République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 19 avril 2012 à 17h
57e législature - 3e année - 7e session - 37e séance
GR 516-A
Le président. Nous sommes au point 10. Je prie Mme la députée Nathalie Fontanet de bien vouloir s'installer à la table des rapporteurs, afin de nous présenter le dossier de grâce que votre commission a traité. Je prie aussi les membres de l'assemblée de bien vouloir regagner leurs places. Je vous rappelle que le droit de grâce est la première compétence de notre Grand Conseil. Madame le rapporteur, vous avez la parole.
Mme Nathalie Fontanet (L), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la commission de grâce a examiné la demande de M. B. L'objet de cette dernière est le suivant. M. B. demande la grâce, car il estime que, en raison de son grand âge et des maladies dont il souffre - dépression avec risque suicidaire et démence mixte, vasculaire et de type Alzheimer - il ne peut lui être imposé de purger sa peine en prison. Il indique qu'il n'existe pas en Suisse romande d'établissement carcéral adapté au grand âge, susceptible de prendre en compte son état.
Voici les faits. M. B. est né le 7 décembre 1923. Il est de nationalité française et est actuellement âgé de 88 ans. M. B. a été condamné le 29 juin 2010 par la Cour d'assises de Genève à dix ans de prison pour contrainte sexuelle, tentative de contrainte sexuelle, viol et actes préparatoires délictueux commis entre 1993 et 2000 à l'encontre d'un enfant. La Cour d'assises a reconnu le caractère particulièrement abject de tels comportements à l'égard de l'enfant, qui était celle de l'auteur. La Cour a ajouté que le mode d'exécution était ignominieux: isolement culturel, éducatif et social pour fragiliser la victime, et isolement spatial pour passer à l'acte sans risque pour l'auteur. La volonté délictueuse de l'auteur était intense; les mobiles, purement égoïstes. Il sied de préciser que d'autres actes commis étaient déjà prescrits - actes d'ordre sexuel avec enfants, actes de pornographie - et concernaient également deux autres filles de l'auteur.
La Cour d'assises a précisé dans son jugement que l'âge de l'accusé n'a pas été pris en compte de manière indépendante, faute de pathologie avérée et particulièrement lourde qui rendrait la privation de liberté beaucoup plus difficile que pour un autre détenu du même âge. Le certificat médical produit ne faisait pas état d'une pathologie divergeant considérablement de celle des sujets du même âge.
Un pourvoi en cassation a été déposé contre le jugement de la Cour d'assises: il a été rejeté le 14 juin 2011. Dans son pourvoi, M. B. critiquait notamment le fait que la Cour d'assises n'ait pas pris en compte son âge de manière indépendante. La Cour de cassation a estimé qu'il n'y avait pas lieu de prendre en considération l'âge ou l'état de santé de manière indépendante aux autres traits de la personnalité de l'auteur et a rejeté ce grief.
Un recours au Tribunal fédéral a été déposé contre le jugement de la Cour de cassation. Le 10 novembre 2011, le Tribunal fédéral a rejeté le recours entrepris. Dans son recours, le recourant se plaignait également de ce que la Cour n'avait pas tenu compte de l'effet de la peine sur son avenir, vu son âge avancé et son état de santé. Le Tribunal fédéral a estimé que la peine prononcée - qui a été fixée à dix ans, alors qu'elle aurait pu être de quinze - ne pouvait être considérée comme d'une sévérité telle, que les juges auraient dû se voir reprocher un abus.
Selon les certificats médicaux produits depuis son incarcération, M. B. souffre d'un état dépressif avec risque suicidaire, de même que de démence. Son incarcération était en 2010 considérée comme un facteur de détérioration de son état psychique. La démence dont il souffre est d'origine mixte, vasculaire et de type Alzheimer. Ce type de troubles pose des problèmes en milieu carcéral, car ils sont à l'origine de l'isolement du patient.
M. B. a été incarcéré à l'unité cellulaire psychiatrique - UCP - puis transféré à La Brenaz. Le 6 janvier 2011, il était de retour à l'UCP. Toutefois, depuis quelques semaines, il est de nouveau détenu à Champ-Dollon en raison du besoin urgent de places à l'UCP.
Le service d'application des peines et mesures, que la rapporteure a contacté, a confirmé qu'il était conscient de l'état de M. B., en particulier en raison de son grand âge, et que des solutions étaient recherchées. Les EPO - Etablissements de la plaine de l'Orbe - ont ainsi été cités, soit la Colonie, qui est une unité où l'on ne force pas au travail. Il y a toutefois une longue liste d'attente. Le service d'application des peines et mesures a également indiqué qu'une cellule individuelle était nécessaire. Enfin, il a mentionné la prison de Lenzbourg, en Suisse alémanique, qui est une prison adaptée aux personnes âgées. Il a ajouté que la pathologie de M. B. n'en faisait pas un candidat pour Curabilis.
Il est à préciser qu'il n'existe pas en Suisse romande d'établissement pénitentiaire comprenant une division pour les personnes âgées. Seule la prison de Lenzbourg, en Argovie, comprend un tel secteur, et il ne dispose que de douze places. Le placement de M. B. dans cette prison n'était jusqu'à présent pas envisagé compte tenu du fait qu'il ne parle que français.
Les motifs avancés pour justifier la demande sont les suivants. Selon l'avocate de M. B., rencontrée à la mi-mars, l'enfermement de son client participe à la dégradation de son état. Cet argument est effectivement confirmé par un certificat médical du 24 janvier 2010, selon lequel les troubles du patients sont gérables en milieu protégé mais posent de sérieux problèmes en prison. Ils sont une source majeure d'isolement; ils accentuent les difficultés de communication de cet homme en âge avancé, incarcéré dans un milieu difficile en soi en plus de ne pas être adapté à la gestion de ce genre de pathologie. Le maintien en prison risque donc de devenir de plus en plus problématique.
L'avocate estime également que l'on ne peut faire subir à un vieillard les rigueurs de la prison, au risque que sa cellule ne se transforme en tombeau. Elle invoque que M. B. ne constituerait pas un danger pour la société. A cet égard, il est à préciser que l'expertise de M. B. n'a pas porté sur cet aspect, mais sur sa personnalité et sur sa responsabilité, qui a été évaluée pleine et entière. Au niveau du risque de récidive et de la dangerosité de M. B., le psychiatre a indiqué, à la date du procès, qu'il n'était pas en mesure de se déterminer sur l'évolution de M. B. depuis quatre ans, à savoir la date de l'expertise, et qu'il devait faire une nouvelle évaluation, car la dangerosité s'évalue à moyen terme. Il a ajouté que le fait qu'il n'y ait pas eu de passage à l'acte les dernières années ne signifiait pas qu'il y ait contradiction, car les pédophiles peuvent avoir plusieurs méthodes, des passages à l'acte et des moments de tendresse. L'argument avancé par l'avocate n'est donc qu'un sentiment personnel et n'est pas repris par un expert.
L'avocate se réfère ensuite au cas de Maurice Papon, dont les actes commis étaient, selon elle, bien plus graves, et au fait que Maurice Papon n'eut pas à purger l'entier de sa peine et qu'il mourut dans un cadre hospitalier.
L'avocate allègue qu'il n'est pas admissible que M. B. ait à souffrir des carences imputables à l'Etat, lequel n'a pas mis en place de structure carcérale adaptée à des personnes âgées et malades.
La situation est actuellement la suivante. M. B. est aujourd'hui incarcéré à la prison de Champ-Dollon. Rencontré le jeudi 12 avril, M. B. se déplace avec deux béquilles. Il semble qu'il soit placé dans une cellule individuelle, à l'isolement, pour sa propre sécurité. M. B. n'a donc aucun contact avec d'autres détenus. Il était dans un état d'angoisse immense - tremblement, difficulté à respirer, etc. Il a indiqué avoir peur, horriblement peur, et qu'il souhaitait pouvoir retourner à l'UCP. L'entretien a dû être abrégé au vu de son état.
Lors d'un nouvel entretien avec l'avocate, le vendredi 12 avril, celle-ci a indiqué qu'elle s'inquiétait beaucoup pour son client. Elle a également précisé qu'aujourd'hui différentes alternatives étaient étudiées avec le service d'application des peines et mesures. Tout d'abord, ce dernier examinait le transfert de M. B. pour qu'il purge sa peine en France, afin de le rapprocher de sa famille. Il a toujours des contacts avec l'une de ses filles et avec ses petits-enfants; cette personne serait d'ailleurs prête à l'accueillir, s'il était gracié. Le service d'application des peines et mesures examine également le transfert de M. B. pour qu'il purge sa peine dans la prison de Lenzburg. Nonobstant le fait que cette prison est en Suisse alémanique, elle est adaptée aux détenus très âgés. Enfin, un nouveau transfert à l'UCP est également à l'examen.
En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, la commission, à l'unanimité, a estimé que les faits pour lesquels M. B. a été condamné sont graves, très graves. Elle a relevé qu'il était exact que la prison de Champ-Dollon n'est pas adaptée aux détenus de grand âge. Toutefois, elle a pu constater que le service d'application des peines et mesures en est parfaitement conscient et que d'autres solutions sont examinées afin de détenir M. B. dans des conditions plus adaptées. Elle a également relevé que, depuis son incarcération, M. B. a, la plupart du temps, été incarcéré à l'UCP; preuve en est que son état est pris en considération.
La commission a estimé que le grand âge ne donne pas un droit à l'oubli et a donc refusé la grâce, à l'unanimité. La commission vous demande suivre son rapport.
Le président. Je vous remercie, Madame le rapporteur. La parole n'étant pas demandée, je vais mettre aux voix le préavis de la commission, laquelle recommande le rejet de la grâce.
Mis aux voix, le préavis de la commission de grâce (rejet de la grâce) est adopté par 74 oui et 1 abstention.
Le président. Je salue à la tribune les élèves de troisième année de l'école Jean-Piaget, qui nous rendent visite dans le cadre de leur cours de civisme, afin de mieux connaître le fonctionnement de notre parlement et de nos institutions. (Applaudissements.) Ils sont accompagnés par leur enseignante, Mme Brigitte Sauser-Hall. (Applaudissements.)