République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 26 janvier 2012 à 20h30
57e législature - 3e année - 4e session - 19e séance
M 2013
Débat
Le président. Nous sommes au point 41. La parole est à M. le député... Madame le sautier, c'est M. Stéphane Florey qui demande la parole... (Remarque.) Oui, mais ce n'est pas ce qui est affiché sur ma liste ! (Remarque.) Très bien, alors la parole est au premier signataire M. Manuel Tornare.
M. Manuel Tornare (S). Merci, Monsieur le président. Je ne vais pas le rappeler ici, vous connaissez tous l'importance... (Brouhaha. Un instant s'écoule.) ...des intermittents du spectacle pour la culture en Suisse. Vous vous souvenez des débats qui ont eu lieu dans notre pays, comme dans d'autres, sur cet objet et le statut des intermittents. C'est important pour la culture romande, alémanique, romanche et suisse italienne. Tout le monde le reconnaît; vous en êtes certainement assurés les uns et les autres.
Deuxièmement, il faut reconnaître que, au niveau soit du Conseil fédéral, soit du Conseil d'Etat, il y a eu sur ce dossier ces quelques mois et années des avancées sociales, vu la pression médiatique, celle des intermittents du spectacle, des milieux culturels et de ceux qui les soutiennent. Il y a donc eu des avancées grâce au Conseil fédéral et au Conseil d'Etat - et aux Conseils d'Etat dans beaucoup de cantons - grâce à l'assurance-chômage. S'agissant de l'AVS, il y a également eu quelques progrès.
Vous savez qu'il y a aussi des communes dans ce pays - non seulement dans le canton de Genève mais également dans d'autres - qui ont essayé de soutenir les intermittents du spectacle; je vous rappelle le débat qui avait eu lieu à la Ville de Genève en mars 2009. Une ligne budgétaire avait été provisoirement affectée pour le budget de l'année suivante, c'est-à-dire 2010, pour soutenir certains intermittents qui étaient vraiment en grande nécessité. Cela a aussi été le cas d'autres communes du canton, je crois.
Il y a également eu un débat fort intéressant sur ce sujet au Conseil national en septembre 2009. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
Des voix. Chut !
M. Manuel Tornare. Je vois que malheureusement la culture passe au-dessus de certains... Et un débat... (Remarque.) Oh mais je ne suis pas manichéen, c'est autant à gauche qu'à droite, Madame Fontanet !
Au Conseil national, il y a eu un débat fort intéressant en 2009, où je dois dire que - je n'y étais pas, mais je l'ai suivi en lisant le Mémorial - certains ont fait prendre conscience au Conseil fédéral qu'il fallait agir. En partie, grâce à cette nouvelle loi fédérale sur l'encouragement de la culture que je salue - elle aurait pu être meilleure, mais enfin c'est le compromis à la suisse. Elle a été adoptée le 11 décembre 2009 et est entrée en vigueur ce mois-ci. En effet, le 1er janvier 2012 - c'est toujours assez lent en Suisse, mais c'est comme ça, mieux vaut tard que jamais - la nouvelle loi sur l'encouragement de la culture, soit la LEC...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.
M. Manuel Tornare. ...est entrée en vigueur. Il y a quand même une faille, c'est la LPP. Cette loi permet au Conseil fédéral d'aller dans le sens d'une action sociale en faveur de la LPP en l'inscrivant obligatoirement pour les intermittents du spectacle. (Remarque.) Non, j'ai le temps, puisque pour une fois je suis le seul à parler dans mon groupe.
Le président. Ça vous plaît !
M. Manuel Tornare. Nous pouvons donc saisir l'opportunité qu'offre cette faille pour que les cantons suisses demandent au Conseil fédéral qu'il y ait une rectification sociale au niveau de la LPP et que les intermittents du spectacle en bénéficient.
Mesdames et Messieurs, je crois que, que l'on soit de droite, du centre ou de gauche, nous sommes tous sensibles à la situation des intermittents du spectacle. Je rappelle quand même qu'il y a eu de grands artistes suisses, comme Jean-Luc Godard, Michel Simon, Hans Erni, qui ont été à un moment donné de leur existence des intermittents du spectacle, de l'écriture ou de la peinture, et qui ont parfois eu, à leurs débuts, une vie extrêmement difficile. Souvenons-nous que c'est aussi en assurant une vie décente à ces acteurs culturels que nous pourrons favoriser la diversité des cultures suisses de demain. Je vous remercie.
M. Stéphane Florey (UDC). Ce n'est pas la première fois, me semble-t-il, que nous parlons des intermittents du spectacle. Moi je prendrai le problème totalement différemment. Un intermittent du spectacle, il faut bien à un moment donné qu'il en subisse les conséquences. (Commentaires. Brouhaha.) Je suis désolé de vous le dire, mais un artiste reconnu vit de son activité, quel que soit le domaine. On ne peut pas l'imputer à la société, aux assurances-chômage, etc., si malheureusement la personne n'en vit pas ! Quelles qu'en soient les raisons ! Il faut bien qu'elle se dise personnellement: «Je ne vis pas de mon activité, j'en assume les conséquences, donc je dois trouver un autre travail que mon activité artistique pour vivre.» Moi je suis désolé, l'UDC le conçoit ainsi. C'est pour cela que nous refuserons cette motion.
D'autre part, on l'a vu, que ce soit pour l'AVS ou l'assurance-chômage, le problème est exactement le même ! C'est à la personne qui a fait le choix de se lancer dans une profession artistique et qui n'arrive pas à en vivre, malheureusement pour elle, d'en subir et d'en accepter les conséquences. Hélas, s'il lui faut trouver une autre activité professionnelle pour vivre, ma foi, elle se trouvera un vrai travail, et si elle a le temps de pratiquer son activité artistique, elle le fait. Donc si elle arrive à en vivre, tant mieux pour elle, mais dans le cas contraire, ma foi, elle en assume les conséquences et trouve un autre travail.
Pour ces raisons, nous vous proposons et vous demandons de refuser cette motion. Merci. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
M. Henry Rappaz (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, les motions en la matière se suivent depuis plusieurs mois et se ressemblent régulièrement, puisqu'est demandée toujours la même chose, à savoir que les intermittents du spectacle soient un tout petit peu mieux considérés et en particulier du point de vue de leur statut. Certes, de nombreuses améliorations ont déjà été apportées pour répondre aux milieux culturels genevois. Nous le savons ici, beaucoup de personnes sont attachées à la culture et le MCG en particulier, avec son magistrat et moi-même à la commission de la culture. (Brouhaha.)
De nos jours encore, on le sait, le statut d'intermittent s'insère mal dans le système d'assurances sociales, d'où un grand problème à trouver une voie pour pallier cela. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Le député Tornare l'a bien expliqué: par une modification de l'ordonnance sur l'assurance-chômage obligatoire, le Conseil fédéral a permis aux employés du secteur artistique de continuer à bénéficier des indemnités chômage indispensables. Ce qui fut un début d'avancée non négligeable pour les demandeurs.
En ce sens, il est essentiel de soutenir la présente motion et d'inviter une fois encore le Conseil d'Etat à créer une commission cantonale pour élaborer une solution genevoise complétant l'aide fédérale en matière de prévoyance professionnelle. Je vous remercie.
M. Pierre Weiss (L). Mesdames et Messieurs les députés, M. Tornare a eu raison de rappeler les progrès, qu'il qualifie de lents, mais qui sont néanmoins réels - il l'a reconnu - qui ont été accomplis en Suisse dans la question du traitement du statut des intermittents du spectacle. Effectivement, leur situation est délicate pour un certain nombre de raisons, pas seulement à cause du choix de vie des artistes, mais parce que leurs conditions de travail ne s'accommodent pas toujours d'un emploi partiel fixe - même s'il devrait s'agir plus souvent d'un emploi fixe afin de garantir une base de revenus, par exemple au département de l'instruction publique en tant que professeur dans le domaine du dessin ou de la musique. Mais il est vrai que les professions du spectacle impliquent des déplacements, ce qui fait qu'on ne peut pas toujours être sur place; ce sont des métiers en partie de saltimbanque - et je le dis de façon positive ici - qui font qu'un contrat est passé en quelque sorte avec la société, avec comme résultat de devoir trouver des accommodements à des situations particulières.
Cela dit, j'aimerais y apporter deux nuances: la première, c'est que la culture est trop bon marché. Plus exactement, le spectateur, lorsqu'il assiste à une représentation, ne prend pas au sérieux sa responsabilité sociale avec un billet qui serait plus cher, en prenant sur lui de payer effectivement le revenu de l'artiste pour que celui-ci puisse vivre de façon plus digne. En réalité, il ne faut pas seulement demander des efforts à l'Etat, à la collectivité publique, il faut également en demander bien sûr aux artistes, mais aussi à un autre partenaire de ce cercle - finalement, il y a une responsabilité sociale - à savoir le spectateur, qui cherche les billets les meilleur marché possible pour fuir sa responsabilité dans les revenus qui sont accordés aux artistes.
Puis j'aimerais ajouter une deuxième nuance. S'il y a certes une caractéristique spécifique - j'ai dit de saltimbanque - qui peut être attachée au métier d'artiste, ce dernier n'est pas le seul qui se distingue par une intermittence et une irrégularité de revenus. C'est le cas des indépendants de façon générale. Ceux-ci ne sont pas sûrs du jour au lendemain de trouver des clients et c'est un risque qu'ils assument. Les artistes sont dans la situation plus générale des indépendants; et de ce point de vue, il y a également cette prise en considération qui doit être opérée de leur part.
C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, au nom des groupes radical et libéral réunis, je suggère que cette motion soit renvoyée en commission. Je pense que la commission des affaires sociales pourrait dignement s'en occuper, mais la commission de la culture aurait aussi de bonnes raisons de s'y atteler. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député François Gillet.
M. Pierre Weiss. Sur la proposition de renvoi en commission, Monsieur le président ?
Le président. Monsieur le député, vous avez dépassé votre temps de parole de trente secondes ! La parole est à M. François Gillet.
M. François Gillet (PDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, permettez-moi d'abord de m'étonner des propos de notre collègue Florey tout à l'heure, qui semble trouver normal que les personnes qui ont choisi la profession d'artiste paient finalement le prix de cette audace. Quelque part, si j'ai bien compris, il pense logique qu'elles soient dans la précarité à tous les niveaux.
J'aimerais dire, pour avoir participé activement au Rassemblement des artistes et acteurs culturels, que cette préoccupation du statut social des intermittents a été évoquée à plusieurs reprises. Les collectivités publiques présentes ont reconnu maintes fois que cette situation particulière méritait également une attention spécifique. Pour rassurer notre collègue Florey, il ne s'agit pas de fonctionnariser les artistes du canton, mais juste de reconnaître que ce statut précaire particulier nécessite également un traitement distinct, tout spécialement sur la question de la prévoyance professionnelle.
Alors, chers collègues, je crois que la proposition de motion qui nous occupe ce soir a encore son sens malgré le fait que les choses s'améliorent au plan fédéral. Comme mon collègue Weiss, je considère que la motion mérite d'être étudiée en commission. Au nom du groupe démocrate-chrétien, je trouverais normal qu'elle soit traitée par la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport, en parallèle avec la nouvelle loi sur la culture qui vient de nous être renvoyée; il y a un lien évident entre ces deux textes. En traitant la nouvelle loi sur la culture, nous aurons l'occasion d'examiner dans quelle mesure le Conseil d'Etat a pris en compte les préoccupations légitimes des intermittents. Je propose donc que cette motion soit renvoyée à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport. Merci.
Mme Mathilde Captyn (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, la phrase du jour, je vous la cite: «Un intermittent du spectacle, il faut bien à un moment donné qu'il en subisse les conséquences.» C'était M. Florey il y a quelques instants qui nous disait qu'effectivement les intermittents du spectacle subissent les conséquences de leur choix ou de leur besoin, de leur devoir de créer. Cela a comme conséquence très concrète que la retraite d'un intermittent du spectacle doit avoisiner 1000 F, 1500 F, 2000 F au maximum, en tout cas pas plus que le premier pilier de l'AVS. Voilà pour leur situation financière souvent très difficile.
Comme l'a dit mon préopinant, la question du deuxième pilier est effectivement une revendication qui a très souvent été discutée dans le cadre des milieux culturels. La loi sur la culture, qui vient d'être déposée, en parle aussi. C'est la raison pour laquelle le groupe des Verts réservera évidemment un bon accueil à cette motion, si possible pour la renvoyer directement au Conseil d'Etat, sinon à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport. En tout cas, nous soutenons fortement son invite. Je vous remercie.
M. Pascal Spuhler (MCG). Effectivement - vous transmettrez, Monsieur le président - les propos de M. Florey de tout à l'heure étaient un peu choquants. Les intermittents du spectacle, en Suisse et à Genève en particulier, ce ne sont pas des stars hollywoodiennes; ils ne sont pas payés des millions. On sait bien à quel point c'est difficile pour les gens qui exercent cette profession, qu'il s'agisse d'artistes du théâtre, de l'opéra, du chant, de la danse, etc. Nous parlons bien de gens qui essaient de se battre jour après jour pour avoir des mandats et obtenir des cachets - pour cachetonner, comme on dit dans le métier - ce qui n'est pas évident.
Par conséquent, il est important que la commission sociale se penche sur ce problème. Il est essentiel de pouvoir considérer la retraite de ces gens qui travaillent. Il ne faut pas croire qu'ils ne travaillent pas ! Mais les cachets ne sont pas faciles à obtenir; beaucoup d'artistes essaient de s'exporter à l'étranger, sachant qu'ils y gagneront davantage. Ce n'est cependant pas évident pour tout le monde. Je ne peux dès lors que vous recommander de renvoyer ce projet de motion en commission.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Manuel Tornare. Il vous reste deux minutes trente-cinq de bonheur.
M. Manuel Tornare (S). Merci, Monsieur le président. Une personnalité politique que nous avons oubliée à Genève - je ne dirai pas laquelle par charité chrétienne ! - disait il y a trente ans que les artistes doivent être pauvres pour être de bons créateurs ! Cette phrase ridicule, nous l'avons heureusement oubliée. Je crois que l'on pourrait aussi se dire que les politiciens devraient être plus pauvres pour être meilleurs. A mon avis, ce sont des questions hors sujet et idiotes.
Cela dit, il y a encore une nouvelle donne qui est arrivée dans le débat politique lié à cette problématique depuis trente ans, c'est internet. (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Il est vrai que non seulement à Hollywood, mais aussi chez nous, les droits d'auteur sont le plus souvent absents de la fiche de paie des créateurs, avec tous les problèmes que cela peut engendrer. Il s'agit donc aussi d'un fait supplémentaire qui malheureusement pénalise les intermittents du spectacle.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je vais soumettre au vote le renvoi de cette motion à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2013 à la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport est adopté par 71 oui et 1 abstention.