidemment pas à payer des intérêts sur la partie des acomptes fixée sur ses gains des années antérieures qu'elle ne pourrait plus assumer.
Mesdames et Messieurs, il y a donc des moyens pour tenir compte d'un changement de situation lié à la crise sanitaire sans avoir à prendre une décision générale type arrosoir dans ce cas particulier, on l'a dit. C'est la raison pour laquelle il vous est demandé de renvoyer cette proposition de motion en commission: non pas pour gagner du temps, mais pour que l'on puisse, le cas échéant, imaginer de quelle manière on peut mieux cibler les bénéficiaires de cet avantage que vous voulez mettre en place. Il s'agit de ne pas en faire bénéficier des personnes qui seraient des petits malins - excusez-moi l'expression ! Des personnes qui se diraient: voilà une aubaine à saisir ! Si vous n'acceptez pas le renvoi à la commission fiscale, le Conseil d'Etat vous demandera de rejeter cette proposition de motion.
Présidence de M. François Lefort, président
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi de cet objet à la commission fiscale. Le vote est lancé. (Commentaires pendant la procédure de vote.) Ce renvoi est adopté par 81 oui contre 4 non et 1 abstention.
Une voix. Il y a eu une erreur !
Le président. Quelle erreur ? (Commentaires.) C'était déjà vert quand vous avez voté ? C'est-à-dire ? (Brouhaha. Un instant s'écoule.) Ecoutez, exceptionnellement, bien qu'on me confirme que le système fonctionne, nous allons revoter sur ce renvoi à la commission fiscale. (Commentaires.) Le vote est lancé !
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2725 à la commission fiscale est adopté par 73 oui contre 4 non.