République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du samedi 15 septembre 2012 à 10h
57e législature - 3e année - 11e session - 65e séance
R 704
Débat
Le président. Je donne d'abord la parole à l'auteur de la résolution, M. Bertinat, puis à M. le conseiller d'Etat David Hiler, à sa demande.
M. Eric Bertinat (UDC). Chers collègues, la double imposition en matière de succession - qui a été votée au début de cet été à Berne - est un dossier quelque peu particulier, puisque la Confédération ne prélève pas d'impôt sur la fortune et sur les successions. Il s'agit d'une décision qui a été négociée à la hâte - juste avant les vacances - avec la France, et qui pose quand même le problème, pour les cantons et les communes, d'une perte nette de recettes fiscales. Le Conseil d'Etat du canton du Valais a déjà refusé cette décision courant juillet, sauf erreur, et hier c'est le parlement valaisan qui, à son tour, l'a rejetée.
Par la présente résolution, je souhaiterais que nous fassions de même. Non pas pour refuser de manière catégorique des démarches avec la France sur ce dossier-là, mais pour que la Suisse, lors de ces négociations, puisse, elle aussi, en retirer quelques avantages ! Les accords se font de part et d'autre ! Dans le cas présent, la France est particulièrement gagnante; la Suisse, absolument pas. Et c'est même pire, puisque les résidents suisses en France, et ils sont nombreux - il y en a 170 000 - seront pénalisés.
Dernière remarque. En cas de décès, c'est la première fois - sauf erreur de ma part - que prime le droit successoral du pays de résidence de l'héritier; partout dans le monde, c'est la loi des droits de succession du pays de résidence de la personne défunte qui prime. Il y a donc vraiment quelque chose de mal conçu dans cet accord. Je vous demanderai par conséquent d'accepter cette résolution, pour que notre Conseil d'Etat puisse faire part de notre refus auprès des autorités fédérales.
M. David Hiler, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je profite de cette occasion pour rectifier quelques points d'histoire. En juin, nous avons eu, à la Conférence des directeurs cantonaux des finances, une information sur les tractations difficiles qui avaient lieu avec la France. De ce point de vue, j'aimerais quand même préciser - par rapport à ce que j'ai pu lire dans quelques interventions plus ou moins bien documentées de chefs de partis - ce qui s'est vraiment passé. La France n'a pas demandé à renégocier la Convention: elle a annoncé qu'elle la dénonçait. Ce qui n'est pas tout à fait la même chose ! C'est la Suisse, donc l'autorité fédérale, qui a demandé à négocier. La France n'a presque pas assoupli sa position, de sorte qu'au fond le choix qui est laissé - et la France se trouve en contradiction avec une norme OCDE - c'est qu'il faut se déterminer entre la peste et le choléra... Pour beaucoup de cantons suisses, et notamment ceux qui font partie du comité de la CDF - ce qui n'est pas le cas de Genève, il s'agit de sept cantons - la question n'est pas si importante que cela, parce qu'ils n'ont pas de droit de succession du tout. Pour notre part, nous avons ces droits de succession, en particulier en ligne directe, pour les personnes au bénéfice d'un forfait. Donc, il fallait étudier soigneusement quelle était la moins bonne solution pour Genève: est-ce, grosso modo, de faire porter le poids d'une double imposition - car elle aura lieu - sur un certain nombre de contribuables ? Notre imposition est assez raisonnable, en ligne directe; mais, en ligne indirecte, elle pas aussi raisonnable que ça ! Et là, savoir comment les gens qui résident en France et ceux qui résident en Suisse vont se positionner par rapport à cette mesure, c'est assez difficile à faire. L'avantage de la Convention, c'est qu'au moins elle offrait une certaine sécurité de droit.
La raison qui pousse notre Conseil à vous recommander de voter cette résolution est la suivante: avec la France, nous sommes dans le cas d'un acte unilatéral - qu'on peut comprendre, pour des raisons philosophiques - de dénonciation d'une convention existante. Si nous signons une nouvelle convention où, peu ou prou, nous acceptons que la France exerce son droit sur les successions à l'international - c'est ce qu'on cherche d'habitude à éviter, avec les conventions de double imposition - nous nous mettons dans une situation difficile ! Parce que nous invitons à peu près tous les pays du monde à dire: «Ah, mais la Suisse est un pays qui accepte qu'on ne taxe pas sur le lieu de décès, mais sur le lieu de résidence des héritiers» - contrairement aux normes OCDE. On ouvre alors la boîte de Pandore à de nouvelles discussions. Il vaut mieux, donc, subir, vraisemblablement, la volonté unilatérale de la France - elle a le droit de dénoncer une convention - plutôt que de faire un modèle qui, au fond, ne nous protège en réalité que de modifications ultérieures du droit français, puisque la Convention reprend le droit français actuel pour en faire une norme internationale au niveau de la CDI.
Alors, sur le plan technique, la solution de conclure une nouvelle convention est quand même meilleure, en termes de sécurité juridique. Et, sur le plan politique, après avoir étudié tous les éléments, notre Conseil juge qu'il est préférable de dire non. Mais ne croyez pas à un coup de bluff de la France; ils dénonceront ce volet de la convention. Or, ici, c'est mieux de supporter cela que de donner un signal négatif. Et, en supportant simplement cette dénonciation, par rapport à tous les autres pays qui sont soucieux de respecter sur ce point les normes OCDE, nous n'aurons ainsi rien à redouter. Le Conseil d'Etat vous invite donc à voter cette résolution, sans forcément adhérer à tous les considérants, dont, à vrai dire, certains nous paraissent un peu inexacts. Mais vu la situation dans laquelle nous nous trouvons, je crois que la Suisse, sur ce dossier, n'a pas avantage à céder. Alors que je crois que, sur d'autres - la fiscalité de l'Union européenne - le rapport de force et la légitimité veulent que nous cédions ! Mais, sur celui-ci, nous sommes dans un cas d'espèce un peu différent. C'est donc volontiers que nous nous appuierons sur votre résolution pour donner notre propre point de vue, notamment à la Conférence des directeurs cantonaux des finances, à la fin de ce mois.
Présidence M. Gabriel Barrillier, vice-président
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, je crois qu'il faut relever un étonnant paradoxe de l'Histoire. Ces quinze-vingt dernières années, les politiques néo-libérales ont fleuri en Europe: après les Etats-Unis, après les années Reagan, et après les années Thatcher, le reste de l'Europe a subi le même discours que les libéraux tiennent - et puis, maintenant, les radicaux, puisqu'ils ont abandonné les indépendants et les PME pour s'intéresser aux riches - le même discours que tiennent les députés PLR, c'est-à-dire que le montant des impôts est trop élevé, qu'il faut les baisser, que c'est la seule façon de réduire le train de vie de l'Etat... (Brouhaha.) ...ce discours qui ne repose sur rien et qui ruine les Etats ! Mais le paradoxe, c'est que, dans tous les Etats européens qui ont connu des majorités de droite ayant défendu ces politiques - et quelques majorités, malheureusement, plutôt socialistes, qui ont entendu ces discours de miroir aux alouettes - eh bien, ces Etats sont aujourd'hui tous au bord de la faillite. Et, pas de miracle, que font ces Etats au bord de la faillite ?! La France de M. Nicolas Sarkozy, par exemple ? Eh bien... (Remarque.)
Eh bien, ces Etats vont chercher l'argent de leurs concitoyens qui vivent à l'étranger, dans les banques des pays étrangers... (Brouhaha.) ...et en l'occurrence dans les banques suisses ! Mais c'est tout simplement logique, Mesdames et Messieurs les députés ! Les banques suisses ont attiré des capitaux étrangers, déduits, cachés du fisc ! C'est l'évasion fiscale qu'il s'agit de dénoncer. Cette évasion fiscale ruine les Etats étrangers; il est normal que ces Etats cherchent aujourd'hui, après avoir mené une politique absurde, à récupérer l'argent. Je trouve que la situation de l'Allemagne est assez intéressante à ce sujet. Avec une majorité pas particulièrement de gauche au gouvernement - Mme Merkel n'étant pas socialiste, à ma connaissance - l'Allemagne vient chercher l'argent que ses riches résidents allemands cachent en Suisse, cachent du fisc allemand... Mme Merkel vient chercher cet argent en Suisse ! Elle attaque la Suisse ! Et la France fait de même ! Les riches Français mettent leur argent en Suisse ? Eh bien, le gouvernement français, même de droite à l'époque, avec M. Sarkozy, vient chercher cet argent en Suisse. Cette question de double imposition, cette question de remise en cause des règles internationales...
Le vice-président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le député.
M. Roger Deneys. ...mérite d'être discutée, car il s'agit de respecter les règles. Mais aujourd'hui, il faut le faire en connaissance de cause et je pense que la meilleure des choses, avant de se lancer dans de grandes déclarations - en plus la formulation n'est pas correcte, il aurait fallu utiliser le droit d'initiative cantonale, ce que vous n'avez pas fait, Monsieur Bertinat - c'est de renvoyer ce texte en commission avant d'en tirer la moindre conclusion. Donc, je demande le renvoi de ce projet de résolution à la commission fiscale. (Brouhaha.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je vais, Mesdames et Messieurs, vous faire voter immédiatement cette proposition de résolution... (Commentaires.) Vous avez demandé le renvoi à la commission fiscale ?
Une voix. Oui !
Le président. J'étais inattentif. Excusez-moi, Monsieur le député ! Nous allons nous prononcer... (Remarque.) Pas aux Droits de l'Hommes, voyons ! Nous passons au vote.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 704 à la commission fiscale est rejeté par 57 non contre 11 oui.
Mise aux voix, la résolution 704 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 48 oui contre 1 non et 19 abstentions.