République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 21 mars 2013 à 17h05
57e législature - 4e année - 6e session - 38e séance
R 706
Débat
Le président. Nous passons maintenant au point 30 de notre ordre du jour, la résolution 706. Initiative cantonale, catégorie II, trente minutes. La parole est à M. le premier signataire, soit M. le premier vice-président Antoine Droin.
M. Antoine Droin (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la position de la Chine sur les droits humains a toujours été ambiguë. De sérieux dérapages continuent d'exister... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...et sont régulièrement dénoncés. Il est vrai que la Suisse n'a pas de leçons à donner, car elle maintient aussi une certaine ambigüité sur sa propre position en matière de droits de l'homme. Je prends, pour commencer, l'interdiction de la mendicité à Genève, le renvoi des indésirables dans des vols spéciaux et ce dans des conditions parfois inacceptables, ou encore l'incarcération de personnes en attente de refoulement. Reste néanmoins que les relations de libre-échange doivent avant tout témoigner non seulement du respect des droits humains, mais aussi du respect du droit minimal à un travail digne, tel qu'édicté par l'OIT. Partant de là, les négociations entre la Chine et la Suisse en matière de libre-échange doivent impérativement inclure ces notions du respect des droits humains et des normes de travail basiques. Jusqu'ici, le Conseil fédéral a explicitement fait fi de ces notions. Cependant, un certain rapprochement a eu lieu ces derniers temps, bien que les accords de libre-échange ne soient toujours pas signés. Il convient donc, comme le souhaite la commission de politique extérieure du Conseil national à l'unanimité de ses membres, ainsi que la plate-forme Chine, que tout cela figure dans l'accord. Ça, c'est ce qui concerne la première invite de notre motion.
Concernant la deuxième invite, il s'agit d'évaluer ce que cela représente avant de conclure l'accord de libre-échange.
Enfin, la troisième invite sollicite la transparence des autorités envers le parlement fédéral, la société civile et l'opinion publique sur le déroulement des négociations, ce qui n'est pas le cas actuellement. Je vous remercie donc de faire bon accueil à cette résolution et de la renvoyer à nos autorités fédérales. (Applaudissements.)
M. Eric Leyvraz (UDC). En ce qui concerne l'accord de libre-échange, il est pour le moment gelé. Il va sans doute être à nouveau mis à l'ordre du jour quand la nouvelle équipe chinoise sera bien en place. On peut simplement se réjouir que la Suisse cherche à développer son activité économique dans la partie la plus active du monde et celle et au développement le plus rapide. A voir la catastrophe qui s'annonce en Europe, où après avoir injecté 500 milliards d'euros dans le système pour soutenir et sauver les banques, on voit qu'il suffit qu'une petite nation comme Chypre - dont le PIB est la moitié de celui du canton de Genève - se trouve en difficulté pour que le système menace de s'écrouler, il est quand même sage de varier ses sources de revenus.
Cela étant, cette résolution a deux défauts majeurs. Le premier, c'est qu'elle se mêle de ce qui ne nous regarde pas; les relations internationales dépendent de Berne. Ensuite, c'est surtout un message inamical et inutile envers un pays qui a toujours eu des rapports privilégiés avec le nôtre. Les Chinois sont des gens très sensibles à la manière. Et puis n'oublions pas non plus que notre balance commerciale avec la Chine est positive, quand peu de pays peuvent dire de même. Alors bien sûr, l'UDC est d'accord de promouvoir les droits des gens et de la démocratie. Mais si la Chine est loin de remplir toutes les conditions concernant les droits de sa population, il faut quand même dire que les progrès ont été gigantesques. Comparez la Chine de Mao à celle d'aujourd'hui: je crois vraiment que cela n'a rien à voir.
Enfin, cette résolution c'est aussi deux poids deux mesures: si on refuse de commercer avec la Chine ou qu'on demande, pour ces accords, que les droits de l'homme soient pris en considération, je ne vois pas pourquoi on ne ferait pas la même chose, par exemple, avec les Etats-Unis ! Est-ce que les droits de l'homme sont toujours bien respectés aux Etats-Unis ? Est-ce que les Etats-Unis ne déclarent pas des guerres qui, parfois, sont simplement des prétextes et qui conduisent à tuer des milliers de personnes ? Est-ce que les prisons de Guantanamo respectent les droits de l'homme ? Non, je crois que si on veut vraiment moraliser tous nos échanges commerciaux, on va peut-être pouvoir commercer avec Andorre et puis la République de Saint-Marin...
Une voix. Et encore !
M. Eric Leyvraz. ...et encore, je n'en suis même pas sûr. Je suis persuadé - et l'UDC aussi - que c'est en améliorant nos échanges avec la Chine que nous apporterons l'aide la plus appropriée à ce pays et la meilleure réponse à cette situation, par notre exemple, et que les Chinois - qui viennent de plus en plus nombreux en Suisse - ne manqueront pas de s'en inspirer et d'en tenir compte. Alors pour l'UDC, cette résolution est facile à classer, elle doit aller à la poubelle. Et je trouve quand même que franchement, Mesdames et Messieurs les députés, ce parlement veut parfois schtroumpfer un peu plus haut que son schtroumpf !
Le président. Merci, Monsieur le député et ancien président. La parole est maintenant à M. le député Serge Dal Busco.
M. Serge Dal Busco (PDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ce texte en rappelle un autre, traité il n'y a pas si longtemps par ce parlement concernant la Russie. Il illustre la propension assez régulière, pour ne pas dire récurrente, qu'a ce parlement de se mêler, comme l'a dit mon excellent collègue M. Leyvraz, de choses qui ne le regardent pas forcément, ou qui ne le regardent même pas du tout. Alors bien sûr, nous sommes sensibles aux droits de l'homme, nous sommes sensibles à leur défense partout sur cette planète. Mais je pense aussi, au nom du groupe démocrate-chrétien, que le meilleur moyen de faire évoluer la Chine vers quelque chose qui est plus proche de nos standards occidentaux, c'est précisément d'étendre les relations avec ce pays. C'est là la voie que nous devons poursuivre.
Par ailleurs, la politique économique extérieure de la Suisse est emprunte d'intelligence. L'un des éléments qui fait que nous maintenons un haut niveau de prospérité dans ce pays c'est le fait de n'exclure personne, c'est de faire du multilatéralisme la règle en matière de commerce extérieur; c'est cela qui est porteur de succès en matière économique. La Chine, c'est évidemment le moteur numéro 1 de l'économie mondiale, c'est la première puissance économique mondiale - peut-être pas encore tout à fait mais elle va le devenir - c'est un pays qui va s'ouvrir, c'est un pays qui va changer, et on doit passer le plus d'accords possibles avec lui. Il en va non seulement de l'intérêt de la Chine, mais surtout de l'intérêt de notre pays. Et ce que je vous invite à faire, au nom du groupe démocrate-chrétien, c'est de refuser cette résolution. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Marc Falquet, pour vingt secondes.
M. Marc Falquet (UDC). Merci, Monsieur le président. C'est vrai qu'à titre personnel je défends la cause du Falun Gong, dont les pratiquants sont victimes de prélèvement d'organes forcé en Chine, mais enfin.
Vous vous souvenez des internements abusifs dans les années 40 à 80 ? C'étaient des pédopsychiatres qui enlevaient des enfants. 30 000 d'entre eux ont été enlevés. Aujourd'hui, la mentalité n'a pas tout à fait évolué. Il y a encore des enfants qui sont enlevés - je vous rappelle qu'un enfant autiste est retenu depuis une année... (Protestations.) Mais c'est un scandale ! A un moment donné, vous allez regretter...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur Falquet, s'il vous plaît.
M. Marc Falquet. Oui, mais je voulais simplement dire que le député Morel a humilié la famille... (Protestations.)
Le président. Non non, Monsieur le député, vous ne commencez pas !
M. Marc Falquet. Je suis désolé, il a humilié la famille...
Le président. Monsieur le député, je suis obligé de vous couper la parole. (Brouhaha.) La parole est à M. le député Pierre Weiss.
M. Pierre Weiss (L). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, contrairement à ce que prétend cette résolution... (Brouhaha.) ...la Suisse est exemplaire dans ses relations avec la Chine. En 1912, la Suisse a ouvert une agence consulaire commerciale à Shanghai, en 1950 elle a été parmi les premiers pays du monde à reconnaître la République populaire de Chine, et en 1991 elle a été le premier pays au monde à ouvrir un dialogue sur les droits de l'homme avec cette même République. Je crois que ces choses-là doivent être rappelées. Ce qu'a dit M. Leyvraz est parfaitement exact, la Chine fait partie des pays avec lesquels nous sommes dans une situation de balance commerciale extrêmement bénéficiaire. Nous exportons pour 14 milliards vers la Chine, dont de nombreuses montres genevoises, et nous importons pour 7 milliards de biens de Chine. Voulons-nous effectivement, aujourd'hui, à notre modeste échelle, provoquer du côté de nos partenaires chinois des mouvements d'incompréhension ? Vous savez fort bien que, dans l'Empire du milieu, on ne doit jamais perdre la face. Or, c'est précisément une rebuffade que vous êtes en train de leur infliger.
D'autre part, des échanges importants ont lieu avec la Chine en matière de collaboration scientifique. Un consulat du genre de celui de Boston, Swissnex, a été ouvert à Shanghai. En outre, 13 millions sont mis à disposition des échanges universitaires, 1000 étudiants chinois sont en Suisse, et l'Université de Genève a ouvert, dans une villa sur les bords du lac, une agence de collaboration, un institut Confucius, comme cela existe d'ailleurs dans d'autres pays du monde. Cela montre l'intérêt de la Chine pour la Suisse. Alors de grâce, ne faisons rien qui aille à sens contraire.
J'aimerais encore signaler que dans le dialogue de promotion de la paix qui a été initié en 2008, à Pékin, différents projets ont été mis en oeuvre. Des discussions, notamment sur le thème du droit pénal, des minorités politiques, de la liberté de religion, ainsi que sur l'économie et les droits de l'homme, sont en cours, des cas individuels sont en traitement, la Suisse sait dire les choses comme il le faut, son gouvernement a les diplomates pour cela. Ici, malheureusement, c'est le sens de la diplomatie qui manque...
Le président. Monsieur le député.
M. Pierre Weiss. ...et nous avons apparemment des éléphants qui veulent aller dans un magasin de porcelaine chinoise. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Renaud Gautier...
M. Renaud Gautier. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés...
Le président. ...à qui il reste une seconde ! (Rires.) Je suis désolé, Monsieur le député ! La parole est à Mme Marie-Thérèse Engelberts.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG). Merci, Monsieur le président. Le MCG refusera cette résolution. Il tombe évidemment sous le sens que les intentions annoncées sont bonnes. Mais ce n'est pas comme cela que ça fonctionne, et je crois que les députés précédents l'ont relaté de manière extrêmement pertinente, en soulignant l'historique des relations entre la Suisse et la Chine. Avec ce texte, c'est véritablement comme si on s'adressait à un pays tout entier. Ce pays est bien sûr une entité en soi, une entité politique, mais il est fait de régions d'une très grande diversité culturelle, politique, économique, etc. Alors à qui ce texte est-il destiné ? Si on s'exprime de manière générale, ça ne peut strictement pas aboutir, cela ne voudra rien dire. (Brouhaha.)
Je voudrais donner un exemple: le CICR a développé des relations diplomatiques avec la Chine pendant plus de quinze ans, jusqu'au moment où il a réussi à ouvrir un bureau. Mais les choses se sont faites diplomatiquement: cela a pris des années pour comprendre la culture, la manière de fonctionner, les canaux de communication possibles, ce qui a permis, à un moment donné, de pouvoir effectivement visiter certaines prisons et de développer certaines relations. C'est à ce prix-là, que finalement... C'est pour cela que c'est une bonne intention ! Mais c'est à travers des actions extrêmement lentes, très largement réparties dans le temps, que les choses pourront s'améliorer en Chine. Et les droits humains ne pourront être reconnus que lorsque les Chinois eux-mêmes - en espérant qu'ils soient moins muselés qu'aujourd'hui - grâce à leur révolte, arriveront à se faire respecter en tant qu'entité spécifique. En ce qui nous concerne, à l'extérieur, ce texte part vraiment d'une bonne intention intellectuelle ou conceptuelle mais n'aura aucun impact. Donc nous refuserons cette résolution.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. le député Roger Golay, à qui il reste quarante secondes.
M. Roger Golay (MCG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, après les syndicats qui font mal leur boulot en Indonésie et d'autres histoires en Amérique du Sud, maintenant nous voilà en Chine.... Moi j'estime qu'on a mieux à faire que de se mêler de la politique extérieure. Je crois que vous avez des conseillers nationaux et des conseillers aux Etats pour intervenir sur la politique extérieure, et je crois aussi que ce sont des mauvais signaux qu'on donne à l'étranger et en Suisse. (Brouhaha.) Je pense que la Suisse a plus besoin de la Chine que l'inverse, en matière commerciale; demain on va devoir procéder à énormément d'échanges avec ce pays, qui est maintenant la plus grande puissance économique...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Roger Golay. ...elle dépasse les Etats-Unis, sur le plan économique - on aura besoin d'eux pour l'emploi, pour le tourisme... Tant que vous ne me dites pas d'arrêter, Monsieur le président, je continue ! Cette résolution....
Le président. Vous me regardez...
M. Roger Golay. Je pense que cette résolution...
Le président. Il faut conclure, Monsieur le député !
M. Roger Golay. ...n'a pas lieu d'être, ici.
M. Melik Özden (S). Dans la vie, il n'y a pas que des échanges économiques. J'aimerais juste relever qu'il existe des normes internationales en matière de droits humains qui donnent des obligations aux Etats. (Commentaires.) Nous sommes en 2013, et ces normes internationales ont beaucoup progressé. Un mécanisme qui examine la performance en matière de droits humains de tous les Etats membres de l'ONU est actuellement en place au sein du Conseil des droits de l'Homme. A ce sujet, tous les Etats ont quelque chose à dire. La Suisse, par exemple, a été examinée l'année dernière par ce Conseil, et la Chine s'est mêlée de la situation des droits humains en Suisse. Elle n'était pas seule ! De l'Amérique latine à l'Afrique, en passant par l'Asie et d'autres pays européens, une centaine de pays se sont exprimés. Donc le fait que ce parlement se prononce sur un tel sujet n'est pas une attitude inamicale, contrairement à ce que j'ai entendu de la part de certains orateurs et collègues. S'ajoute à cela la position de la commission de politique extérieure du Conseil national qui, je le rappelle, a pris position à l'unanimité là-dessus. Le fait d'essayer d'améliorer la situation des droits humains des citoyens dans un pays donné n'est pas une attitude inamicale. D'ailleurs, je rappelle aussi que la Suisse, que ce soit actuellement ou dans le passé, s'est déjà prononcée sur certaines situations dans différentes régions du monde. Par conséquent, l'acceptation de cette résolution et son renvoi au Conseil fédéral sera, au contraire, un signe que l'on se soucie de la qualité de vie et de la situation des droits humains dans un pays donné, et, je le répète encore une fois, ne constituera aucunement une attitude inamicale. Merci, Monsieur le président.
Le président. Merci, Monsieur le député. Il reste trente secondes à Mme la députée Sobanek, à qui je donne la parole.
Mme Marion Sobanek (S). Merci beaucoup, Monsieur le président. C'est simple, en matière de démocratie, rien n'est acquis. Les futures confrontations qui auront lieu seront celles des pays démocrates et des pays autocrates. Et je pense que là, il est légitime de s'inquiéter des droits humains. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. La parole n'étant plus demandée, je mets aux voix la prise en considération de cette résolution 706.
Mise aux voix, la proposition de résolution 706 est rejetée par 43 non contre 20 oui et 2 abstentions.