République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 20 avril 2012 à 20h30
57e législature - 3e année - 7e session - 41e séance
R 687
Débat
Le président. Nous sommes en catégorie II: trois minutes par groupe. Le premier signataire est M. Eric Leyvraz, à qui je donne la parole.
M. Eric Leyvraz (UDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, les primes maladie constituent un terrible problème financier pour une portion croissante de la population, tout le monde le sait. Le nombre de Genevois qui doivent faire appel à une aide étatique pour payer leurs primes ne cesse d'augmenter. Or la catégorie des jeunes adultes de 18 à 25 ans paie une prime bien plus élevée que ce qu'elle ne coûte aux assurances, forcée d'accepter une solidarité intergénérationnelle qu'elle n'a tout simplement pas les moyens d'assumer. Ces jeunes doivent d'autant plus être interloqués par cette situation lorsqu'ils constatent que les assurances proposent des primes de 70 F par mois aux étudiants étrangers, alors qu'eux se saignent pour payer en moyenne 385 F. Et est-il besoin de dire que trop souvent ce sont les parents qui doivent payer les primes de leurs jeunes en formation ? Si l'on veut aider les familles, comme il est indiqué dans l'exposé des motifs de cette proposition de résolution, et assurer évidemment aussi le renouvellement des générations, il est impératif de demander cette suppression de la compensation des risques. Pour des familles qui ont deux jeunes adultes à charge, nous aurions à Genève une économie d'environ 500 F par mois, ce qui n'est pas négligeable.
Mesdames et Messieurs les députés, il y a toujours moins d'actifs pour payer les retraites des anciens. Si nous ne réagissons pas en donnant à la nouvelle génération des espoirs de s'en sortir sans être couverte de charges, il nous faut faire un effort supplémentaire. Il en va véritablement d'une paix et d'une bonne compréhension entre les générations, car nous atteignons tranquillement mais sûrement les limites du supportable pour les actifs. L'UDC vous demande donc de bien vouloir accepter le renvoi de cette proposition de résolution à l'Assemblée fédérale.
Le président. Merci, Monsieur le député. Avant de donner la parole à M. Philippe Schaller, je salue à la tribune la présence de notre ancien collègue député M. Alain Etienne. (Applaudissements.) Monsieur Schaller, c'est à vous.
M. Philippe Schaller (PDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes bien entendu sensibles aux charges pesant sur les familles, notamment celles de condition modeste. Toutefois, nous ne pourrons pas entrer en matière sur cette proposition de résolution, pour trois raisons.
Premièrement, il ne faut pas briser la solidarité entre jeunes et plus âgés. Deuxièmement, la compensation des risques est en cours de remaniement au niveau fédéral et il y a déjà eu, au 1er janvier de cette année, une modification incluant l'hospitalisation. En outre, si la révision partielle de la LAMal n'est pas refusée en votation populaire le 17 juin, il y aura une nouvelle modification de cette compensation des risques en incluant la morbidité. La troisième raison est que les subsides corrigent le montant des primes des familles modestes. Pour ces trois motifs, nous vous demandons donc de bien vouloir refuser l'entrée en matière sur cette résolution.
Mme Christine Serdaly Morgan (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de résolution est malheureusement simplificatrice et opportuniste. Simplificatrice parce que le financement de l'assurance-maladie est bien entendu plus complexe que cela. Qui paiera pour les jeunes que l'UDC veut soustraire avec cette résolution ? Qui paiera cette compensation des risques qui équivaut à 9% du montant total des primes et à 1,8 milliard par an ? Ce sont bien les parents, que l'on voudrait alléger des charges, qui risquent de devoir payer plus à ce titre.
Ce texte est en outre opportuniste car les Chambres fédérales travaillent à la question et qu'il s'agirait alors tout bonnement de soutenir, par exemple, les propositions faites par l'UDC au niveau fédéral. Du reste, quand on ne peut pas traiter les choses au niveau fédéral, on remarque qu'on vient les ramener dans ce parlement cantonal.
Cette résolution est opportuniste encore car il ne s'agirait peut-être que de protéger les finances cantonales et de diminuer les subsides à charge du canton, sans vision aucune ni du financement de l'assurance-maladie ni du long terme. Permettez-moi de rappeler, comme l'a fait le député Schaller, qu'une révision partielle du système de compensation des risques est entrée en vigueur et qu'il faudra peut-être un peu de temps pour en voir les effets. La catégorie des jeunes de 18 à 25 ans peut bénéficier de rabais par les assureurs: faites donc pression, collègues de l'UDC, pour qu'ils les pratiquent !
Pour finir, des primes supprimées pour les enfants, des primes réduites pour les jeunes de 18 à 25 ans, pour les jeunes adultes de 25 à 35 ans, pour les jeunes parents de 35 à 45 ans... On pourrait aussi augmenter les primes des vieux qui seraient tous des nantis ! Non, Mesdames et Messieurs les députés, les socialistes sont attachés à un système d'assurance-maladie qui repose sur la solidarité entre les générations et affirme ce principe. Aujourd'hui je paie, demain je bénéficierai. Nous n'opposerons pas les générations dans une vision individualiste à court terme et vous invitons donc à rejeter cette proposition de résolution. (Applaudissements.)
M. Mauro Poggia (MCG). Chers collègues, les solutions simples dans le domaine de l'assurance sociale et en particulier de l'assurance-maladie sont souvent simplistes. C'est le cas de celle qui vous est suggérée ici car, avec le système d'opacité que nous connaissons aujourd'hui au niveau de l'assurance-maladie, où il est très difficile de savoir comment nos primes sont calculées, une telle proposition fait évidemment le jeu des assureurs, qui auront tout loisir de nous dire qu'ils augmenteront de manière draconienne les primes des adultes, précisément parce que nous avons voulu faire baisser celles des jeunes. N'entrons pas dans ce piège ! Prochainement, l'initiative pour une caisse publique sera déposée, et ce sera de cette manière qu'enfin nous aurons, nous l'espérons - si nous arrivons à convaincre la majorité de la population de ce pays - une transparence. Ce n'est certes pas la panacée, mais nous saurons au moins où passe notre argent, ce qui n'est évidemment pas le cas actuellement.
Vous savez aussi que le principe consistant à diviser pour régner est utilisé par les assureurs. Ce que vous essayez de faire, sans doute avec de bonnes intentions, Mesdames et Messieurs les députés UDC, c'est précisément de donner la main à cette technique que tentent d'instaurer les assureurs, en mettant face à face les malades et les bien-portants, les fumeurs et les non-fumeurs, et demain Dieu sait qui encore.
Le principe de la solidarité a été sans doute l'une des avancées les plus importantes de la LAMal. Ne perdons pas cet avantage qui est le fondement de cette assurance-maladie sociale. Ne mettons pas un grain de sable qui vienne bloquer ce rouage, qui est le seul qui fonctionne aujourd'hui. Nous rejetterons donc cette proposition, même s'il est vrai que le problème est présent et qu'il faudra bien qu'on l'empoigne un jour ou l'autre.
Mme Brigitte Schneider-Bidaux (Ve). Si cette proposition de résolution pose le problème réel des coûts de l'assurance-maladie et tente de résoudre une préoccupation réelle des jeunes et des familles, elle remet en question le principe même de l'assurance-maladie, qui est la solidarité. Et demander de soustraire les jeunes de la compensation des risques LAMal, cela signifie remettre en question la solidarité entre générations, comme cela a été souligné par les socialistes, le MCG et le PDC. Je n'ajouterai donc rien à ce qui a été dit, car vous n'allez pas entendre quatre fois le même discours ! En conclusion, je vous demande de rejeter cette proposition de résolution.
M. Marc Falquet (UDC). Ce n'est pas du tout une proposition opportuniste ! Je suis sûr qu'à Genève il y a plusieurs milliers de jeunes qui débutent dans la vie avec des dettes. Vous trouvez ça normal ? Je connais personnellement plusieurs jeunes qui ne paient plus leur assurance-maladie, et ils se retrouvent donc endettés avant même d'avoir commencé à travailler. Ça c'est un véritable problème, dont on devra quand même s'occuper ! Alors peut-être que cette proposition n'est pas adéquate, mais si l'on voulait vraiment être solidaire, eh bien on devrait faire payer les primes en fonction du revenu des gens... (Exclamations. Commentaires. Applaudissements.) Ça ce serait une proposition intéressante ! Le problème c'est que, quand on parle de solidarité en politique, il ne s'agit pas de vraie solidarité. Quand on parle de solidarité en politique, en général c'est pour prendre de l'argent aux gens et puis leur donner mauvaise conscience au cas où certains auraient l'audace de vouloir contester ce genre de décisions. Donc on essaie de culpabiliser les gens en parlant de solidarité ! Mais il n'y a pas de solidarité dans les pays occidentaux, la vraie solidarité existe dans les pays vraiment pauvres et entre pauvres ! Ici on a délégué notre solidarité à l'Etat, et nous sommes un pays d'égoïstes, il faut bien le reconnaître ! Si nous étions solidaires, il y aurait peu de monde à l'Hospice général et peu de monde dans les EMS. Alors ne parlons pas de solidarité; ce mot est largement galvaudé en politique, et on l'utilise simplement pour culpabiliser ceux qui voudraient s'opposer à ce qu'on leur pique de l'argent.
M. Pierre Conne (R). Nous sommes très heureux au PLR de constater que tous les groupes, à part l'UDC, soutiennent définitivement les principes fondateurs de la LAMal, à savoir la solidarité, et je ne reprendrai pas les différents arguments qui ont été développés par plusieurs préopinants pour expliquer qu'effectivement cette proposition de résolution est une fausse bonne idée. Je réaffirmerai cependant l'importance de la solidarité. Les fondements de la LAMal sont basés sur le fait que les jeunes, les moins jeunes, les personnes âgées, les hommes, les femmes, les bien-portants et les malades sont tous collectivement solidaires pour participer de manière égale au financement de cette assurance-maladie sociale. Et ces fondements-là ne doivent effectivement pas être remis en question par le biais d'une fausse bonne idée, qui consiste en l'occurrence à proposer d'alléger une partie seulement de la population de la charge réelle et importante qui pèse à l'heure actuelle sur tous les foyers. Je peux vous citer de nombreux exemples de personnes de plus de 75 ans pour lesquelles payer chaque mois la prime d'assurance-maladie est probablement aussi difficile que pour des familles ayant des enfants d'âge moyen ou des adolescents.
En conséquence, Mesdames et Messieurs les députés, le PLR rejoint les positions des différents groupes et rejettera cette proposition de résolution.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Bertrand Buchs, à qui il reste deux minutes.
M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président. Je crois que le mot «solidarité» est l'un des plus beaux qui existe au niveau de nos pensées philosophiques, et je pense qu'il est essentiel que l'on puisse dire que l'on est solidaire. Je crois effectivement qu'il est très important de dire: «Je suis solidaire parce que je suis en bonne santé et que, comme je suis en bonne santé, je paie des primes pour ceux qui sont malades. J'ai la chance d'être en bonne santé, j'ai la chance de ne pas être malade, donc je participe.» Car mettre les gens les uns contre les autres, c'est le pire système qu'on puisse avoir au niveau politique. On doit refuser de monter les gens les uns contre les autres. Sinon, comme l'a très bien dit le député Poggia, on va arriver à un système de santé où l'on va pénaliser. Vous fumez ? Vous payez ! Vous êtes trop gros ? Vous payez ! Vous avez des relations sexuelles bizarres ? Vous payez ! (Exclamations. Commentaires.) C'est comme ça que les choses vont être faites et c'est comme ça que les assurances-maladie veulent que ce soit fait !
Maintenant, si vous souhaitez des primes meilleur marché, il faut réfléchir à la transparence du système, car tant que l'on n'a pas un système transparent, on ne pourra jamais dire que vous payez trop de primes ! Les primes que vous payez sont scandaleuses parce que le système n'est pas transparent et que l'on peut vous faire payer n'importe quelle prime sans aucune preuve ! Il faut vous battre pour la transparence, vous battre pour qu'il y ait un système transparent, et vous en tirerez les conséquences lorsque vous irez voter au niveau fédéral.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Eric Leyvraz, à qui il reste une minute.
M. Eric Leyvraz (UDC). Merci, Monsieur le président, je serai très bref. Pour moi, être solidaire, c'est aussi s'occuper des jeunes qui sont en difficulté et qui n'arrivent pas à payer leurs primes. Ça aussi c'est la solidarité. Et, Mesdames et Messieurs les députés, dans vingt-cinq ans, pour une personne retraitée, il n'y aura que deux actifs pour payer. Alors là nous verrons bien comment sera la solidarité, et si vous n'êtes pas capables de prévoir cela et de prendre déjà des mesures aujourd'hui, eh bien la facture va être salée !
M. Pierre-François Unger, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je crois que tout a été dit sur les valeurs fondatrices de la LAMal. Ces valeurs fondatrices, en réalité, peuvent se résumer dans le mot «solidarité», que j'ai entendu dans la bouche de chacun des intervenants. C'est la solidarité entre les femmes et les hommes - et je vous rappelle que, avant la LAMal, la hauteur des primes était différente selon le sexe - entre les plus âgés et les plus jeunes, entre les malades et les bien-portants. Je rêverais, et vous l'avez rêvé avec moi - il est d'ailleurs possible que l'on ait un demi-rêve d'ici à quelques mois - qu'il y ait une solidarité à l'intérieur du pays ! En effet, pour le moment, Genève paie des primes très élevées non seulement parce qu'il consomme beaucoup de soins, mais aussi pour financer les primes qui ne sont pas payées dans certains cantons. C'est le phénomène de soustraction des réserves calculatoires cantonales, auquel on assiste à raison de 500 millions sur les dernières années. A la commission de la santé des Etats, mardi, M. Berset a mis toute son énergie pour essayer de convaincre quatorze cantons, qui s'étaient engagés à la Conférence intercantonale à ne pas s'opposer et qui, dès qu'ils l'avaient fait, avaient écrit à la commission des Etats pour dire qu'ils étaient opposés.
Cela - et je sors un peu du sujet, mais pas tout à fait, parce que l'on est toujours dans la question de la solidarité - c'est une très grave mise en cause du principe du fédéralisme. En effet, monter les cantons les uns contre les autres, avec un système absurde qui fait que non seulement il y a une péréquation intercantonale ainsi qu'une répartition des tâches entre Confédération et cantons, mais que les cantons qui n'ont jamais payé ce qu'ils auraient dû profitent de la faiblesse de l'Office fédéral de la santé publique pour récolter une compensation supplémentaire, eh bien, c'est une fragilisation de la solidarité des cantons entre eux et donc, au total, du pays.
A tout cela, Mesdames et Messieurs les députés, nous devons être très attentifs. Et pour y rester attentifs, il faut éviter, je crois, de favoriser telle ou telle catégorie. Vous avez raison, c'est terrible pour une famille avec deux jeunes entre 18 et 25 ans, encore aux études, de payer des montants qui s'élèvent à 1500, 2000 voire 2500 F suivant l'assurance à laquelle on est affilié, ce qui prend une part considérable du revenu des familles. Mais le système est ainsi voulu que les compensations - et notamment la compensation des risques qui vient de changer, cela a été dit par deux préopinants - sont réglées par la Confédération et que les subsides aux assurés modestes sont réglés par le canton. Monsieur le député Leyvraz, je sais votre attachement à des politiques sociales ciblées, mais votre volonté de mettre tous les jeunes adultes à un tarif, entre guillemets, «subventionné», parce qu'il faudra bien que d'autres le paient, c'est la garantie d'une part que les gens plus âgés devront payer, cela a déjà été mentionné, et d'autre part que l'on va subventionner toute une partie de jeunes qui n'ont pas besoin de l'être, soit parce que leur famille n'est pas dans le besoin, soit parce qu'ils exercent déjà une profession suffisamment rémunératrice pour qu'ils puissent payer leurs primes. En d'autres termes, c'est la terrible technique de l'arrosoir, que vous avez si souvent reprochée aux systèmes sociaux et que nous avons essayé, au contraire, d'affiner et d'améliorer à Genève.
Enfin, on a parlé de la compensation des risques, et vous connaissez mon avis à cet égard: soit elle fait des progrès avec la première réforme entrée en vigueur le 1er janvier et peut-être la seconde si les modifications de la LAMal sont adoptées le 17 juin par le peuple suisse, soit il faut la supprimer ! On entend assez et depuis longtemps par les assureurs qu'ils sont dans un système concurrentiel, alors mettons-les en concurrence ! Je n'ai jamais vu une marque de voitures subventionner son concurrent au motif d'une compensation des risques parce qu'il deviendrait un peu plus faible. Alors on supprime la compensation des risques et on atteint très vite, peut-être plus vite que par voie d'initiative, la solution dont on rêve tous, à savoir une ou deux caisses - car peut-être que deux caisses sont préférables à une seule, je n'en sais rien - mais en tout cas la disparition de ces 80 caisses absurdes qui se donnent de l'argent sous le manteau pour compenser des risques que personne ne connaît, dans une espèce de machine de Tinguely à laquelle personne ne comprend rien mais dans laquelle on comprend quand même que, s'agissant de la caisse EGK, dont on a beaucoup parlé ce début d'année, on peut, à Genève, augmenter les primes de 30% alors même que les réserves calculatoires genevoises atteignaient 90% !
Mesdames et Messieurs les députés, je vous propose donc de refuser cette proposition de résolution, non pas parce que l'idée est mauvaise, mais parce que la manière dont elle s'appliquerait dans le contexte est inutile voire délétère, et de travailler d'ores et déjà à la conception d'un système dans lequel le nombre d'assureurs sera tellement plus simple qu'on pourra peut-être enfin y voir quelque chose ! Merci de votre attention. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Nous passons maintenant au vote sur cette proposition de résolution.
Mise aux voix, la proposition de résolution 687 est rejetée par 74 non contre 4 oui.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, il existe parfois de petites satisfactions, et il en est une que je souhaiterais partager avec vous: nous avons épuré tous les points anciens de l'ordre du jour. Nous allons donc maintenant passer aux objets nouveaux. (Applaudissements.)