Séance du
vendredi 2 octobre 2020 à
18h05
2e
législature -
3e
année -
5e
session -
27e
séance
PL 12777
Premier débat
Le président. Nous reprenons le traitement des urgences avec le PL 12777, classé en catégorie II, trente minutes. La parole est à M. le député Cyril Mizrahi.
M. Cyril Mizrahi (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, chers collègues, le parti socialiste va bien entendu s'opposer avec la dernière énergie à ce nouveau projet de loi, à cette nouvelle tentative du Conseil d'Etat de s'opposer à ce parlement pour maintenir en mains privées une tâche régalienne - et qui doit donc, selon nous, être assurée par du personnel assermenté, bien formé et correctement rémunéré. La LPol excluait déjà pratiquement la possibilité de privatiser le convoyage: je sais que nous n'étions pas tous d'accord sur cette loi, approuvée à 54 voix près, mais cet argument de limiter drastiquement la sous-traitance avait déjà été invoqué clairement dans la campagne. (Commentaires.) Malgré cet engagement, qu'a fait le conseiller d'Etat Pierre Maudet ? Quasiment dès la loi adoptée, eh bien, il a tout simplement généralisé la privatisation des tâches de convoyage ! C'est pourquoi, avec Christian Dandrès et un certain nombre de collègues, nous avons déposé un projet de loi pour interdire complètement ce type de convoyage.
Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat a usé de tous les moyens pour s'opposer à cette position pendant des années. Ce parlement a approuvé ce projet de loi; le Conseil d'Etat a ensuite utilisé l'arme atomique, avec la disposition constitutionnelle permettant de ne pas promulguer une loi et de revenir au contraire dans un délai de six mois avec un nouveau projet de loi. Ce nouveau projet de loi a été traité en commission, a été amendé et le Grand Conseil a approuvé une deuxième fois cette interdiction de la sous-traitance du convoyage; on a même prévu un délai de mise en oeuvre. Il n'y a eu ni référendum ni recours, mais que fait le Conseil d'Etat aujourd'hui ? Il revient une nouvelle fois - une fois de trop - à la charge: quel mépris pour nos institutions démocratiques ! Quel mépris pour la séparation des pouvoirs qui prévoit qu'il incombe en principe au parlement d'adopter les lois et au gouvernement de les exécuter, sous réserve d'exceptions non réalisées en l'espèce ! Les sociétés actives dans ce domaine doivent avoir de bons relais au sein du Conseil d'Etat ! (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)
Et maintenant, quelle est la prochaine étape ? Est-ce que le gouvernement va adopter la privatisation du convoyage par voie d'arrêté ? A un moment donné, ça suffit ! Il faut mettre le holà et je vous encourage à refuser avec la plus grande fermeté cette nouvelle tentative de maintenir la privatisation du convoyage ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, je cède le micro à M. le conseiller d'E... (Le président s'interrompt.)
M. Mauro Poggia. ...tat !
Le président. Paf ! (M. Mauro Poggia rit.)
M. Mauro Poggia. Merci, Monsieur le président...
Le président. Non, je suis désolé, M. Murat-Julian Alder vient juste d'appuyer sur le bouton. Monsieur Alder, vous avez la parole.
M. Murat-Julian Alder (PLR). Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, il est quand même surprenant que nous traitions cet objet après le vote qui a eu lieu tout à l'heure ! Tout d'un coup, certains viendraient nous faire croire qu'on veille à la dignité des détenus en les laissant dans une prison qui souffre du cancer du béton - c'est l'expression consacrée. On a donc une majorité dans ce parlement qui ne veut pas respecter la dignité des détenus et leur offrir des conditions de détention conformes au droit supérieur - y compris la Convention européenne des droits de l'homme - mais qui, en même temps, exige que ce convoyage des détenus soit effectué par du personnel qui tombe sous le coup des règles de la fonction publique, pour des raisons purement dogmatiques et doctrinaires. Je m'interroge ! Le convoyage des détenus tel qu'il est effectué par des sociétés privées à Genève - comme dans d'autres cantons d'ailleurs - est effectué à pleine et entière satisfaction; le fait de confier cela à du personnel assermenté ne changera strictement rien à la qualité de la prestation !
Nous sommes ici en présence d'une dépense somptuaire qui obéit à des logiques purement dogmatiques et idéologiques et le PLR ne peut que se réjouir que le Conseil d'Etat ait saisi la mesure de cette modification dans la pratique genevoise. En particulier, nous nous réjouissons que le responsable du département de la sécurité ait vu le problème. Nous devons veiller à ce que nos deniers publics soient bien gérés, aujourd'hui plus que jamais, dans un contexte de crise sanitaire et économique. Il est dès lors surprenant qu'on veuille changer quelque chose qui fonctionne, cela pour des raisons purement idéologiques.
Mesdames et Messieurs les députés, le groupe PLR vous invite à approuver ce projet de loi du Conseil d'Etat et à faire preuve de pragmatisme en mettant de côté ces considérations purement doctrinaires qui n'ont rien à faire dans ce parlement.
M. Marc Falquet (UDC). Monsieur le président, cette histoire de convoyage coûte très cher et pollue. C'est un risque, il y a un danger d'évasions lors des convoyages et les embouteillages sont augmentés. Finalement, le problème, ce n'est pas tellement de savoir qui va effectuer le convoyage, mais c'est le convoyage en soi ! Est-ce que nous devons déplacer 600 détenus à la place des procureurs qui pourraient se rendre à la prison pour effectuer le travail ? Cela se fait dans d'autres cantons, mais à Genève, malheureusement, je crois que le procureur général n'est pas très chaud pour cette solution. Ça serait effectivement la meilleure solution: au lieu de déplacer les détenus, on déplacerait le pouvoir judiciaire pour qu'il effectue ses enquêtes à la prison de Champ-Dollon. Là, on réglerait définitivement le problème des convoyages !
Mme Delphine Bachmann (PDC). Monsieur le président, ce projet de loi vise à légitimer une pratique actuelle et qui fonctionne; ce n'est pas au parlement d'expliquer au Conseil d'Etat comment il doit gérer le convoyage des détenus qui semble bien fonctionner ! A partir de là, je ne vois pas la pertinence de s'opposer à ce texte, si c'est pour dépenser plus d'argent pour des prestations strictement identiques. Le PDC acceptera par conséquent ce projet de loi.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Monsieur le président, j'ai entendu M. le député Murat Alder accuser les personnes qui s'opposeraient à la privatisation du convoyage d'être dogmatiques et doctrinaires. Ce sont des mots qu'il a répétés trois ou quatre fois, comme si en soi c'était mal et problématique de croire en certains principes et de les ériger en doctrine ou en dogme. Il est vrai que nous avons une doctrine et peut-être un dogme aussi: lorsqu'une personne est privée de liberté, il faut que cette privation de liberté, dont seul l'Etat a le droit de faire usage, soit conduite de A à Z par des agents de l'Etat. Aucune société privée, aucune société anonyme, aucune sàrl, aucune personne morale non étatique ne doit pouvoir priver un individu de liberté sur le sol de la République et canton de Genève ! Peut-être que c'est dogmatique, mais nous sommes profondément attachés à ce principe !
Le deuxième principe que nous avons, c'est la défense des conditions de travail des salariés - de tous les salariés ! Et nous connaissons très bien la raison pour laquelle l'externalisation du convoyage des détenus coûte moins cher: c'est parce que les employés externes sont moins bien payés ! S'il y a deux principes, deux dogmes, deux doctrines que nous défendons aujourd'hui, c'est la défense des salariés et la défense du principe selon lequel seul l'Etat peut priver un individu de liberté. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Patrick Saudan, vous avez la parole pour une minute trente.
M. Patrick Saudan (HP). Cela sera amplement suffisant, Monsieur le président. J'aimerais juste porter à l'attention de mes collègues que les histoires de convoyage concernent aussi des prisonniers qui doivent aller aux HUG pour y subir des traitements pendant quelques heures. Ce projet de loi est pragmatique, on ne peut pas monopoliser des employés publics pour faire ce travail de gardiennage !
M. Jean Rossiaud (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, le convoyage est par essence, quand il s'agit de détenus, une tâche régalienne, une tâche qui doit être mise en place par l'Etat et il est absolument impossible pour les Verts de penser qu'on puisse privatiser une telle tâche régalienne ! Quand est-ce qu'on privatisera la police ? Quand est-ce qu'on privatisera l'armée ? Ça n'a pas de sens !
Une voix. Si, ça a un sens !
M. Jean Rossiaud. Une armée privée ? Je ne pense pas que ça ait du sens !
La deuxième raison est la préservation des conditions de travail et des salaires des employés qui font ce travail, M. Bayenet l'a expliqué, je n'y reviendrai pas.
La troisième raison est le respect d'une volonté politique, d'une volonté démocratique que ce parlement a déjà exprimée; ce serait juste normal de continuer à exprimer la même chose. C'est pour ça que les Verts demandent au Conseil d'Etat de renoncer à leur projet et, en l'occurrence, vous demandent de rejeter ce projet de loi. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Murat-Julian Alder, vous avez la parole pour une minute.
M. Murat-Julian Alder (PLR). Je vous remercie, Monsieur le président. C'est juste pour répondre à mon collègue Bayenet que ce qui va ressortir des débats de ce jour, c'est que la gauche préfère une prison en mains publiques, mais avec des conditions de détention indignes des droits de l'homme, plutôt qu'une prison privée mais conforme à ces mêmes prescriptions ! Chacun a sa perception du pragmatisme et du dogmatisme: j'ai la mienne et je l'assume parfaitement. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Christian Zaugg, vous avez la parole pour une minute trente.
M. Christian Zaugg (EAG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, je me souviens que lorsque nous avions traité de cette question à la commission judiciaire dont je faisais partie à l'époque, le procureur général avait dit - à deux mots près - que tant qu'il serait procureur général, un détenu n'entrerait pas dans un prétoire accompagné d'un garde Securitas. J'espère qu'il ne m'en voudra pas, ce sont à peu près les propos du procureur général. (Rires.)
Il voyait donc le problème sous l'angle de la sécurité et nous avions constaté que les Securitas ne bénéficiaient pour toute formation que de quelques jours de cours et qu'ils n'étaient pas véritablement habilités à remplir cette tâche. Nous avions aussi constaté que, contrairement à ce qu'on nous disait, il y avait eu beaucoup d'incidents.
Donc, une fois n'est pas coutume, on peut aussi considérer la question sous l'angle de la sécurité et juger que des personnes qui n'ont qu'une toute petite formation ne sont pas habilitées à...
Le président. Merci, Monsieur le député.
M. Christian Zaugg. Merci beaucoup, ce fut court mais bon ! (Rires.)
M. Pierre Vanek. Si c'est toi qui le dis !
Le président. Vous êtes très urbain. La parole est maintenant à M. le député François Baertschi.
M. François Baertschi (MCG). Merci, Monsieur le président. Les entreprises privées de sécurité engagent massivement des travailleurs frontaliers... (Exclamations. Commentaires.) Eh oui, c'est une réalité ! (Brouhaha.)
Le président. Un instant, Monsieur le député. (Un instant s'écoule. Le silence revient.) Vous pouvez continuer.
M. François Baertschi. Quand ce mot est prononcé, ça soulève quelques passions dans cet hémicycle, que je trouve toujours surprenantes ! C'est quand même une réalité et j'ai chaque fois l'impression qu'on est en train de toucher à un tabou assez spécial dans notre Genève sans frontières. Justement, si ces entreprises privées doivent s'occuper de ces déplacements de détenus, nous aurons le problème d'un engagement massif de frontaliers, ce qui se fait actuellement. C'est pour ça que nous pensons que ce n'est pas la bonne solution et c'est pour ça que nous ne voterons pas ce projet de loi.
M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vais peut-être commencer par rappeler qu'il n'est pas ici question de privatisation. Cela a toujours été le cas, c'est toujours le cas aujourd'hui: les personnes détenues sont convoyées par une société de sécurité privée avec laquelle un contrat de prestations a été convenu. Certes, lorsqu'il s'agit d'entrer au Ministère public, les circonstances sont différentes. Par contre, les détenus ne sont pas simplement amenés de la prison au Ministère public: beaucoup d'autres déplacements ont lieu et ceux-ci doivent pouvoir - aussi pour une question de disponibilité et de rapidité - être confiés à des personnes qui sont des professionnels, avec lesquels nous n'avons eu aucun problème, il faut le rappeler.
Personne ici ne vient d'ailleurs nous dire que les personnes de cette société privée qui s'occupent du convoyage des détenus actuellement se seraient mal comportées, auraient un comportement inadéquat ou autoritaire. Non ! C'est simplement du dogmatisme: on considère, après avoir obtenu le salaire minimum ce week-end, que rien n'est mieux que d'être fonctionnaire; on considère que le salaire minimum doit être celui des fonctionnaires ! (Commentaires.) Il n'y aurait donc aucune raison qu'il y ait d'autres professions dans lesquelles on gagne moins qu'un fonctionnaire ! Bien, c'est une façon de voir les choses.
Il faut aussi se rendre compte que la décision de votre parlement, il y a quelques années, de réinternaliser - si j'ose dire - au sein de l'Etat le convoyage des détenus a été prise sur un coup de tête qui, du côté de la gauche, correspondait au dogmatisme dont je viens de parler, sans acception péjorative. Cette décision avait été soutenue par le MCG pour qui la réinternalisation était le seul moyen de ne pas avoir des frontaliers pour ce travail et de s'assurer que ces postes soient confiés à des résidents. D'abord, c'est une vision fausse du fonctionnariat de l'Etat de Genève: je le rappelle, passablement de nos fonctionnaires - notamment à la police - sont domiciliés en dehors du canton voire majoritairement en France voisine. On peut donc douter qu'on aura seulement des résidents en internalisant et en faisant de ces convoyeurs des fonctionnaires.
Par contre, la nationalité suisse est exigée pour la police; ce sont donc des citoyens suisses. Pour les transports de détenus, il s'agit d'agents de sécurité publique qui ne sont pas forcément des ressortissants suisses. Je renonce donc, bien sûr, à convaincre les tenants de l'argument dogmatique: comment pourrais-je vous convaincre que le travail est aussi bien fait par les sociétés actuelles qu'il le serait par les personnes nommées par l'Etat et fonctionnaires de l'Etat ?
Cependant, je voudrais quand même répondre à l'argumentation MCG en indiquant que des accords ont été passés avec l'ensemble des sociétés de sécurité privées qui ont signé la charte mise en place avec les associations patronales faîtières. Ces sociétés privées s'engagent à annoncer les postes vacants auprès de l'office cantonal de l'emploi et à donner la priorité aux résidents. De plus, nous sommes en train de mettre en place un système de formation, un cursus, pour le demandeur d'emploi afin qu'il puisse correspondre aux exigences de cette nouvelle activité.
Encore une fois, si je pouvais rassurer le parti MCG, voire peut-être l'UDC, qui a aussi cette préoccupation, je leur dirais qu'aujourd'hui, on est plus sûr de pouvoir donner une chance à nos demandeurs d'emploi en maintenant la situation actuelle qu'en allant vers l'internalisation demandée. D'ailleurs, vous avez vu la formulation du projet de loi: on n'y parle pas d'obligation, mais de la possibilité de recourir à une société privée. Je vous rappelle que vous avez voté l'internalisation du convoyage pour qu'elle soit confiée à des fonctionnaires, mais, année après année, vous avez refusé les crédits pour former le personnel nécessaire pour ce travail ! Il y a une certaine schizophrénie de ce parlement, qui donne le délai d'avril 2022 pour engager 84 agents de sécurité publique - vous m'avez bien entendu - destinés à ce travail sans en donner les moyens. L'année passée, je vous rappelle que vous avez refusé dans un premier temps tout engagement de personnel supplémentaire à l'Etat !
Nous vous demandons simplement de nous laisser poursuivre cette activité avec les agences de sécurité privées parce que nous ne pouvons pas résilier ces contrats sans avoir la relève qui s'impose. Je trouve donc que ce projet de loi mériterait en tout cas d'être examiné; je vous demande de le renvoyer en commission afin que nous puissions vous apporter, le cas échéant, les garanties nécessaires pour vous convaincre que le système actuel est aussi bon quant à sa qualité et plus sûr quant à la garantie de travail pour nos demandeurs d'emploi.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Quand vous parlez de renvoi en commission, j'imagine que vous pensez à la commission judiciaire et de la police ?
M. Mauro Poggia. Tout à fait !
Le président. Très bien, je vous remercie. Nous votons donc sur une demande de renvoi à la commission judiciaire et de la police de la part du Conseil d'Etat.
Mis aux voix, le renvoi du projet de loi 12777 à la commission judiciaire et de la police est rejeté par 57 non contre 40 oui.
Le président. Le renvoi étant refusé, je vous invite à vous prononcer sur l'entrée en matière.
Mis aux voix, le projet de loi 12777 est rejeté en premier débat par 56 non contre 39 oui. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)