République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 7 juin 2012 à 17h
57e législature - 3e année - 9e session - 47e séance
PL 10890-A
Premier débat
Le président. Nous sommes maintenant au point 24 de notre ordre du jour. Je signale à notre Grand Conseil qu'il s'agit du dernier objet traité par la commission ad hoc Justice 2011. Je ne voudrais pas manquer l'occasion de remercier toutes les députées et tous les députés qui ont participé au travail de cette commission. Je remercie également les présidentes et présidents qui se sont succédé dans le travail de cette commission: il n'y en a eu qu'une et unique, Mme Loly Bolay. Nous traitons donc le dernier objet de la commission ad hoc Justice 2011. Merci à vous tous, Mesdames et Messieurs les députés, Madame la présidente, pour tout le travail accompli. (Applaudissements.) Je donne la parole à M. le rapporteur de majorité Mauro Poggia.
M. Mauro Poggia (MCG), rapporteur de majorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, Mesdames et Messieurs les députés, je m'associe aux remerciements de M. le président adressés à Mme Loly Bolay en tant que présidente de la commission ad hoc Justice 2011. Mes remerciements vont également aux collaborateurs scientifiques du Conseil d'Etat, qui ont fait un travail d'appui remarquable sans lequel nous ne serions pas arrivés au bout de ces travaux.
Nous traitons donc aujourd'hui ce projet de loi 10890, déposé par quatre députés aux couleurs politiques différentes - socialiste, Vert, UDC et MCG - qui ont répondu à la préoccupation qui a été portée à leur connaissance par la commission judiciaire de l'ordre des avocats. Cette préoccupation provenait de ce qui était qualifié comme un dysfonctionnement au sein de la commission de conciliation en matière de baux et loyers. Or vous savez à quel point, dans notre canton, nous sommes sourcilleux lorsqu'il s'agit de défense des locataires.
De quoi s'agit-il exactement ? Vous le savez, depuis le 1er janvier 2011, le droit de procédure civile a été unifié. Alors qu'il était antérieurement traité par les cantons, il est désormais traité de manière exhaustive dans le droit fédéral par le code de procédure civile. Concernant la conciliation, plus particulièrement la conciliation en matière de baux et loyers, puisque c'est là que ce qui était qualifié de dysfonctionnement - je vais vous l'expliquer - avait les conséquences les plus graves, il y avait un problème. Il y aura toujours un problème, tant que notre loi n'aura pas été adoptée et qu'elle ne sera pas entrée en vigueur, à l'égard des demandeurs défaillants.
L'article 204 de notre code de procédure civile prévoit la comparution personnelle des plaideurs en audience de conciliation. C'est donc dire qu'ils doivent être présents pour pouvoir précisément promouvoir la conciliation, qui est le but qui a été mis en avant par notre nouveau code de procédure civile, qui considère que les juges doivent également tout mettre en oeuvre pour tenter de concilier les parties. Or chacun sait que, les parties présentes, la conciliation a beaucoup plus de chances d'aboutir. Cet article 204 du code de procédure civile prévoit des exceptions à l'obligation de comparution personnelle des plaideurs à l'audience de conciliation, notamment en cas de justes motifs - mais il faut bien évidemment les connaître avant son absence à l'audience pour les faire valoir. Il y a également des possibilités de dispense lorsque le défendeur, qui est un bailleur ou un employeur, peut se faire représenter à ce moment-là par une personne; pour les bailleurs, puisque c'est cela dont il s'agit ici, ce sera généralement une agence immobilière, qui connaît la situation et qui dispose d'un pouvoir spécifique pour concilier.
L'article 206, puisque que c'est là qu'il y a un problème, prévoit ceci à l'alinéa 1: «En cas de défaut du demandeur, la requête est considérée comme retirée; la procédure devient sans objet et l'affaire est rayée du rôle.». La question qui s'est posée à la commission de conciliation a été de savoir ce qu'il faut entendre par «défaut du demandeur». Qu'en est-il du demandeur qui est absent mais valablement représenté par un avocat ? En effet, notre code de procédure civile prévoit expressément la possibilité de se faire assister et représenter par un avocat. Notre commission de conciliation a décidé - mais c'est une décision propre à cette instance - de considérer que le plaideur-demandeur, lorsqu'il est absent personnellement, et même s'il est représenté par un avocat, doit être considéré comme défaillant. En d'autres termes, le locataire qui ne peut pas, pour une raison qui lui est propre, être présent à l'audience de conciliation, mais qui a malgré tout un avocat qui est présent pour lui, se voit déclaré défaillant, et un défaut est prononcé contre lui.
La conséquence ne serait pas aussi grave si, en matière de baux et loyers plus que dans d'autres domaines du droit, il n'y avait des délais impératifs à respecter. Un locataire qui reçoit son congé doit impérativement saisir la commission de conciliation dans les trente jours pour contester le congé, voire demander une prolongation. Le locataire qui entend contester le loyer initial doit le faire dans les trente jours. Il doit également, dans les trente jours, contester une augmentation de loyer qui lui est notifiée. Cela veut dire que son absence à l'audience de conciliation, alors même qu'il serait représenté par un avocat, aura pour conséquence de lui faire perdre les droits de fond, ce qui peut évidemment avoir des conséquences désastreuses si l'on imagine qu'il peut s'agir d'un congé, qui, à ce moment-là, entre en force et permettra au bailleur de demander l'évacuation de ce locataire et bien évidemment de sa famille.
La question s'est très vite posée, au sein de la commission, de savoir si la marge de manoeuvre cantonale lui permettait d'apporter des précisions dans ce domaine ou si, au contraire - c'est l'avis qui vous sera exposé par la minorité - la force dérogatoire du droit fédéral interdirait aux cantons de légiférer dans ce domaine. L'ordre des avocats, que nous avons entendu, considère pour sa part qu'il s'agit d'une question d'organisation judiciaire, qui reste de la compétence des cantons. C'est donc dans cette brèche que la majorité de la commission s'est infiltrée pour accorder cette protection supplémentaire en faveur des locataires. Nous avons considéré que le droit cantonal pouvait parfaitement décider ce qu'il fallait entendre par «défaut», et comme on ne pouvait pas...
Le président. Il vous reste une minute, Monsieur le rapporteur.
M. Mauro Poggia. Oui, merci, Monsieur le président. Nous avons donc considéré qu'il fallait permettre aux cantons de décider qu'il ne saurait y avoir défaut lorsque le locataire était représenté par un mandataire professionnellement qualifié.
En contrepartie, nous avons prévu que les frais d'une absence du locataire - ou du bailleur - à l'audience de conciliation, prévue pour favoriser cette conciliation, pouvait être sanctionnée par la mise à sa charge des frais de la procédure.
Je reprendrai la parole plus tard, Monsieur le président, sur la suite des détails de ce projet de loi.
Présidence de M. Gabriel Barrillier, premier vice-président
M. Vincent Maitre (PDC), rapporteur de minorité. J'aimerais, en préambule, moi aussi saluer et remercier la présidence de Mme Loly Bolay pendant toute la durée des travaux à la commission ad hoc Justice 2011. Cela étant dit, pour en venir au sujet, la minorité de la commission a jugé que ce projet de loi ne pouvait pas être voté par notre parlement, pour six raisons.
La première est absolument fondamentale: ce projet de loi est malheureusement contraire au droit fédéral et il viole ainsi le principe de la force dérogatoire du droit fédéral, précisément. En effet, la Constitution, notre Constitution fédérale, prévoit que le droit de procédure est exclusivement régi par le droit fédéral. Celui-ci a donc totalement épuisé la question en matière procédurale, et il n'y a plus de place laissée aux cantons pour légiférer dans tous les domaines procéduraux. Je tiens aussi à préciser à ce titre que, lors de nos différentes auditions, les juges et les membres du pouvoir judiciaire que nous avons auditionnés nous ont expressément indiqué qu'ils appliqueraient ce que l'on appelle la juridiction constitutionnelle, c'est-à-dire l'obligation qui leur est faite de vérifier la validité et la conformité au droit supérieur d'une loi cantonale qu'ils sont appelés à appliquer.
Deuxième argument, on prête au code de procédure civile une rigueur excessive, puisqu'un demandeur qui serait locataire et qui ne se présenterait pas sur convocation de la commission de conciliation en matière de baux et loyers serait effectivement réputé défaillant, quand bien même son avocat s'y rendrait à sa place. Il faut largement tempérer cette rigueur qu'on lui prête, puisque je rappellerai que le code de procédure civile prévoit tout un certain nombre de justes motifs qui excusent l'absence du demandeur, c'est-à-dire du locataire, à l'audience de conciliation, notamment, nous dit-on à l'article 204, alinéa 3, lettre b, lorsque celui-ci est empêché «de comparaître pour cause de maladie, d'âge ou en raison d'autres justes motifs.»
Je tiens à préciser également que le code de procédure civile prévoit que le juge, en cas du défaut du demandeur, peut reconvoquer une audience ultérieurement, avec l'accord des parties, et que, enfin, ce même code de procédure civile prévoit à l'article 148, alinéa 1, que «le tribunal peut accorder un délai supplémentaire ou citer les parties à une nouvelle audience lorsque la partie défaillante en fait la requête et rend vraisemblable que le défaut ne lui est pas imputable ou n'est imputable qu'à une faute légère.» Les juges en question, qui auront à appliquer cette disposition, nous ont assuré et garanti qu'ils appliqueraient ces normes de façon tout à fait extensive et avantageuse envers la partie réputée faible, qui est donc, en matière de bail à loyer, le locataire; il n'y a donc pas lieu de craindre outre mesure une application trop restrictive du droit.
Troisièmement, je tiens à préciser que nous sommes, à Genève, le seul canton de Suisse à nous poser la question de légiférer là où aucun autre canton n'a jugé utile de le faire, probablement parce que, précisément, le CPC prévoit une application extensive et humaine de la loi; il ne s'agit pas de trancher aveuglément, de mettre des locataires à la porte et de les faire succomber dans tous leurs droits par une simple absence à l'audience. Les autres cantons semblent se satisfaire - on leur a posé la question - des notions juridiques indéterminées que contient le code de procédure civile pour appliquer le droit d'une façon souple et, encore une fois, humaine.
Quatrièmement, différents commissaires de la minorité ont posé la question de savoir, finalement, ce qui justifierait qu'un demandeur en justice qui n'a aucune raison d'être absent à l'audience et qui a d'ailleurs précédemment lui-même déposé une action en justice pour faire valoir ses droits - donc il est demandeur - se dispense de se rendre à la convocation d'un tribunal alors qu'il l'a sollicitée lui-même. Je n'ai à ce jour entendu aucune réponse satisfaisante.
Cinquièmement, je comprends bien le sens et le but de ce projet de loi, qui vise vraiment à se prémunir de drames sociaux. Néanmoins, je tiens à préciser une chose, et je crois que tous les commissaires de la majorité et en général les praticiens du droit et les autorités politiques, avec la nouvelle réforme de procédure civile, ont vraiment tenté de favoriser tous les cas de conciliation et ont espéré, avec ce projet de loi, que la conciliation serait favorisée. Je tiens à dire que c'est exactement le contraire qui risque de se passer. Ce projet de loi est la mort annoncée de la conciliation, puisque, je vous le rappelle, si un avocat se rend à l'audience de conciliation sans son client, cela signifie qu'il en a été précédemment dûment instruit - il a reçu les instructions de son client - et qu'il ne peut plus s'en défaire, sous peine de violer son mandat. Alors un avocat qui ne peut que se cantonner aux instructions de son client n'a évidemment aucun pouvoir pour concilier, littéralement, et transiger dans une affaire. La conciliation arrive de ce fait à sa mort.
Enfin - c'est le dernier argument - je comprends bien les potentiels drames humains que l'on peut rencontrer dans le cadre du tribunal des baux et loyers. En effet, si certains locataires se font évacuer, malheureusement, ils se retrouvent dans une précarité certaine.
Le président. Il vous reste trente secondes, Monsieur le rapporteur.
M. Vincent Maitre. Je termine, Monsieur le président, merci. Le locataire qui se retrouve très souvent en procédure d'évacuation, par exemple par devant les juridictions des baux et loyers, est évidemment dans une misère sociale assez importante. Mais je reste convaincu que ce n'est pas à des lois de procédure, stricto sensu, à des lois qui sont faites pour les praticiens du droit, de régler les carences de l'Etat social. J'invite donc, s'ils considèrent qu'il y a réellement un problème à ce sujet, les commissaires de la majorité à modifier les lois sociales topiques et respectivement plus efficaces dans ce sens-là, mais en tout cas pas les lois de procédure strictes.
Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, je tiens d'abord à remercier le rapporteur de minorité pour son excellent rapport. Cela a été dit tout à l'heure, les signataires ou certains signataires de ce projet de loi ont été interpellés par la commission civile de l'ordre des avocats, qui se font du souci par rapport à la manière dont fonctionne la commission de conciliation en matière de baux et loyers. La commission de conciliation en matière de baux et loyers - nous en avons auditionné des représentants lors de nos travaux - fait, selon nous, une lecture beaucoup trop rigoureuse et à teneur du texte de la loi, du nouveau CPC.
Pourtant, il faut le rappeler, ce nouveau CPC privilégie la conciliation. Le nouveau CPC dit: il faut concilier d'abord, ensuite juger. Or la manière dont cette commission de conciliation procède nous paraît pour le moins surprenante. Pourquoi ? D'abord parce que l'on instaure une inégalité de traitement. Le rapporteur de minorité l'a dit, le défenseur - le bailleur, le propriétaire - n'a pas du tout besoin d'être là. S'il est représenté par son mandataire, cela suffit. En revanche, le demandeur - le locataire, et je vous rappelle quand même que c'est le locataire qui est la partie faible au contrat - s'il n'est pas là pour une raison comme une erreur d'agenda, ce qui peut arriver à n'importe qui, que se passe-t-il ? Les juges rayent du rôle sa demande. Rayer du rôle, qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie que c'est comme si la procédure n'avait jamais existé, et la personne peut se retrouver en peu de temps vidée de son appartement, parce que la nouvelle procédure civile pénalise le demandeur dans ce cas de figure. Mesdames et Messieurs les députés, cela n'est pas acceptable.
On nous a dit en commission que 15 à 20 cas se sont produits. On ne sait pas, parmi ces 15 à 20 cas, combien étaient les demandeurs-locataires absents mais représentés par un avocat. Nous ne savons pas. Mais même s'il n'y avait qu'un seul cas, Mesdames et Messieurs les députés - un seul - avec la pénurie de logements qu'il y a aujourd'hui à Genève, c'est inacceptable. C'est pourquoi nous avons pris le risque de dire qu'il y a une mauvaise interprétation du code de procédure civile, je l'ai dit tout à l'heure, qui privilégie la conciliation. Pourtant, Mesdames et Messieurs les députés, si le demandeur n'est pas là pour une raison qui peut être valable, on ne peut pas avoir de conciliation. Or le code de procédure privilégie la conciliation. C'est la raison pour laquelle il faut voter ce projet de loi, parce qu'il donne la possibilité à la commission de conciliation de continuer la procédure pour que, enfin, il n'arrive pas de drame, parce que c'est déjà arrivé. Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de voter ce projet de loi.
Présidence de M. Pierre Losio, président
Mme Nathalie Schneuwly (R). Mesdames et Messieurs les députés, la conciliation est un élément fondamental dans la résolution des conflits, notamment en cette période où l'on a tendance à tout judiciariser. Le législateur fédéral l'a bien compris, puisque, dans le code de procédure civile, il a mis un accent très important sur la conciliation. Le but est atteint; cela a été dit en commission, le taux de conciliation au tribunal de première instance est passé de 2% à 19%. Tout le monde sait que, pour une bonne conciliation, il est indispensable que les parties soient présentes. Alors pourquoi ce projet de loi, qui va à l'encontre du principe même de la conciliation, puisqu'il veut supprimer l'obligation au locataire d'être présent ? Pour huit malheureux cas de demandeurs qui n'ont pas comparu parce que leur avocat n'avait pas saisi l'importance de la comparution personnelle ? Cela est dit à la page 7 du rapport, il n'y avait que huit cas; c'était au début 2011. Maintenant, il n'y en a plus. Donc faut-il vraiment faire un projet de loi pour quelques cas, certes malheureux, mais dus à des erreurs d'avocats ?
La réponse est clairement non. D'une part, depuis lors, des mesures simples et efficaces ont été prises pour que cela ne se reproduise pas. D'autre part, ce projet de loi aura des effets pervers. Si la présence des locataires n'est plus obligatoire en conciliation, il y aura beaucoup moins de conciliation; et là, le but n'est plus atteint. De plus, il y aura aussi un risque que les propriétaires ne viennent plus à ces audiences s'ils savent que, de toute façon, les locataires ne viendront pas. Enfin, l'amende qui est prévue n'a à mon avis aucun effet dissuasif, puisque l'on sait que le tribunal est tellement engorgé ces jours que le fait de reporter une audience vous fait gagner plusieurs mois sur une procédure. Les locataires auront tout intérêt, dans ce cas, à payer l'amende et à ne pas venir aux audiences. Pour toutes ces raisons, le PLR vous demande de refuser ce projet de loi.
M. Jacques Béné (L). Mesdames et Messieurs, l'audition du tribunal civil a été extrêmement claire. Seule la pratique actuelle est compatible avec le droit fédéral. Je veux bien que l'on essaie d'interpréter le droit fédéral - pourquoi pas ? - et que l'on donne des indications à la commission. Mais qu'on le corrige ?! Mais en vertu de quel droit pourrions-nous, nous, commencer à essayer de corriger un code de procédure qui a été voté au niveau fédéral ?
Et de quoi parlons-nous ? Nous parlons d'un projet de loi, visiblement instrumenté par l'ordre des avocats, qui fait suite à un cas, au début de l'année 2011, où un avocat était là pour représenter son client à la commission de conciliation; le client n'était pas là et l'avocat a dû dire que son client n'était pas là pour des raisons volontaires. Etant donné qu'il y a un code de procédure fédéral extrêmement clair, la commission a effectivement rayé la cause. L'avocat ne pouvait bien évidemment pas demander la restitution du délai et s'opposer à la décision qui avait été prise par la commission, étant donné qu'il avait clairement dit que son client n'avait pas voulu venir, de manière délibérée. Donc il s'agit bien d'un seul cas !
Maintenant, Monsieur Poggia, si je ne me trompe pas, en tant que conseiller national, vous avez déposé une initiative parlementaire qui s'intitule: «Protéger les justiciables contre une rigueur excessive et injustifiée de la procédure civile». Laissons le parlement fédéral traiter de cette problématique. S'il juge effectivement que son interprétation ou l'interprétation des commissions de conciliation dans les différents cantons ne correspondent pas à ce qui a été voulu par le code de procédure, il modifiera en conséquence selon votre proposition.
Ce qui me choque le plus dans cette affaire est que, en fait, on va donner des droits supplémentaires à un demandeur qui serait représenté par un avocat par rapport à un demandeur qui ne le serait pas et qui, lui, serait complètement débouté s'il ne donnait pas d'arguments valables pour être reconvoqué ! Ne trouvez-vous pas cela totalement absurde ?
Je vais même plus loin. Si cet article de loi que nous souhaitons voter aujourd'hui entre en vigueur parce que ce parlement en décide, il se pourrait qu'un défendeur fasse opposition à la nouvelle convocation d'un demandeur par la commission de conciliation en justifiant, en essayant de justifier, que le projet de loi que nous avons voté est contraire au droit fédéral. Si effectivement le demandeur est débouté, il perdra à ce moment tous ses droits. Comme l'a dit Mme Bolay, un cas, comme cela a été mentionné en commission, est un cas de trop. Mais, dans ce sens-là, c'est aussi un cas de trop, et nous porterons, nous, la responsabilité d'avoir voté une loi qui serait totalement contraire au droit fédéral.
Je vous demande donc de bien réfléchir. Nous ne sommes pas ici pour interpréter les lois. La justice est là pour les appliquer, et nous ne sommes pas là pour les corriger. Je vous demande donc de refuser l'entrée en matière de ce projet de loi.
M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, vous l'avez compris, nous sommes en plein dans un débat d'experts, de personnes surqualifiées. La preuve: nos deux rapporteurs sont d'éminents membres du barreau, et ils ne sont pas d'accord. Comment le candide que je représente, le député non juriste, peut-il s'en sortir dans cette situation, si ce n'est peut-être en court-circuitant un peu toutes les arguties juridiques - et mon préopinant vient d'en faire toute une série - qui, en définitive, représentent plus une opinion que la réalité ?
Parce que, en réalité, Mesdames et Messieurs les députés, si vous regardez simplement, vous vous dites: «Peut-être que nos grands législateurs à Berne n'ont pas vu tout ce qu'impliquaient leurs décisions et que, là, ils ont fait une soustraction de droits.» Mon préopinant disait que l'on va donner plus de droits à quelqu'un. Mais, en fait, on soustrait des droits à quelqu'un qui, s'il ne se présente pas, voit l'affaire être immédiatement rayée du rôle, alors que l'autre peut être représenté par son avocat. Alors on me dira: la conciliation, oui...
Mesdames et Messieurs les députés, je crois très sincèrement qu'il y a eu une petite erreur, certes pas dramatique, en termes de droits dans ce nouveau code de procédure civile. Je remercie d'ailleurs le rapporteur de majorité qui, en commission - cela n'a pas été mentionné - a déposé un amendement à l'alinéa 4, nouveau, où l'on a quand même introduit, si cette loi est votée, une pénalité pour le défaillant. Cela me semble justement rétablir quelque chose de correct pour toutes les parties et éviter les débordements d'intention que nous avons entendus.
C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs - je ne suis pas un juriste - le groupe de l'Union démocratique du centre a décidé de donner son accord et de voter l'entrée en matière de ce projet de loi.
Mme Mathilde Captyn (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, si je peux pour une fois m'adresser à mon préopinant, M. Lussi, je lui dirai que je ne suis pas membre du barreau non plus, je ne suis pas juriste, et je suis bien contente que, avec cette commission ad hoc Justice 2011, la réforme soit terminée, en tout cas quasi terminée, parce que cela a été difficile.
Quoi qu'il en soit et cela dit, beaucoup d'arguments ont été avancés sur ce projet de loi. La position des Verts, par conséquent, est que, si nous avons signé ce projet de loi, c'était principalement pour nous assurer que la doctrine souple qui était appliquée dans le passé, avant la réforme Justice 2011, ne soit pas remplacée par une pratique plus stricte après la réforme. Nous souhaitons également nous assurer qu'il y a une uniformité dans la pratique au sein de la CCBL.
De plus, au-delà des arguments de Mme Loly Bolay, première signataire de ce projet de loi, il faut tout de même prendre en compte un élément qui a motivé notre position dans ce débat. Il s'agit effectivement des droits de la partie faible dans le contrat, le locataire, contre, très souvent, des propriétaires qui ont largement la facilité non seulement de se faire représenter, mais aussi bien représentés, au sein de cette commission. C'est la raison pour laquelle nous vous engageons à accepter ce projet de loi, même si, effectivement, la question de la compatibilité avec le droit supérieur se pose. C'est seulement en cas de recours que nous saurons avec certitude que ce projet de loi respecte, ou pas, le droit supérieur.
M. Christophe Aumeunier (L). Un mot, Mesdames et Messieurs les députés, pour dire que, si M. Poggia considérait que le projet de loi dont nous débattons est conforme au droit fédéral, il n'aurait pas déposé une initiative parlementaire à Berne pour changer le droit fédéral. Par conséquent, il faut refuser ce projet de loi, Mesdames et Messieurs les députés.
M. Vincent Maitre (PDC), rapporteur de minorité. M. Aumeunier vient de m'enlever les mots de la bouche sur l'un des points. Effectivement, soit ce projet de loi est conforme au droit fédéral, et alors les cantons ont la compétence de légiférer. Soit il ne l'est pas, et alors le texte qu'a déposé M. Poggia par devant les Chambres n'a aucune raison d'être. J'ai donc un peu de peine à comprendre cette schizophrénie tout à fait subite.
J'aimerais revenir sur les propos de Mme Bolay, qui nous a dit que les magistrats faisaient une lecture beaucoup trop rigoureuse du CPC. Je m'en étonne encore parce que ces magistrats, qui, comme chacun sait, font plus partie de ses milieux que du mien, nous ont précisément assuré mordicus qu'ils comptaient l'appliquer et qu'ils l'appliquent au quotidien de façon tout à fait large et souple, ce à l'avantage de la partie réputée faible - ce mot a été plusieurs fois répété ce soir - c'est-à-dire le locataire. Je crois vraiment qu'affirmer le contraire est un mauvais procès d'intentions et que l'on peut avoir toute confiance en nos juges. D'ailleurs, les chiffres le prouvent, puisque ce ne sont pas, contrairement à ce que dit Mme Bolay, 15 à 20 cas dont la cause a été rayée du rôle. Ce sont en réalité 13. Et, parmi ces 13 cas, il n'y en a qu'un dont la cause a été rayée du rôle parce que le demandeur avait été représenté par son avocat; il n'avait pas jugé utile de se présenter lui-même à l'audience de conciliation. Alors les conséquences sont peut-être dramatiques, mais ce n'est pas au droit de procédure de pallier les erreurs d'un avocat qui a mal lu son code.
Je tiens encore à dire que, si vous votez ce projet de loi, vous allez créer une énorme incertitude, une énorme insécurité juridique. Pourquoi ? Parce que, si, tout à coup, le cas se présente où un juge applique précisément ce projet de loi et que la partie adverse ne reconnaît pas de légalité à ce texte, elle fera recours au Tribunal fédéral. Or, comme vous le savez tous, l'effet suspensif devant le Tribunal fédéral n'est pas automatique ni général. Les recourants contre la loi sur les manifestations l'ont d'ailleurs appris à leurs dépens tout récemment. Donc cela veut dire que, faute d'effet suspensif, le texte que vous vous apprêter à voter ce soir continuera à être appliqué et risquera, sur décision cassatoire du Tribunal fédéral, d'être tout simplement annulé ou en tout cas rejeté, faute de conformité au droit supérieur. Ainsi, toutes les causes qui auront été traitées pendant l'année ou les deux ans qu'aura mis le Tribunal fédéral à juger tomberont à l'eau. Il faudra recommencer des dizaines et des dizaines de procédures dès le début, et c'est donc absolument insoutenable pour un justiciable de se retrouver dans une telle insécurité juridique.
Enfin, il y a un argument que je n'ai pas bien compris, invoqué d'abord par M. Poggia puis repris par M. Lussi, qui consiste à dire que, lorsqu'il y aurait ce que l'on appelle communément un plaideur téméraire, les dépens de la procédure, je cite, seraient mis à charge précisément de ce plaideur téméraire. J'ai beaucoup de peine à comprendre cet argument, puisque, comme chacun sait, en matière de bail à loyer, la procédure est gratuite. Je ne vois donc pas quels dépens peuvent être mis à charge.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de minorité. Je donne la parole à M. le rapporteur de majorité Mauro Poggia, puis à Mme la conseillère d'Etat Isabel Rochat. La liste est close.
M. Mauro Poggia (MCG), rapporteur de majorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Chers collègues, nous avons entendu beaucoup d'arguments. Je vais essayer de remettre un peu d'ordre dans tout ce qui a été dit.
D'abord, il n'y aurait de violation du droit fédéral que pour autant que le droit fédéral nous dise ce qu'il ne dit pas, à savoir que le demandeur absent mais représenté doit être considéré comme défaillant et qu'un défaut doit être prononcé contre lui. Le droit fédéral ne le dit pas. Il dit simplement que le demandeur qui est absent se voit pénalisé par un défaut. «Absent», cela signifie qu'il n'y a personne sur place, et, cela, nous ne le changeons pas. Lorsqu'un plaideur-demandeur est absent et que personne n'est là pour lui, le défaut devra être prononcé, parce que c'est la sanction que veut le droit fédéral. La seule chose que fait ce projet de loi que nous vous soumettons est que, lorsqu'un locataire-demandeur est absent et qu'il a pris la peine de mandater un avocat, il n'y ait pas de défaut prononcé contre lui.
Certains ont dit que, si cette loi que nous vous proposons était conforme au droit fédéral, je n'aurais pas pris la peine de déposer un projet de loi à Berne. Eh bien non, parce que ce projet de loi à Berne vise simplement à éviter, au niveau fédéral, que l'on doive se mettre à interpréter comme nous l'avons fait ici et à faire une multitude de lois cantonales pour protéger les locataires. Nous demandons simplement que la volonté du législateur soit claire, car, à aucun moment, le législateur n'a pu vouloir sanctionner un locataire par un défaut au motif qu'il serait absent mais valablement représenté par un avocat. Autre chose également: nous sommes ici en train de traiter le sujet strict des baux et loyers, alors que le projet qui a été déposé à Berne concerne tous les domaines du droit, donc y compris les commissions de conciliation du Tribunal de première instance. Par conséquent, le dépôt de ce projet de loi à Berne n'est en aucun cas - en aucun cas ! - une reconnaissance ou un désaveu du projet qui vous est soumis.
M. le représentant de la minorité nous dit: «Il suffit que la commission de conciliation fasse preuve de souplesse.» Or nous savons qu'elle ne fait pas preuve de souplesse et qu'elle a précisément décidé, lorsque le demandeur est absent, mais représenté par un avocat, de prononcer le défaut. Si cette loi est adoptée, le défaut ne sera pas prononcé. Peut-être qu'un bailleur mal intentionné ira jusqu'au Tribunal fédéral. Mais, excusez-moi mon cher collègue, l'effet suspensif au Tribunal fédéral n'a absolument rien à voir, puisque nous aurons précisément refusé de prononcer le défaut. C'est donc le bailleur qui demande le défaut qui va aller au Tribunal fédéral. Le Tribunal fédéral ne peut pas, dans le cadre du recours dont il est saisi, anticiper la décision qu'il rendrait au fond en prononçant le défaut que les juges cantonaux ont refusé. Excusez-moi d'être un peu technique; ceux qui comprennent le sujet auront rectifié d'eux-mêmes l'erreur que vous avez commise.
L'erreur est possible. Un locataire peut commettre une erreur - une erreur d'agenda, Mme Loly Bolay vous l'a dit - et être absent. Ce n'est pas une erreur blâmable, mais elle peut avoir des conséquences dramatiques. Nous ne voulons pas ces conséquences dramatiques. Nous ne voulons pas non plus la mort de la conciliation, parce que l'obligation d'être présent demeure, et la reconvocation ne sera pas automatique. Le juge conciliateur peut reconvoquer les parties s'il considère qu'il y a une possibilité ou une chance quelconque d'aboutir à une conciliation, mais il ne le fera pas automatiquement. Si l'avocat qui est présent - il n'est pas seul puisque le représentant du bailleur ou le bailleur lui-même est également présent - si le représentant du locataire dit: «Mon client ne peut pas accepter la résiliation qu'on lui a donnée, ou en tout cas il veut quatre ans de prolongation» et que le bailleur dit: «Moi, je veux la résiliation, je ne donnerai pas un an de prolongation», on ne va évidemment pas perdre du temps à reconvoquer. Par contre, si l'on voit qu'il y a une possibilité, aussi infime soit-elle, de concilier les parties, la commission de conciliation reconvoquera les parties et pourra, le cas échéant, si l'absence du défaillant n'est pas excusée, le condamner aux frais.
Il n'y a là pas de violation de la loi cantonale qui prévoit la gratuité en matière de baux et loyers, puisqu'il y a exactement le même niveau des normes. Nous avons ici une loi contre une loi. Il s'agit d'une lex specialis par rapport à la loi générale, et nous pouvons parfaitement mettre à charge les frais du défaillant.
Je finirai avec un mot, celui de notre responsabilité, et ce n'est pas le juriste qui parle. Nous avons une responsabilité politique. Il y a un risque, un risque concret qui a été expliqué - Mme Bolay vous l'a dit, un cas serait un cas de trop - qu'un locataire perde son logement sans avoir pu avoir un juge qui se prononce sur son cas. Si le congé est légitime et que la demande de prolongation est abusive, il perdra le procès, mais il aura eu accès à un juge. Or, il y a ici une sanction qui est une guillotine, qui ferait perdre à un plaideur cette position.
Cette position est d'autant plus délicate que, paradoxalement, le locataire est la «victime» de la décision du bailleur, entre guillemets, puisqu'il reçoit un congé. Donc il est initialement défendeur, ou il reçoit une hausse le loyer et, par le jeu de la procédure, il se retrouve demandeur. C'est là que la sanction est inique, puisque l'interprétation que veut donner la commission de conciliation en matière de baux et loyers actuellement est une solution qui pénalise ce demandeur, qui en fait n'a rien demandé. Vous dites: «Quand on saisit la justice, on peut évidemment se déplacer.» C'est vrai, et les locataires viennent; ils auront toujours intérêt à venir pour trouver des conciliations. Mais il est demandeur par la force des choses, par le rôle que lui donne la procédure et par les délais qu'il doit respecter.
Quant au fait que certains juges puissent penser - il y en a un qui l'a dit - qu'ils considéreraient cette loi comme illégale, nous prenons notre responsabilité politique de législateur; à lui de prendre sa responsabilité de juge s'il considère ne pas devoir appliquer les lois que nous adoptons dans ce parlement.
Mme Isabel Rochat, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, quelle est en fait la question qui se pose ? «Peut-on régler le problème au niveau d'une loi cantonale dès lors que la procédure civile est entièrement réglée par le code de procédure civile ?» Voilà la question.
Maintenant, il est vrai que deux thèses s'affrontent. On a l'habitude de dire: «Deux juristes, trois avis.» En l'occurrence, ces deux thèses s'affrontent très directement. La première de ces thèses consiste à dire qu'il s'agit d'une compétence cantonale, et donc à reconnaître que le fait de ne pas comparaître peut effectivement être considéré comme devant être sanctionné. Voilà une version. L'autre version, l'autre thèse, consiste au contraire à dire qu'il s'agit du droit fédéral et de son interprétation par les tribunaux, qui a été déjà très largement faite.
Sur ces deux thèses, je crois qu'il est vraiment question, maintenant, de voir la pratique. Il a été relevé que chaque cas est bien sûr un cas de trop. On a entendu des mots importants, comme la conciliation. Il a été relevé que cet élément de conciliation, qui est révélé très fortement à travers ce texte de loi, doit pouvoir être considéré comme essentiel, mais ne doit pas pour autant être une genevoiserie de plus. Cela a aussi été évoqué, la responsabilisation de l'individu, de la partie qui doit pouvoir être rendue quand même consciente de l'importance de sa comparution, doit être en tout cas à mes yeux prévalente.
Donc je crois qu'il est vraiment maintenant question de ne pas créer une genevoiserie de plus. C'est tout en relevant, bien sûr, la responsabilisation individuelle, chère à nos yeux, que je vous recommande donc - tout en soulignant la qualité des travaux et bien sûr la qualité de la présidence de cette commission, qui a travaillé pendant de nombreux mois, pour ne pas dire de nombreuses années - de rejeter cette genevoiserie supplémentaire.
Le président. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets l'entrée en matière du projet de loi 10890.
Mis aux voix, le projet de loi 10890 est adopté en premier débat par 48 oui contre 39 non.
Deuxième débat
La loi 10890 est adoptée article par article en deuxième débat.
Troisième débat
Le président. Je donne la parole à M. le député Jacques Béné.
M. Jacques Béné (L). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, avant le vote final sur ce projet de loi, j'aimerais quand même rappeler une chose. Le droit fédéral a institutionnalisé la médiation, la conciliation. Si nous votons ce soir ce projet de loi, nous remettons la médiation, la conciliation, dans les mains des avocats. Trouvez-vous cela cohérent ? Avez-vous déjà vu des procédures amiables de divorce se régler quand chacune des parties a un avocat en face d'elle ? Eh bien non, ou bien très rarement. Si je me permets de faire cette remarque, c'est que j'ai moi-même siégé à la commission de conciliation tant comme juge assesseur que comme représentant des bailleurs. Je peux vous dire que les solutions sont beaucoup plus facilement trouvées quand les parties sont présentes. Même si un avocat est présent pour représenter l'une des parties, et essentiellement le locataire, cet avocat n'a pas forcément toutes les données pour prendre position pour concilier. Il y a beaucoup de choses - vous seriez étonnés - qui sortent à la commission de conciliation et qui n'étaient pas forcément connues des parties.
Mesdames et Messieurs, puisqu'une initiative parlementaire fédérale est en cours de traitement par les Chambres, que M. Poggia a lui-même déposée, je vous propose de renvoyer ce projet de loi à la commission législative en attendant que le parlement fédéral se prononce sur le bien-fondé de cette proposition. Cela me paraît d'autant plus sage que nous ne sommes effectivement pas pour la plupart ici des juristes. Quand on entend le tribunal civil qui dit que cette loi ne serait pas applicable, cela va poser des problèmes extrêmement clairs. M. Lussi, tout à l'heure, a dit: «Vu que l'on n'est pas sûrs, on va voter cette loi.» La position de sagesse consiste plutôt à dire: «Je ne sais pas et, tant que la position du parlement fédéral n'est pas définitive, je préfère m'abstenir.» Donc je vous demande, s'il vous plaît, de renvoyer ce projet de loi à la commission législative dans l'attente de la position des Chambres fédérales concernant l'initiative parlementaire de M. Poggia.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission. Avant le vote, je donner la parole pour trois minutes à chacun des deux rapporteurs, à commencer par M. le député Mauro Poggia, uniquement sur le renvoi en commission.
M. Mauro Poggia (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Je dirai ceci à M. Béné. La conciliation a effectivement été mise en avant par le législateur fédéral dans tout ce code de procédure civil. Mais la conciliation existait, et Genève était l'un des pionniers dans le domaine de la conciliation en matière de baux et loyers. Vous vous souvenez que, historiquement, c'était même le Conseil d'Etat qui officiait précisément en raison de la pénurie de logements dans le canton de Genève. Genève a été conscient plus vite qu'ailleurs de la nécessité de trouver, entre partenaires, des solutions négociées. Avant même ce code de procédure civile, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2011, cette conciliation existait et fonctionnait particulièrement bien, avec plus de 60% d'affaires conciliées devant la commission de conciliation en matière de baux et loyers. C'est beaucoup plus que les 2% à peine qu'il y avait devant le Tribunal de première instance, taux qui a augmenté. Maintenant, on se réjouit évidemment de cette évolution.
Or qu'était-il, notre droit, avant ce 1er janvier 2011 ? Les avocats pouvaient parfaitement représenter les justiciables, et les conciliations se faisaient et aboutissaient. Comment peut-on diaboliser à ce point le rôle de l'avocat en imaginant que l'avocat seul serait un échec assuré pour la conciliation ? Pourtant, l'avocat était très souvent seul, en conciliation, à représenter son client. Or je peux vous dire que l'avocat, très souvent, est celui qui fait basculer la balance, parce qu'il connaît les risques de la procédure, qu'il est à côté de son plaideur et peut ainsi expliquer à ce plaideur que la justice n'est pas une science exacte et qu'il ne suffit pas d'avoir raison pour obtenir gain de cause devant les tribunaux. Aujourd'hui, le fait de ne pas sanctionner pareillement un défendeur défaillant ne constitue en aucun cas et ne constituera en aucun cas la mort ni le déclin de la conciliation.
Le président. Il vous faut conclure, sur le renvoi en commission.
M. Mauro Poggia. Je conclus, Monsieur le président; j'y arrivais. Je vous demande donc de refuser ce renvoi; ce projet de loi est mûr pour être accepté.
M. Vincent Maitre (PDC), rapporteur de minorité. Je me permets de rebondir un bref instant sur ce que vient de dire mon collègue M. Poggia. C'est vrai, historiquement, la conciliation devant la commission du même nom en matière de baux et loyers marchait à la perfection, et ce depuis des décennies. Cela, personne ne le contestera, c'est exclusivement grâce à l'indéniable efficacité des juges-conciliateurs qui officiaient. J'ai dès lors beaucoup de peine à comprendre pourquoi, aujourd'hui et tout d'un coup, on remettrait en question l'efficacité de ces juges. Pire, on douterait de l'application du droit dans le sens de ce que l'on a à réitérées reprises appelé la partie faible ce soir, c'est-à-dire le locataire. Je ferme les parenthèses.
Je vous encourage, comme vous y a incité mon collègue Béné, puisque vous avez accepté l'entrée en matière, à renvoyer ce projet de loi en commission. En effet - c'est peut-être un peu plus technique, quoique - ce projet de loi prévoit en son article 4A, alinéa 1, je cite, que «[...] la commission peut néanmoins convoquer une nouvelle audience de comparution [...]». Cette dernière phrase est tout simplement hors de propos, impossible à appliquer et illégale, parce que, dans le code de procédure civile, il est mentionné qu'il faut l'accord des parties. C'est expressément mentionné. Il faut l'accord des parties pour qu'un juge ait le droit de reconvoquer.
Alors ne serait-ce que pour cette incompatibilité ou cette carence dans le projet de loi, il faut le renvoyer en commission pour au moins l'épurer sur ce point-là et éventuellement aménager quelques voies supplémentaires dans la procédure, puisqu'on nous dit: «[...] La commission peut néanmoins convoquer une nouvelle audience de comparution [...]». On ne nous dit ni quand ni à quelles conditions. Personnellement, j'aimerais que des garanties soient mises, puisque - je l'avais déjà relevé en commission - si aucune garantie de temps, si aucun délai n'est imposé au juge pour le reconvocation, on peut craindre toutes les dérives procédurales pour gagner du temps, par exemple en reconvoquant une audience de conciliation à l'échéance d'une année, pour faire traîner la procédure et maintenir le locataire dans une situation illégale.
Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets le renvoi à la commission législative, puis nous nous prononcerons sur ce projet de loi en troisième débat.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 10890 à la commission législative est rejeté par 46 non contre 40 oui.
La loi 10890 est adoptée article par article en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 10890 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 46 oui contre 40 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)