République et canton de Genève

Grand Conseil

M 2084
Proposition de motion de Mmes et M. Anne Emery-Torracinta, Irène Buche, Marie Salima Moyard, Christine Serdaly Morgan, Loly Bolay, Melik Özden, Lydia Schneider Hausser pour une évaluation des conséquences pour Genève des allégements fiscaux octroyés aux entreprises étrangères

Débat

Le président. Nous sommes en débat de catégorie II: trente minutes. La parole est à Mme la députée Anne Emery-Torracinta.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Merci, Monsieur le président. Vous savez que la question des allégements fiscaux est au centre de l'actualité à Genève, il y a notamment une initiative socialiste qui a été lancée. Il y a eu à ce propos un rapport extrêmement intéressant du Conseil d'Etat portant sur la légalité de l'initiative, mais je dirai surtout qu'il permettait d'évaluer un peu la situation et de faire une sorte de bilan de ces allégements sur la durée. Malheureusement, ce rapport est une photographie à un moment donné, et, surtout, il ne comportait pas forcément tous les éléments qui pourraient intéresser ce parlement. C'est-à-dire que quand on parle d'allégements fiscaux pour les entreprises, il est, à mon avis, aussi intéressant de savoir quelles sont les conséquences, en matière d'emploi et en matière de logement, pour le canton. (Brouhaha.)

Je rappelle d'ailleurs à ce propos que l'origine même des allégements fiscaux à Genève, c'était la question de l'emploi, à un moment où l'on espérait sauver des emplois dans le canton en accordant des allégements fiscaux et pour permettre aussi à des entreprises créatrices d'emplois de venir dans le canton.

Jusqu'au rapport de 2010, il y a deux ans, on trouvait chaque fois, dans le rapport de gestion du Conseil d'Etat, un bilan du nombre d'emplois prévus par année pour les entreprises qui avaient obtenu des allégements, et donc le nombre d'emplois effectivement créés. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Depuis deux ans, plus rien, on ne sait pas. (Remarque.) Non, cela ne figure pas, Monsieur le conseiller d'Etat. Vous pouvez vérifier - je l'ai fait, je vous montrerai si vous le voulez.

On ne trouve plus ces éléments dans les rapports de gestion du Conseil d'Etat, alors que si l'on s'amusait à comptabiliser on pouvait voir que, dans certains cas, les prévisions en matière d'emploi étaient très éloignées de ce qu'a été la réalité. D'ailleurs le Conseil d'Etat en est conscient, car dans son fameux rapport relatif à l'IN 150 il a justement dit qu'il serait intéressant, s'il y avait un contreprojet, d'avoir des éléments plus clairs au niveau des emplois qui sont créés et, également, de l'impact sur le logement. A savoir, est-ce qu'il s'agit d'allégements fiscaux donnés à des entreprises qui viennent de l'extérieur de Genève - et qui font venir leurs employés - ou est-ce qu'il s'agit d'allégements donnés à des entreprises qui emploient du personnel local ? Auquel cas on peut imaginer que l'impact sur le logement soit plus faible. (Brouhaha.)

Mesdames et Messieurs les députés, cette motion ne vous demande ni d'être pour ni d'être contre les allégements fiscaux, là n'est pas la question. Simplement, elle invite le Conseil d'Etat à réaliser un rapport détaillé sur les conséquences, particulièrement pour l'emploi et le logement, des allégements fiscaux alloués aux entreprises, notamment étrangères, qui s'installent à Genève et, surtout, à réaliser un rapport annuel sur les conséquences à ce propos. C'est pourquoi j'imagine que, au nom de la transparence, le parlement va unanimement adopter cette motion.

Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe des Verts accueille favorablement cette motion et va donc la soutenir. En effet, il me paraît important qu'en matière d'allégements fiscaux plus de transparence soit faite et que nous soyons plus informés des conséquences ou des résultats de ces avantages fiscaux, notamment sur l'emploi; il serait extrêmement intéressant de savoir combien d'emplois ces allégements fiscaux ont permis de créer ou de sauver.

Mais ce qui serait aussi intéressant - et je complèterai ce que disait ma collègue - c'est d'examiner les critères d'attribution de ces allégements. Je sais que le Conseil d'Etat avait décidé de travailler sur ces critères-là, de les revoir éventuellement, et je pense que ce serait effectivement quelque chose d'extrêmement intéressant à étudier. Car, si allégement fiscal il doit y avoir, il faudrait qu'il réponde à un certain nombre de critères, comme la création d'emplois, mais on peut aussi imaginer un critère de diversification de l'économie genevoise, voire la promotion d'entreprises remarquables d'un point de vue environnemental, énergétique ou de développement durable.

Les Verts accueillent donc favorablement cette motion et se réjouissent d'entendre le Conseil d'Etat sur ces critères-là.

M. Pierre Conne (R). Le groupe radical s'oppose à ce projet de texte dans la mesure où il est rédigé de façon extrêmement tendancieuse, parce que, dans le fond, il nous présente le problème comme si les allégements fiscaux proposés aux entreprises qui viennent s'installer à Genève étaient a priori quelque chose de négatif pour l'économie. Là, nous tenons vraiment à marquer notre position en disant que si ces allégements fiscaux sont proposés aux entreprises, c'est bien parce que cela correspond à un incitatif, à un facteur d'attractivité de Genève.

A partir du moment où cet aspect des choses serait pris en compte, en indiquant que ces allégements fiscaux qui existent, qui ne sont pas une nouveauté, qui n'ont absolument rien à voir avec la fiscalité dans son ensemble, n'ont rien à voir avec les questions de transparence - lesquelles ont encore été énoncées tout à l'heure de façon extrêmement tendancieuse - évidemment, le groupe radical y serait tout à fait favorable.

Mais, là, nous tenons à marquer le fait que si aujourd'hui ces allégements fiscaux sont proposés, c'est bien parce qu'ils permettent à des entreprises de s'installer à Genève, de créer des emplois, de créer des revenus pour les employés et de créer des recettes fiscales.

M. Christo Ivanov (UDC). Le groupe UDC souhaite le renvoi de cette motion à la commission fiscale.

M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le groupe MCG souhaite aussi le renvoi de cette motion à la commission fiscale, afin que l'on puisse étudier les effets de ces allégements fiscaux.

Comme l'a dit le groupe radical, nous ne sommes pas d'accord sur la manière dont certains considérants ont été mentionnés. Ils stipulent des choses totalement négatives par rapport aux allégements fiscaux, mais nous pensons qu'il est quand même important de connaître les effets de ces allégements fiscaux, cela pour des motifs de transparence et, surtout, pour travailler prochainement le futur projet de loi déposé par le groupe MCG en faveur d'un abaissement de la fiscalité des entreprises à un taux de 13%.

Il serait donc important de pouvoir faire des comparaisons entre ces allégements fiscaux et le futur projet de loi qui a été déposé - comme je l'ai indiqué - par le groupe MCG, et c'est pourquoi nous soutiendrons le renvoi de cette motion à la commission fiscale.

M. Edouard Cuendet (L). Le groupe libéral ne soutiendra ni le renvoi en commission, ni la motion, parce que, cette motion, elle n'est pas du tout innocente ! Elle s'inscrit très clairement dans une stratégie du parti socialiste, qui n'a de cesse d'attaquer les entreprises, notamment multinationales. On se souviendra ici des attaques répétées de Mme Sandrine Salerno contre ce secteur qui rapporte des dizaines de milliers d'emplois au canton et des centaines de millions de recettes fiscales; on se souviendra également des attaques du président du PS, M. de Sainte Marie. Maintenant, c'est Mme Torracinta qui devient la cheffe de file de ces attaques insupportables contre ce qui fait partie de la diversité de notre tissu économique et contribue à la prospérité aussi des PME, car il y a une interaction entre les PME et les grandes entreprises multinationales. Donc cette motion est lourde de sous-entendus, et cela ne m'étonne pas que le parti socialiste poursuive sa quête pour chasser ces entreprises du canton !

Je rappellerai ici que le Conseil d'Etat a été très courageux, puisqu'il s'est déjà prononcé pour une stratégie de baisse de l'imposition des entreprises à 13%. Je crois que cela a été un électrochoc et que le parti socialiste ferait bien de réfléchir avant de poursuivre sa croisade, qui va nuire non seulement aux multinationales mais à toute l'économie genevoise ! C'est pour cela qu'il faut être extrêmement ferme vis-à-vis de ces tentatives de déstabilisation de l'économie, et c'est pour cela que le parti libéral s'oppose tant au renvoi qu'à la motion, sur le fond.

M. Serge Dal Busco (PDC). Mesdames et Messieurs, chers collègues, pour le groupe démocrate-chrétien également, c'est un sentiment mitigé qui est induit par la lecture d'une telle motion. Elle fait évidemment écho à cette fameuse initiative 150 qu'on a déclarée totalement invalide, ici, dans ce parlement, et au sujet de laquelle le Tribunal fédéral statuera.

C'est vraiment ce sentiment - assez désagréable, je dois dire - de climat hostile à la présence des entreprises multinationales à Genève, alors qu'on sait qu'elles contribuent pour 40% au produit intérieur brut de ce canton. C'est considérable ! Outre les dizaines de milliers d'emplois directs auxquels il a été fait référence il y a quelques instants, il y a des emplois induits dans des entreprises endogènes, locales, des PME - que toutes et tous nous adorons - qui se chiffrent aussi par dizaines de milliers. C'est ce climat qui est malsain et qui, à nous, les démocrates-chrétiens, nous déplaît fortement !

Il faut savoir d'ailleurs que l'article 10 de la loi cantonale sur l'imposition des personnes morales auquel il est fait allusion spécifiquement dans cette motion - et je crois qu'on le trouve dans l'excellent rapport du Conseil d'Etat, s'agissant de l'initiative 150 - est utilisé bien davantage pour les entreprises locales que pour des entreprises multinationales qui, d'ailleurs, pour la plupart, ne bénéficient ni de statuts, ni d'allégements fiscaux !

Encore une fois, nous déplorons ce climat désagréable qui est suscité à propos de ces entreprises multinationales, et donc nous ne voyons pas non plus l'intérêt, ni l'utilité, d'adopter cette motion à ce stade, d'autant moins que le sujet reviendra de manière très conséquente avec les futurs débats sur la réforme de l'imposition des entreprises. C'est la raison pour laquelle le groupe démocrate-chrétien vous invite à refuser cette motion. (Quelques applaudissements.)

M. Bernhard Riedweg (UDC). Les multinationales et les sociétés bénéficiant d'un statut fiscal spécial sont au nombre de 945 à Genève... (Brouhaha.) ...et emploient 20 000 personnes. Elles versent un milliard de recettes fiscales. Les multinationales représentent 70 000 emplois directs et indirects dans le canton de Genève, soit plus du tiers du secteur privé; elles font vivre une quantité de fournisseurs, restaurants, écoles et autres prestataires de services. Les employés travaillant dans une multinationale gagnent en moyenne 14,3% de plus qu'une personne employée par une entreprise nationale et vivent et achètent dans le canton.

Les 400 sociétés de négoce dans la région lémanique emploient 8000 à 9000 personnes dans le canton; les employés des multinationales paient des impôts au taux normal dans le canton; les collaborateurs de ces sociétés, en général de haut niveau, consomment davantage que le citoyen moyen, car ils ont un pouvoir d'achat élevé. Pour la plupart des multinationales, il s'agit de personnel administratif qui est très mobile, puisqu'il n'y a pas de fabrication dans le canton. De ce fait, les multinationales sont en position de force pour négocier des allégements fiscaux.

Un conseiller d'Etat que nous apprécions dit que baisser les impôts des multinationales et des PME locales de 24% à 13% fait perdre 450 millions à l'Etat, alors que si les impôts restent tels quels l'Etat risque de perdre un milliard d'impôts, ce qui entraînerait 50 000 emplois de moins !

La fermeture de Merck Serono a détruit 1250 postes, 200 millions de masse salariale et certainement 50 millions de recettes fiscales. Certes, il y a des effets pervers induits par la présence des multinationales et des sociétés bénéficiant de statuts fiscaux spéciaux. Ces effets pervers sont essentiellement l'augmentation des loyers, du prix des appartements en propriété par étage et des villas, ainsi que l'augmentation des salaires, ce qui a un impact sur le coût de la vie en général.

Il est donc fondamental, Mesdames et Messieurs les députés, que l'analyse des conséquences soit effectuée.

Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, j'attire votre attention sur le fait - on vient de m'en informer, et j'ai vu cette photo ! - qu'une photo a été transmise au site de «20 Minutes» à propos de l'incident que nous avons connu tout à l'heure, c'est-à-dire l'irruption d'une personne juste avant que je lève la séance. Je dois quand même vous dire que c'est inadmissible ! Cette photo a été prise ici, dans cette salle, depuis les bancs, et transmise au site de «20 Minutes». Je dois dire que cette dérive... (Remarque.) Attendez ! J'attire vraiment votre attention sur le fait qu'on ne peut plus accepter de telles dérives !

C'est un député ou une députée qui a fait cette photo, nous allons l'examiner en détail lors de la prochaine séance du Bureau afin d'essayer de déterminer d'où elle pourrait provenir. (Brouhaha.) Mais, véritablement, c'est une dérive, et cela devient absolument insupportable !

Nous poursuivons nos les débats. (Applaudissements.) La parole est à Mme Christina Meissner, pour trente-six secondes.

Mme Christina Meissner (UDC). Merci, Monsieur le président. Mon préopinant UDC, Bernhard Riedweg, a donné les détails comme il se devait. Je voudrais juste attirer l'attention sur le fait qu'il y a, on ne peut pas les nier, des problèmes de logement et des problèmes d'emploi dans ce canton, et que poser des questions parce qu'on a un rapport de gestion qui donne des chiffres, c'est super, mais au-delà de cela, ce qu'on demande, et c'est l'une des invites de cette motion, c'est surtout qu'une analyse soit faite, parce qu'au final il en va du bien des citoyens.

Oui, d'un côté les rentrées fiscales, d'accord; mais d'un autre côté, aussi du logement et des emplois raisonnables pour nos citoyens. C'est une priorité !

M. Patrick Saudan (R). Je serai très bref. Je vais surenchérir quant aux chiffres de M. Riedweg, car un rapport de l'Université de Genève et de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne est paru au mois de mars, rapport qui estimait l'impact du secteur international sur Genève et en particulier des multinationales; en fait les rentrées fiscales se montent à 1 milliard et 360 millions si l'on additionne les personnes physiques et les personnes morales.

Alors j'adresse une remarque très simple à mes collègues socialistes: le fameux Etat social auquel ils sont si attachés, il faut bien le payer ! Et on peut le payer grâce à ces rentrées fiscales. Donc avant de jeter le trouble et la suspicion sur les multinationales, il faut se rendre compte que c'est un secteur qui est fondamental pour notre économie. (Quelques applaudissements.)

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Je crois, chers collègues, que vous avez...

Le président. Il vous reste quinze secondes, Madame !

Mme Anne Emery-Torracinta. Non, j'ai le temps du groupe aussi.

Le président. Alors d'accord, si vous prenez le temps du groupe.

Mme Anne Emery-Torracinta. Mais je serai rapide. Je crois, Mesdames et Messieurs les députés, que vous n'avez pas du tout compris ce qu'on a dit ! On demande simplement un peu de transparence.

Je vous donne un exemple: jusqu'à ces dernières années, le nombre d'emplois à créer et le nombre d'emplois créés figuraient dans le rapport de gestion du Conseil d'Etat. Alors il y a des années où cela va très bien; il en est ainsi - je vais prendre une très bonne année - pour 2008: 6 allégements fiscaux, 286 emplois créés - en 2010 - pour 252 annoncés. C'est très bien ! Et il y a des années où cela va moins bien, en 2002 par exemple: 513 emplois étaient annoncés; en 2010 il n'y en avait que 215 de créés. Ce qu'on vous demande simplement, c'est un outil de pilotage, un outil de suivi. (Brouhaha.)

Et puis, Mesdames et Messieurs les députés, adressez-vous au Conseil d'Etat ! Je ne savais pas que c'était un nid de gauchistes... Mais quand je consulte le rapport sur l'IN 150, je lis qu'un «tel contreprojet - cela aurait été le contreprojet que proposait le Conseil d'Etat - devrait ancrer dans la loi la politique en matière de surveillance et de suivi des allègements accordés. Pour ce faire, il conviendrait d'abord de rendre le contrôle à mi-parcours obligatoire»... C'est un rapport qui l'indique. Ou encore: «Le Conseil d'Etat est en revanche sensible à certains arguments avancés par les initiants concernant l'inadéquation entre la vigueur de la croissance économique au cours de la dernière décennie et le nombre de logements construits [...]». Si même ce repère de gauchistes qu'est le Conseil d'Etat, avec trois conseillers d'Etat PLR, le dit, alors je crois que les socialistes sont vraiment mûrs pour avoir sept magistrats au Conseil d'Etat !

M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, dans la grande lignée des socialistes français, vous avez les socialistes genevois qui aujourd'hui viennent déposer un texte, parce que, face à tout ce qui comporte les mots «impôts» et «fiscalité», évidemment les oreilles se dressent, les mains se tendent, et puis c'est comme ça, c'est dans leurs gènes ! Il y a toutefois une nuance fondamentale - vous transmettrez, Monsieur le président - c'est qu'à la différence de leurs cousins français, lorsque eux, les socialistes genevois, ouvrent un compte à Genève, ils sont sur place. Au moins, ils font de l'économie de CO2 en matière de transports, sujet qui leur est cher également.

Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais savoir - et j'aimerais que les socialistes répondent: lorsque vous aurez tué l'économie, lorsqu'il n'y aura plus de richesse et de gens fortunés qui pourront payer des impôts, qu'allez-vous redistribuer ? C'est vraiment la question que je vous pose ! Si vous avez un système économique qui ne crée pas de richesse, vous n'avez pas d'impôts à ponctionner !

Mais je n'arrive pas à comprendre que fondamentalement, dans votre idéologie, vous n'arriviez pas à concevoir qu'il faut une économie forte pour faire du social efficace. C'est quelque chose qui m'échappe - mais qui doit certainement aussi vous échapper, Mesdames et Messieurs de la gauche !

Je vous le dis: oui, c'est intéressant d'avoir les chiffres en commission, puisque vous savez que le secret fiscal existe à Genève et que nous sommes l'un des rares cantons où il est encore en vigueur; et, oui, cela nous intéresse pour le projet de loi - comme l'a dit très justement mon collègue Roger Golay - visant à diminuer et uniformiser les impôts à 13% pour l'ensemble des PME genevoises et les multinationales. Et, à ce moment-là - je m'adresse à nos collègues européens, si, des fois, on nous capte jusqu'à Bruxelles ! - plus personne n'aura rien à dire sur la Suisse, qui a su et qui sait toujours mieux gérer les deniers publics que la France voisine !

C'est bien cela le problème ! Parce qu'aujourd'hui on vient nous reprocher d'avoir accordé des allégements fiscaux pour attirer les grandes entreprises qui ne veulent plus de l'impôt confiscatoire...

Le président. Il vous reste vingt secondes, Monsieur le député.

M. Eric Stauffer. Eh bien, je conclurai en vingt secondes. Qu'il n'en déplaise aux Français et à l'Europe - et au parlement de Bruxelles - nous mettrons toutes les entreprises à 13%, et là l'Europe n'aura plus rien à dire ! Mais rassurez-vous, ils trouveront autre chose, car ils sont jaloux de notre système économique, et surtout de notre démocratie. Nous sommes Genevois, nous sommes Suisses, et fiers de l'être !

M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, je suis quand même très surpris d'entendre les députés PLR, PDC - parce que le PDC ne fait plus que de copier le PLR... (Exclamations.) - et MCG, qui, qui sur une motion dont le titre est «Evaluation des conséquences pour Genève des allégements fiscaux octroyés aux entreprises étrangères», refusent même d'étudier la proposition en commission ! Je pense que l'UDC a la voix de la sagesse. Car, c'est reconnu, c'est dit au niveau de l'étude universitaire, il y a des avantages et il y a des inconvénients !

Ici, on a l'impression qu'on est dans une assemblée de Wikipédia ! Les députés PLR et PDC ont déjà la réponse à la question - ils savent déjà tout, tout de suite ! Mais plus personne n'y croit, à Genève, aujourd'hui!

Tout le monde mesure les conséquences de l'implantation de ces entreprises aussi en termes de retombées sur les loyers, sur les déplacements, sur la vie quotidienne des Genevoises et des Genevois ! Parce que cela change la typologie de la ville ! Typiquement, les conséquences positives qu'on voit, Merck Serono, entreprise qui fait 750 millions de bénéfices...

Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député !

M. Roger Deneys. ...et qui décide de fermer son siège à Genève !... Eh bien on voit que les conséquences positives ne sont pas liées aux demandes des socialistes pour plus d'information ! Je pense qu'il est préférable d'avoir des informations claires et factuelles. Et si le bilan est positif, je pense que vous en serez ravis également ! Faisons donc un bilan plus détaillé, nous avons toutes et tous à y gagner !

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Renaud Gautier, pour... Pour combien ? (Commentaires.) Ah, une minute trente, Monsieur le député !

M. Renaud Gautier (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, j'ai fait tout à l'heure un compliment à M. le député Deneys sur sa tenue intellectuelle d'hier soir, lorsqu'il traînait sur les petits écrans. Mais alors, Monsieur le député, je vous suggérerais, lorsque vous énoncez - avec justesse - le titre d'une motion, de bien vouloir dire que le titre est une chose ! Mais le développement du titre en est une autre.

Vous ne cherchez pas du tout, dans cette motion, à avoir un avis objectif. Pas du tout ! Vous cherchez dans cette motion les éléments qui vous permettront de dire que cette politique est absolument inadmissible. Ce qui n'est pas tout à fait la même chose ! C'est la raison pour laquelle d'ailleurs, si elle était correctement posée, tout le monde vous soutiendrait. Elle n'est pas correctement posée !

Deuxième remarque - à la personne qui est juste devant vous - Madame la députée, vous aurez sept conseillers d'Etat socialistes lorsque les finances publiques genevoises vous permettront d'avoir suffisamment de revenus pour payer l'ensemble des politiques que vous voulez ! Mais à force de faire des motions comme celle-là, vous prenez le bon chemin pour qu'il n'y ait plus jamais de conseiller d'Etat socialiste...

Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député !

M. Renaud Gautier. ...parce que vous coupez simplement les ressources financières du canton ! (Quelques applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Pierre Conne, pour une minute.

M. Pierre Conne (R). Merci, Monsieur le président. Nous avons entamé un débat sur le fond qui pose un certain nombre de problèmes liés à l'attractivité économique de Genève. Soit ! Mais, cette motion, les socialistes proposent de la renvoyer à la commission fiscale... Veuillez essayer de me faire comprendre pourquoi, si effectivement il y a un certain nombre de points tout à fait pertinents à analyser du point de vue économique, les socialistes s'acharnent absolument à mettre l'accent sur la problématique fiscale ! C'est bien la preuve qu'on est face à une démarche purement dogmatique qui vise simplement à augmenter les impôts ! Il est donc hors de question que le groupe radical soutienne cette voie, cela pour les raisons que je viens d'énoncer. Par contre, il n'est absolument pas opposé au fait, effectivement, que l'on développe et qu'on communique un peu mieux les aspects et les enjeux économiques, de manière à poursuivre l'attractivité économique de Genève.

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !

M. Pierre Conne. Mais, s'il vous plaît, que cela ne passe pas par cette obsession, systématiquement, de vouloir augmenter les impôts ! (Brouhaha. Un instant s'écoule.) Je peux conclure ?

Le président. Oui !

M. Pierre Conne. Je conclus en demandant le renvoi à la commission de l'économie.

Le président. J'ai donc une demande de renvoi à la commission fiscale, d'abord, puis à la commission de l'économie. Je ferai voter dans l'ordre des propositions. La parole est à Mme la députée Forster Carbonnier.

Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve). Merci, Monsieur le président. Je suis désolée d'intervenir une seconde fois dans ce débat, mais il me semble... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...qu'il serait important, par honnêteté intellectuelle, de préciser un peu le débat. (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît, un peu de silence !

Mme Sophie Forster Carbonnier. Le texte qui nous est soumis là demande que la lumière soit faite sur les allégements fiscaux, en effet. Or ce qu'il faut savoir, c'est que ces allégement fiscaux bénéficient certes à certaines entreprises étrangères, mais pour moitié aussi à des entreprises locales et genevoises ! Il ne s'agit donc pas d'un débat au sujet des multinationales !

Ensuite, je crois que nous confondons deux débats: celui sur les allégements et celui sur les entreprises au bénéfice d'un statut ! Retrouvons raison ! Nous, tout ce que nous demandons, c'est davantage de transparence sur qui a accès à ces allégements-là et quels sont les critères d'attribution. Nous ne remettons pas en cause, pour l'instant, autre chose !

Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à Mme Serdaly Morgan. (Remarque.) Pour deux secondes !

Mme Christine Serdaly Morgan (S). Monsieur le président, je remercie ma préopinante, mais je voudrais juste dire que nous avions demandé le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat, et non à la commission fiscale, et que nous serons très contents de l'accueillir à la commission de l'économie.

M. David Hiler, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je pense qu'il faut maintenant que vous soyez très prudents et que, de façon volontaire ou involontaire, vous vous interdisiez de mélanger la problématique des statuts avec celle des allégements.

Les statuts ne sont pas des décisions en opportunité. Cela relève du droit fédéral et du droit cantonal. Il s'agit de critères fixés qui concernent des entreprises suisses ou étrangères qui ont une dimension multinationale, puisqu'ils concernent des sociétés qui ont des activités commerciales à l'étranger.

Cela, c'est l'affaire avec l'Union européenne. C'est l'affaire qui peut nous faire perdre un milliard de francs de recettes fiscales, sans prendre en compte les effets indirects et induits, que nous ne sommes pas capables de calculer; ça, c'est le gros problème ! C'est le problème sur lequel nous avons essayé de tracer une voie genevoise qui nous permette de ne pas perdre 50 000 emplois, de ne pas perdre un milliard, et que nous défendons dans un cadre fédéral.

Ce dont il était question aujourd'hui n'a pas la même portée. A l'évidence, il s'agit des allégements fiscaux. Les allégements sont des décisions prises en opportunité - à raison de quatre ou cinq par année - dont la moitié concerne en fait des structures minuscules. Ils sont un outil de politique économique cadré par une loi, mais où le Conseil d'Etat doit prendre ses responsabilités.

Ces deux outils, qui sont les conditions-cadres - depuis la fin de la deuxième guerre mondiale - pour la Suisse, les statuts et les allégements - qui autrefois se donnaient sous la signature du directeur de l'administration fiscale - peuvent évidemment être cumulés, et ils l'ont été.

Cependant, je veux quand même vous dire qu'il serait préférable de dédramatiser la question des allégements. Le Conseil d'Etat vous a donné sa position: premièrement, ils sont absolument indispensables et il s'agit d'un des rares outils que nous ayons dans le domaine industriel.

Deuxièmement, ils s'appliquent à des start-up et ils sont d'une totale inefficacité dans neuf cas sur dix, puisqu'on est gentil d'alléger, mais comme il n'y a pas de bénéfices...

Enfin, se pose quand même la question des critères, c'est vrai, parce qu'il y a des critères non dits qui ont à peu près toujours été appliqués. Les allégements, à une très rare exception près - pour la période que je connais, c'est-à-dire depuis 1995, celle qu'on a pu documenter - n'ont pas été utilisés dans le secteur bancaire. Ils l'ont été de façon totalement exceptionnelle dans le secteur du négoce. Pour ces sociétés, par exemple le négoce, c'est la question des statuts qui fait foi, pas celle des allégements. Elles ne les ont d'ailleurs pas demandés.

Maintenant, concernant la question qui est posée, et particulièrement celle de la transparence, je dois quand même vous dire que c'est relativement délicat de répondre à des questions, alors que si nous donnons des éléments d'information qui permettent de deviner de quelle société il s'agit, cela comporte pour nous un risque pénal !... C'est le secret fiscal que nous ne respectons pas. Et je dois quand même attirer votre attention sur cette double contrainte.

J'aimerais également vous indiquer ceci: à n'en pas douter, à la fin de la crise des années nonante, les allégements ont joué un rôle déterminant ! Ils n'ont pu le jouer que parce qu'il existait des statuts ! D'un côté, et très certainement, ils ont eu des conséquences négatives, et je pourrais d'ailleurs vous les démontrer. Mais d'un autre côté, rappelez-vous la situation ! On avait eu la crise des années nonante, avec une crise immobilière, un secteur bancaire qui avait souffert, mais pas grand-chose d'autre. Dans les années quatre-vingt et encore dans les années nonante, ce qui restait d'industrie des machines avait disparu ! Et les déficits étaient en moyenne de 400 à 500 millions chaque année... Chaque année !

Nos gouvernements ont cherché à trouver un nouveau filon, si je puis m'exprimer ainsi - et ils l'ont trouvé, d'ailleurs. Le problème c'est que la reprise de la conjoncture générale au niveau mondial et ses impacts se sont superposés.

Pour la suite, nous pouvons vous démontrer dans un rapport que l'impact de ces allégements a été plutôt faible, notamment sur la période 2005-2008, et nous ne prétendons pas que cela soit par vertu; nous prétendons que de toute façon nous étions en concurrence avec le canton de Vaud, qui, lui, faisait non seulement des allégements pour certaines parties du canton sur la partie cantonale, mais aussi sur la partie fédérale ! L'arrêté Bonny, Renens... C'est cela ? (Remarque.) Oui. Vous savez, cette région très pauvre, désespérée, qui était... (Brouhaha.) ...au bénéfice, jusqu'à fin 2007, de l'arrêté Bonny. Il est non moins vrai que quand la crise est venue, nous avons été plus proactifs dans ce domaine; nous avons considéré que les temps devenaient difficiles et qu'il convenait d'utiliser cet instrument. Et nous l'avons utilisé d'autant plus volontiers qu'entre-temps, je m'excuse de le dire, mais il y avait aussi quelques problèmes dans nos délais de réponse. Parce que l'ordre et la méthode ne régnaient pas dans ce secteur, pour être franc !

Les statistiques rétrospectives sont extrêmement complexes à donner, et cela je le dis pour Mme Torracinta. D'abord, la méthode a changé: autrefois, on donnait une fois cinq ans et une deuxième fois cinq ans, ce qui fait deux décisions. Sur quelle décision est-ce que je mets les emplois ? Sur la première ou sur la deuxième ? Intéressante question !

D'autre part, les taux sont dégressifs, dans bien des cas. Et enfin, ce n'est que très récemment qu'un contrôle systématique, c'est-à-dire documenté par le contrôle de l'administration fiscale sur le mandataire, qui existe depuis cinq ou six ans, se fait. Je peux vous l'assurer, le contrôle documenté se fait.

Effectivement, vous aimiez ces tableaux, ces tableaux historiques, dont, une fois l'étude faite à cause de l'initiative que vous avez déposée, je dois dire que, la partie historique, eh bien je préfère ne plus l'envisager sous les mêmes formes. Aujourd'hui tout est beaucoup plus formalisé. C'est un trend général. Il y a aussi un système de contrôle interne, il y a des directives, il y a un dialogue; et vous pouvez imaginer que ce dernier est important, puisqu'une partie des entreprises n'arrivent plus à remplir les objectifs auxquels elles se sont astreintes, non pas parce qu'elles désertent Genève, mais parce qu'elles ont des problèmes économiques, et nous devons examiner cela au cas par cas.

Ce que le Conseil d'Etat a dit, c'est que nous avons besoin de cet outil; c'est le seul outil que nous pouvons utiliser pour diversifier en opportunité. Nous avons également indiqué qu'aujourd'hui, au vu du poids du négoce et des headquarters des multinationales, utiliser cet instrument n'avait pas de sens, parce que cela n'allait plus dans la diversification. Mais nous avons également proposé de prendre ces dures mesures pour conserver les entreprises que nous avons, qui ne sont pas du tout concernées par les allégements, puisqu'elles sont ici, mais qui sont en revanche concernées par les statuts.

Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, je ne pense pas que la solution de compromis consistant à renvoyer la proposition de motion à une commission soit la meilleure.

Je vous demande de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, de sorte que nous puissions produire un rapport écrit. Car ce que je n'ai pas envie de faire, c'est de vous donner des morceaux d'information en commission - vous ne gagnerez pas de temps. Je m'engage d'ailleurs à ce que nous répondions dans les six mois.

Maintenant, je dois quand même vous dire que les collaborateurs compétents dans ce domaine sont les mêmes que ceux qui s'occupent de la question des statuts. Et présentement, je préfère qu'ils soient à Berne plutôt qu'à Genève, parce que c'est à Berne, au cours des deux prochains mois, que les décisions essentielles vont être prises.

Nous avons la chance d'être en lien étroit avec l'administration fédérale dans les groupes d'experts, ce sont des groupes techniques. Nous devons cette chance non à mes compétences, mais aux compétences techniques, et ce poids-là, qui est un des rares que nous ayons, je ne souhaiterais pas le diluer dans des présentations partielles.

Nous pensions faire ce travail dans le cadre de la recherche à un contreprojet à l'initiative. Nous sommes dans une procédure juridique, nous ne l'avons pas voulu, c'est volontiers que nous pouvons déposer ce rapport, et à ce moment-là vous pourrez le renvoyer en commission et bien l'étudier.

Les élections seront également terminées et vous pourrez, sur ce qui doit rester factuel, avoir une analyse factuelle, parce qu'il est vrai qu'il n'y a aucun processus économique où il n'y a que des avantages ! Il y a toujours des avantages et des inconvénients, et ce que vous devez faire en fonction de vos projets de société, c'est de voir où est la balance. Sur ce point, nous ne sommes pas du tout dans la problématique des 13%. Dans cette dernière, nous sommes plutôt dans la problématique «caisses de pension»: est-ce qu'on veut payer très cher ou est-ce qu'on veut la catastrophe ?

Vous avez raison, cela n'a rien à faire à la commission fiscale. Là, on est beaucoup plus dans la question: comment allons-nous créer, avec nos instruments, le futur économique de Genève, sans s'en priver, mais peut-être en les limitant et peut-être en en trouvant d'autres ? Parce que, je le redis, pour les start-up, il nous faudrait d'autres instruments qu'un allégement qui est en fait juste une manière de dire: «Vous êtes sympas.» Car comme il n'y a pas de bénéfices, il n'y a pas d'effets de l'allégement. Merci de votre attention. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vais vous faire voter d'abord le renvoi à la commission fiscale, ensuite à la commission de l'économie, et, si les deux sont refusés, le renvoi au Conseil d'Etat.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2084 à la commission fiscale est rejeté par 68 non contre 16 oui et 1 abstention.

Le président. Je vous soumets maintenant le renvoi à la commission de l'économie.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2084 à la commission de l'économie est rejeté par 86 non (unanimité des votants).

Le président. Enfin, nous nous prononçons sur la prise en considération de cette motion.

Mise aux voix, la proposition de motion 2084 est rejetée par 48 non contre 39 oui.