Séance du
vendredi 26 juin 2020 à
14h
2e
législature -
3e
année -
3e
session -
13e
séance
M 2507-B
Débat
Le président. Nous enchaînons avec la M 2507-B; Mme la députée Strasser demande la parole et je la lui passe.
Mme Léna Strasser (S). Merci, Monsieur le président. Vous vous en souvenez: la nuit du 16 au 17 novembre 2014, il y a bientôt six ans, un grave incendie faisait près de 150 victimes, dont un mort, au foyer des Tattes. La motion qui fait l'objet de ce rapport demandait que les victimes soient traitées comme des victimes.
Le rapport du Conseil d'Etat mentionne tout d'abord une invite qui ne figure plus dans le texte sorti de commission, même si le titre de l'objet y fait encore référence: il s'agit de la question de l'indemnisation. Cette question a été retirée de la motion durant le travail en commission. De plus, les informations sur la situation des victimes sont vagues: le rapport dit que certaines personnes se sont déjà vu octroyer une autorisation de séjour pour des raisons médicales, que d'autres sont au bénéfice d'une admission provisoire au motif que leur renvoi n'est pas possible en l'état et que d'autres encore ont fait l'objet d'une décision de renvoi et quitté la Suisse.
Mais ce rapport omet que certaines sont encore ici et toujours à l'aide d'urgence, dans des conditions de séjour instables et extrêmement difficiles, notamment d'un point de vue psychologique. Il nous semble donc opportun que le département accepte de soutenir la demande de permis de ces personnes, au moins jusqu'à la fin de la procédure - et ce pour des raisons médicales ou simplement afin de valider leur statut de victime et de leur laisser un peu de répit.
Dès lors, nous demandons que ce rapport soit renvoyé au Conseil d'Etat pour que celui-ci puisse répondre à la motion sortie de commission et non à celle qui y est entrée. Nous souhaitons également qu'il nous donne des indications plus précises sur le nombre de personnes victimes de cet incendie qui se trouvent encore à l'aide d'urgence et sur ce qu'il compte réellement mettre en oeuvre pour leur permettre de vivre ici de manière sereine, du moins jusqu'à la fin de la procédure. Merci.
M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Cette motion comprend deux invites, brèves et très claires: la première, que le Conseil d'Etat ne procède à aucune démarche qui vise au renvoi des victimes tant qu'elles n'auront pas été indemnisées; la deuxième, que le gouvernement soutienne les demandes de régularisation qui sont déposées. Or le rapport de l'exécutif ne répond pas aux invites, aux questions qui lui sont posées - il ne répond pas aux exigences et aux attentes du Grand Conseil.
Le Conseil d'Etat nous explique que la régularisation, c'est l'affaire de la Confédération. Il nous explique que l'indemnisation, c'est l'affaire des tribunaux, de l'aide au retour, et que la création d'un fonds cantonal engendrerait une inégalité de traitement. Mais ce n'est pas ce qui lui est demandé ! Ce qui lui est demandé, c'est simplement de ne pas renvoyer les gens chez eux tant que la question n'est pas close, tant que la question de l'indemnisation n'est pas réglée.
Pourquoi faut-il demander cela ? Parce que la loi fédérale comprend une lacune: vous savez, Mesdames et Messieurs, que l'article 30, alinéa 1, lettre e, de la loi fédérale sur les étrangers prévoit la possibilité d'accorder des permis de séjour à des victimes ou à des témoins - mais uniquement des victimes ou des témoins de la traite d'êtres humains. Le droit fédéral ne prévoit malheureusement pas cette possibilité pour les victimes de toutes sortes d'autres infractions. Ainsi, une victime de viol serait donc renvoyée chez elle sans avoir la possibilité d'assister à la procédure alors qu'une victime de la traite aurait le droit de rester en Suisse pour y participer. Ici, nous avons des victimes d'un incendie criminel et le droit fédéral ne prévoit pas qu'on leur accorde un droit de séjour en Suisse, ne serait-ce que jusqu'à l'issue de la procédure; les victimes seraient par conséquent renvoyées chez elles sans avoir pu toucher une indemnisation.
Pourquoi est-ce que c'est grave ? Parce que ces victimes atteintes dans leur santé, dans leur capacité de travail sont souvent des gens qui n'ont pas un niveau de formation élevé, ce sont des travailleurs de force. S'ils sont renvoyés chez eux, ces travailleurs de force atteints dans leur santé et qui ne peuvent plus travailler seront alors condamnés à la mendicité ou à vivre aux dépens de leur famille. C'est exactement la situation que le Grand Conseil veut éviter: il veut simplement garantir un traitement humain des victimes de cet incendie et s'assurer que lorsqu'elles rentreront chez elles, elles le feront peut-être volontairement ou peut-être contraintes, mais en tout cas pas les poches vides.
Il faut d'abord que cette affaire pénale se termine, qu'ils touchent ce à quoi ils ont droit s'ils ont droit à quelque chose; une fois cette question réglée, on pourra alors envisager un renvoi. C'est cela, Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, qu'il faut absolument que vous mettiez en oeuvre; c'est cela, la mission que vous a confiée le Grand Conseil et c'est là-dessus que nous attendons une action de votre part. Je vous remercie.
M. Bertrand Buchs (PDC). Le parti démocrate-chrétien va soutenir le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport pour les mêmes arguments que nous avons entendus. Nous attendons depuis 2014 que la procédure pénale se termine. C'est vrai que le parlement n'a pas à intervenir dans la procédure pénale - ni le gouvernement - mais la question posée par cette procédure est de savoir si l'Etat a une responsabilité dans ce qui s'est passé lors de l'incendie des Tattes. Tant qu'on n'a pas de réponse, les personnes qui ont eu des lésions suite à cet incendie doivent donc pouvoir rester en Suisse pour attendre la décision du tribunal. Et si elles doivent rester si longtemps ici, c'est que ça fait six ans que la procédure est pendante. Je vous remercie.
Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs, pour les Vertes et les Verts, la réponse donnée à cette motion n'est pas satisfaisante. Indépendamment d'une responsabilité pénale ou non de l'Etat, la réponse du gouvernement est très procédurale et peu claire s'agissant des intentions et de la volonté politique d'agir.
Un drame s'est produit dans un lieu où étaient hébergés des êtres humains fuyant la misère et la guerre. Cet événement tragique n'est pas sans rappeler que les conditions d'accueil et d'hébergement doivent être adéquates. Nous souhaitons renvoyer cette copie à l'expéditeur pour que le Conseil d'Etat trouve une alternative aux propositions de motions et ne continue pas soit à tourner autour du pot, soit à traiter au cas par cas, mais surtout afin qu'il n'attende pas plus longtemps pour agir.
Le fonds d'indemnisation semble mis de côté en raison d'un risque d'inégalité de traitement - c'est ce qui est écrit dans le rapport - avec les victimes de l'incendie des Tattes qui ont déjà quitté la Suisse. Pour les Vertes et les Verts, la situation latente qui perdure via ces tergiversations et les pseudo-arguments d'impuissance est déjà une inégalité de traitement, pas entre demandeurs et demandeuses d'asile, mais tout simplement entre victimes d'une tragédie indépendante de la volonté des uns et des autres - pour le moment. L'inaction de l'Etat ou plutôt sa lenteur assombrit toujours plus le ciel et l'avenir de ces personnes déjà blessées et traumatisées. C'est pourquoi nous refuserons ce rapport et accepterons le renvoi au Conseil d'Etat. Merci.
M. Stéphane Florey (UDC). Finalement cette motion n'a que la réponse qu'elle mérite, à savoir la réponse du gouvernement - sur le fond, elle nous satisfait entièrement. Nous refuserons donc de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat.
Il faut quand même rappeler un certain nombre d'éléments. Le premier, c'est que la population ne pourrait pas comprendre une quelconque responsabilité de l'Etat. On ne peut en aucun cas l'accuser de ce qui s'est passé pour non-respect des normes en vigueur concernant les incendies puisque c'est vraisemblablement un résident qui a mis le feu au foyer des Tattes. Ce qui est le plus surprenant là-dedans, c'est que tout le monde s'offusque de ce qui s'est passé pour des personnes qui finalement n'auraient jamais dû venir en Suisse, puisqu'il s'agit, pour une très grande majorité, non pas de réfugiés de guerre comme on tente de nous le faire croire ici, mais de simples réfugiés économiques qui viennent inévitablement pour pomper du fric à notre république ! (Exclamations.) C'est exactement de cela qu'il s'agit !
Il faut être clair: ce sont des personnes qui sont déboutées, ce sont des personnes qui doivent quitter notre pays. Dans les faits, suite à ce malheureux incendie - c'est malheureux qu'il y ait eu des blessés - ces personnes font traîner les procédures tout simplement pour éviter d'être renvoyées. Il n'y a en définitive aucune inégalité de traitement. Je rappellerai également que, le raisonnement poussé à l'extrême, il ne devrait y avoir aucune procédure en cours puisque ce sont des personnes qui ne devraient pas être ici ! Ce sont des personnes qui, suivant les cas, n'existent même pas pour l'administration ! C'est en tout cas les réponses qu'on obtient souvent quand on pose des QUE sur les sans-papiers en particulier: on nous signale qu'une réponse n'est pas vraiment possible puisque ce sont des personnes qu'on a de la peine à véritablement identifier; que ce sont des personnes qui ne sont pas censées être là. Et ça, c'est le gouvernement lui-même qui le dit.
Il faut donc raisonnablement se satisfaire de ce rapport et ne pas le renvoyer au Conseil d'Etat. Et saluer le fait que, dans ce pays et dans cette république, il y ait encore un tant soit peu de lois qui soient respectées par un minimum de personnes qui font encore preuve de bon sens. Je vous remercie.
Mme Danièle Magnin (MCG). Nous nous opposerons au renvoi au Conseil d'Etat de son rapport et cela pour les raisons suivantes. L'incendie en question était certes criminel, mais causé par une personne qui résidait au foyer des Tattes; ce n'est pas la responsabilité de l'Etat. Et nous ne sommes pas supposés construire des bâtiments ressemblant à des palaces pour que les personnes ne puissent pas mettre le feu aux locaux qu'elles occupent.
Un de mes préopinants nous a dit qu'il s'agissait de personnes qui n'ont que leur force de travail, qui ne sont pas formées. Ce que j'ai appris dans mes études sur les assurances sociales, c'est que le prolétaire était précisément quelqu'un qui n'avait que la force de son travail pour gagner sa vie. Alors les indemniser... Les indemniser à quelle hauteur ? Je vous propose de calculer comme pour l'AI - il n'y a pas de raison de faire autrement - et de se baser sur le revenu que ces personnes avaient dans le passé, avant de venir chez nous ! On pourra ainsi éventuellement voir si elles ont droit à des indemnisations et de quel montant.
Ensuite, je vous signale que ces personnes sont soignées depuis des années - puisque ça fait six ans: elles ont des dossiers médicaux qui disent en quoi consistent les atteintes. Je vous rappelle, au final, qu'on peut, en Suisse, être représenté par un avocat et que pour rémunérer celui-ci on a l'assistance juridique. Celle-ci peut très bien accorder ses prestations aux victimes qui auraient des droits à faire valoir, même en étant à l'étranger. Nous refuserons donc de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat. Merci.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole n'étant plus demandée, nous allons voter sur le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport.
Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 2507 est adopté par 45 oui contre 38 non.
Le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2507 est donc refusé.