République et canton de Genève

Grand Conseil

Séance extraordinaire

Prestation de serment du Conseil d'Etat

La séance est ouverte à 17h, en la cathédrale Saint-Pierre, sous la présidence de M. Bernard Annen, président.

Prennent place sur le podium:

Mme Micheline Calmy-Rey, présidente du Conseil d'Etat, conseillère d'Etat chargée du département des finances;

M. Laurent Moutinot, vice-président du Conseil d'Etat, conseiller d'Etat chargé du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement;

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat chargée du département de l'instruction publique;

M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat chargé du département de l'économie, de l'emploi et des affaires extérieures;

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat chargé du département de l'intérieur, de l'agriculture, de l'environnement, de l'énergie et des transports;

Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat chargée du département de justice, police et de la sécurité;

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat chargé du département de l'action sociale et de la santé;

M. Robert Hensler, chancelier.

M. Bernard Annen, président du Grand Conseil;

M. Bernard Lescaze, premier vice-président du Grand Conseil;

M. Jean-Claude Egger, deuxième vice-président du Grand Conseil;

Mme Jeannine de Haller, secrétaire du Grand Conseil;

Mme Morgane Gauthier, secrétaire du Grand Conseil;

Mme Mireille Gossauer-Zurcher, secrétaire du Grand Conseil;

M. André Reymond, secrétaire du Grand Conseil;

Mme Maria-Anna Hutter, sautier du Grand Conseil.

M. Bernard Bertossa, procureur général;

Mme Antoinette Stalder, présidente de la Cour de justice;

M. Jean-Charles Kempf, président de la Cour de cassation;

M. Philippe Thélin, président du Tribunal administratif;

Mme Claude-Nicole Nardin, présidente du Tribunal de 1re instance;

Mme Christine Junod, présidente des juges d'instruction;

Mme Anne-Françoise Comte Fontana, présidente du Tribunal de la jeunesse;

Mme Anne-Marie Barone, vice-présidente du Tribunal tutélaire et justice de paix;

M. Pierre-Yves Demeule, président de la juridiction des Prud'hommes;

M. Christian Coquoz, chef de la police;

M. Urs Rechsteiner, chef de la police judiciaire;

M. Serge Gobat,commissaire de police;

Major Denis Ribaut, commandant remplaçant de la gendarmerie;

Capitaine Patrice Ducrest, officier de gendarmerie;

Capitaine Walter Neuenschwander, officier de gendarmerie;

(Pendant l'entrée du Conseil d'Etat et jusqu'à ce que toutes les personnes prenant place sur le podium soient installées, l'Orchestre de la Suisse romande joue cinq mouvements de "Water Music" de Georg Friedrich Haendel.)

Exhortation

Le président. Je prie l'assistance de bien vouloir se lever et demande aux possesseurs de téléphones mobiles de les éteindre.

Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.

Veuillez vous asseoir !

Personnes excusées

Ont fait excuser leur absence à cette séance: la présidente du Conseil national, première citoyenne du pays, Mme Liliane Maury-Pasquier, Mme la conseillère fédérale Ruth Dreifuss, les députés conseillers nationaux MM. John Dupraz, Christian Grobet et Jean Spielmann, ainsi que Mme et MM. les députés Thierry Apothéloz, Erica Deuber Ziegler et Louis Serex.

Appel nominal des députés

Le président. Je prie Mme la secrétaire de procéder à l'appel nominal des députés présents.

Esther Alder (Ve), Bernard Annen (L), Anne-Marie von Arx-Vernon (PDC), Claude Aubert (L), Gabriel Barrillier (R), Florian Barro (L), Luc Barthassat (PDC), Caroline Bartl (UDC), Jacques Baud (UDC), Jacques Baudit (PDC), Christian Bavarel (Ve), Charles Beer (S), Janine Berberat (L), Claude Blanc (PDC), Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG), Loly Bolay (S), Blaise Bourrit (L), Christian Brunier (S), Thomas Büchi (R), Gilbert Catelain (UDC), Alain Charbonnier (S), Anita Cuénod (AdG), Jeannine de Haller (AdG), Marie-Françoise de Tassigny (R), René Desbaillets (L), Gilles Desplanches (L), Jean-Claude Dessuet (L), Hubert Dethurens (PDC), Antoine Droin (S), René Ecuyer (AdG), Jean-Claude Egger (PDC), Alain Etienne (S), Laurence Fehlmann Rielle (S), Christian Ferrazino (AdG), Jacques Follonier (R), Anita Frei (Ve), Pierre Froidevaux (R), Yvan Galeotto (UDC), Morgane Gauthier (Ve), Renaud Gautier (L), Philippe Glatz (PDC), Alexandra Gobet Winiger (S), Mireille Gossauer-Zurcher (S), Mariane Grobet-Wellner (S), Jean-Michel Gros (L), Janine Hagmann (L), Jocelyne Haller (AdG), Michel Halpérin (L), Dominique Hausser (S), André Hediger (AdG), David Hiler (Ve), Hugues Hiltpold (R), Antonio Hodgers (Ve), Robert Iselin (UDC), Jacques Jeannerat (R), Sami Kanaan (S), René Koechlin (L), Pierre Kunz (R), Michèle Künzler (Ve), Bernard Lescaze (R), Georges Letellier (UDC), Sylvia Leuenberger (Ve), Ueli Leuenberger (Ve), Christian Luscher (L), Anne Mahrer (Ve), Claude Marcet (UDC), Blaise Matthey (L), Alain-Dominique Mauris (L), Guy Mettan (PDC), Alain Meylan (L), Souhail Mouhanna (AdG), Mark Muller (L), Jean-Marc Odier (R), Jacques Pagan (UDC), Rémy Pagani (AdG), Pascal Pétroz (PDC), Patrice Plojoux (L), Pierre-Louis Portier (PDC), Véronique Pürro (S), André Reymond (UDC), Albert Rodrik (S), Maria Roth-Bernasconi (S), Jean Rémy Roulet (L), Stéphanie Ruegsegger (PDC), Françoise Schenk-Gottret (S), Pierre Schifferli (UDC), Patrick Schmied (PDC), Ivan Slatkine (L), Carlo Sommaruga (S), Pierre Vanek (AdG), Olivier Vaucher (L), Alberto Velasco (S), Pierre Weiss (L), Ariane Wisard (Ve).

Discours du président du Grand Conseil

Le président. Mesdames et Messieurs les députés,

Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités judiciaires,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités fédérales et communales,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités militaires, ecclésiastiques et universitaires,

Mesdames et Messieurs les représentants des corps diplomatique et consulaire,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités cantonales vaudoises,

Messieurs les représentants des départements voisins de la République française,

Mesdames et Messieurs,

Chères concitoyennes, Chers concitoyens,

Avant de procéder formellement à la prestation de serment des membres du Conseil d'Etat, je voudrais saisir l'occasion de notre présence en ce lieu solennel et riche d'histoire pour vous livrer quelques considérations. Ces considérations sont suscitées par la présence ici même de toutes les personnalités qui constituent la République de Genève. Elles sont aussi suscitées par la représentation de ceux qui ont bâti et bâtissent encore la grande communauté genevoise. Pour notre république, je citerai aujourd'hui d'abord, aux côtés de notre assemblée, les membres du Conseil d'Etat à qui je m'adresserai tout à l'heure de manière plus protocolaire.

Comment le président du Grand Conseil pourrait-il parler du Conseil d'Etat sans évoquer la séparation des pouvoirs? Séparation constitutionnelle des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, dont Montesquieu reste le père spirituel; séparation dont l'importance doit être en adéquation avec les moyens accordés aux différents pouvoirs pour l'assumer.

Il est bien normal que l'exécutif, qui manifeste sa présence au quotidien dans notre existence, jouisse de moyens et de compétences à la mesure de sa vaste tâche. Si les autres acteurs de notre système politique sont présents de manière moins permanente, il est pourtant tout aussi indispensable que leurs moyens soient suffisants.

Notre Grand Conseil notamment doit faire face à l'alourdissement exponentiel de ses tâches. Et pour mener à bien sa mission, il a toujours davantage besoin du concours de conseillers, pour documenter judicieusement ses débats et procéder aux investigations qui lui reviennent. Dès lors, notre démocratie ne pourra s'intensifier qu'au prix d'une collaboration étroite, franche, constructive et solidaire entre parlement et gouvernement.

Je ne saurais poursuivre sans saluer en votre nom, Mesdames et Messieurs les députés, les autorités et corps constitués qui assistent ce soir à notre session extraordinaire.

J'adresse aussi un salut de loin à nos représentants au Conseil national et au Conseil des Etats en session actuellement aux Chambres fédérales. Nous sommes par ailleurs vraiment très fiers de voir élue présidente du Conseil national Mme Liliane Maury-Pasquier.

Un autre salut aux maires, conseillers administratifs et conseillers municipaux des communes du canton, de Céligny à Troinex, en passant par Thônex naturellement, d'Hermance à Chancy, avec une halte à la puissante, turbulente et brillante Ville de Genève.

Une pensée encore aux officiers et représentants des autorités militaires et de police, que je me permets d'associer en un même salut, tant je souhaite qu'ils puissent mériter, dans l'accomplissement de leurs missions respectives, l'encouragement et la reconnaissance de la population, hors de toute considération politicienne.

J'en viens aux magistrats du pouvoir judiciaire qui doivent à la fois servir rapidement le justiciable «local» si je puis dire, tout en s'adaptant aux technologies de la criminalité internationale.

Encore un salut, parmi les corps constitués, à notre université, renommée pour sa créativité et son ouverture.

Et enfin, un salut aux autorités religieuses, unies aujourd'hui en notre cathédrale, qui nous apportent une plénitude de recueillement.

J'en arrive maintenant, après avoir évoqué la république officielle de Genève, à citer, et j'y tenais beaucoup, les autres composantes de ce que j'ai appelé tout à l'heure la grande communauté genevoise. Ceux grâce à qui notre village de 400000 habitants est connu, voire reconnu, à 1000 milles de l'Ile Rousseau. Je nommerai aussi la Genève des industries, souvent de pointe, qui a connu un fort développement ces dernières années, en créant une multitude d'emplois, et beaucoup de richesses pour notre région.

Je nommerai la place financière genevoise, que j'aurais pu affubler des mêmes attributs que les industries implantées chez nous, et qui fait mieux que tenir bon, malgré l'attractivité d'autres pôles économiques à travers le monde.

Mon attention se porte encore, bien sûr, et surtout, sur la Genève internationale, ses corps diplomatique et consulaire, celle des Nations Unies, du CERN, celle d'Henry Dunant, premier Prix Nobel de la paix il y a tout juste un siècle.

Ces organisations ne siègent pas au Parlement genevois. Mais elles y animent souvent les débats tant il est vrai qu'elles font partie de notre paysage et de nos coeurs.

Comme l'ont confirmé les récentes élections, la population genevoise ne manifeste qu'un intérêt mesuré pour la politique. Mais, en même temps, cela confirme le fait que notre démocratie parlementaire genevoise est vécue comme naturelle, d'habituelle, de normale et c'est déjà valorisant en soi.

On mesure ainsi le chemin parcouru depuis la déclaration d'indépendance américaine de 1776 et la déclaration française des Droits de l'Homme de 1789 ; et l'on a peine à imaginer qu'en ce début de XXIe siècle tout cela puisse être remis en cause par quelques obscurantistes déterminés.

Est-il pourtant si difficile de respecter l'autre ? Serait-il impossible de se mettre à l'écoute de l'autre ? Ne peut-on comprendre que l'amitié est le moteur des relations entre humains ? Pour ma part, je me refuse à désespérer de l'homme.

Puisque nous nous sommes retrouvés, ce soir, à la cathédrale pour le discours de Saint-Pierre, programme de notre Conseil d'Etat pour la République de Genève pour les quatre années à venir, il convient de saluer notre exécutif, de le fêter et de l'assurer de nos encouragements et de notre soutien indéfectible. Il aura, en effet, à affronter une rude tâche durant ce mandat, surtout après les bouleversements récents que nous connaissons tous. Ne nous leurrons pas, les conséquences d'ordre politique, économique, social seront considérables dans les prochains lustres. Et nul ne peut encore les évaluer avec certitude.

Dans quelques instants, le Conseil d'Etat nous exposera ce programme, par la voix de sa présidente.

Compte tenu du cadre où nous sommes réunis, de l'ambiance spirituelle qui ne peut que nous pénétrer les uns et les autres, nul doute que les autorités religieuses présentes me permettront de m'inspirer du psalmiste qui chantait, en son psaume 20: «Tu as mis sur sa tête une couronne de pierres précieuses» (Ps. 20, 4).

Toutes proportions gardées, le régime démocratique qui règne en nos pays occidentaux confère une importance et une autorité semblables à l'Exécutif.

Au Conseil d'Etat donc d'être digne de cette «couronne de pierres précieuses»; à lui de démontrer qu'il n'usurpe pas cet honneur, ni la responsabilité qui en découle. A lui surtout de prouver que Genève demeure le symbole de la paix et de la solidarité, de la diversité et de la multiculturalité. Et donc du refus de cette «pensée unique» qui étouffe toute initiative, toute liberté, toute démocratie.

Que vive Genève, que vive la Suisse !

(A l'orgue: "Dialogue sur les trompettes", François Couperin.)

E 1104
Prestation de serment des conseillers d'Etat

Le président. Nous allons maintenant procéder à la prestation de serment du Conseil d'Etat. Je prie l'assistance de bien vouloir se lever.

Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, je vais vous donner lecture de la formule du serment. Pendant cette lecture, vous tiendrez la main droite levée. Une fois cette lecture terminée, vous baisserez la main. Puis, à l'appel de votre nom, vous vous approcherez des Saintes Ecritures, vous lèverez à nouveau la main droite et prononcerez les mots: je le jure ou je le promets.

Veuillez lever la main droite !

«Je jure ou je promets solennellement:

d'être fidèle à la République et canton de Genève, d'observer religieusement la constitution et les lois, sans jamais perdre de vue que mes fonctions ne sont qu'une délégation de la suprême autorité du peuple;

de maintenir l'indépendance et l'honneur de la République, de même que la sûreté et la liberté de tous les citoyens;

d'être assidu aux séances du Conseil et d'y donner mon avis impartialement et sans aucune acception de personnes;

d'observer tous les devoirs que nous impose notre union à la Confédération suisse et d'en maintenir, de tout mon pouvoir, l'honneur, l'indépendance et la prospérité.»

Veuillez baisser la main !

(A l'appel de leur nom, Mmes et MM. Micheline Calmy-Rey, présidente du Conseil d'Etat, Laurent Moutinot, vice-président du Conseil d'Etat, Martine Brunschwig Graf, Carlo Lamprecht, Robert Cramer, Micheline Spoerri et Pierre-François Unger, conseillers d'Etat, s'approchent des Saintes Ecritures et, la main droite levée, prononcent les mots «Je le jure» ou «Je le promets».)

Le président. Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, le Grand Conseil prend acte de votre serment et vous souhaite plein succès pour cette 55e législature.

Nous entendrons à l'orgue le «Cé qu'è lainô», que je vous invite à chanter.

(L'assemblée chante le «Cé qu'è lainô».)

Veuillez vous asseoir !

Nous entendrons, interprété par le choeur de l'Université, l'«Ave verum» d'Edward Elgar.

(Le choeur de l'Université interprète l'"Ave verum" d'Edward Elgar.)

La parole est à Mme Micheline Calmy-Rey, présidente du Conseil d'Etat.

Discours de la présidente du Conseil d'Etat.

Mme Micheline Calmy-Rey, présidente du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les représentants des autorités fédérales, cantonales et communales,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités militaires, ecclésiastiques et universitaires,

Mesdames et Messieurs les représentants des corps diplomatique et consulaire,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités cantonales vaudoises,

Messieurs les représentants des départements voisins de la République française,

Mesdames et Messieurs,

Il y a moins d'un siècle, le veilleur de Saint-Pierre nous protégeait encore. Depuis longtemps, certes, il ne sonnait plus la cloche d'alarme: le téléphone avait remplacé le tocsin; mais son altière présence rassurait les Genevois. Il avait hanté la tour de guet pendant 400 ans, seul ou accompagné d'une garde armée.

Il avait pu voir Calvin, jeune Picard de 27 ans, s'installer à Genève et devenir en quelques années son législateur, tant dans le domaine religieux que dans le domaine politique

Le premier, il s'inquiéta de l'escalade nocturne des Savoyards, au cours de laquelle il put voir Dame Royaume jeter sa marmite sur un assaillant, et Dame Piaget entasser des meubles devant la porte de sa maison, héroïnes glorieuses d'une victoire qui assura l'indépendance de notre République;

Il aurait pu voir Rousseau, attendri par sa ville natale, la donner en exemple de vertu au monde entier ! Enfin, le veilleur de Saint-Pierre suivit avec enthousiasme la révolution de 1846, à partir de quoi prendra forme la Genève moderne : celle qui au XXe siècle, en abritant nombre d'organisations actives à l'échelle mondiale, dont la Croix-Rouge fondée par le Genevois Henry Dunant, a su conquérir une dimension internationale.

Le martèlement des pas dans la tour de guet a cessé, le veilleur ne nous protège plus.

Aujourd'hui les dangers sont d'un ordre et d'une dimension différents. Le repli sur soi, l'individualisme, la fuite des responsabilités, bref, l'indifférence à la chose publique, menacent notre démocratie. Certains parmi nous ne croient plus à l'utilité de l'action politique; ils ont le sentiment que leur cadre de vie s'est détérioré, que les autorités les négligent et que, de toute façon, elles n'en font qu'à leur tête. Nous vivons une ère de désenchantement à l'égard de l'Etat alors même que l'effondrement des tours du World Trade Center prouve sa nécessité, et ce dans sa variante la plus ancienne, à savoir la garantie de sécurité.

Un Etat affaibli, sans services publics efficaces, ne protège plus ses habitants. De fait, ces événements dramatiques marquent le retour du politique dans les consciences. A nous, dépositaires de cet éveil, de prendre garde qu'il n'induise pas une dérive autoritaire : ces bouleversements profonds, générant de nouveaux risques, pourraient conduire à des réactions qui limiteraient les libertés individuelles et collectives.

La crise de l'Etat et de l'action publique, c'est d'abord une crise du sens. Quand on regarde la scène politique, l'économie occupe 70 à 80% de son espace. La politique - c'est-à-dire: l'éducation, les aides sociales, la sécurité, la protection de l'environnement ou les services publics - ne se résume pas à l'économie. La réflexion et les mesures de long terme sont freinées par le sentiment que les choses nous échappent au plan cantonal. Se situer entre le local et le global est difficile. La crise de la vache folle et les fluctuations boursières, les actes terroristes et la peur de l'anthrax: la mondialisation nous obsède. Depuis toujours, notre canton est favorable à l'ouverture des frontières; mais nous sentons bien que cette ouverture est d'une telle brutalité qu'elle génère des forces contraires.

Il est donc essentiel de réconcilier ces deux pôles, local et global, pour redonner noblesse et efficacité à l'action publique. Cette bipolarité pose non seulement le problème, pour des institutions comme la poste ou les services industriels, de leur ouverture à la concurrence au-delà des frontières cantonales ou nationales, mais surtout celui de l'adéquation de nos services publics avec les évolutions de notre temps et les besoins de ses usagers. Genève, lieu ouvert au monde, lieu traditionnel de rencontres internationales et siège, depuis plus de cent ans, d'organisations travaillant pour le bien-être de l'humanité, dispose de nombreux atouts pour assumer cette réconciliation.

La qualité de notre développement est une autre préoccupation: le bruit, le manque de contacts entre voisins, le sentiment diffus d'insécurité, la pollution de l'air et une certaine agressivité de l'environnement bâti, ont une incidence sur la perception qu'en ont les habitantes et les habitants. Un développement urbain durable, créateur de relations entre les membres d'une collectivité et entre une collectivité et son environnement, garantit les grands équilibres. Or le territoire genevois est traversé de déséquilibres, à la fois sociaux et environnementaux. Les disparités économiques et fiscales sont fortes, les statistiques révèlent des densités et des formes d'habitat très différentes; et l'exclusion n'est pas vécue comme étant uniquement quantitative, elle doit être également définie par des critères qualitatifs. La conséquence de ce double rapport entre cadre environnemental et cadre de vie est que, là où beaucoup de gens voudraient habiter, beaucoup ne le peuvent pas, et que là où beaucoup de gens habitent, beaucoup ne le veulent plus. Il faudra agir pour apporter davantage d'équilibre à notre canton.

La ferme volonté de se rapprocher des Genevoises et des Genevois, d'être à leur écoute et de répondre à leurs besoins, voilà le coeur du projet que le Conseil d'Etat compte mettre en oeuvre dans la prochaine législature.

Le Conseil d'Etat privilégiera un développement économique durable dans l'ensemble de la région, il favorisera les conditions-cadres pour les entreprises en matière de formation, de sécurité, de transports, de fiscalité, de logements et de compétences disponibles sur le marché du travail. Dans une période où l'évolution économique est caractérisée par des variations de cycles conjoncturels de plus en plus rapides et imprévisibles, Genève se doit de renforcer ses pôles d'excellence traditionnels et de créer de nouveaux centres de compétences, dans les biotechnologies notamment.

Avec la France, avec le canton de Vaud, la coopération régionale est incontournable. Le Conseil d'Etat entend développer sa politique dans ce sens en réalisant des projets comme le pôle de développement économique transfrontalier constitué par le rectangle d'or Genève-Voltaire, et pour atteindre cet objectif, pouvoir disposer d'instances transfrontalières adaptées à la complexité des problèmes posés.

Le Conseil d'Etat continuera à soutenir, aux côtés de la Confédération, les efforts des organisations internationales et non gouvernementales.

Le Conseil d'Etat désire renforcer la dimension internationale stratégique de Genève, en exploitant l'extraordinaire potentiel d'expertise lié à la présence des organisations internationales, à travers la création d'une plate-forme de réflexion prospective.

Le logement et les équipements publics sont des conditions-cadres décisives.

Le logement est un droit, garanti par notre constitution. Il appartient à l'économie immobilière privée de construire et d'entretenir les logements dont nous avons besoin. Le rôle de l'Etat est de fixer les normes et d'intervenir en favorisant les HBM et les coopératives pour ceux qui ont besoin de l'aide de l'Etat. La mixité du logement sera favorisée, afin d'éviter la constitution de ghettos.

La pénurie de logements doit être combattue: elle génère l'exclusion. Par des déclassements choisis et négociés avec les communes et les voisins concernés, l'Etat veillera à mettre à disposition des terrains constructibles bien situés, tant au point de vue des équipements que des transports publics.

Dans le même temps, la zone agricole sera préservée de façon à permettre une agriculture de proximité, compétitive, diversifiée et respectueuse de l'environnement et des consommateurs. Une attention toute particulière sera portée à ce que chacun puisse avoir accès aux produits agricoles cultivés dans notre canton.

En matière de transports publics, les priorités restent la liaison ferroviaire Cornavin-La Praille-Eaux-Vives-Annemasse, ainsi que les lignes de tram Nations et Acacias; en matière d'infrastructures, le centre de congrès de Palexpo sera réalisé.

Le Conseil d'Etat souhaite aussi répondre aux attentes liées à l'évolution des modes de vie. L'intégration des femmes dans le monde professionnel rend indispensable une véritable politique de développement des structures d'accueil de la petite enfance. Notre gouvernement s'engage, en concertation étroite avec les communes et les milieux concernés, à renforcer son soutien financier de façon à satisfaire la demande des parents. D'autre part, les besoins des personnes âgées nécessiteront la construction d'établissements médico-sociaux; et l'accroissement de la population jeune, la construction de collèges et de cycles d'orientation supplémentaires.

Enfin, pour ce qui concerne les équipements culturels, force est de constater que malgré une offre abondante, Genève souffre d'un manque de concertation. Une structure de décision politique, réunissant les autorités cantonales, celles de la Ville et des communes intéressées, est devenue indispensable pour assurer le développement et le financement des institutions et des événements culturels d'une certaine importance. Les négociations entreprises avec les autorités municipales seront poursuivies afin de déposer dans le courant de la législature le projet de loi permettant de concrétiser ce but.

Les dépenses et les investissements affectés à des équipements publics seront élevés, à la fois pour répondre aux besoins, et pour rattraper le retard accumulé pendant la dernière crise économique. Les choix et l'étalement des projets dans le temps se feront en tenant compte des contraintes budgétaires.

Le développement durable tend à assurer une convergence et un équilibre entre efficacité économique, solidarité sociale et responsabilité écologique. En se dotant d'une loi sur l'action publique en vue d'un développement durable, Genève a fait oeuvre de pionnier en Suisse. Notre canton s'efforcera de donner l'exemple dans ce domaine, en collaboration avec la société civile.

En matière de protection de l'environnement, les actions menées sous l'égide de la Confédération pour combattre le réchauffement climatique seront développées à Genève, notamment celles relatives aux économies d'énergie de chauffage.

Le Conseil d'Etat entend encore remplir son rôle dans les domaines de l'éducation et de la formation. Pour assurer aux jeunes et aux adultes les connaissances et les compétences qui leur permettront d'avancer dans leur vie professionnelle et personnelle, l'école évolue. Mais toute réforme exige une évaluation, un suivi et des ajustements, pour garantir l'efficacité et la qualité des démarches entreprises.

De plus, notre canton se doit d'être présent dans tous les dossiers traités sur le plan fédéral et intercantonal. Pour les institutions de formation genevoises - université ou hautes écoles spécialisées - il s'agira de répondre aux exigences indispensables pour obtenir l'accréditation et la reconnaissance officielles.

Le canton de Genève est attentif aux besoins sociaux et sanitaires de ses habitants. Chaque individu suit une trajectoire de vie au cours de laquelle il peut être atteint, de manière durable ou temporaire, dans sa santé ou son environnement social. Ici, il appartiendra au système de soins et à l'action sociale de lui apporter l'aide dont il a besoin.

C'est ainsi que le Conseil d'Etat prendra une série de mesures pour lutter contre le chômage, l'objectif étant qu'au cours de la présente législature, le taux de chômage de longue durée se situe à hauteur du taux moyen que connaît la Suisse romande. Une politique de formation continue sera menée de façon complémentaire afin d'anticiper les besoins des entreprises, et d'adapter le niveau des compétences. Il est en outre nécessaire d'intensifier la prévention, le contrôle et la répression des distorsions de concurrence consécutives au non-respect des conditions de travail.

Le Conseil d'Etat s'est engagé dans une démarche destinée à simplifier les critères d'attribution des différentes aides sociales; nous renforcerons le rôle pluriprofessionnel des CASS dans les communes; le médecin traitant sera consacré dans son rôle central d'accompagnant; nous prévoyons un dispositif de soins psychiatriques, gériatriques ou médico-sociaux de proximité, répartis dans les différents sites déjà disponibles ou à construire; nous chercherons à promouvoir des projets de prévention ciblés adaptés aux problèmes de la santé urbaine, et nous mettrons en place, à l'adresse des personnes souffrant d'un handicap physique, psychique ou social, des programmes d'insertion dans le respect de leur différence.

Enfin, la sécurité est une composante majeure de notre qualité de vie et de notre démocratie. Avec doigté, sans excès mais avec détermination, nous garantirons la sécurité des biens et des personnes. Nous mènerons une politique de prévention, laquelle ne se réduira pas à l'inaction. Dans l'exercice de sa politique de prévention, le Conseil d'Etat portera une attention particulière au respect des libertés individuelles et publiques.

Il veillera également à une disponibilité accrue de la police sur le terrain, la déchargeant de ses fonctions administratives et favorisant une formation continue, en vue de faire face à de nouvelles formes de violence tels que les délits contre l'intégrité sexuelle, par exemple vis-à-vis des enfants.

Une politique de prévention passe également par le respect de la sphère privée face au développement des fichiers informatiques, et par la volonté de mettre en oeuvre la politique d'intégration dont les prémices figurent dans la loi sur l'intégration des étrangers.

En regroupant les services de la sécurité civile, de la justice et de la police au sein du même département, le gouvernement souhaite renforcer sa politique de sécurité.

Mesdames et Messieurs,

La politique voulue par ce gouvernement est ambitieuse, et son ambition ne la limite pas à des discours généreux : nous avons la ferme volonté de la concrétiser. Cela suppose la réalisation de trois conditions, à savoir : des finances publiques saines, un service public efficace et la mise en oeuvre d'une politique de proximité.

Pour maintenir l'équilibre en matière de finances publiques, la marge est étroite.

Nous ne souhaitons pas de hausses d'impôt. La raison commande en effet une politique fiscale stable, les perspectives économiques étant en baisse, à tout le moins incertaines, et la nouvelle loi fiscale appliquée pour la première fois en 2001 étant globalement à l'avantage des contribuables. Vous aurez constaté à l'énoncé de nos orientations politiques, que nous n'envisageons pas de diminuer les prestations. Reste donc possible, pour ce qui est des dépenses, une gestion rigoureuse des ressources et un allégement du service de la dette par la réduction de celle-ci, et pour ce qui est des recettes, des gains de productivité dans le fonctionnement de l'administration fiscale. Ainsi nous avons financé pendant quatre ans l'ensemble des prestations, et grâce à la constitution de réserves, nous avons pu nous donner un peu d'avance sur les perspectives conjoncturelles. Nous appliquerons la même politique durant les années à venir.

En conséquence, la réforme «Service public 2005» sera poursuivie. Commencée il y a trois ans, elle a pour but d'améliorer le fonctionnement de l'ensemble des systèmes de gestion des affaires publiques. Elle propose un certain nombre de règles concernant la conduite des services, l'organisation du travail, et de nouveaux instruments de gestion. Il s'agit en réalité d'un changement structurel des services de l'administration, impliquant la transparence.

A cet égard, la loi sur l'information du public et l'accès aux documents récemment votée par le Grand Conseil, accroît la transparence du débat politique et l'intégration des citoyennes et des citoyens au processus démocratique;

l'application de normes comptables et de règles financières cohérentes et comparables, uniformes pour l'Etat et pour les établissements publics;

l'introduction de nouveaux outils de gestion. Il s'agit en particulier du système d'information financière et du système d'information des ressources humaines. Ces derniers autoriseront une décentralisation opérationnelle;

l'extension du principe de la gestion par contrat de prestations pour tous les établissements publics subventionnés;

la mise en place pour tous les services de l'Etat d'un système de contrôle interne, c'est-à-dire la définition d'objectifs de service et d'indicateurs de performance, et la création d'un service de contrôle interne transversal;

le développement d'une nouvelle politique du personnel. Les mesures touchant à la politique du personnel sont des éléments fondamentaux de la stratégie de l'organisation, et nous avons choisi de mettre en avant la clarté dans la gestion, soit des mesures portant sur le développement des entretiens périodiques, de la mobilité, des structures participatives, de la promotion des femmes, de la formation professionnelle continue, et la réforme du système d'évaluation des fonctions.

Dernière condition, la proximité. Une cité, un quartier vivant, c'est une population, des logements, c'est une vie populaire, c'est aussi la qualité de l'environnement, des espaces de garde pour les petits enfants, une police, des lieux de rencontre et de culture proches des gens. Quant aux services publics, leur présence dans chaque quartier conditionne souvent la pérennité du lien social et identitaire. L'évolution récente de grands services publics comme la poste ou les télécommunications laisse craindre une remise en question. Les services publics cantonaux, eux, sont presque tous localisés au centre-ville.

Nous nous sommes donné comme objectif de mettre en oeuvre les moyens déjà existants à l'intention de la population des quartiers sensibles, dans un esprit de solidarité entre les forces et les compétences cantonales et communales. Il s'agit d'une approche multidisciplinaire, et les mesures à prendre se veulent pragmatiques, avec un impact concret sur la vie quotidienne. La mise en place de projets de proximité sera pilotée au plan cantonal par une délégation du Conseil d'Etat.

En même temps que la proximité géographique, nous entendons offrir un service public décentralisé au moyen des nouvelles technologies. Le phénomène informatique devenant objet de connaissance et de culture, l'Etat a la responsabilité de promouvoir et de démocratiser cet instrument. L'accès aux nouvelles technologies doit être ouvert à toutes et à tous, tant par la multiplication des points d'accès (bornes interactives, guichets équipés), que par leur introduction dans les foyers.

Pour conclure, il me faut ajouter combien j'ai pris plaisir à prendre la parole dans cette cathédrale: en effet, de même que la plupart des modifications qui lui ont été apportées et qui ont fait d'elle ce qu'elle est aujourd'hui, l'ont été de façon réfléchie, volontaire et respectueuse du passé; de même l'action politique se doit de préparer l'avenir, tout en veillant à la bonne assimilation d'un héritage commun. En vérité, le martèlement des pas dans la tour de guet n'a jamais cessé complètement: le veilleur de Saint-Pierre a protégé notre canton, et ce qu'il a protégé demeure un patrimoine dont les Genevoises et les Genevois nous ont confié la garde. Nous nous efforcerons de nous en montrer dignes.

(L'orchestre de la Suisse romande joue deux mouvements de "Water Music" de Georg Friedrich Haendel.)

Le président. Je prie l'assistance de bien vouloir se conformer aux indications de M. Louis pour la sortie de la cathédrale. Je déclare close la cérémonie de prestation de serment des conseillers d'Etat.

(Sur le parvis de la cathédrale, la fanfare commence à jouer.)

La séance est levée à 18h15.