République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 21 mars 2013 à 8h
57e législature - 4e année - 6e session - 35e séance
PL 11099-A
Premier débat
Le président. Nous sommes au point 99bis de notre ordre du jour. Madame la rapporteure, souhaitez-vous vous exprimer ? (Mme Nathalie Schneuwly acquiesce.) Je vous passe la parole.
Mme Nathalie Schneuwly (R), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la réforme Justice 2011 a prévu 35 procureurs. Après 18 mois, il est évident que c'est complètement insuffisant, d'où ce projet de loi proposant de passer de 35 à 43, soit une augmentation de 8 procureurs. Un chiffre pour en faire la démonstration: si l'on applique le ratio bâlois, il nous faudrait 96 procureurs. Avec 35, on est donc loin du compte. Le procureur général et le Conseil d'Etat sont réalistes, ils ne demandent pas de tels moyens - de toute façon, si l'on engageait autant de procureurs, on ne saurait pas où les installer et on serait confrontés à un manque de locaux et à des soucis d'organisation.
Aujourd'hui, le Ministère public s'organise pour gagner en efficience; il a créé un greffe de procédure de masse qui traite les délits en matière de circulation routière, et le procureur général étudie la possibilité d'étendre cette pratique. Quelques exemples pour vous montrer les différences entre la situation avant le nouveau code de procédure et maintenant: avant, le procureur général pouvait classer en opportunité; aujourd'hui, ce n'est plus possible. En 2010, sur 18 782 procédures, 11 264 ont été classées; en 2011, sur 15 128 procédures, seules 4 559 ordonnances de non-entrée en matière ont été rendues. C'est une différence d'un tiers à deux tiers.
En outre, de nouvelles tâches ont été attribuées au Ministère public, comme la levée de corps ou la nomination d'avocats d'office. Enfin, les permanences sont lourdes: la permanence des arrestations réclame 2 procureurs, tous les jours, dès 6h, pour entendre les personnes arrêtées; la permanence des urgences demande tous les jours un procureur pour les cas graves, 24h sur 24; la permanence des entrées demande tous les jours, de 8h à 17h, un procureur pour recevoir les plaintes, soit 40 à 80 dossiers par jour. Au total, cela représente 52 jours de permanence par procureur.
Au vu de tous ces éléments, et indépendamment du budget, il est urgent de voter ce projet de loi. Sur les 8 procureurs, il est prévu d'en avoir 4 en juillet 2013 et 4 autres en janvier 2014. La commission, à l'unanimité, vous recommande de voter ce projet de loi, afin d'avoir une politique de sécurité cohérente tout au long de la chaîne pénale. Je vous remercie de votre écoute.
Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, l'augmentation du nombre de procureurs est une nécessité pour Genève. Si l'on compare les chiffres avec d'autres cantons comme Zurich ou Bâle, Genève est véritablement l'enfant pauvre. On le savait quand il y a eu Justice 2011, et on s'en est inquiétés à l'époque; on savait que le nombre de 35 procureurs ne serait pas, et de loin pas, suffisant. D'où, aujourd'hui, cette nécessité de réellement renforcer le Ministère public. Et 8 procureurs de plus, cela signifie aussi que les procureurs prendront plus de temps... (Brouhaha.) ...pour analyser les procédures - aujourd'hui, celles-ci sont parfois, je ne dirai pas bâclées, mais effectuées dans l'urgence parce que les dossiers s'accumulent. Il y a un autre élément, et il est de taille: avec la nouvelle procédure, le Ministère public doit rédiger l'acte d'accusation lorsque cela concerne le Tribunal des mineurs, ce qui n'était pas du tout le cas avant. Aujourd'hui, un procureur doit soutenir l'acte d'accusation, que ce soit en première instance ou en appel; cette nouvelle tâche complique terriblement le travail des procureurs, dont on sait qu'environ six d'entre eux sont dévolus à cette tâche.
Mais ce qui pose réellement problème à Genève, c'est qu'il y a les transferts de détenus - on a mis le Ministère public à Chancy. Au départ, on devait construire des cellules nocturnes; ces cellules aujourd'hui ne sont que diurnes, ce qui veut dire que les gens ne restent que la journée. C'est donc un véritable casse-tête pour la police et pour les procureurs, car il faut sans arrêt effectuer des transferts entre Champ-Dollon et le Ministère public. Le soir, parce que les détenus ne peuvent pas rester sur place, il faut les transférer à nouveau à Champ-Dollon, à Carl-Vogt ou en Vieille-Ville. Cela représente un travail énorme pour la police et aussi pour les procureurs, car ils doivent sans cesse agender les entretiens avec les détenus, et l'on ne peut pas recevoir plus de 14 détenus dans la journée.
Le président. Il vous reste trente secondes, Madame la députée.
Mme Loly Bolay. Oui, je vais conclure, Monsieur le président. Je dis que, pour l'avenir, il faut véritablement que le futur gouvernement - qui sortira des urnes en novembre - réfléchisse à trouver un bâtiment pour le Ministère public, afin de regrouper toutes les instances judiciaires en une seule enceinte, précisément afin de prévenir, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, les coûts énormes qu'engendre ce fonctionnement de la justice.
Le groupe socialiste a voté en commission, il votera aujourd'hui, ici, ces 8 procureurs de plus, car c'est une nécessité pour que toute la chaîne judiciaire - toute la chaîne sécurité - soit véritablement renforcée. Je vous en remercie. (Applaudissements.)
M. Patrick Lussi (UDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, bien sûr, l'Union démocratique du centre va voter ce projet. Mais j'aimerais quand même mettre en évidence certaines choses. Non, contrairement à ce que disait ma préopinante, ce n'est pas une nécessité: c'est une contrainte imposée par ce nouveau code de procédure pénale, qui nous amène dans des errements d'engagement de personnel ! J'en veux pour preuve que M. le procureur, dans sa justesse - et ce n'est pas lui que je critique ici - dit que si l'on veut fonctionner normalement, il sera nécessaire qu'il mette en place des trinômes: pour chaque procureur, il faudra un juriste et un greffier.
Et ceci aussi, pour répondre à ma préopinante: oui, il y avait une solution, mais peut-être que, pour des raisons budgétaires ou autres - nous l'avons entendu... Mais il serait nécessaire que les violons du Palais de justice - soit 19 cellules - afin de permettre aux gens de rester et afin d'éviter les transbordements - qui gênent l'avancement du travail des procureurs et même, pour finir, nuisent aux détenus - soient mis en route, puisqu'on pourrait traiter plus rapidement leurs dossiers.
Au vu de cela, Monsieur le président, je pense que la population doit absolument être consciente que nous ne pouvons pas faire autrement, que ce sont des contraintes incontournables, mais malgré tout malvenues, qui proviennent d'une erreur de ronds-de-cuir, à Berne, qui n'ont pas fait la différence entre la théorie et la pratique ! Nous sommes maintenant dans la pratique, on voit que cela ne joue pas, et on est obligés d'augmenter le nombre de ces procureurs. L'Union démocratique du centre acceptera donc ce projet de loi.
Mme Nathalie Fontanet (L). Monsieur le président, les groupes libéraux et radicaux sont évidemment extrêmement favorables à ce projet de loi, tout d'abord parce que le Ministère public est évidemment un maillon essentiel de la chaîne sécuritaire et que, actuellement, nos procureurs sont totalement submergés et dans l'incapacité de traiter l'ensemble des procédures qui leur reviennent.
Ensuite, il est essentiel que ces procédures ne durent pas de façon indéfinie et il est aussi important pour les personnes contre lesquelles des plaintes sont déposées - ou qui ont des procédures pénales - que leur cas soit réglé rapidement. Les procédures ne peuvent pas se prolonger pendant des années et des années faute de procureurs en place.
Et enfin, Mesdames et Messieurs les députés, la santé de nos procureurs est également quelque chose d'essentiel. Aujourd'hui ils sont fatigués, ils ont immensément trop de travail, alors les 8 procureurs supplémentaires constituent vraiment un minimum. D'autres l'ont relevé avant moi, en terme de chiffres Genève est un parent pauvre; notre canton est celui qui a le moins de procureurs, alors même que nous avons un nombre de procédures qui va grandissant. Mesdames et Messieurs, je ne peux que vous encourager à voter ce projet de loi, et cela au nom des radicaux et des libéraux. Merci !
M. Roger Golay (MCG). Comme vous le savez tous, et les citoyens qui nous écoutent le savent aussi, deux des priorités du MCG sont l'emploi et, bien sûr, la sécurité. Le groupe MCG veut une augmentation de policiers, et il faut pour cela plus de juges - cela va de pair - afin que la chaîne «de production», si je peux appeler cela de cette manière, puisse se faire. Bien entendu, à la fin de cette chaîne, il faudra aussi plus de gardiens de prison, ce que nous voulons également. Nous l'avons dit, nous allons soutenir toute augmentation de policiers... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...et de gardiens de prison, et il va de soi que, pour cela, et pour juger tous les multirécidivistes qui pourrissent la vie des Genevois, il nous faudra plus de procureurs. Donc le MCG ne peut qu'abonder dans le sens de ce projet de loi et soutiendra cette augmentation de 8 procureurs.
M. Miguel Limpo (Ve). Les Verts sont évidemment très favorables à ce projet de loi qui augmente le nombre de procureurs généraux.
J'aimerais juste revenir sur plusieurs éléments qui ont été mentionnés. Le premier d'entre eux est celui qui consiste à dire que le code de procédure pénale implique des effets collatéraux, et notamment cette augmentation de procureurs généraux; c'est vrai en partie, mais ce n'est qu'un des facteurs qui expliquent l'ensemble. Je vous rappelle que Bâle, par exemple, dispose de plus d'une centaine de procureurs généraux, et depuis bien avant la révision du code de procédure pénale; donc cela montre que ce n'est pas forcément que ça ! Je rappelle que ce code de procédure pénale a été voté aussi - au niveau fédéral - par l'UDC, qui est quand même le premier parti de notre pays. (Brouhaha.)
Je voudrais également souligner que, même si c'est très bien d'augmenter le nombre de procureurs généraux, on a aussi besoin d'un budget ! Et par rapport à ce que vient de dire M. Golay, moi j'ai l'impression qu'on est en train de faire «Retour vers le futur» ! Là on n'est pas en septembre 2012 ou en octobre 2012, où l'on peut faire de grandes déclarations en disant que, oui, il faut un budget, ou qu'il faut plus de policiers ! Là, nous sommes en mars 2013, et actuellement - il y a une semaine - le MCG a refusé une augmentation de postes de policiers et une augmentation des dotations qui sont données à la justice !... Je veux bien qu'on dise qu'il faut donner des moyens à la justice, mais soyons cohérents du début à la fin ! Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Bien. La parole est maintenant à M. le député Roger Golay. Je n'aimerais pas qu'on recommence...
M. Roger Golay (MCG). Merci, Monsieur le président...
Le président. Attendez, Monsieur le député...
M. Roger Golay. Je parle tout de suite, sinon...
Le président. Monsieur le député !
M. Roger Golay. ...vous allez me prendre mon temps de parole, et il ne m'en reste plus beaucoup ! (Protestations.)
Le président. Mais non, je vous l'accorde, votre temps de parole !
M. Roger Golay. Alors, simplement pour répondre à M. Limpo... (Brouhaha.) ...j'ai l'impression qu'il n'a pas du tout écouté le débat sur le budget ! Nous avons bien dit qu'il fallait une augmentation de policiers et de gardiens de prison par des crédits supplémentaires; par contre, on limera, partout où il faudra ! Là où il y a des abus au niveau budgétaire... (Brouhaha.) ...et des dépenses qui sont inutiles, comme sait le faire la gauche !
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Cerutti, le temps de parole de votre groupe est épuisé - je vous remercie. (Commentaires.) La parole est à M. Roger Deneys.
M. Roger Deneys (S). Merci, Monsieur le président. Je voulais simplement préciser à mes collègues, et à celles et ceux qui nous écoutent déjà, que le MCG fait des théories sur le nombre de policiers... (Remarque.) ...mais que, dans les communes, il refuse l'engagement d'agents de police municipale supplémentaires. Donc j'aimerais bien... (Remarque. Brouhaha.) C'est vrai ! C'est la réalité ! Cela a été le cas à Plan-les-Ouates, cela a été le cas dans d'autres communes... (Brouhaha.) C'est la réalité du MCG... (L'orateur est interpellé.)
Le président. S'il vous plaît, Monsieur le député !
M. Roger Deneys. ...qui prône la sécurité, mais qui refuse d'engager des agents de police municipaux ! (Brouhaha.)
Le président. Mesdames et Messieurs, s'il vous plaît... Nous allons avoir un débat tout à l'heure sur un sujet fiscal ! Je donne la parole à M. le conseiller d'Etat Pierre Maudet. (Le président est interpellé.) Je suis désolé, il n'y a plus de temps ! (Remarque. Commentaires. Le président agite la cloche.) S'il vous plaît ! Vous aurez l'occasion de vous exprimer dans un instant ! Monsieur le conseiller d'Etat, vous avez la parole.
M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Sans prolonger abusivement ce débat, je voulais simplement ici, au nom du gouvernement, dire à quel point il nous semble important, à travers ce projet de loi, de soutenir le troisième pouvoir, le pouvoir judiciaire, qui doit, non seulement pour une question de moyens - et malgré les éclats de voix récents, aujourd'hui ou il y a quelques jours, dans ce parlement - donc qui doit, pour une question de moyens, voir sa dotation augmenter, mais également, par souci de cohérence dans la chaîne pénale, voir les autres partenaires que sont la police et les prisons également monter en symétrie.
J'aimerais dire ici que ce projet de loi, qui a été traité avec diligence par la commission judiciaire et de la police - et je remercie en particulier sa présidente mais également les membres qui la composent - ce projet de loi représente non seulement une nécessité, mais également un signal. Un signal important, pour faire en sorte, par exemple, que celles et ceux qui se voient maintenus en situation de détention avant jugement, en détention préventive, parfois pendant très longtemps - et l'on sait qu'ici, à Genève, on a des situations qui se prolongent abusivement - eh bien, en dotant de moyens le Ministère public, cela permettrait précisément de traiter - là aussi avec diligence - des cas, ce qui libérerait plus rapidement des places en prison.
Donc, loin d'imaginer que ces nouveaux procureurs vont charger davantage le bateau carcéral, je défends l'idée, avec le procureur général, que, au contraire, on facilite le travail de la justice, on fluidifie la chaîne pénale, et l'on se donne les moyens - certes, dans une proportion moindre que ce que l'on pouvait espérer au départ, mais quand même - on se donne les moyens de faire fonctionner correctement notre état de droit.
Raison pour laquelle le gouvernement répète ici à quel point il appuie cette démarche, et il espère que, dans cette enceinte, les deux autres chaînons importants que sont et la police et les prisons feront l'objet de la même attention, du même intérêt, et surtout du même soutien, dans les jours qui viennent, s'agissant des moyens à leur conférer.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 11099 est adopté en premier débat par 85 oui (unanimité des votants).
La loi 11099 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 11099 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 84 oui (unanimité des votants).