Séance du vendredi 22 mars 2019 à 16h
2e législature - 1re année - 10e session - 61e séance

M 2489-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Delphine Klopfenstein Broggini, Frédérique Perler, Pierre Eckert, Jean Rossiaud, Yves de Matteis, Marjorie de Chastonay, Alessandra Oriolo, Yvan Rochat, Philippe Poget, Isabelle Pasquier, François Lefort, Paloma Tschudi, Adrienne Sordet, Mathias Buschbeck, Jocelyne Haller, Jean Batou, David Martin, Olivier Baud, Nicole Valiquer Grecuccio, Caroline Marti, Jean-Charles Rielle, Grégoire Carasso, Léna Strasser, Salima Moyard, Diego Esteban, Sylvain Thévoz, Xhevrie Osmani, Marion Sobanek, Cyril Mizrahi, Pierre Bayenet : Pas de centre fédéral d'attente et de départ à Genève !
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 21 et 22 mars 2019.
Rapport de Mme Léna Strasser (S)

Débat

Le président. Nous passons à la dernière urgence, que nous traiterons en catégorie II, trente minutes. Il s'agit de la M 2489-A; le rapport est de Mme Léna Strasser, qui prend place et à qui je cède immédiatement la parole.

Mme Léna Strasser (S), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, la M 2489, soutenue par la majorité de la commission des affaires sociales, invite le Conseil d'Etat à renoncer à la construction et à l'ouverture, en 2022, d'un centre fédéral d'attente et de départ pour les requérantes et les requérants d'asile sur la commune du Grand-Saconnex, aux abords de l'aéroport. (Brouhaha.)

Des voix. Chut !

Mme Léna Strasser. Contrairement aux centres de procédure, le centre genevois serait destiné à accueillir les femmes, hommes et enfants devant être renvoyés soit, pour les cas dits Dublin, dans un autre pays d'Europe afin que leur demande d'asile y soit traitée et qu'ils obtiennent le statut de réfugié, soit dans leur pays d'origine si ce statut ne peut pas leur être accordé.

La commission des affaires sociales a entendu les départements concernés ainsi que la Coordination asile et Amnesty International Genève. Elle a aussi pris connaissance de la position de la commune du Grand-Saconnex tout comme de l'avis de droit publié par la Commission fédérale contre le racisme, qui dénonce les restrictions illégales à la liberté de mouvement dans les centres fédéraux d'asile.

Si la majorité de la commission s'est montrée favorable à soutenir cette motion, c'est que le centre prévu dans notre canton incarne le pire visage de la politique d'asile de notre pays, la dimension sécuritaire prenant le pas sur l'encadrement social, l'accueil disparaissant au profit du contrôle et de la restriction de liberté.

Aux yeux de la majorité de la commission, les conditions de réalisation de ce centre d'attente et de départ sont insatisfaisantes. Celui-ci se situera sur une parcelle exposée aux nuisances générées par la proximité de l'aéroport et de l'autoroute. Les conditions de vie dans ce centre, régies par l'ordonnance fédérale relative, comprennent une restriction de la liberté d'aller et venir, des horaires de sortie et de rentrée réduits, des fouilles systématiques à l'entrée et une limitation des visites et des contacts avec la société civile - même pour les enfants, qui recevront un enseignement à l'intérieur du centre.

Le centre, bien que dit ouvert et destiné à des requérants d'asile, réfugiés probables, et non à des personnes condamnées pour un délit, aura l'allure d'un lieu de détention, vraisemblablement orné de barbelés comme celui de Zurich. Sur la même parcelle, il est prévu de construire un bâtiment de la police internationale, le centre de déminage et le commissariat de la police douanière, ainsi que cinquante cellules de détention administrative en vue d'incarcérations avant les renvois. A nos yeux, ces conditions risquent fortement d'engendrer un stress supplémentaire pour ces femmes, hommes et enfants, avec très probablement un impact négatif sur leur santé physique et psychique.

Est-ce ainsi que nous souhaitons accueillir, à Genève, des femmes, des hommes et des enfants demandant l'asile ? La majorité de la commission répond que non ! Accueillir, oui, mais pas en déshumanisant l'accueil et les procédures. Accueillir dignement ! C'est pourquoi nous vous remercions de soutenir cette motion. (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie. La parole est à M. le député André Pfeffer. (Un instant s'écoule.) Monsieur Pfeffer, c'est à vous.

M. André Pfeffer. Je renonce. C'est sur l'objet précédent que je voulais m'exprimer.

Le président. Je vous remercie. La parole échoit à M. François Lance. (Remarque.) Non, non plus. Je passe donc la parole à M. Marc Fuhrmann.

M. Marc Fuhrmann (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, comme il y a eu un petit problème de communication, mes propos feront office de rapport de minorité.

J'aimerais rappeler que le 5 juin 2016, la population a accepté une nouvelle loi sur l'asile visant à améliorer les procédures. Cette nouvelle loi doit permettre de réaliser différents objectifs, entre autres: accélérer les procédures, recrédibiliser l'asile et réduire l'attrait de la Suisse pour les requêtes non fondées. Dans ce cadre, la Suisse accepte des demandes d'asile et en refuse d'autres. Pour les personnes déboutées, il doit exister un lieu où demeurer avant leur départ de Suisse. C'est l'objet de ce futur centre.

La minorité conteste les arguments de la majorité; cette nouvelle loi sur l'asile demande des infrastructures nouvelles que la majorité de la commission refuse avec cette motion. Ce centre est destiné à des séjours courts, d'un maximum de 140 jours. A Zurich, la durée moyenne pour une installation similaire est de 66 jours seulement. Il s'agit donc d'un centre d'attente ou de départ pour requérants avant un retour dans leur pays ou dans un autre pays de l'espace Dublin.

Toute l'argumentation concernant le lieu inapproprié - proche de l'aéroport et de l'autoroute, loin des lieux de culture, air de moins bonne qualité - n'a objectivement pas de sens. De par la brièveté de ces séjours, tout désagrément n'est que passager et de courte durée - durée qui peut être très brève si la personne concernée obtempère au départ signifié. N'oublions pas non plus que des dizaines de milliers de gens vivent et travaillent de longues années d'affilée dans la région de l'aéroport, sans que les conditions liées à la qualité de l'air soient intolérables. La proximité de l'autoroute ? En quoi cette proximité est-elle néfaste, surtout pour de brefs séjours ? De nombreux habitants y sont aussi exposés à travers le canton et cela durant de longues années, voire des vies entières, pas pour un maximum de 140 jours.

Il a été question également du manque de vie culturelle, du fait que celle-ci est située trop loin de ce futur centre. En vingt minutes de bus, toute l'offre culturelle du canton est à portée; l'argument n'est pas sérieux. Il s'agit d'un centre de sortie et non de séjour ! Ensuite, je cite de nos discussions: «L'impact écologique de ce centre fut aussi abordé comme étant "catastrophique".» Il sera construit en pleine zone bâtie, regorgeant d'infrastructures en tout genre, et sans entraîner la destruction d'un quelconque biotope. Entre une piste d'aéroport et une autoroute, où est le biotope ?!

Il a également été débattu de la mauvaise image que donnerait Genève avec un tel centre. Argument incompréhensible là aussi: à ce jour, la politique d'asile suisse est l'une des plus généreuses et compréhensives au monde.

En résumé, il s'agit de mettre à exécution une demande fédérale et Genève n'a pas d'arguments conséquents pour déroger à ses obligations en la matière. La situation actuelle est finalement bien pire, les infrastructures sont insuffisantes, et ce nouveau centre offrira de meilleures conditions que celles qui prévalent à ce jour. C'est avec ces arguments que la minorité rejette cette motion et vous enjoint de la rejeter. Merci.

Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, la loi sur l'asile est revue régulièrement, malmenant toujours plus une population déjà largement précarisée. C'est une nouvelle fois le cas avec la dernière révision, qui prévoit le remplacement des CEP, les centres d'enregistrement et de procédure, par un nouveau concept, les centres fédéraux pour requérants d'asile, soit CFA. Mme la rapporteure de majorité l'a extrêmement bien expliqué: ces centres prévoient notamment une semi-détention.

Que les CFA soient avec ou sans tâches procédurales, c'est-à-dire des centres d'enregistrement ou des centres de départ, ils ont tous en commun la caractéristique suivante: la durée de procédure passe de 90 à 140 jours. Mais ce qui nous inquiète le plus, c'est bien le caractère carcéral de ces CFA. On parle de clôtures qui entourent les centres, de contrôles à l'entrée, de fouilles; les personnes se retrouvent en semi-détention. On assiste là à une criminalisation des personnes en exil et on bafoue littéralement leurs droits fondamentaux.

J'ajouterai à cela que le centre prévu à Genève - soit un CFA sans tâches procédurales, c'est-à-dire un centre de départ - sera consacré essentiellement aux cas Dublin. Par conséquent, des familles y seront également accueillies. Pour rappel, les cas Dublin concernent le renvoi des requérants dans le pays d'arrivée sur sol européen. La plupart du temps, la Suisse renvoie les requérants en Italie, premier pays d'arrivée en Europe, alors que l'infrastructure d'accueil - et on le sait toutes et tous ici ! - y est absolument lacunaire.

Dernièrement, j'ai connu à Genève une famille yéménite. Elle a été refoulée en France, passant ses nuits de gare en gare avant d'obtenir un rendez-vous avec l'administration pour son enregistrement. Imaginez un instant cette famille, avec deux garçons de 10 et 15 ans, transiter d'un centre semi-carcéral genevois à des gares françaises ! Est-ce un crime de fuir la guerre civile du Yémen ? Est-ce un crime de fuir l'une des pires crises humanitaires actuelles ? Est-ce cela notre seule réponse ?

Au-delà de cette criminalisation des personnes en exil, il faut ajouter un élément, et non des moindres: ce centre coûterait à Genève pas moins de 40 millions - 40 millions de francs pour Genève et 23 millions pour la Suisse. Nous ne sommes pas les seuls, à Genève, à nous élever contre ces centres: grâce à une motion des Verts, le canton de Berne vient de refuser, par voie parlementaire, l'implantation sur son territoire de l'un d'entre eux. Je vous invite, chères députées, chers députés, à en faire de même. Ces centres fédéraux pour requérants d'asile violent littéralement les droits humains; nous n'en voulons ni à Genève ni ailleurs. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe Ensemble à Gauche vous invite à accepter la M 2489, qui affiche très clairement sa vocation: s'opposer à la création, à Genève, d'un nouveau centre fédéral d'attente et de départ pour les requérants d'asile. Notre groupe est formellement opposé à la création de ce centre qui, comme ses homologues, s'inscrit dans le cadre de la réorganisation de l'asile, vaste entreprise de déshumanisation s'il en est.

Le centre fédéral d'attente et de départ vise essentiellement à accélérer le traitement d'une partie des demandes d'asile afin de hâter le départ de ceux qui n'auront pu obtenir l'ouverture d'une procédure. Il pourra désormais retenir les requérants d'asile jusqu'à 140 jours pour ce seul motif. Au contraire de ce que disait M. Fuhrmann tout à l'heure, ce n'est pas simplement un petit moment, de courte durée, à supporter: c'est une étape de plus dans le processus particulièrement dramatique du chemin de l'exil.

Ces centres, que la Commission fédérale contre le racisme a sévèrement remis en question, sont par nature l'antithèse du devoir d'hospitalité qui nous incombe. Ils sont avant tout les instruments de l'organisation du rejet des personnes qui viennent, alors qu'elles sont en péril, demander un abri dans notre pays. Quelles que soient les améliorations des directives fédérales que le canton de Genève est parvenu à obtenir, les centres se caractérisent quand même, envers et contre tout, par une sorte de régime semi-carcéral. Pourtant, ils sont destinés à des personnes adultes ou à des enfants dont le seul crime est de venir d'ailleurs et d'avoir besoin d'un asile pour préserver leur intégrité.

D'une taille surdimensionnée alors que le dispositif actuel est largement sous-employé, situé, on l'a dit, en bordure de la piste d'aéroport, près d'axes routiers, et voisin de bâtiments abritant divers services de police, le centre fédéral d'attente et de départ est voué à incarner une politique de dissuasion et de contrainte. Politique qui ne fait pas honneur à Genève, qui se plaît à se désigner comme la capitale des droits humains. A n'en pas douter, de telles conditions de détention et un tel voisinage ne peuvent qu'encourager les requérants d'asile destinés au renvoi à disparaître dans la nature pour éviter les vols spéciaux ou une pathétique errance dans les pays environnants. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)

Enfin, la vocation de ce centre affectera évidemment la répartition des requérants d'asile. De par sa présence sur le sol cantonal, Genève se retrouvera avec une certaine catégorie de requérants d'asile: il devra faire face à une concentration de personnes susceptibles d'être expulsées. Cela affectera la perception que la population aura de celles-ci et alimentera une forme de politique particulièrement discutable, prompte à manipuler l'opinion en la matière. Ce sera surtout une manière de stigmatiser et...

Le président. Voilà, Madame la députée, nous arrivons au bout.

Mme Jocelyne Haller. ...de favoriser l'exclusion sociale. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Véronique Kämpfen (PLR). Mesdames et Messieurs, chers collègues, je voudrais vous rappeler, en préambule, que la réforme de la loi sur l'asile a été acceptée en 2016 par deux tiers des voix, et elle l'a été dans l'ensemble des cantons suisses. Ainsi, Genève a également accepté cette loi fédérale, qui demande justement l'institution des centres fédéraux de départ. Je voulais vous dire aussi que la commune du Grand-Saconnex ne s'est pas opposée à la création de ce centre sur son territoire.

Le principe - voulu, donc, par ce texte accepté en 2016 - est de diviser la Suisse en six régions pour intégrer les personnes migrantes et mieux gérer les flux migratoires, y compris les départs. La Suisse romande ne sera qu'une seule région, la plus grande, avec 1290 places à disposition. Tous les cantons n'auront évidemment pas un centre de renvoi, mais Genève disposant d'un aéroport, il est logique qu'un tel centre y soit construit. Le canton sera indemnisé pour cela; contrairement à ce qui a été dit, les centres seront entièrement payés par la Confédération, qui prendra non seulement à sa charge les frais de construction mais également les frais de fonctionnement.

Le département, qui a été auditionné, nous a largement rassurés quant à la prise en compte des exigences des motionnaires relatives à la qualité de vie dans ce centre. L'expérience zurichoise a été éclairante: il a tout à fait été reconnu que c'était difficile, là-bas. Les cantons qui construiront les prochains centres pourront prendre en considération les résultats de cette première expérience zurichoise. Le département s'est donc engagé à respecter autant que faire se peut les exigences relatives à la qualité de vie formulées par les motionnaires.

Le gros problème de cette motion, c'est qu'elle n'a qu'une seule invite, qui demande de renoncer à la construction d'un centre fédéral d'attente et de départ à Genève. Cette invite va un pas trop loin. Le groupe PLR regrette que nous n'ayons pas pu la retravailler pour peut-être demander une meilleure prise en compte des exigences liées à la qualité de vie. Mais demander carrément de renoncer à la construction du centre nous semble aller beaucoup trop loin et être en opposition avec les décisions que nous avons prises au niveau fédéral. Pour ces raisons, le PLR vous demande de refuser cette motion. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Bertrand Buchs (PDC). Le groupe PDC a suivi les débats avec très grand intérêt et s'est aperçu que les critiques qui ont été faites sur la qualité de vie dans ce centre - sur sa localisation et sur ce qui devrait être fait pour les gens qui vont y vivre jusqu'à 140 jours - ne sont pas prises en compte, même si on nous a promis que les choses vont changer.

J'attire l'attention sur le fait qu'au centre de Zurich, qui est en activité, plus de 30% des personnes ont disparu de la circulation ! Ça veut dire que, vu les contraintes, les gens quittent le centre et vivent dans une illégalité complète en Suisse. Le risque, avec ce genre de structure, c'est que les gens ne s'y rendent pas, ou la quittent, ce qui entraîne de gros problèmes pour les retrouver, pour pouvoir les aider et les héberger.

Il faut naturellement se conformer à ce qui est demandé par la Confédération, mais on peut le faire différemment. C'est pour ça que cette motion est importante: on demande de réfléchir à une autre façon de concevoir ces centres. Je rappelle que les gens qui arrivent dans ces centres ne sont pas des criminels: ce sont des gens qui ont fui des situations de guerre, de stress énorme, qui souvent doivent être renvoyés en application des accords de Dublin parce qu'ils sont entrés en Europe par un autre pays avant d'arriver en Suisse. On va donc les renvoyer en Italie, en France ou en Espagne, mais ce ne sont pas des criminels.

Le minimum, pour des gens qui ne sont pas des criminels, c'est d'avoir un autre type de structure, d'arrêter de mettre des barbelés ou de filtrer et contrôler les entrées. Il faut penser aux enfants qui seront là: ils devront pouvoir bénéficier d'une scolarisation puisqu'ils peuvent rester jusqu'à quatre ou cinq mois dans ce centre. Et surtout, surtout, je le répète, il s'agit d'éviter que ces gens disparaissent de la circulation, d'éviter qu'ils entrent dans la clandestinité parce qu'ils ne voudront pas passer par ces centres.

Je demande que le Conseil d'Etat réfléchisse à autre chose qu'à faire ce genre de centre. Je rappelle que le parlement du canton de Berne a refusé à une grande majorité une telle structure sur son territoire: il n'y a donc pas que les Genevois qui sont contre. Les Zurichois aussi ont émis des critiques; il y a un problème de fond. Il faut accepter cette motion, et le PDC l'acceptera. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

M. Sylvain Thévoz (S). Le groupe socialiste soutiendra également cette motion. La composition de la majorité qui se dessine pour la soutenir est un signal important pour ne pas construire ce centre, en bordure de l'aéroport, et cela pour les raisons qui ont été largement expliquées, qui sont avant tout humanitaires. Il est complètement schizophrénique d'avoir un tel centre - lieu d'enfermement, de détention dans des conditions totalement inacceptables - à quelques centaines de mètres des institutions internationales qui font l'orgueil et la respectabilité de notre ville.

On a parlé de couvre-feu, d'obligation de déposer les papiers à l'entrée, de rétention de matériel électronique pour les personnes détenues: cela n'est pas conforme au droit. Ce n'est pas correct pour des personnes en attente, fragilisées par des parcours traumatisants. Genève, qui se targue d'être la capitale des droits humains, qui est fière de ce bristol, doit, à un moment, faire un arbitrage en conscience. Elle ne peut pas d'un côté se gargariser, sur la scène internationale, de son engagement en faveur des droits humains et tolérer en même temps la construction d'un tel centre. Les conditions sanitaires sont inquiétantes, on l'a dit, situé comme il le serait entre une autoroute et un aéroport. Au-delà de la proximité avec l'aéroport, il y a aussi bien sûr la question de la clôture ou le fait que les personnes qui y seront détenues ne pourront pas recevoir de visites.

Le PLR et l'UDC disent que ce n'est que pour 140 jours et qu'on peut vivre avec ça. Il est évidemment facile, quand on n'est pas dans ces lieux de détention, de dire que ce n'est pas si terrible et qu'on peut y demeurer. On peut inviter chaque député à y passer ne serait-ce que quelques heures pour voir l'extrême violence de ces conditions de détention.

Il nous a également été rappelé qu'une révision de la loi sur l'asile a été acceptée au niveau suisse. Mais celle-ci n'est pas contraignante pour la construction de ce centre; c'est à bien plaire que Genève accepte cette implantation sur son territoire. Elle n'est pas obligatoire: si Genève ne construit pas ce centre, d'autres cantons auront, s'ils le souhaitent, l'opportunité de le faire.

Par conséquent, il revient entièrement aux députés de choisir s'ils veulent défendre une Genève humanitaire, qui se montre sur la scène internationale comme telle, ou s'ils choisissent la logique de l'enfermement, de la semi-détention, pour des gens dont le seul délit est d'avoir cherché asile et refuge dans notre pays et dans notre canton. Nous accepterons donc cette motion et, avec la majorité, nous vous invitons à le faire pour que ce centre ne soit pas bâti sur notre territoire. Merci. (Applaudissements.)

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Je passe la parole pour une vingtaine de secondes au député Fuhrmann, qui l'a redemandée.

M. Marc Fuhrmann (UDC). Merci, je serai très bref. Il faut bien faire la distinction entre la construction de ce centre et le règlement de vie à l'intérieur: ce sont évidemment deux choses différentes. La liberté, les fouilles, etc., n'ont rien à voir avec le bâtiment en tant que tel. Ici, il s'agit de la construction ou non du bâtiment. Merci.

M. François Baertschi (MCG). Pour les auteurs de cette motion, on l'aura compris, la loi sur l'asile est trop dure, il ne faut pas de centre fermé pour les requérants d'asile qui doivent être expulsés, il faut une solution ouverte. On se demande comment c'est possible ! Soyons cohérents, allons jusqu'au bout de cette logique ! Allons-y: laissons grandes ouvertes les portes du canton de Genève et accueillons toutes les personnes, du monde entier, qui le désirent. Créons une Genève sans frontières. Très vite, on aura une Genève non pas de 500 000 ou de 600 000 habitants mais une Genève de 1 million, de 2 millions ou peut-être de 3 millions d'habitants ! On sera dans l'ouverture la plus totale. Je pense que c'est ce que certains cherchent, ou ce vers quoi certains nous dirigent.

Si c'est un modèle de société que certains défendent, ce n'est en tout cas pas celui du MCG, qui veut que l'on garde certaines valeurs. Des valeurs d'accueil modérées - modérées: c'est-à-dire qu'on accueille un certain nombre de personnes du monde entier, mais avec modération, pour pouvoir bien les accueillir. Mais dans le même temps, on n'oublie pas les habitants de notre canton, qui méritent également d'être soutenus et d'avoir toute notre attention. Nous ne les négligeons pas.

La Suisse est un pays civilisé, qui n'a pas des pratiques barbares; nous ne sommes pas dans l'Etat islamique ou dans d'autres types de sociétés détestables. Nous avons certaines valeurs, qui sont respectées et qui continueront à l'être, même avec ce centre et à l'intérieur de ce centre.

Il faut donc refuser massivement cette motion. Je sais qu'elle a quelques chances de passer parce qu'il y a toujours des faiblesses de la part de gens qui se prétendent parfois de droite mais qui ne le sont pas. Nous, nous ne sommes ni de droite ni de gauche... (Rires. Commentaires.) ...mais nous avons certaines valeurs démocratiques, et l'une d'entre elles, c'est l'accueil modéré des requérants d'asile. Refusez cette motion !

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat est à vrai dire assez perplexe après avoir entendu certaines interventions dans cet hémicycle. Que certains bords politiques reprennent un combat qu'ils ont déjà mené par le passé contre les procédures et leur durcissement, ce n'est pas surprenant; c'est certainement respectable et compréhensible, mais il faut, à un moment donné, savoir accepter les verdicts populaires.

Ici, on veut nous faire faire une genevoiserie de plus. On veut que Genève exprime sa volonté, mais en n'en faisant qu'à sa tête, sans respecter les engagements pris à l'égard des autres cantons et de la Confédération. Or, dans ces conditions, Genève serait un canton non fiable, sur lequel on ne peut pas compter. Vous nous pardonnerez, mais le Conseil d'Etat ne peut évidemment pas cautionner cette manière de procéder.

Je rappelle qu'à l'issue de la deuxième conférence nationale sur l'asile, le 28 mars 2014 - cela fait maintenant cinq ans - la Confédération, les cantons et les communes ont émis une déclaration. Les principes et le cadre de la restructuration du domaine de l'asile ont été posés à ce moment-là. J'en rappelle les objectifs principaux: l'accélération du traitement des demandes d'asile, le renforcement des garanties juridiques offertes aux requérants d'asile dans le cadre de leur procédure, la protection des personnes qui en ont besoin et leur intégration rapide, la réduction du nombre de demandes manifestement infondées et des économies sensibles pour la Confédération et les cantons. Ces points ont été unanimement admis par la Confédération, les cantons et les communes.

Sur cette base, le domaine de l'asile s'est ensuite régionalisé. Depuis le 1er mars de cette année, soit il y a quelques jours, la restructuration du domaine de l'asile est entrée en vigueur: la Suisse est donc divisée en six régions. Quatre régions sont pluricantonales et deux ne comportent qu'un seul canton, à savoir Berne et Zurich. Pour la région Suisse romande - qui, je n'ai pas besoin de vous le rappeler, comporte Vaud, Fribourg, Neuchâtel, Genève, Jura et le Valais - il a été décidé en commun qu'il faudrait mettre à disposition 1290 places d'hébergement dans quatre centres fédéraux pour requérants d'asile: un avec tâches procédurales dans le canton de Neuchâtel et trois sans tâches procédurales à Fribourg, Vallorbe et Genève, au Grand-Saconnex.

La marge de manoeuvre du canton est extrêmement étroite, Mesdames et Messieurs les députés. Nous pouvons certes discuter des aménagements relatifs aux conditions de sécurité des lieux, de ce qui relève de l'opérationnel ou de la scolarisation. La volonté de faire en sorte que les enfants soient le moins atteints possible par les situations difficiles qui touchent les familles qui viennent chez nous demander l'asile est bien sûr là. Genève s'est en outre toujours engagée pour la prise en charge médicale des requérants d'asile, et celle-ci est déjà une réalité. Le canton est d'ailleurs exemplaire à cet égard, et non seulement dans le domaine de l'asile: vous savez qu'il y a des programmes d'intérêt général, aux Hôpitaux universitaires de Genève, qui prévoient la possibilité pour les personnes qui n'en ont pas les moyens de recevoir les soins que leur état requiert. Enfin, nous disposons d'une marge de manoeuvre pour les horaires de sortie et de rentrée. Il n'est pas question de mettre des gens en prison comme certains l'ont indiqué.

Le Conseil d'Etat ne peut donc évidemment pas soutenir la motion qui vous est présentée, et cela tout simplement pour des raisons de compétence. Elle est certes truffée de bonnes intentions, mais qui impliquent, comme je l'ai dit, une violation claire des engagements que Genève a pris à l'égard de la Confédération et des cantons. La restructuration de l'asile, qui est entrée en vigueur, a été approuvée le 5 juin 2016 par la majorité du peuple et des cantons. Ce n'est donc pas seulement une trahison des engagements pris, mais aussi une violation des droits démocratiques et une claire insoumission aux règles de notre démocratie participative suisse.

Une invite unique nous est soumise, qui demande, je cite, «à renoncer à la construction d'un centre fédéral d'attente et de départ CFA à Genève». Cela ne signifie pas, contrairement à ce qu'a indiqué le représentant du PDC: «Faites ça autrement !» Cela signifie: «Ne faites rien !» Or on ne peut pas nous demander de ne rien faire alors que Genève a pris des engagements. Parce que nous avons pris des engagements envers les communes environnantes, nous allons naturellement mettre sur pied une commission d'étude des modalités de mise en place de l'hébergement des requérants qui seront attribués au canton de Genève.

Tout cela se fera bien sûr avec le plus de respect possible, dans le cadre des contraintes que nous impose le droit fédéral, mais nous ne pouvons évidemment pas renier la parole donnée. Par conséquent, le Conseil d'Etat ne peut pas entrer en matière. Nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de refuser cette motion. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous passons au vote.

Mise aux voix, la motion 2489 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 53 oui contre 45 non. (Vifs applaudissements à l'annonce du résultat.)

Motion 2489