Séance du vendredi 29 janvier 2021 à 16h05
2e législature - 3e année - 8e session - 52e séance

La séance est ouverte à 16h05, sous la présidence de M. François Lefort, président.

Assistent à la séance: MM. Mauro Poggia et Thierry Apothéloz, conseillers d'Etat.

Exhortation

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.

Personnes excusées

Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes et MM. Anne Emery-Torracinta, présidente du Conseil d'Etat, Serge Dal Busco, Pierre Maudet, Antonio Hodgers et Nathalie Fontanet, conseillers d'Etat, ainsi que Mmes et MM. Emmanuel Deonna, Adrien Genecand, Eric Leyvraz, Cyril Mizrahi, Pierre Nicollier, Jean-Charles Rielle, Ana Roch, Alexandre de Senarclens, Adrienne Sordet, Salika Wenger et Raymond Wicky, députés.

Députés suppléants présents: Mmes et MM. Nicolas Clémence, Joëlle Fiss, Badia Luthi, Patrick Malek-Asghar, Eliane Michaud Ansermet, Françoise Nyffeler, Jean-Pierre Pasquier, Helena Rigotti, Esther Schaufelberger et Francisco Valentin.

Correspondance

Le président. Le Bureau et les chefs de groupe ont trouvé à leur place l'énoncé de la correspondance reçue par le Grand Conseil. Cet énoncé figurera au Mémorial.

Courrier de Mme WENGER Salika demandant de permettre aux députés vulnérables ou en quarantaine de pouvoir participer aux sessions du Grand Conseil et voter à distance (C-3977)

M. Jean Burgermeister (EAG). Monsieur le président, je demande la lecture du courrier 3977 de notre chère collègue, Mme Salika Wenger. (Protestations.)

Le président. Très bien, êtes-vous soutenu ?

M. Jean Burgermeister. Bien sûr ! (L'orateur rit.)

Une voix. Non, non !

Une autre voix. On l'a lu !

Des voix. On l'a tous lu ! (Commentaires. Quelques mains se lèvent.)

Le président. Ce n'est pas suffisant... (Commentaires. D'autres mains se lèvent.) Ok, c'est bon. Je prie le premier vice-président de nous lire cette lettre. Monsieur Esteban, c'est à vous.

Courrier 3977

Annonces et dépôts

Néant.

Questions écrites urgentes

Le président. Vous avez reçu par messagerie les questions écrites urgentes suivantes:

Question écrite urgente de M. Patrick Dimier : La sécurité de l'Etat est-elle assurée en cas de télétravail ? (QUE-1447)

Question écrite urgente de M. Thierry Cerutti : Logements pour les plus démunis vacants (QUE-1448)

Question écrite urgente de Mme Caroline Marti : Réduire l'impact des poids lourds en matière de sécurité routière, de climat et de bruit en faisant rigoureusement respecter la limite de vitesse (QUE-1449)

Question écrite urgente de Mme Caroline Marti : Intensifier les contrôles de poids lourds pour plus de sécurité sur la route et pour la protection du climat - Absence de financement par convention de prestations avec l'OFROU (QUE-1450)

Question écrite urgente de Mme Ana Roch : Chancellerie... ça sent l'audit ? (QUE-1451)

Question écrite urgente de M. Pablo Cruchon : Quelle est la quantité exacte des cas de contamination du personnel des EMS par le Covid-19 ? (QUE-1452)

Question écrite urgente de M. Sylvain Thévoz : Renvoi vers l'Ethiopie : pourquoi ce zèle du Conseil d'Etat ? (QUE-1453)

Question écrite urgente de M. Emmanuel Deonna : Quel soutien social et psychologique aux étudiants confinés pendant la crise du COVID-19 ? (QUE-1454)

Question écrite urgente de M. Emmanuel Deonna : Comment le Conseil d'Etat peut-il justifier le renvoi des ressortissants éthiopiens par vol spécial ? (QUE-1455)

Question écrite urgente de M. Jean Rossiaud : Application du moratoire 5G et de la LCI (QUE-1456)

Question écrite urgente de M. Sylvain Thévoz : Interdiction de la mendicité à Genève : moratoire ou abrogation ? (QUE-1457)

Question écrite urgente de M. Christo Ivanov : Sans réponse depuis deux mois et demi : la lenteur de l'administration causera-t-elle des pertes d'emplois ? (QUE-1458)

Question écrite urgente de M. Pierre Vanek : Pourquoi l'Etat ne fait-il pas respecter l'échelle des traitements de l'Etat et des établissements hospitaliers pour les travailleurs-euses temporaires des EMS conformément à l'art. 17 al. 2 de la LGEPA ? (QUE-1459)

Question écrite urgente de M. Yves de Matteis : Expulsion vers l'Ethiopie, à quel jeu se prête le Conseil d'Etat ? (QUE-1460)

Question écrite urgente de M. Emmanuel Deonna : Le Conseil d'Etat va-t-il entendre et prendre en compte les revendications des cafetiers-restaurateurs ? (QUE-1461)

Question écrite urgente de Mme Katia Leonelli : Université de Genève : la vidéosurveillance des contrôles de connaissances ainsi que ses conséquences sont-elles approuvées par le Conseil d'Etat ? (QUE-1462)

Question écrite urgente de M. Alberto Velasco : Pourquoi toutes les mesures adéquates n'ont-elles pas été prises pour protéger vraiment un objet en cours de classement, en l'occurrence l'ancien café-brasserie Universal, malgré l'intervention d'octobre 2019 ? (QUE-1463)

Question écrite urgente de M. Alberto Velasco : Dysfonctionnements dans la procédure d'expertise du DDE ? (QUE-1464)

Question écrite urgente de M. Patrick Dimier : Le secret fiscal garanti par la constitution est-il protégé ? (QUE-1465)

Question écrite urgente de Mme Jocelyne Haller : Renvoi par vol spécial de Tahir Telma en Ethiopie (QUE-1466)

Question écrite urgente de M. Pierre Nicollier : Prévention de la pandémie : à quels indicateurs nous fions-nous ? (QUE-1467)

Question écrite urgente de M. Pierre Nicollier : Capacités de test COVID : quelles capacités pour quels besoins ? (QUE-1468)

Question écrite urgente de M. Souheil Sayegh : Projet de Clé de Rive : quels apports pour la mobilité au centre-ville ? (QUE-1469)

Question écrite urgente de M. Pierre Nicollier : Capacités de vaccination COVID : serons-nous prêts le moment venu ? (QUE-1470)

QUE 1447 QUE 1448 QUE 1449 QUE 1450 QUE 1451 QUE 1452 QUE 1453 QUE 1454 QUE 1455 QUE 1456 QUE 1457 QUE 1458 QUE 1459 QUE 1460 QUE 1461 QUE 1462 QUE 1463 QUE 1464 QUE 1465 QUE 1466 QUE 1467 QUE 1468 QUE 1469 QUE 1470

Le président. Ces questions écrites urgentes sont renvoyées au Conseil d'Etat.

Questions écrites

Le président. Vous avez également reçu par messagerie la question écrite suivante:

Question écrite de M. Pierre Eckert : Quelle gouvernance pour le nouvel anneau de collision du CERN ? (Q-3848)

Q 3848

Le président. Cette question écrite est renvoyée au Conseil d'Etat.

QUE 1433-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de M. Stéphane Florey : Quelle gestion et quel traçage des cas de COVID-19 dans le milieu scolaire ?

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1433-A

QUE 1434-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de Mme Ana Roch : Mais où est passé le chef du protocole ?

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1434-A

QUE 1435-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de M. Christo Ivanov : Nombre d'heures supplémentaires dans la fonction publique

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1435-A

QUE 1436-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de Mme Ana Roch : RHT : qui a le droit ?

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1436-A

QUE 1437-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de M. Yvan Zweifel : Quel pourcentage des décès COVID est réellement dû au SARS-CoV-2 ?

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1437-A

QUE 1438-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de M. Christo Ivanov : Quand sera construit le parking pour les forains initialement prévu à la route du Bois-Brûlé ?

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1438-A

QUE 1439-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de M. Christo Ivanov : Conditions de travail au CERN : que peut faire le Conseil d'Etat ?

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1439-A

QUE 1440-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de M. André Pfeffer : Evaluation des besoins en matière de logement social

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1440-A

QUE 1441-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de M. Alberto Velasco : Covid-19 et situation à la prison de Champ-Dollon

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1441-A

QUE 1442-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de M. Alberto Velasco : Covid-19 et situation à l'établissement de détention administrative de Favra

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1442-A

QUE 1443-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de M. Alberto Velasco : A quand la possibilité de nager en extérieur

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1443-A

QUE 1444-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de Mme Ana Roch : Quel bilan concret pour le rachat des denrées des restaurants ?

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1444-A

QUE 1445-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de M. Patrick Dimier : Y a-t-il distorsion de concurrence et inégalité de traitement pour les locataires commerciaux ?

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1445-A

QUE 1446-A
Réponse du Conseil d'Etat à la question écrite urgente de M. Olivier Baud : Est-il concevable que des élèves à besoins éducatifs particuliers soient scolarisé.es sans soutien spécifique à l'école primaire régulière ?

Annonce: Séance du jeudi 26 novembre 2020 à 17h

Cette question écrite urgente est close.

QUE 1446-A

PL 12798-A
Rapport de la commission du logement chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Caroline Marti, Sylvain Thévoz, Diego Esteban, Alberto Velasco, Helena Verissimo de Freitas, Nicolas Clémence, Thomas Wenger, Grégoire Carasso, Badia Luthi sur le soutien individuel aux locataires en période d'épidémie de COVID-19
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VIII des 28 et 29 janvier 2021.
Rapport de majorité de M. Alberto Velasco (S)
Rapport de minorité de M. Yvan Zweifel (PLR)

Premier débat

Le président. Notre prochaine urgence est le PL 12798-A que nous traitons en catégorie II, quarante minutes. La parole revient au rapporteur de majorité, M. Alberto Velasco.

M. Alberto Velasco (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Jusqu'ici, on s'est surtout occupés des locataires de locaux commerciaux, notamment des indépendants et des petits industriels, mais certains d'entre eux sont également locataires d'habitations. Comme vous le savez, Mesdames et Messieurs, quand on possède un actif, même s'il n'est pas réalisable, il est difficile d'obtenir le soutien financier de l'hospice ou des aides sociales. Le présent projet de loi a ainsi pour vocation d'accorder un prêt aux personnes qui ne parviennent pas à s'acquitter de leur loyer, un prêt remboursable sur sept ans. Pourquoi ?

Parce qu'aujourd'hui, à Genève, il n'y a plus d'appartements - enfin, on n'en trouve pratiquement plus. Si vous perdez votre logement, peut-être en retrouverez-vous un, mais à quel prix, Messieurs ? Il se peut que votre nouveau loyer coûte le double de celui que vous avez dû laisser tomber parce que vous ne pouviez plus le payer. Dans ce cas, l'Etat devrait proposer des logements d'urgence, mais il n'y en a plus, Mesdames et Messieurs, il n'y a plus de logements d'urgence, c'est maintenant officiel ! Par conséquent, on doit faire tout notre possible pour que personne ne perde son appartement, et si un locataire est commercial, possède un actif irréalisable ou se trouve simplement dans une situation difficile, on doit lui offrir un prêt pour qu'il puisse régler son loyer. Cela nous semble extrêmement important dans le contexte actuel.

Vous savez aussi que les accords Vesta 1 et Vesta 2 n'ont pas bénéficié à tout le monde; ils ont certes profité à 80% des petits commerçants qui ont sollicité cette aide, mais une partie des gens n'y ont pas eu accès. Je peux vous citer l'exemple d'une personne tenant un petit café dans un immeuble: elle a demandé à sa propriétaire de bénéficier de l'application de Vesta 1 ou de Vesta 2 - je crois que c'était Vesta 1 -, mais la propriétaire n'a pas voulu, donc elle n'y a pas eu droit. Elle n'y a pas eu droit ! Or cette personne a aussi un logement, Mesdames et Messieurs, donc elle s'est retrouvée en difficulté pour payer non seulement son loyer commercial, mais également son loyer d'habitation. Selon le principe d'égalité de traitement qui devrait être appliqué partout et à tout moment dans cette république, on aurait dû en faire un cas de rigueur et l'aider. Un tel projet de loi permettra précisément de venir en aide à ces gens.

J'ai lu avec attention le rapport de minorité de mon collègue, par ailleurs excellent rhétoricien, qui indique que nous allons financer principalement les propriétaires institutionnels. Bon, en principe, c'est votre pré carré, les institutionnels, ce n'est pas le nôtre, n'est-ce pas ? Vous devriez être content qu'on les subventionne ! Mais surtout, comment faire autrement ? Sous prétexte qu'il ne faudrait pas donner de l'argent à ces bailleurs, on accepte que les citoyens perdent leur appartement ? L'essentiel, dans cette affaire, c'est que les gens ne perdent pas leur logement. Alors oui, il y a des bailleurs individuels et des bailleurs institutionnels, mais on ne va pas se mettre à faire de la ségrégation, Mesdames et Messieurs. L'objectif, ce n'est pas de trier les propriétaires, mais de faire en sorte que chacun puisse s'acquitter de son loyer dans la crise extrêmement difficile que nous traversons.

Aussi, chers collègues, Mesdames et Messieurs les députés, je vous en conjure - c'est le cas de le dire: votez ce projet de loi qui est très, très important par les temps qui courent, parce que la situation ne va pas perdurer un mois ou deux, elle va se prolonger bien au-delà de l'été, à mon avis, et il faut que tout un chacun dans cette république puisse se loger. Avec un logement, on assure l'avenir de ses enfants. Merci. (Applaudissements.)

M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de minorité. Ce projet de loi procède d'une bonne intention, à savoir faire en sorte que quelqu'un qui serait touché par la crise sanitaire, économique et sociale que nous connaissons ne perde pas son logement en prime. C'est louable, c'est positif, nous pouvons rejoindre ce but.

Toutefois, que demande concrètement le texte, Mesdames et Messieurs ? Il demande que lorsqu'un locataire reçoit de son bailleur une mise en demeure de payer son loyer dont il ne peut plus s'acquitter en raison d'une perte de revenus, directs ou indirects, liée à la crise sanitaire du covid-19, l'Etat se substitue à lui et verse l'argent au propriétaire. Ainsi, dès lors qu'une personne sera mise en demeure - on ne parle pas de résiliation de bail, mais simplement de mise en demeure de payer, le genre de courrier qui part parfois automatiquement -, on se retournera vers l'Etat qui devra payer le loyer directement au bailleur.

En commission, nous avons auditionné à la fois les représentants des locataires, en l'occurrence l'ASLOCA que connaît bien le rapporteur de majorité, et ceux des propriétaires, tout du moins des régies, soit l'USPI, et tous nous ont indiqué non seulement qu'on n'observe pas de hausse significative des mises en demeure en ce moment, mais qui plus est, lorsqu'on en constate, de quels propriétaires s'agit-il, Mesdames et Messieurs ? Eh bien de bailleurs institutionnels, c'est-à-dire des caisses de prévoyance, des assurances sociales - je cite l'ASLOCA - et même, comble du comble, l'Hospice général ! Cette régie étatique censée venir en aide aux personnes les plus précarisées met en demeure certains de ses locataires de payer leur loyer ! Dit autrement, Mesdames et Messieurs, ce projet de loi entraînera l'Etat, c'est-à-dire les contribuables, à financer des institutionnels dont on imagine bien qu'ils n'en ont pas besoin.

Pire encore, ce que l'on note, c'est que les petits propriétaires individuels, eux, jouent le jeu, parce qu'ils saisissent bien les conséquences de la crise sur leurs locataires, ils sont parfois eux-mêmes touchés, certains d'entre eux ayant pour seuls revenus précisément ces loyers qu'ils encaissent. Ceux-là jouent le jeu, et que vont-ils voir ? L'Etat se substituer à des propriétaires institutionnels, verser de l'argent à des entités qui n'en ont pas besoin. Alors que va-t-il se passer, Mesdames et Messieurs ? Ils vont se dire: «Très bien, j'arrête de jouer le jeu», ce d'autant plus qu'ils paient des impôts plein pot, ce qui n'est pas le cas des bailleurs institutionnels. En effet, comme vous le savez, à l'exception de l'impôt immobilier complémentaire, une caisse de prévoyance, par exemple, n'est pas soumise à l'imposition. Voilà tout simplement le résultat auquel on va aboutir avec ce projet de loi.

On parle ici d'un prêt, on nous fait croire qu'il sera remboursé au bout de sept ans maximum; en réalité, Mesdames et Messieurs, et vous le savez bien, si on vise les personnes précarisées, comme le souhaitent les auteurs du projet de loi, si on leur prête de l'argent qu'elles devront rembourser, elles se retrouveront rapidement en position de surendettement. Tout le monde a bien compris que la majorité d'entre elles ne pourront pas rembourser ce crédit, qu'il ne s'agit dès lors pas d'un prêt, mais bel et bien d'une aide à fonds perdu de l'Etat pour financer des propriétaires qui, je le répète, sont quasi tous des institutionnels.

Parlons maintenant de la subsidiarité: dans l'ensemble des aides que l'Etat a versées, que nous avons tous votées ici, partis de gauche et de droite confondus - plus ceux qui ne se revendiquent ni des uns ni des autres, c'est-à-dire qui ne se situent à peu près nulle part -, nous avons systématiquement inscrit un principe de subsidiarité pour éviter qu'un bénéficiaire perçoive deux, trois ou quatre fois une indemnité pour un même objet. Ici, les auteurs n'en ont cure, ils n'évoquent même pas la question; ce serait pourtant le minimum que de prévoir un tel principe. D'ailleurs, je cite ici - enfin, je ne le cite pas, je n'ai pas eu le temps de noter ses propos avec exactitude - notre estimé collègue Pablo Cruchon qui, ce matin, à propos d'un autre projet de loi, expliquait exactement ce que je viens de dire, à savoir qu'on va se retrouver avec des gens qui recevront deux ou trois fois de l'aide pour un même fait, celui d'avoir perdu leur logement.

Souvenez-vous par ailleurs, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, que des mesures ont déjà été prises. Je le répète: ce n'est pas que la minorité n'entend pas aider ces personnes dont on comprend bien la situation qu'elles vivent, mais des soutiens financiers ont déjà été accordés par ce parlement. Le 4 décembre, pas dans cette salle, mais dans une autre, nous avons voté un crédit de 12 millions destiné à être versé aux associations venant en aide aux personnes les plus précarisées, essentiellement pour leur permettre de s'acquitter de leur loyer.

Nous avons déjà voté des subventions, il n'y a pas de principe de subsidiarité et on veut maintenant ajouter une aide supplémentaire ! Une aide qui, par-dessus le marché, et c'est le département de la cohésion sociale qui nous l'a rappelé en commission, ne tient même pas compte de la situation personnelle du locataire. Pensons à une personne qui se retrouve avec peu ou plus de revenus en raison de la crise, mais qui possède une fortune; elle pourrait être locataire à Genève et propriétaire en France, par exemple. Partant, est-il normal que l'Etat se substitue à elle et verse le loyer à son propriétaire alors qu'elle possède une fortune qu'elle pourrait utiliser ? Le projet de loi n'en parle pas. Alors la gauche aime bien évoquer ce point lorsque ça l'arrange; ici, personne n'en parle, et c'est le département de la cohésion sociale qui nous l'a rappelé.

En conclusion, Mesdames et Messieurs, et je tiens à le dire une nouvelle fois, nous ne sommes évidemment pas contre le fait de soutenir des personnes qui perdraient leur logement, bien sûr que non; or, il se trouve que non seulement des aides ont déjà été adoptées, mais la conséquence principale de ce projet de loi sera le financement à fonds perdu de propriétaires essentiellement institutionnels. Qui plus est, ce versement sera effectué indépendamment de tout autre subside déjà obtenu ou d'une fortune que posséderait le locataire, ce qui privera le canton et notre parlement de moyens qui pourraient être attribués à d'autres personnes susceptibles d'en avoir besoin dans le cadre de la crise sanitaire, économique et sociale que nous traversons.

Cette crise, Mesdames et Messieurs les députés, a démontré l'importance d'une gestion rigoureuse des finances de l'Etat afin que nous soyons certains de venir en aide concrètement et efficacement à tous ceux qu'il faut soutenir en urgence et en priorité. La minorité de la commission espère que ce Grand Conseil saura retrouver la raison et vous invite à refuser ce texte. (Applaudissements.)

M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, en 2013, vous m'aviez nommé au conseil d'administration de l'Hospice général pour la durée de la législature. J'y ai donc passé cinq ans au cours desquels j'ai côtoyé une réalité que je ne connaissais certainement pas assez, celle des personnes ayant perdu leur logement. Que se passe-t-il à Genève lorsqu'on perd son bail ? Eh bien on se retrouve généralement logé à l'hôtel. Alors vous me direz qu'en ce moment, ce ne sont pas les chambres libres qui manquent... On pourrait même voir dans votre refus de ce projet une tactique pour renflouer les caisses des hôteliers !

Cela étant, qui paie ces chambres d'hôtel qui reviennent nettement plus cher que des biens locatifs ? C'est la collectivité. Ça passe par l'Hospice général, mais ça vient toujours de la poche du contribuable. Le problème, donc, c'est que quand les gens perdent leur appartement, à plus forte raison s'il s'agit d'une famille, ils sont relogés d'une manière qui n'est pas du tout économe de l'argent public.

En ce moment, nous nous trouvons dans une situation très particulière, une situation de crise en raison du covid, et le projet de loi est lié à ce contexte de crise. J'entends bien les arguments du député Zweifel qui seraient valables en temps normal, mais dans la période particulière que nous traversons, doit-on vraiment continuer à exiger autant de paperasse que d'habitude ? Dans ce canton, on a un peu pour habitude de vous demander l'acte de naissance de votre arrière-grand-mère maternelle, et quand vous l'avez produit, on vous demande de prouver qu'il s'agit bien de votre arrière-grand-mère maternelle, parce qu'elle ne porte pas le même nom de famille que vous. A certains moments, on est à peu près dans cette logique-là.

Aujourd'hui, on vous propose une procédure simple et rapide dans le cadre d'une situation particulière, Mesdames et Messieurs, et nous vous invitons tout simplement à soutenir ce projet de loi. Merci. (Applaudissements.)

M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, contrairement à ce que certains pensent, ce projet de loi a son utilité. En effet, dans le contexte du covid-19, un certain nombre de personnes soit ont perdu leur emploi, soit se retrouvent aux RHT avec un salaire diminué et donc dans l'incapacité de s'acquitter de leur loyer. Il faut prendre en compte cette situation, voyez-vous. On parle de gens tout à fait intégrés, qui avaient un poste ou ont encore un emploi, mais sous RHT. Ce n'est pas du tout la même situation que celle décrite tout à l'heure par le député Yvan Zweifel - vous transmettrez, Monsieur le président; ceux pour lesquels on a voté un crédit au mois de décembre sont complètement précarisés et pris en charge par des associations - le CSP, Caritas, le CausE -, ce n'est pas le même public.

Quel est l'objectif du projet de loi ? Il s'agit d'intervenir avant que ne s'engage une spirale infernale: on n'a pas réglé son loyer, on reçoit une menace et, si on ne peut pas y faire face, un congé est signifié. Le processus est très rapide, d'autant plus que tout ça se passe maintenant en trente jours: l'exception de nonante jours votée par le Conseil fédéral n'étant plus valable, on n'est plus dans ce cadre-là. Et même au bout de nonante jours, comment rattraper trois mois de loyer quand on a perdu sa source de revenus ? Le but est d'éviter que les gens soient mis à la rue, il faut qu'ils puissent conserver leur appartement, ce qui constitue le premier critère de sécurité et de cohésion sociale dans ce pays et dans ce canton.

Nous devons faire cet effort, d'autant qu'il y a des conditions: il faut prouver qu'on a reçu une menace de résiliation, voire d'expulsion. Ça peut se passer très rapidement, c'est la loi fédérale qui fixe le cadre aujourd'hui, et lorsque ça arrive, on est en grande difficulté: souvent, même si on paie les loyers manquants, même si une association s'en charge pour nous, eh bien le congé reste effectif. C'est extrêmement délicat, et il faut éviter d'en arriver là, d'où ce système préventif. En plus de se trouver dans cette situation, il faut encore attester d'une perte de revenus liée à la crise sanitaire.

Au deuxième débat, on pourra discuter des quelques amendements qui ont été déposés, que le MCG votera, je pense que c'est une nécessité. C'est naturellement le Conseil d'Etat qui fixera les modalités d'application de ce prêt - nous sommes d'ailleurs saisis d'un amendement du gouvernement à ce propos. Car oui, il s'agit bien d'un prêt, Mesdames et Messieurs, pas d'un cadeau bonus, donc il faudra définir les conditions de remboursement à relativement long terme. Je le répète, c'est vraiment une nécessité.

Mesdames et Messieurs, nous devons permettre aux gens de conserver leur appartement, parce qu'il est extrêmement difficile d'en retrouver un aujourd'hui; le risque, c'est de ne pas en trouver du tout. Les seuls bailleurs qui acceptent les personnes en difficulté financière sont les fondations immobilières et la Gérance immobilière municipale, tous les autres les refusent. Par conséquent, Mesdames et Messieurs, je vous invite à entrer en matière sur ce projet de loi, puis, à l'issue du deuxième et du troisième débat, à l'accepter. Merci.

M. Sébastien Desfayes (PDC). Le PDC considère que le droit au logement est un droit fondamental, et nous ne pouvons pas tolérer qu'en raison de la crise que nous traversons aujourd'hui, des femmes, des hommes, des familles perdent leur habitation. Nous ne sommes pas démocrates-chrétiens pour rien et nous nous retrouvons dans cette phrase de l'abbé Pierre: «Quand on investit un million dans le logement, on évite de dépenser dix millions ailleurs.»

C'est dans cet esprit que le PDC, sous l'impulsion de Mme Patricia Bidaux, a déposé un projet de loi au mois de décembre pour attribuer une subvention de 12 millions à des associations qui défendent les personnes précarisées, qui les aident à payer leur loyer. On peut se féliciter, on peut être très fiers que dans cet hémicycle, la quasi-totalité des députés ait voté ce crédit. C'est un système très simple qui a été mis en place, un système agile, un système non bureaucratique: les associations savent qui a besoin d'être soutenu dans le paiement des loyers. Pour répondre au député Bavarel, les organismes d'aide, notamment Caritas, ont indiqué que le dispositif permettait précisément aux pauvres qui se voient privés d'un toit d'être relogés dans un hôtel. C'est donc un mécanisme qui fonctionne, et si les associations devaient nous dire demain: «Nous avons besoin de plus d'argent», eh bien le PDC serait le premier à considérer une telle requête d'un oeil bienveillant.

Malheureusement, avec le présent projet de loi, on met en péril la pérennité de cette mesure, on fait exactement le contraire: on ne respecte pas les principes de subsidiarité, d'efficacité et de rapidité demandés par les associations. Alors on vient nous dire qu'il ne s'agit pas du même public cible, mais si les gens ne sont pas précarisés, s'ils ont les moyens de s'acquitter de leur loyer, ce n'est pas à l'Etat de payer leurs bailleurs, tout simplement !

Et puis quand on vote une loi, il faut en connaître les conséquences. Vers quoi s'engage-t-on ? D'abord, quel service au sein de l'Etat mettra en oeuvre cette usine à gaz ? Qui s'assurera ensuite qu'au bout de sept ans, les prêts auront été remboursés ? Personne n'est dupe: ces emprunts ne seront jamais remboursés.

Comme vous venez de l'entendre, le député Sormanni nous a expliqué que des conditions doivent être remplies. Soit, mais examinons ces conditions de plus près: il faut simplement attester d'une perte de revenus suite à la crise du covid. Or dans le privé, à de très rares exceptions, tout le monde a subi une baisse de salaire, ce qui signifie que tout un chacun aura droit à cette aide ! A Genève, plus de 135 000 personnes ont été placées en RHT, sans parler des indépendants. Ainsi, 135 000 personnes ont subi une diminution de leurs revenus du fait des RHT, autant de gens qui peuvent prétendre à cette subvention de l'Etat. Où cela va-t-il s'arrêter ? C'est un véritable puits sans fond qui s'installe.

On nous dit encore qu'il faut faire l'objet d'une résiliation. Pour un avocat, Mesdames et Messieurs, et pas forcément un avocat de l'ASLOCA, mais un avocat cynique - et Dieu sait s'il y en a au sein du barreau, malheureusement -, le meilleur conseil qu'il puisse donner à son client sera vite trouvé: «Ne paie pas ton loyer, attends une mise en demeure, l'Etat paiera pour toi.» Est-ce vraiment ce que l'on veut ? Le problème fondamental de ce système, c'est qu'on va arroser tout le monde et priver ceux qui en ont besoin d'une aide de l'Etat. Voilà pourquoi le PDC s'opposera à ce projet de loi. Merci.

Une voix. Bravo. (Applaudissements.)

M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi peut sembler séduisant de prime abord. Cependant, on s'interroge: avec le filet social actuel et l'aide extraordinaire qui a été évoquée, c'est-à-dire le crédit de 12 millions de francs alloué aux associations de terrain, est-il vraiment nécessaire de voter une nouvelle loi ciblant spécifiquement les personnes en retard dans le paiement de leur loyer ? Rappelons que durant la période du covid, le délai comminatoire a été prolongé, passant de trente à nonante jours, précisément pour éviter que les locataires se retrouvent en difficulté. Ceux-ci ont donc déjà eu le temps de se retourner et de prendre les devants. Faut-il malgré tout une intervention préventive de l'Etat - car il s'agit bien d'un dispositif de prévention - dans les cas de mises en demeure ? On ne parle même pas d'expulsions, du moins pas encore, puisque les gens bénéficient de longs délais pour s'acquitter de leur loyer.

L'UDC estime que nous devons respecter les processus, laisser la chance aux propriétaires et aux locataires de négocier. En effet, ils peuvent discuter, ce n'est pas à l'Etat d'intervenir de manière préventive en cassant toute option de négociation; des solutions existent, des arrangements sont possibles. Et puis si, par malheur, aucun accord ne pouvait être trouvé, il reste encore le filet social: on nous a expliqué que l'Hospice général pouvait débloquer des fonds à hauteur de plusieurs milliers de francs - 4000 francs, je crois - et prendre des engagements pour des arrangements de paiement avec les bailleurs. D'ailleurs, comme l'a indiqué le rapporteur de minorité, la plupart des propriétaires sont des institutions, voire des institutions sociales, et je doute que celles-ci aient la volonté de chasser leurs locataires, elles vont sûrement trouver des solutions.

Je souligne par ailleurs que le Tribunal des baux et loyers n'a pas encore prononcé d'expulsion à ce jour, même s'il est toujours possible qu'il y en ait par la suite, et les juges ont confirmé que les propriétaires jouaient le jeu, comme ça a été dit. Dès lors, il faut laisser s'opérer ce travail important, les juges ont à coeur de mettre en pratique leur rôle social, ce n'est pas à l'Etat de s'immiscer là-dedans de manière préventive. Laissons-les analyser avec soin les cas qui leur sont soumis et assumer le rôle social qu'ils revendiquent.

Enfin, le projet de loi prévoit de payer immédiatement le loyer des personnes mises en demeure, sans même qu'elles aient à attester d'une perte de revenus; c'est une facilité qui ne tient pas compte de la situation personnelle des gens, cela a été relevé, et qui ouvre la porte à de potentiels abus, car les éventuelles aides financières qu'auraient pu obtenir les locataires ailleurs ne sont pas prises en considération. Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs, l'UDC vous suggère de refuser ce projet qui part d'une bonne intention, mais qui n'est pas indispensable. Merci.

Une voix. Très bien.

M. Pablo Cruchon (EAG). Mesdames les députées, Messieurs les députés, pour rappel, 35% des ménages suisses ont subi des baisses de revenus durant l'année 2020, et on peut sans autre affirmer qu'en 2021, ces pertes seront encore plus conséquentes et plus lourdes à porter pour la population. En plus des diminutions salariales de 20% liées aux RHT, il y a la fin des contrats à durée déterminée, les licenciements, les emplois précaires non reconduits, etc. Evidemment, ces pertes se traduisent par de multiples difficultés, mais dans notre canton où la crise du logement fait rage depuis des années, où les loyers sont extrêmement élevés et représentent une part très importante des dépenses, la question de l'habitation est particulièrement sensible, il faut donc agir dans ce domaine.

En ce qui nous concerne, à Ensemble à Gauche, nous déplorons d'avoir à agir sur la problématique des loyers. Pourquoi ? Parce que nous estimons que les collectivités publiques devraient garantir la protection des revenus des travailleuses et travailleurs, des petits indépendants, et ne pas intervenir sur les dépenses des gens. Concrètement, cela signifie que nous défendons, et nous l'avons indiqué à plusieurs reprises, des RHT à 100% ainsi qu'une réelle protection contre les baisses de salaire. Malheureusement, nous devons constater que nous sommes minoritaires dans cet hémicycle, comme d'ailleurs au Parlement fédéral - quoiqu'on atteigne presque la majorité à Berne: il nous faut donc bien intervenir sur cette question.

Alors nous voterons la solution proposée ici, même si nous ne sommes pas tout à fait satisfaits de ses contours. Pourquoi ? Certes, la droite a en partie raison: ce système alimente les intérêts privés des propriétaires et ne résout pas les problèmes de revenus de la population. Mais en réalité, ce qui est en jeu, ce que cette crise montre, c'est qu'une gestion privée du parc immobilier ne permet pas de traverser des crises de manière adéquate. Ensemble à Gauche vous rappelle qu'il serait beaucoup plus logique de collectiviser le parc immobilier, d'en assumer une gestion publique et démocratique, cela nous permettrait de traiter les problèmes d'expulsions de manière transparente et démocratique, dans l'intérêt des citoyens. Le problème, c'est que la question du logement tombe sous la coupe du droit fédéral. A cet égard, nous attendons, à Ensemble à Gauche, que le Conseil d'Etat fasse plus pression à Berne pour que des aides ou des aménagements soient proposés sur le plan fédéral en matière de droit du bail et que nous puissions agir autrement que par l'octroi de prêts.

S'agissant du droit aux prestations, M. Desfayes s'est exclamé: «Oh, mais tout le monde va s'engouffrer dans la brèche et demander un emprunt !» Ensuite, on a entendu: «Les personnes précaires bénéficient de toute façon d'autres mécanismes.» D'une part, ce dispositif ne s'adresse pas qu'aux personnes précaires puisque, par exemple, de petits indépendants rencontrant des problèmes de liquidités pourraient y recourir. D'autre part, franchement, qui va emprunter à l'Etat et s'endetter alors qu'il a suffisamment de moyens ? Je fais confiance au Conseil d'Etat et surtout aux services de l'administration pour établir des procédures qui décourageront ce genre de pratique. Enfin, le système proposé n'est rien moins que la copie du mécanisme de prêt mis en place pour les sociétés en situation d'urgence. Il fallait sauver les entreprises, il fallait agir; aujourd'hui, il faut protéger les locataires contre les expulsions et le mal-logement, il faut aussi agir. Alors votez ce projet ! Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est un mystère pour personne, la crise du covid a amené un certain nombre de ménages à perdre une part de revenus parfois substantielle. Or au vu du prix des loyers à Genève, le logement représente pour beaucoup un poste important du budget, d'où la difficulté d'un nombre croissant de personnes à s'acquitter de leur loyer.

Comme on le sait, le droit du bail est très libéral et place le locataire dans une position de grande vulnérabilité qui ne lui permet pas, comme le soutenait M. Falquet tout à l'heure, de négocier quoi que ce soit. En effet, en cas de retard de paiement, vous recevez immédiatement une mise en demeure qui vous octroie un délai de trente jours pour verser votre dû, et si vous ne l'avez pas fait à cette échéance, vous vous exposez à une résiliation de votre contrat de bail, puis à une évacuation. C'est un risque qui pèse sur de nombreux ménages de notre canton, qu'il s'agisse de personnes précaires ou de la petite classe moyenne: elles peuvent rapidement dévaler le toboggan tout droit vers la précarité. Et s'il est facile de descendre ce toboggan, une fois que vous êtes arrivé en bas, en revanche, il est extrêmement difficile de le remonter.

Nous vivons actuellement une situation exceptionnelle, nous devons prendre des mesures exceptionnelles et voter des mécanismes de soutien exceptionnels afin d'aider les gens qui, pour certains, se trouvent en difficulté financière de façon tout à fait temporaire, qui subissent une sorte de trou d'air les empêchant momentanément de s'acquitter de leur loyer. On espère pour eux que dès la crise passée, ils pourront à nouveau bénéficier de revenus leur permettant de payer leur appartement et de rembourser ce prêt. Car oui, je le mentionne une nouvelle fois, il s'agit bien d'un dispositif de prêt à taux zéro, avec un délai raisonnablement long - sept ans - pour que les gens puissent le rembourser. Ainsi, l'Etat aide ces personnes sans que cela lui coûte rien, on est véritablement dans un système gagnant-gagnant.

Je relève que lors de nos dernières sessions, que ce soit celle-ci ou durant les semaines précédentes, ce Grand Conseil s'est montré particulièrement généreux et enclin à octroyer des indemnités à l'économie, aux entreprises, soucieux qu'il est de préserver les emplois. C'est une bonne chose, je m'en réjouis, mais nous devons également veiller à ce que les travailleurs qui auront pu garder leur poste grâce aux aides votées par notre parlement conservent également leur toit.

Par ailleurs, Mesdames et Messieurs les députés, il n'est peut-être pas inutile de rappeler, même si cela a déjà été fait au cours du débat, que le droit au logement est un droit constitutionnel. Ce que l'on constate, malheureusement, c'est que l'Etat faillit dans sa mission de garantir une habitation à l'ensemble de la population. A cet égard, le minimum qu'il devrait faire, et c'est l'objectif du projet de loi, c'est éviter que celles et ceux qui ont déjà un appartement le perdent.

Mesdames et Messieurs - j'en terminerai par là, Monsieur le président -, nous sommes aujourd'hui dans une période charnière. Comme M. Zweifel l'a souligné, l'USPI a indiqué en commission connaître relativement peu de cas de locataires n'arrivant pas à s'acquitter de leur loyer. Cela étant, dans les premiers mois de la pandémie, les gens ont pu bénéficier d'un délai prolongé à nonante jours, ce qui n'est plus le cas maintenant; ils ont été puiser dans leur épargne, ils ont compté sur leurs proches pour continuer à verser leur dû, mais ils sont aujourd'hui complètement à sec et risquent de perdre leur logement; c'est précisément ce que ce texte cherche à éviter. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. A présent, je donne la parole à M. Cyril Aellen pour deux minutes quarante-quatre.

M. Cyril Aellen (PLR). Merci, Monsieur le président. Que propose cette loi sur le fond ? Je ne trancherai pas l'aspect politique. Il s'agit d'octroyer un prêt à taux zéro à des personnes qui rencontrent des difficultés pour payer leur loyer. A la question de savoir à qui le dispositif s'adresse, s'il concerne les mêmes cercles de bénéficiaires que ceux visés par la loi 12836 - j'y reviendrai -, la réponse est partiellement oui, partiellement non. En effet, il est destiné aux personnes dans la grande précarité, mais pas seulement.

Je vais m'intéresser à ceux qui sont dans la grande précarité et vous rappeler, Mesdames et Messieurs, la teneur de cette loi que nous avons votée le 4 décembre 2020, juste pour qu'on sache à quoi elle correspond: c'est la loi permettant de soutenir les organismes privés à but non lucratif en faveur des personnes en situation de précarité en lien avec la crise sanitaire de la covid-19. Et que stipule ce texte dans ses buts ? Que la subvention permet notamment de participer au paiement des loyers. Puis, à l'article 3 sur le respect du principe de subsidiarité, à la lettre a, il est indiqué que les «participations au paiement des charges visées à l'article 1, alinéa 2, de la présente loi [sont] subsidiaires à toute prestation à laquelle les personnes précarisées ont droit, en particulier aux prestations d'assurances sociales et d'aide sociale, y compris les mesures décidées par le Conseil d'Etat dans le cadre des mesures de lutte contre le coronavirus pour compléter les prestations de l'assurance-chômage ou de l'assurance perte de gain».

Qu'est-ce que j'entends par là ? Eh bien que le projet que vous vous apprêtez à adopter aujourd'hui, qui consiste en une aide sous forme de prêt, y compris à destination des précarisés, va à l'encontre de la loi permettant de verser des indemnités à fonds perdu à ces mêmes personnes. Ainsi, en votant oui au présent texte, vous empêchez les personnes précaires d'avoir accès au crédit de 12 millions destiné à des paiements à fonds perdu en leur faveur. Voilà ce à quoi ça va nous conduire. Alors je vous recommande, Mesdames et Messieurs, de réexaminer ce projet de loi de façon approfondie pour éviter de précariser davantage les personnes qui le sont déjà aujourd'hui, raison pour laquelle je sollicite un renvoi en commission.

Une voix. Parfait !

Une autre voix. Bravo ! (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie. Le Conseil d'Etat souhaite-t-il s'exprimer sur la proposition de renvoi en commission ?

M. Thierry Apothéloz. Oui, mais après le vote.

Le président. Mais... il y a une demande de renvoi en commission, Monsieur le conseiller d'Etat, est-ce que vous voulez prendre la parole à ce sujet ?

M. Thierry Apothéloz. Je souhaiterais m'exprimer à la fin du débat, Monsieur le président.

Le président. Non, ce n'est pas possible, parce que si le projet de loi est renvoyé en commission, le débat sera terminé.

M. Thierry Apothéloz. Dans ce cas je vais prendre la parole maintenant.

Le président. Très bien. Je vous cède le micro, Monsieur le conseiller d'Etat.

M. Thierry Apothéloz, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, les problèmes que rencontrent aujourd'hui les locataires fragiles en raison de la covid sont une réalité. Ils se voient peu, les représentants de l'USPI et de la CGI le reconnaissent eux-mêmes, principalement, selon moi, parce que les gens mobilisent leurs dernières économies avant de se retrouver en difficulté. Tout le monde en est conscient. Votre Grand Conseil a d'ailleurs décidé, pas plus tard qu'hier et encore aujourd'hui, de resserrer les mailles du filet économique, et certains d'entre vous ont rappelé dans cette enceinte les actions votées pour un resserrement du filet social, ce dont nous nous réjouissons.

Le Conseil d'Etat n'a pas attendu ce projet de loi pour travailler sur des programmes: des contacts réguliers sont établis avec l'ASLOCA, la CGI et l'USPI afin d'agir sur deux volets du droit du bail, avec toute la difficulté que cela représente, puisqu'il s'agit d'un droit fédéral. Il convient d'intervenir en amont et en aval, de renforcer différentes mesures pour permettre à celles et ceux qui risquent de perdre leur logement de trouver une solution.

L'un des éléments invoqués par les auteurs du projet de loi est la nécessité d'apporter une réponse rapide au public ciblé par le texte. Lors de son étude à la commission du logement, et non à la commission des affaires sociales, les auditions nous ont apporté un éclairage sur plusieurs difficultés de mise en oeuvre. En effet, pour poursuivre le but de la rapidité, il faut que la législation, respectivement le règlement d'application, soient suffisamment clairs et permettent à l'administration d'agir. A cet égard, le Conseil d'Etat exprime trois préoccupations.

Tout d'abord, le cercle des ayants droit n'a pas été fixé en termes de limite et de bassin de population, ce qui peut amener à penser que leur nombre est difficile à estimer. Qui plus est, les bénéficiaires de l'aide sociale au sens strict, soit celles et ceux qui sont sous le couvert de l'Hospice général, ne devraient pas pouvoir obtenir ce type d'aide, vu qu'ils sont déjà «protégés», entre guillemets, par cette institution.

Il y a ensuite des interrogations autour des sous-locations. Si les sous-locations légales et autorisées par le propriétaire et la régie peuvent entrer dans le champ du projet de loi, en revanche, les sous-locations illégales ou sauvages n'y figureront pas, puisqu'il faut produire un bail pour obtenir le prêt. Ces éléments conduisent finalement le Conseil d'Etat à poser la question - elle a déjà été évoquée, je me permets d'en reparler - du surendettement que le système pourrait provoquer. La vice-présidente du Tribunal des baux et loyers juge qu'il y a un risque à ce sujet.

Encore un mot sur la rapidité. Dans le rapport, il est indiqué que l'Hospice général est parfois trop lent à mettre en oeuvre les dispositifs. Eh bien nous serons confrontés au même problème, c'est-à-dire que pour instruire un dossier, pour déployer une action, nous avons besoin d'un cadre suffisamment explicite. Le Conseil d'Etat y demeure attentif.

Pourquoi le Conseil d'Etat vous propose-t-il un amendement l'autorisant non seulement à désigner un département rapporteur, mais également à fixer par voie réglementaire les modalités de mise en place du mécanisme ? Parce qu'il s'agit d'abord de clarifier le périmètre, ensuite de garantir une application rapide de la loi, enfin d'éviter les abus. Si je le formule aussi ouvertement, c'est parce que souvent, trop souvent, les fraudes jettent l'opprobre sur les bénéficiaires. Si on ne tient pas un discours franc, on prend le risque que le dispositif soit délicat à exécuter.

Au final, le Conseil d'Etat souhaiterait que certaines questions soient réétudiées au sein d'une commission, si possible à la commission des affaires sociales, que le projet de loi y soit traité, puis concrétisé rapidement; à défaut, nous serons empruntés pour le faire de la manière souhaitée par ce qui semble se dessiner comme une majorité de votre parlement.

Une fois encore, le Conseil d'Etat est soucieux d'agir en faveur des locataires, d'éviter autant que faire se peut des ruptures de baux, d'intervenir pour que le paiement des loyers ne se perde pas. Toutefois, afin de réaliser cette volonté, nous avons besoin d'un cadre législatif et réglementaire suffisamment charpenté. Merci, Monsieur le président.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous sommes donc saisis de deux demandes de renvoi: la première, de M. Cyril Aellen, à la commission du logement, la seconde, de M. Thierry Apothéloz, à la commission des affaires sociales. Je donne la parole aux rapporteurs sur ces requêtes, en commençant par M. Alberto Velasco.

M. Alberto Velasco (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Je me dois de dire que c'est parce que l'Etat a été incapable - incapable ! - de pourvoir aux besoins des gens ayant perdu leur logement qu'on en arrive à ce stade ! Comme l'a mentionné M. Cruchon, vous avez été incapable, Monsieur le conseiller d'Etat, depuis mars dernier, de mettre en place des mesures adéquates ! Voilà pourquoi on en arrive là ! Voilà pourquoi on en arrive là !

Quant à mes collègues de droite, Mesdames et Messieurs, lorsqu'il s'est agi de renflouer les caisses des banques à coups de milliards, vous n'avez pas avancé... (Exclamations. Le président agite la cloche.) ...l'argument des fonds publics ! Non, là, il n'y avait pas de problème ! A l'époque où il fallait injecter des milliards dans les banques, ça ne vous a pas gênés ! Ce matin, quand on vous a demandé d'accepter un amendement pour les cas... (Brouhaha.)

Le président. Un instant, Monsieur Velasco, s'il vous plaît !

M. Alberto Velasco. ...de rigueur, vous n'avez pas voulu le voter, Messieurs ! Nous refuserons le renvoi en commission, et j'espère vraiment que notre conseiller d'Etat socialiste nous appuiera. Merci. (Applaudissements. Commentaires.)

Une voix. Nous sommes soumis à la prescription de respecter les normes d'hygiène. Merci, Monsieur Velasco !

Le président. Monsieur Velasco, je vous rappelle que vous devez porter votre masque lorsque vous prenez la parole également. Par ailleurs, je demande à l'assemblée de bien vouloir cesser de hurler, nous avons encore trois heures à tenir. La parole va maintenant au rapporteur de minorité, sur les renvois en commission. A vous, Monsieur Yvan Zweifel.

M. Yvan Zweifel (PLR), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, vous aurez bien compris que des questions importantes restent en suspens, notamment celle, technique, évoquée par mon collègue Cyril Aellen. La minorité, du moins le groupe PLR, se joint volontiers à la proposition émise par le conseiller d'Etat Thierry Apothéloz, celle d'un renvoi à la commission des affaires sociales.

Le président. D'accord, merci. Je comprends que la demande de renvoi à la commission du logement formulée par M. Aellen tout à l'heure est annulée et que la minorité se rallie à la proposition du Conseil d'Etat qui est de renvoyer ce texte à la commission des affaires sociales. Mesdames et Messieurs les députés, nous procédons au vote.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12798 à la commission des affaires sociales est adopté par 54 oui contre 37 non et 1 abstention.

M 2635-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Jean-Luc Forni, Jean-Marc Guinchard, Patricia Bidaux, Olivier Cerutti, Sébastien Desfayes, Delphine Bachmann, Anne Marie von Arx-Vernon, Jacques Blondin, Bertrand Buchs, François Lance, Souheil Sayegh, Christina Meissner, Claude Bocquet : Déplafonnement des APG pour les indépendants
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 27 et 28 août 2020.
Rapport de majorité de M. Pierre Eckert (Ve)
Rapport de minorité de M. Jean-Marc Guinchard (PDC)

Débat

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons à l'urgence suivante, la M 2635-A. Ce débat est classé en catégorie II, trente minutes. Monsieur le rapporteur de majorité Pierre Eckert, la parole est à vous.

M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, la majorité de la commission a estimé que l'augmentation du seuil introduirait une spécificité genevoise qui peut se révéler compliquée à mettre en oeuvre, puisque la prestation cantonale devrait se superposer à la prestation nationale. Elle pourrait aussi introduire une inégalité de traitement selon que l'indépendant est affilié à une caisse de compensation genevoise ou non. (Brouhaha.)

Une voix. On n'entend rien ! (Commentaires.)

M. Pierre Eckert. Je disais que cette augmentation du seuil pourrait aussi introduire une inégalité de traitement selon que l'indépendant est affilié à une caisse de compensation genevoise ou non. C'est notamment le cas dans les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration.

La majorité estime d'autre part que le besoin d'indemnisation pour des revenus situés entre 90 000 et 120 000 francs n'est pas démontré. Un revenu de 90 000 francs par année correspond à 7500 francs par mois, ce qui devrait être suffisant pour créer les réserves nécessaires afin de couvrir le risque entrepreneurial lié à l'activité indépendante. Il est par ailleurs possible de recourir à des prêts avantageux, garantis par la Confédération, pour pallier un éventuel manque de liquidités. Le filet social mis en place pendant la crise covid, dont nous parlons depuis un certain temps dans cette assemblée, et concrétisé par ce bouquet d'aides devrait se limiter à des personnes qui se retrouvent réellement dans le besoin. Or il apparaît que fixer la taille de la maille à 7500 francs par mois pour cette catégorie de personnes devrait suffire à la tâche. La majorité de la commission vous incite donc à refuser cette motion.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC), rapporteur de minorité. Mesdames les députées, Messieurs les députés, les objectifs de ce texte ont été clairement décrits dans l'exposé des motifs. La motion se calque sur l'ordonnance du Conseil fédéral et entend entre autres corriger un effet de seuil préjudiciable à environ 20% des indépendants de notre canton. Les invites tiennent compte notamment de la situation genevoise à l'aune de celle prévalant dans les autres cantons. En effet, les salaires et les loyers sont plus élevés à Genève, et le pouvoir d'achat de ses habitants est moindre.

Plusieurs députés ont affirmé haut et fort que le statut d'indépendant impliquait une responsabilité personnelle et de gestion plus importante, notamment une prudence et des actions de prévisibilité plus fortes. Certes, le statut d'indépendant librement choisi obéit à ces règles. Il sied toutefois de rappeler que l'entrepreneur accepte la notion de risque liée à son activité et en tient compte au moment de créer son entreprise, lors de ses études de marché en particulier. Mais ces risques - perte de marchés, concurrence plus forte, obsolescence de l'outil de travail, investissements à perte ou mal planifiés, manque de réactivité face à l'évolution de son domaine d'activité, défaut d'anticipation, perte d'exploitation, etc. - sont connus et l'entrepreneur est prêt à les assumer.

Les conséquences de la covid-19 ne sont pas liées à des problèmes de personnel, pas plus qu'à des problèmes de gestion ou d'anticipation. Elles sont induites par une décision du Conseil fédéral, qui a tout simplement interdit à toute une catégorie d'entrepreneurs d'exercer leur activité, interdiction qu'aucun entrepreneur indépendant n'aurait réellement pu prévoir dans un plan de trésorerie.

Cette motion, dont le but est de donner une bouffée d'air bienvenue aux oubliés de l'ordonnance fédérale APG, permet de combler une lacune et d'intégrer les indépendants concernés dans un plan d'aide complémentaire cantonale, le tout pour des montants - ils ont été estimés - relativement modestes et supportables pour la collectivité. Il est de ce fait d'autant plus étonnant que les plus farouches opposants à cet objet - à l'exception normale et attendue des Verts et de l'extrême gauche - représentent les milieux économiques de notre canton et donc les entrepreneurs qu'ils défendent.

En conclusion, dans la mesure où ce texte n'a été refusé qu'à une voix en commission, Mesdames et Messieurs les députés, je vous encourage vivement à inverser cette majorité et à soutenir cette proposition de motion bienvenue. Merci. (Applaudissements.)

M. André Pfeffer (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, cette motion propose d'augmenter le plafond pour que les indépendants ayant des revenus situés entre 90 000 et 120 000 francs par année puissent également bénéficier des APG. Le groupe UDC est acquis à l'idée que les entreprises et les entrepreneurs touchés par les restrictions, les interdictions de travailler et une chute brutale des activités puissent bénéficier d'aides adéquates, et même adéquates par rapport à leur préjudice. Mais cette motion amène plusieurs difficultés.

Premièrement, les APG sont une mesure fédérale et cette extension cantonale représente une tâche conséquente. Deuxièmement, la grande majorité des indépendants est déjà indemnisée avec les prestations actuelles. Lors de son audition, la FER a relevé que sur ses 7000 indépendants, seuls 570 seraient concernés; en plus, certains d'entre eux bénéficient déjà d'aides liées aux fermetures imposées. Troisièmement, il pourrait y avoir un problème d'équité selon que l'indépendant est affilié à une caisse de compensation genevoise ou non. Quatrièmement, il y aurait aussi des problèmes de mise en application et d'évaluation des coûts. Pour toutes ces raisons, l'UDC laissera la liberté de vote au sein de son groupe. Merci de votre attention.

M. Jean Batou (EAG). On observe, face à cette crise, une croissance des inégalités. En réalité, à Genève, il vaut mieux être propriétaire d'une entreprise, il vaut mieux être un indépendant très aisé qu'un locataire ou un salarié modeste. On vient de le voir et on l'a constaté lors des précédentes séances de ce Grand Conseil: les aides ont été délibérément ciblées sur les secteurs privilégiés de la société, avec pour argument qu'en les aidant, on aiderait indirectement les salariés et les locataires. Il est tout de même assez indécent de vouloir privilégier ici des indépendants qui gagnent plus de 90 000 francs par an en élevant le seuil des allocations jusqu'à un revenu de 120 000 francs ! Cela d'autant plus qu'ils ne verseront pas de cotisations sociales sur ce supplément. Comme d'autres députés l'ont indiqué avant moi, on introduira en outre une véritable usine à gaz pour le versement de ces indemnités ainsi qu'une inégalité de traitement entre ceux qui sont affiliés à une caisse de compensation genevoise et ceux dont la caisse se trouve dans un autre canton.

Pour l'ensemble de ces raisons, mais plus fondamentalement pour dénoncer le fait que ce Grand Conseil n'aide pas tout le monde de la même manière, le groupe Ensemble à Gauche vous invite à refuser cette proposition de motion. Merci.

M. Sébastien Desfayes (PDC). J'aimerais revenir sur certains points qui ont été évoqués notamment par le rapporteur de majorité. On nous parle de la création, par le biais de cette motion, d'une spécificité genevoise. La spécificité genevoise, c'est le coût de la vie ! A Genève, le coût de la vie est supérieur à celui de n'importe quel canton de Suisse, y compris Zurich. Il est donc normal que le seuil soit plus élevé à Genève que dans le canton d'Argovie ou de Glaris. Pour citer un autre exemple, tout le monde sait que la vie à Stans ne coûte pas aussi cher qu'ici. La mesure fédérale vise à couvrir 90% des indépendants, or à Genève - le rapporteur de minorité l'a dit - seuls 80% d'entre eux seraient couverts par les APG.

Par ailleurs, j'ai entendu certains évoquer - mais je n'ose pas y croire - une éventuelle inégalité de traitement. Au contraire, cette motion vise à préserver l'égalité de traitement, car il n'y a aucune raison que les indépendants genevois soient péjorés par rapport à ceux des autres cantons suisses. Je suppute qu'ils ont considéré qu'il y avait un problème d'affiliation, c'est-à-dire que des indépendants affiliés à une caisse genevoise pourraient être prétérités par rapport à des indépendants qui cotisent à une caisse dans un autre canton, mais je rappelle que la motion ne spécifie pas que la caisse de compensation doit nécessairement être à Genève.

Ces derniers mois, on a entendu tous les partis défendre un principe absolument juste et simple: quand une personne ne peut pas exercer une activité à cause des mesures sanitaires, eh bien elle doit être dédommagée. C'est précisément le principe de cette motion. En effet, il faut savoir que cet objet concerne principalement les professionnels de la santé - les médecins, les physiothérapeutes, les kinésithérapeutes - qui, lors du confinement, n'ont pas pu exercer leur activité, non pas parce qu'elle était interdite par la loi, mais parce que, dans les faits, elle ne pouvait pas être pratiquée. Ils n'ont eu droit ni aux allocations chômage, ni aux RHT, ni aux aides sociales - à rien du tout. Ces personnes n'ont pas touché un centime pendant le confinement, dans la logique que défendent tous les partis, à savoir qu'on indemnise si on interdit. Il est pourtant évident qu'il n'y a pas de raison de péjorer les professionnels de la santé. Je vous invite dès lors - je ne vous enjoins pas, je vous invite ! - à soutenir cette motion. Merci. (Applaudissements.)

M. Serge Hiltpold (PLR). Je suis très intéressé par le débat qui se poursuit en plénière; nous avons déjà eu cette discussion en commission, notamment sur le principe de la responsabilité entrepreneuriale. Je crois qu'on touche là un peu le coeur du statut d'indépendant, le coeur du métier de la conduite d'entreprise: la responsabilité, dans la limite de nos moyens, en matière de prévisibilité, c'est-à-dire anticiper une situation du mieux que l'on peut. Cette thématique, le parti libéral-radical l'a vraiment étudiée avec sérieux, en s'interrogeant réellement sur la notion de responsabilité individuelle et d'entrepreneuriat, et nous n'avons pas soutenu cette proposition de motion.

J'aimerais également dire que 90 000 francs, ce n'est quand même pas rien; ce n'est quand même pas rien, comme plafond, et il faut être cohérent dans l'égalité de traitement des différentes demandes. Ce plafond de 90 000 francs a été défini au niveau fédéral et il nous paraissait juste, en tout cas, que Genève s'aligne sur d'autres cantons de la région lémanique, par exemple Vaud et le Valais.

Avec ce que nous avons fait entre-temps - ce rapport date du 16 juillet 2020, soit il y a environ six mois -, avec ce que nous avons voté hier, nous avons maintenant un cadre bien défini. On a fixé des critères stricts - par exemple une fermeture de plus de quarante jours -, les aides se sont diversifiées, et on voit que le filet social s'affine de plus en plus et qu'énormément de gens peuvent être couverts par d'autres lois, alors qu'au départ - je le concède à M. Desfayes - ce n'était effectivement pas le cas. Il y a désormais ce critère des quarante jours, il existe des aides au logement, énormément de choses sont faites pour les commerces, et il nous paraît juste et responsable de ne pas soutenir cet objet. Le PLR va donc maintenir la position qu'il a adoptée en commission et refusera cette proposition de motion. Merci.

M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, après la journée que nous avons passée, je dois avouer que le groupe socialiste n'est plus très motivé à l'idée d'adopter cette motion: il y a d'abord eu le refus de tous les amendements proposés en matière d'aide financière pour les salariés et de maintien de l'emploi dans le cadre des 250 millions que nous avons votés ce matin, puis nous avons renvoyé en commission - dans une autre commission - le projet de loi sur l'aide individuelle aux locataires en cette période de pandémie. Nous avons donc le sentiment que la priorité aujourd'hui n'est effectivement pas au déplafonnement des APG pour les indépendants ayant des revenus supérieurs à 90 000 francs.

Nous n'aimons pas fixer des priorités, parce que nous pensons qu'elles sont multiples, mais nous voyons que ce parlement n'arrive pas à réagir à l'urgence sociale et aux besoins plus immédiats des personnes les plus précaires de notre canton. Par conséquent, soit le groupe socialiste s'abstiendra, soit il demandera dans un premier temps le renvoi en commission de cette motion - que nous avons étudiée il y a un certain temps déjà - pour examiner la situation à l'heure actuelle et voir s'il est toujours nécessaire de la voter. Tout compte fait, je demande le renvoi de ce texte à la commission de l'économie.

Le président. Très bien. Mesdames et Messieurs, nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission, que je mets tout de suite aux voix.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur la proposition de motion 2635 à la commission de l'économie est rejeté par 57 non contre 12 oui et 1 abstention. (Commentaires pendant la procédure de vote.)

Le président. Le débat se poursuit et je donne la parole à M. Jean Burgermeister.

M. Jean Burgermeister (EAG). Merci, Monsieur le président. Je pense qu'il y a effectivement une part d'indécence à se précipiter, comme le fait le PDC, à la rescousse de celles et ceux qui, dans ce canton, gagnent plus de 90 000 francs en pleine crise sociale. Rappelons qu'une grande partie des travailleuses et des travailleurs qui ont perdu l'ensemble de leurs revenus ne sont toujours pas indemnisés par l'Etat. Rappelons aussi que le PDC et l'ensemble de la droite viennent de refuser, sur recommandation du gouvernement, une aide aux locataires qui ne peuvent plus payer leur loyer, Mesdames et Messieurs - un prêt à celles et ceux qui ne peuvent plus payer leur loyer ! Rappelons encore que ce Grand Conseil a systématiquement refusé aujourd'hui de prendre la défense des salariés dans le cadre des aides aux entreprises: je parle des conditions relatives au maintien de l'emploi, à la protection contre les licenciements et à l'indemnisation des salariés qui ont perdu une partie de leurs revenus. Mesdames et Messieurs, celles et ceux qui souffrent de la crise sociale sont systématiquement ignorés par ce parlement. Systématiquement ! Et le PDC veut venir en aide à celles et ceux qui gagnent plus de 90 000 francs. C'est indécent ! Ensemble à Gauche a refusé le renvoi en commission pour balayer aujourd'hui ce texte qui nous paraît parfaitement décalé au vu de la situation. (Applaudissements.)

M. Thierry Cerutti (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe MCG soutiendra cette motion, justement parce que c'est une motion et qu'elle invite le Conseil d'Etat à trouver des solutions viables, en tout cas pour les indépendants. On entend bien le discours de notre collègue PLR qui dit que l'indépendant, a fortiori, a une responsabilité individuelle, a une liberté de commerce, prend à coeur son métier, etc. Mais on oublie une chose: ces indépendants participent au financement global de l'Etat et remplissent le panier que la société utilise pour construire des crèches, payer les chômeurs et assumer toutes sortes de frais étatiques, alors qu'ils n'ont pas, eux, le droit d'en bénéficier - je parle des bourses d'études, du chômage et d'autres frais. C'est simplement être responsable que de leur proposer aujourd'hui une solution viable: ils traversent une période difficile, bien que nous ayons toutes et tous voté ces derniers temps plusieurs projets de lois qui pourraient les aider - notre collègue libéral l'a d'ailleurs rappelé à juste titre. Quoi qu'il en soit, cela n'empêche pas que cette motion ait un sens et qu'elle soit pragmatique.

Au Conseil d'Etat de nous proposer quelque chose ou non - il est de toute façon libre de le faire puisque ce type d'objet n'est pas contraignant - en tenant compte naturellement des différents projets de lois que nous avons votés et des aides que nous avons octroyées à divers milieux. Pour notre part, nous pensons que c'est bien de donner un message fort aux indépendants également, qui ont eux aussi bien besoin de soutien. Pour rappel, ces gens remplissent le panier et n'ont pas le droit de s'en servir, alors à nous de leur montrer qu'on est une société solidaire, responsable et juste pour toutes et tous. Merci. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Comme je l'ai rappelé à M. Velasco, je vous prie de mettre votre masque. Il en va de même pour Mme Magnin. Merci ! La parole n'étant plus demandée, nous allons nous prononcer sur cette proposition de motion.

Mise aux voix, la proposition de motion 2635 est rejetée par 41 non contre 28 oui et 7 abstentions. (Commentaires pendant la procédure de vote.)

M 2725
Proposition de motion de Mmes et MM. Stéphane Florey, Eliane Michaud Ansermet, André Pfeffer, Patrick Hulliger, Thomas Bläsi, Patrick Lussi, Christo Ivanov, Virna Conti demandant de suspendre les intérêts en faveur de l'Etat pour l'année 2021
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VIII des 28 et 29 janvier 2021.

Débat

Le président. Nous passons à notre dernière urgence, classée en catégorie II, trente minutes. Monsieur Florey, vous avez la parole.

M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Il y a urgence, et c'est un peu le thème récurrent de ces derniers mois avec tous les projets votés au Grand Conseil concernant l'économie en général, spécifiquement pour certains secteurs d'activité, mais aussi pour l'emploi. Toutefois, il n'y a pas que ça: derrière ces emplois et derrière ces entreprises, il y a des contribuables qu'il ne faudrait pas non plus oublier ! Aujourd'hui, comme tout un chacun, les contribuables essaient tant bien que mal d'encaisser le choc de cette crise sanitaire. Ces contribuables - plusieurs milliers aujourd'hui - ont de plus en plus de difficultés à s'acquitter de leurs impôts. Il faut bien insister sur le fait qu'il s'agit de gens qui ne refusent pas de payer: ils ont simplement des difficultés passagères dues à une baisse de revenus quand ils se retrouvent aux RHT ou au chômage. Cela accentue ces difficultés, mais ils font tout ce qu'ils peuvent pour s'acquitter de leurs impôts et répondre à leurs obligations de citoyens. Aujourd'hui, ces personnes doivent être aidées aussi et c'est pour cela qu'il est demandé au Conseil d'Etat de suspendre les intérêts moratoires des factures d'impôts. Je vous le rappelle, le Conseil d'Etat l'a fait pour l'année 2020 quand il a renoncé purement et simplement à encaisser les intérêts de retards à partir du mois de mars.

Ce que demande ce texte, c'est de prolonger l'arrêté qui avait été voté au mois de mars 2020, de le prolonger pour l'année 2021, tant que cette situation pénible pour tout le monde durera. Voilà simplement ce que demande cette proposition de motion, nous vous remercions de lui faire bon accueil.

Présidence de M. Diego Esteban, premier vice-président

M. Sébastien Desfayes (PDC). Il s'agit là vraiment d'une excellente proposition de motion; je le dis d'autant plus volontiers que l'UDC a simplement copié une motion du PDC déposée l'année dernière, au début de la crise du covid. Effectivement, les intérêts moratoires en temps de covid sont extrêmement problématiques, parce qu'ils amplifient l'endettement voire le surendettement des ménages et des entreprises. J'invite tous les députés à se rendre aux audiences de mainlevée qui ont lieu deux fois par semaine au tribunal, au cours desquelles l'administration fiscale procède ou tente de procéder au recouvrement de ses créances sur les contribuables: il s'agit d'une véritable cour des miracles ! Non pas que l'administration fiscale et encore moins le département des finances soient impitoyables, mais on constate simplement que nombreuses sont les personnes à Genève qui sont incapables de faire face à leurs obligations. Un intérêt ne fait qu'amplifier l'ampleur de la dette, étant précisé que les dettes d'impôts sont exclues du calcul du minimum vital, comme vous le savez, ce qui accentue encore le surendettement des contribuables. Aujourd'hui, considérant les intérêts négatifs, tous ceux qui sont capables de payer leurs impôts les paient, mais les plus précaires se trouvent face à des difficultés énormes et ce texte répond à cette situation dans une certaine - ou une modeste - mesure.

Il faudra encore examiner un point en commission: à Genève, nous avons un système dit postnumerando et la suppression des intérêts se justifiait en 2020, sachant que les impôts étaient payés par rapport aux revenus générés en 2019, c'est-à-dire avant la crise du covid. On peut supposer que cette suppression des intérêts n'a plus tellement de sens aujourd'hui, sachant que l'impôt va être déterminé par rapport à des revenus bien moindres pour les ménages précarisés, puisque réalisés - ou plutôt non réalisés - l'année dernière, en pleine crise du coronavirus. Nous soutenons donc cette proposition de motion avec cette réserve qui sera examinée en commission.

M. Jean Batou (EAG). Monsieur le président, vous direz à notre collègue Sébastien Desfayes qu'il vient de se contredire puisqu'il nous a dit qu'il fallait soutenir ce texte, mais qu'il fallait peut-être ne pas le soutenir. Surtout, il s'est contredit par rapport à ce qu'il a dit auparavant concernant l'aide aux locataires. Il nous expliquait sentencieusement qu'il ne fallait pas arroser tout le monde parce que s'il y avait des gens qui en avaient besoin, d'autres allaient abuser de la situation et que la proposition de motion visant à aider les locataires était donc un texte arrosoir. Or, il vient de soutenir, ou peut-être pas - puisqu'il n'est pas tout à fait d'accord avec lui-même -, exactement le même genre de proposition !

Pourquoi est-ce que le groupe Ensemble à Gauche ne soutiendra pas ce texte ? Tout d'abord, parce que nous défendons des aides ciblées et non des déductions fiscales ! Des aides ciblées qui permettent de juger des besoins effectifs des personnes ! Or, si les soutiens sous forme de déduction fiscale vont peut-être soulager quelques personnes de manière juste, ils vont peut-être profiter à quelques mauvais contribuables qui ne veulent pas payer leurs impôts. Ce que nous voudrions, nous, c'est que les aides soient données à toutes les personnes qui en ont besoin, en particulier aux personnes les plus précarisées, mais pas sous forme de déductions fiscales. En fin de compte, ces déductions vident les caisses de l'Etat et empêchent précisément les aides ciblées de toucher les personnes pour qui elles sont le plus nécessaires.

L'objectif de cette proposition de motion est finalement contradictoire: cela va réduire les recettes publiques et empêcher qu'on aide ceux qui en ont le plus besoin. Surtout, ce texte ne fait pas la différence entre les contribuables réellement en difficulté et ceux qui sont en retard dans le paiement de leurs impôts parce qu'ils considèrent que payer les impôts est la dernière chose à faire par rapport à toutes leurs autres obligations. Pour toutes ces raisons, nous refuserons de soutenir cette proposition de motion.

M. Yvan Zweifel (PLR). Monsieur le président de séance, la plupart des choses ont été dites par mon collègue Desfayes et je me joins très volontiers à ses propos. Deux points, peut-être. J'ai écouté attentivement mon estimé collègue Jean Batou et je me suis dit: ah, je crois qu'il fait une confusion ! Il nous explique que si on votait ce texte et que les intérêts étaient à nouveau suspendus, comme ça a été le cas en 2020, cela équivaudrait alors à une forme de déduction fiscale. Non, Mesdames et Messieurs les députés ! Personne ne dit que les gens ne vont pas s'acquitter des impôts qu'ils doivent payer: les intérêts ne sont pas les impôts ! Les intérêts, c'est une forme de punition - ou d'amende, si vous voulez -, d'une part, parce que je n'ai pas versé les acomptes dans le délai imparti, le 10 de chaque mois à partir du mois de mars; d'autre part, entre le moment où je dois envoyer ma déclaration fiscale, c'est-à-dire le 31 mars de chaque année, et le moment où je reçois ma taxation, si les impôts dus sont supérieurs aux acomptes que j'ai versés l'année précédente, je dois alors payer un intérêt sur cette différence. Mais ça ne change rien, ce ne sont pas des impôts ! Ce sont des intérêts sur une part d'impôts que je vais effectivement verser comme contribuable parce que je ne les ai pas réglés dans le délai imparti.

Or, ici, l'idée est justement de suspendre cela parce que les gens vont effectivement payer leurs impôts - payer les impôts qu'ils doivent - contrairement à ce que laisse entendre M. Batou. Simplement, vu la situation que l'on connaît, ils vont peut-être faire leur déclaration un peu plus tard, ils vont peut-être décaler le versement d'un certain nombre d'acomptes ou tout simplement attendre un peu plus longtemps avant de recevoir aussi leur taxation, parce que l'administration fiscale, comme vous pouvez le deviner, est un peu débordée ces derniers temps. Donc, le temps qu'ils prennent pour remettre la taxation s'allonge et si, par hypothèse, cette différence existe, les intérêts continuent à courir.

La seule chose que demande ce texte, ce n'est pas une baisse fiscale: il n'y a pas de déduction fiscale, contrairement à ce que fait croire M. Batou. Non, Mesdames et Messieurs, il s'agit simplement de dire que celui qui versera ses impôts comme il le doit, mais qui a peut-être dû décaler le paiement de ses acomptes ou de la différence due suite à la taxation, n'aura pas d'intérêts punitifs à payer là-dessus.

Deuxième point que je voulais évoquer: vous avez vu les chiffres qui ont paru. L'année passée, on nous avait dit que cette mesure aurait un coût d'environ 64 millions de francs, mais cela partait de l'hypothèse qu'un certain nombre de gens verseraient en retard et leurs acomptes et la différence à payer suite à la taxation ou encore que ces personnes rendraient leur déclaration un peu plus tard que prévu. D'après ce que l'on a entendu, il s'avère que l'immense majorité des contribuables ont fait leur déclaration dans les temps, qu'ils ont payé leurs acomptes dans les temps et qu'il n'y a donc pas de perte pour l'Etat.

Pour toutes ces raisons, le groupe PLR vous invite à voter cette proposition de motion.

M. Stéphane Florey (UDC). Monsieur le président, je remercie tout d'abord M. Zweifel pour ses commentaires; sur le fond, je ne peux qu'approuver et rejoindre ce qu'il dit. Par contre, je m'étonne des considérations de M. Batou. Sur le fond, celui-ci accuse tout le temps les mauvais payeurs et les mauvais contribuables, mais c'est totalement contraire à la situation que nous vivons aujourd'hui. Oui, de tout temps, il y a eu des mauvais payeurs, comme ceux qui sont négligents, mais on ne pourra rien faire contre eux. Covid ou pas, pour eux, ça n'a absolument rien changé ! La plupart des gens qui se retrouvent taxés d'office ne le sont pas depuis l'année dernière ou cette année, ils le sont depuis bien longtemps ! Ce sont des gens qui, pour la plupart, s'en foutent, pour parler bon français: ils se disent que, de toute façon, ils paieront quand ils en auront envie ou quand ils le pourront. Finalement, ils laissent leur propre situation se dégrader, mais ce n'est pas la majorité de la population: ce n'est qu'une infime partie du problème qu'on soulève ici.

Là, ce qu'on veut, c'est aider la partie de la population qui se retrouve fortement péjorée par la situation d'aujourd'hui à cause d'une perte ou d'une baisse momentanée de revenus, ce qui accentue ses difficultés à boucler les fins de mois. Comme il a été justement relevé, quand vous vous retrouvez à devoir payer des intérêts moratoires, ce n'est pas ce qui va vous arranger, ce n'est pas ce qui va vous aider à sortir de cette situation. Donc si, en acceptant de suspendre ces intérêts, on peut déjà alléger un tant soit peu la facture des contribuables et leur dire qu'on sait qu'ils font des efforts, eh bien, c'est aussi quelque part une reconnaissance pour ceux qui représentent malgré tout la majorité de la population, ceux qui paient leurs impôts !

M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe des Verts soutient de façon totale les propos du député Batou ! Nous pensons tout d'abord que l'Etat a aussi besoin de moyens pour attribuer toutes les aides que nous avons votées ces derniers temps. Nous soutenons bien entendu le fait que ces moyens doivent être attribués et nous avons voté un certain nombre d'aides ciblées. Toutes les aides que nous avons votées, nous les avons assujetties à des conditions - des conditions qui deviennent de plus en plus limitées, bien entendu, et nous soutenons ce fait. Au départ, c'était relativement compliqué d'obtenir ces aides; maintenant, c'est beaucoup plus simple - tant mieux ! Enfin, il existe quand même encore un certain nombre de conditions.

Le problème, pour l'Etat, n'est pas seulement de perdre des intérêts: il est clair que si vous ne payez pas vos impôts, l'Etat va aussi manquer de liquidités. Or, l'Etat a besoin de ces liquidités, pas seulement pour fournir les aides dont on a parlé tout à l'heure, mais aussi pour payer la fonction publique, voire faire certains investissements. Sans cela, l'Etat devra emprunter. Même s'il est vrai que l'emprunt est peut-être bon marché, ce n'est pas une raison. L'Etat va manquer de liquidités si on ne paie pas ses impôts ! Ensuite, il y a certainement de bonnes et de mauvaises raisons pour ne pas s'acquitter de ses impôts. On peut se dire que si on n'a pas besoin de payer d'intérêts, on peut garder son capital de côté, le placer, si on trouve un placement intéressant, et ne pas payer ses impôts. Il y a donc quand même certaines complications, des problèmes qui peuvent survenir.

Nous ne sommes pas totalement contre cette mesure, mais je pense qu'il faut en étudier les implications; le député Desfayes a aussi dit qu'il fallait considérer le système postnumerando pour savoir si cette mesure valait la peine ou pas. Je propose ici, formellement, le renvoi de cette proposition de motion à la commission fiscale.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole va maintenant à M. Jean Batou pour trente-huit secondes.

M. Jean Batou (EAG). Merci, Monsieur le président. Trente-huit secondes, ce sera bien assez pour dire que s'il y a des contribuables modestes qui ne peuvent pas payer leurs impôts à temps, il s'agit de les aider ! Ce sont des salariés, ce sont des locataires, ce sont des retraités, ce sont des gens qui ont de la peine à payer leur assurance-maladie ! C'est avec des aides à ce niveau que l'Etat doit intervenir, et pas en réduisant les recettes fiscales ! Nous ne nous opposerons évidemment pas au renvoi en commission de cette proposition de motion, mais nous la combattrons en commission.

Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Stéphane Florey, pour vingt-neuf secondes.

M. Stéphane Florey (UDC). Merci, Monsieur le président. Sur le renvoi en commission: je ne vois honnêtement pas ce que vous aurez de plus, à part qu'on vous dira que la mesure, comme c'était le cas l'année passée, coûte 64 millions - pour autant que personne ne paie ses factures, ce qui n'est absolument pas le cas. Cette mesure n'est donc pas aussi extraordinaire qu'on le prétend. Moi, je vous enjoins - j'enjoins au PDC en tout cas - de renoncer à cette demande de renvoi en commission et de soutenir ce texte...

Le président. Merci.

M. Stéphane Florey. ...comme le fait le PLR. Et si on...

Le président. Merci, c'est terminé, Monsieur le député. (M. Stéphane Florey s'exprime hors micro.) Mesdames et Messieurs les députés, avant de vous faire voter le renvoi en commission de cette proposition de motion, je passe la parole à M. le conseiller d'Etat Mauro Poggia.

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Monsieur le président de séance, Mesdames et Messieurs les députés, si l'enfer est pavé de bonnes intentions, certains en sont les carreleurs: ici, il est question d'une perte de revenus d'un minimum de 40 millions de francs pour l'Etat ! S'il s'agit d'une perte de revenus qui correspond à une bouffée d'oxygène pour des personnes qui, réellement, ne peuvent pas supporter le coût de ces intérêts, je pense que nous sommes tous d'accord qu'il y a là quelque chose à faire. Or, cette décision qu'on veut vous faire voter serait prise de manière totalement indistincte pour l'ensemble des contribuables qui ne paient pas ou ne paieront pas les impôts qu'ils doivent. Cela en 2021, mais aussi pour toutes les années suivantes, pour les taxations et rectificatifs sur l'année 2021 qui seront faits à l'avenir !

Mesdames et Messieurs les députés, prenons un exemple avec votre serviteur: ayant l'intention d'acquérir un petit bien immobilier, je pourrais très bien me dire que je peux réduire l'emprunt et augmenter l'apport de fonds propres en ne versant pas mes acomptes provisionnels, puisque tout cela est fait à coût zéro. Donc, au lieu de mettre cet argent dans les caisses de l'Etat qui en a largement besoin, je le consacrerai à cette acquisition, dans mon intérêt personnel. Tout le monde conviendra que ce serait proprement scandaleux ! Eh bien, ce serait tout simplement possible avec le texte qui vous est proposé. On voit donc bien qu'il y a des limites qui ne doivent pas être franchies. D'autant plus que, vous le savez, les acomptes provisionnels peuvent être modifiés en tout temps: une personne qui viendrait malheureusement à perdre son emploi en 2021 pourrait demander immédiatement la rectification de ses acomptes provisionnels et elle n'aurait évidemment pas à payer des intérêts sur la partie des acomptes fixée sur ses gains des années antérieures qu'elle ne pourrait plus assumer.

Mesdames et Messieurs, il y a donc des moyens pour tenir compte d'un changement de situation lié à la crise sanitaire sans avoir à prendre une décision générale type arrosoir dans ce cas particulier, on l'a dit. C'est la raison pour laquelle il vous est demandé de renvoyer cette proposition de motion en commission: non pas pour gagner du temps, mais pour que l'on puisse, le cas échéant, imaginer de quelle manière on peut mieux cibler les bénéficiaires de cet avantage que vous voulez mettre en place. Il s'agit de ne pas en faire bénéficier des personnes qui seraient des petits malins - excusez-moi l'expression ! Des personnes qui se diraient: voilà une aubaine à saisir ! Si vous n'acceptez pas le renvoi à la commission fiscale, le Conseil d'Etat vous demandera de rejeter cette proposition de motion.

Présidence de M. François Lefort, président

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi de cet objet à la commission fiscale. Le vote est lancé. (Commentaires pendant la procédure de vote.) Ce renvoi est adopté par 81 oui contre 4 non et 1 abstention.

Une voix. Il y a eu une erreur !

Le président. Quelle erreur ? (Commentaires.) C'était déjà vert quand vous avez voté ? C'est-à-dire ? (Brouhaha. Un instant s'écoule.) Ecoutez, exceptionnellement, bien qu'on me confirme que le système fonctionne, nous allons revoter sur ce renvoi à la commission fiscale. (Commentaires.) Le vote est lancé !

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2725 à la commission fiscale est adopté par 73 oui contre 4 non.

Le président. Je lève la séance et vous donne rendez-vous à 18h.

La séance est levée à 17h40.