Séance du vendredi 29 janvier 2021 à 16h05
2e législature - 3e année - 8e session - 52e séance

M 2635-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Jean-Luc Forni, Jean-Marc Guinchard, Patricia Bidaux, Olivier Cerutti, Sébastien Desfayes, Delphine Bachmann, Anne Marie von Arx-Vernon, Jacques Blondin, Bertrand Buchs, François Lance, Souheil Sayegh, Christina Meissner, Claude Bocquet : Déplafonnement des APG pour les indépendants
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 27 et 28 août 2020.
Rapport de majorité de M. Pierre Eckert (Ve)
Rapport de minorité de M. Jean-Marc Guinchard (PDC)

Débat

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons à l'urgence suivante, la M 2635-A. Ce débat est classé en catégorie II, trente minutes. Monsieur le rapporteur de majorité Pierre Eckert, la parole est à vous.

M. Pierre Eckert (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, la majorité de la commission a estimé que l'augmentation du seuil introduirait une spécificité genevoise qui peut se révéler compliquée à mettre en oeuvre, puisque la prestation cantonale devrait se superposer à la prestation nationale. Elle pourrait aussi introduire une inégalité de traitement selon que l'indépendant est affilié à une caisse de compensation genevoise ou non. (Brouhaha.)

Une voix. On n'entend rien ! (Commentaires.)

M. Pierre Eckert. Je disais que cette augmentation du seuil pourrait aussi introduire une inégalité de traitement selon que l'indépendant est affilié à une caisse de compensation genevoise ou non. C'est notamment le cas dans les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration.

La majorité estime d'autre part que le besoin d'indemnisation pour des revenus situés entre 90 000 et 120 000 francs n'est pas démontré. Un revenu de 90 000 francs par année correspond à 7500 francs par mois, ce qui devrait être suffisant pour créer les réserves nécessaires afin de couvrir le risque entrepreneurial lié à l'activité indépendante. Il est par ailleurs possible de recourir à des prêts avantageux, garantis par la Confédération, pour pallier un éventuel manque de liquidités. Le filet social mis en place pendant la crise covid, dont nous parlons depuis un certain temps dans cette assemblée, et concrétisé par ce bouquet d'aides devrait se limiter à des personnes qui se retrouvent réellement dans le besoin. Or il apparaît que fixer la taille de la maille à 7500 francs par mois pour cette catégorie de personnes devrait suffire à la tâche. La majorité de la commission vous incite donc à refuser cette motion.

M. Jean-Marc Guinchard (PDC), rapporteur de minorité. Mesdames les députées, Messieurs les députés, les objectifs de ce texte ont été clairement décrits dans l'exposé des motifs. La motion se calque sur l'ordonnance du Conseil fédéral et entend entre autres corriger un effet de seuil préjudiciable à environ 20% des indépendants de notre canton. Les invites tiennent compte notamment de la situation genevoise à l'aune de celle prévalant dans les autres cantons. En effet, les salaires et les loyers sont plus élevés à Genève, et le pouvoir d'achat de ses habitants est moindre.

Plusieurs députés ont affirmé haut et fort que le statut d'indépendant impliquait une responsabilité personnelle et de gestion plus importante, notamment une prudence et des actions de prévisibilité plus fortes. Certes, le statut d'indépendant librement choisi obéit à ces règles. Il sied toutefois de rappeler que l'entrepreneur accepte la notion de risque liée à son activité et en tient compte au moment de créer son entreprise, lors de ses études de marché en particulier. Mais ces risques - perte de marchés, concurrence plus forte, obsolescence de l'outil de travail, investissements à perte ou mal planifiés, manque de réactivité face à l'évolution de son domaine d'activité, défaut d'anticipation, perte d'exploitation, etc. - sont connus et l'entrepreneur est prêt à les assumer.

Les conséquences de la covid-19 ne sont pas liées à des problèmes de personnel, pas plus qu'à des problèmes de gestion ou d'anticipation. Elles sont induites par une décision du Conseil fédéral, qui a tout simplement interdit à toute une catégorie d'entrepreneurs d'exercer leur activité, interdiction qu'aucun entrepreneur indépendant n'aurait réellement pu prévoir dans un plan de trésorerie.

Cette motion, dont le but est de donner une bouffée d'air bienvenue aux oubliés de l'ordonnance fédérale APG, permet de combler une lacune et d'intégrer les indépendants concernés dans un plan d'aide complémentaire cantonale, le tout pour des montants - ils ont été estimés - relativement modestes et supportables pour la collectivité. Il est de ce fait d'autant plus étonnant que les plus farouches opposants à cet objet - à l'exception normale et attendue des Verts et de l'extrême gauche - représentent les milieux économiques de notre canton et donc les entrepreneurs qu'ils défendent.

En conclusion, dans la mesure où ce texte n'a été refusé qu'à une voix en commission, Mesdames et Messieurs les députés, je vous encourage vivement à inverser cette majorité et à soutenir cette proposition de motion bienvenue. Merci. (Applaudissements.)

M. André Pfeffer (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, cette motion propose d'augmenter le plafond pour que les indépendants ayant des revenus situés entre 90 000 et 120 000 francs par année puissent également bénéficier des APG. Le groupe UDC est acquis à l'idée que les entreprises et les entrepreneurs touchés par les restrictions, les interdictions de travailler et une chute brutale des activités puissent bénéficier d'aides adéquates, et même adéquates par rapport à leur préjudice. Mais cette motion amène plusieurs difficultés.

Premièrement, les APG sont une mesure fédérale et cette extension cantonale représente une tâche conséquente. Deuxièmement, la grande majorité des indépendants est déjà indemnisée avec les prestations actuelles. Lors de son audition, la FER a relevé que sur ses 7000 indépendants, seuls 570 seraient concernés; en plus, certains d'entre eux bénéficient déjà d'aides liées aux fermetures imposées. Troisièmement, il pourrait y avoir un problème d'équité selon que l'indépendant est affilié à une caisse de compensation genevoise ou non. Quatrièmement, il y aurait aussi des problèmes de mise en application et d'évaluation des coûts. Pour toutes ces raisons, l'UDC laissera la liberté de vote au sein de son groupe. Merci de votre attention.

M. Jean Batou (EAG). On observe, face à cette crise, une croissance des inégalités. En réalité, à Genève, il vaut mieux être propriétaire d'une entreprise, il vaut mieux être un indépendant très aisé qu'un locataire ou un salarié modeste. On vient de le voir et on l'a constaté lors des précédentes séances de ce Grand Conseil: les aides ont été délibérément ciblées sur les secteurs privilégiés de la société, avec pour argument qu'en les aidant, on aiderait indirectement les salariés et les locataires. Il est tout de même assez indécent de vouloir privilégier ici des indépendants qui gagnent plus de 90 000 francs par an en élevant le seuil des allocations jusqu'à un revenu de 120 000 francs ! Cela d'autant plus qu'ils ne verseront pas de cotisations sociales sur ce supplément. Comme d'autres députés l'ont indiqué avant moi, on introduira en outre une véritable usine à gaz pour le versement de ces indemnités ainsi qu'une inégalité de traitement entre ceux qui sont affiliés à une caisse de compensation genevoise et ceux dont la caisse se trouve dans un autre canton.

Pour l'ensemble de ces raisons, mais plus fondamentalement pour dénoncer le fait que ce Grand Conseil n'aide pas tout le monde de la même manière, le groupe Ensemble à Gauche vous invite à refuser cette proposition de motion. Merci.

M. Sébastien Desfayes (PDC). J'aimerais revenir sur certains points qui ont été évoqués notamment par le rapporteur de majorité. On nous parle de la création, par le biais de cette motion, d'une spécificité genevoise. La spécificité genevoise, c'est le coût de la vie ! A Genève, le coût de la vie est supérieur à celui de n'importe quel canton de Suisse, y compris Zurich. Il est donc normal que le seuil soit plus élevé à Genève que dans le canton d'Argovie ou de Glaris. Pour citer un autre exemple, tout le monde sait que la vie à Stans ne coûte pas aussi cher qu'ici. La mesure fédérale vise à couvrir 90% des indépendants, or à Genève - le rapporteur de minorité l'a dit - seuls 80% d'entre eux seraient couverts par les APG.

Par ailleurs, j'ai entendu certains évoquer - mais je n'ose pas y croire - une éventuelle inégalité de traitement. Au contraire, cette motion vise à préserver l'égalité de traitement, car il n'y a aucune raison que les indépendants genevois soient péjorés par rapport à ceux des autres cantons suisses. Je suppute qu'ils ont considéré qu'il y avait un problème d'affiliation, c'est-à-dire que des indépendants affiliés à une caisse genevoise pourraient être prétérités par rapport à des indépendants qui cotisent à une caisse dans un autre canton, mais je rappelle que la motion ne spécifie pas que la caisse de compensation doit nécessairement être à Genève.

Ces derniers mois, on a entendu tous les partis défendre un principe absolument juste et simple: quand une personne ne peut pas exercer une activité à cause des mesures sanitaires, eh bien elle doit être dédommagée. C'est précisément le principe de cette motion. En effet, il faut savoir que cet objet concerne principalement les professionnels de la santé - les médecins, les physiothérapeutes, les kinésithérapeutes - qui, lors du confinement, n'ont pas pu exercer leur activité, non pas parce qu'elle était interdite par la loi, mais parce que, dans les faits, elle ne pouvait pas être pratiquée. Ils n'ont eu droit ni aux allocations chômage, ni aux RHT, ni aux aides sociales - à rien du tout. Ces personnes n'ont pas touché un centime pendant le confinement, dans la logique que défendent tous les partis, à savoir qu'on indemnise si on interdit. Il est pourtant évident qu'il n'y a pas de raison de péjorer les professionnels de la santé. Je vous invite dès lors - je ne vous enjoins pas, je vous invite ! - à soutenir cette motion. Merci. (Applaudissements.)

M. Serge Hiltpold (PLR). Je suis très intéressé par le débat qui se poursuit en plénière; nous avons déjà eu cette discussion en commission, notamment sur le principe de la responsabilité entrepreneuriale. Je crois qu'on touche là un peu le coeur du statut d'indépendant, le coeur du métier de la conduite d'entreprise: la responsabilité, dans la limite de nos moyens, en matière de prévisibilité, c'est-à-dire anticiper une situation du mieux que l'on peut. Cette thématique, le parti libéral-radical l'a vraiment étudiée avec sérieux, en s'interrogeant réellement sur la notion de responsabilité individuelle et d'entrepreneuriat, et nous n'avons pas soutenu cette proposition de motion.

J'aimerais également dire que 90 000 francs, ce n'est quand même pas rien; ce n'est quand même pas rien, comme plafond, et il faut être cohérent dans l'égalité de traitement des différentes demandes. Ce plafond de 90 000 francs a été défini au niveau fédéral et il nous paraissait juste, en tout cas, que Genève s'aligne sur d'autres cantons de la région lémanique, par exemple Vaud et le Valais.

Avec ce que nous avons fait entre-temps - ce rapport date du 16 juillet 2020, soit il y a environ six mois -, avec ce que nous avons voté hier, nous avons maintenant un cadre bien défini. On a fixé des critères stricts - par exemple une fermeture de plus de quarante jours -, les aides se sont diversifiées, et on voit que le filet social s'affine de plus en plus et qu'énormément de gens peuvent être couverts par d'autres lois, alors qu'au départ - je le concède à M. Desfayes - ce n'était effectivement pas le cas. Il y a désormais ce critère des quarante jours, il existe des aides au logement, énormément de choses sont faites pour les commerces, et il nous paraît juste et responsable de ne pas soutenir cet objet. Le PLR va donc maintenir la position qu'il a adoptée en commission et refusera cette proposition de motion. Merci.

M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, après la journée que nous avons passée, je dois avouer que le groupe socialiste n'est plus très motivé à l'idée d'adopter cette motion: il y a d'abord eu le refus de tous les amendements proposés en matière d'aide financière pour les salariés et de maintien de l'emploi dans le cadre des 250 millions que nous avons votés ce matin, puis nous avons renvoyé en commission - dans une autre commission - le projet de loi sur l'aide individuelle aux locataires en cette période de pandémie. Nous avons donc le sentiment que la priorité aujourd'hui n'est effectivement pas au déplafonnement des APG pour les indépendants ayant des revenus supérieurs à 90 000 francs.

Nous n'aimons pas fixer des priorités, parce que nous pensons qu'elles sont multiples, mais nous voyons que ce parlement n'arrive pas à réagir à l'urgence sociale et aux besoins plus immédiats des personnes les plus précaires de notre canton. Par conséquent, soit le groupe socialiste s'abstiendra, soit il demandera dans un premier temps le renvoi en commission de cette motion - que nous avons étudiée il y a un certain temps déjà - pour examiner la situation à l'heure actuelle et voir s'il est toujours nécessaire de la voter. Tout compte fait, je demande le renvoi de ce texte à la commission de l'économie.

Le président. Très bien. Mesdames et Messieurs, nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission, que je mets tout de suite aux voix.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur la proposition de motion 2635 à la commission de l'économie est rejeté par 57 non contre 12 oui et 1 abstention. (Commentaires pendant la procédure de vote.)

Le président. Le débat se poursuit et je donne la parole à M. Jean Burgermeister.

M. Jean Burgermeister (EAG). Merci, Monsieur le président. Je pense qu'il y a effectivement une part d'indécence à se précipiter, comme le fait le PDC, à la rescousse de celles et ceux qui, dans ce canton, gagnent plus de 90 000 francs en pleine crise sociale. Rappelons qu'une grande partie des travailleuses et des travailleurs qui ont perdu l'ensemble de leurs revenus ne sont toujours pas indemnisés par l'Etat. Rappelons aussi que le PDC et l'ensemble de la droite viennent de refuser, sur recommandation du gouvernement, une aide aux locataires qui ne peuvent plus payer leur loyer, Mesdames et Messieurs - un prêt à celles et ceux qui ne peuvent plus payer leur loyer ! Rappelons encore que ce Grand Conseil a systématiquement refusé aujourd'hui de prendre la défense des salariés dans le cadre des aides aux entreprises: je parle des conditions relatives au maintien de l'emploi, à la protection contre les licenciements et à l'indemnisation des salariés qui ont perdu une partie de leurs revenus. Mesdames et Messieurs, celles et ceux qui souffrent de la crise sociale sont systématiquement ignorés par ce parlement. Systématiquement ! Et le PDC veut venir en aide à celles et ceux qui gagnent plus de 90 000 francs. C'est indécent ! Ensemble à Gauche a refusé le renvoi en commission pour balayer aujourd'hui ce texte qui nous paraît parfaitement décalé au vu de la situation. (Applaudissements.)

M. Thierry Cerutti (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe MCG soutiendra cette motion, justement parce que c'est une motion et qu'elle invite le Conseil d'Etat à trouver des solutions viables, en tout cas pour les indépendants. On entend bien le discours de notre collègue PLR qui dit que l'indépendant, a fortiori, a une responsabilité individuelle, a une liberté de commerce, prend à coeur son métier, etc. Mais on oublie une chose: ces indépendants participent au financement global de l'Etat et remplissent le panier que la société utilise pour construire des crèches, payer les chômeurs et assumer toutes sortes de frais étatiques, alors qu'ils n'ont pas, eux, le droit d'en bénéficier - je parle des bourses d'études, du chômage et d'autres frais. C'est simplement être responsable que de leur proposer aujourd'hui une solution viable: ils traversent une période difficile, bien que nous ayons toutes et tous voté ces derniers temps plusieurs projets de lois qui pourraient les aider - notre collègue libéral l'a d'ailleurs rappelé à juste titre. Quoi qu'il en soit, cela n'empêche pas que cette motion ait un sens et qu'elle soit pragmatique.

Au Conseil d'Etat de nous proposer quelque chose ou non - il est de toute façon libre de le faire puisque ce type d'objet n'est pas contraignant - en tenant compte naturellement des différents projets de lois que nous avons votés et des aides que nous avons octroyées à divers milieux. Pour notre part, nous pensons que c'est bien de donner un message fort aux indépendants également, qui ont eux aussi bien besoin de soutien. Pour rappel, ces gens remplissent le panier et n'ont pas le droit de s'en servir, alors à nous de leur montrer qu'on est une société solidaire, responsable et juste pour toutes et tous. Merci. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Comme je l'ai rappelé à M. Velasco, je vous prie de mettre votre masque. Il en va de même pour Mme Magnin. Merci ! La parole n'étant plus demandée, nous allons nous prononcer sur cette proposition de motion.

Mise aux voix, la proposition de motion 2635 est rejetée par 41 non contre 28 oui et 7 abstentions. (Commentaires pendant la procédure de vote.)