République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 septembre 2011 à 20h30
57e législature - 2e année - 11e session - 70e séance
M 2017
Débat
Mme Irène Buche (S). Mesdames et Messieurs les députés, pour expliquer l'origine et la nécessité du projet proposé dans cette motion, j'aimerais simplement rappeler l'implacable dureté des règles du droit du bail en matière d'évacuation pour défaut de paiement du loyer.
Comme vous le savez, le code des obligations suisse prévoit qu'en cas de retard dans le paiement de son loyer le locataire peut être mis en demeure de verser l'arriéré dans un délai de trente jours et, s'il ne s'exécute pas dans ce délai, son bail peut être résilié. Même le retard d'un seul mois de loyer peut entraîner une telle résiliation ! Et, surtout, il arrive fréquemment - malheureusement trop fréquemment - que le bailleur, même si le locataire a payé son arriéré après coup, maintienne la résiliation et exige l'évacuation. Il est donc essentiel de trouver des solutions en amont pour éviter que des baux soient résiliés pour ce genre de motif.
L'une de ces solutions serait peut-être - il y en a certainement d'autres - de créer un fonds cantonal de prêt qui permettrait au locataire en retard dans le paiement de son loyer d'emprunter le montant nécessaire, dans un délai très bref, et de payer son loyer en retard dans le délai de trente jours de la mise en demeure, ce qui permettrait d'éviter la résiliation du bail.
Alors, bien évidemment, il s'agirait d'un prêt et non pas d'une aide non remboursable, ce qui est effectivement assez logique puisque le but est d'aider le locataire à régler un problème passager et éviter ainsi la résiliation de son bail.
Ce fonds aurait aussi sa raison d'être pour des locataires dont le bail a déjà été résilié pour ce motif, mais dont le bailleur est d'accord de revenir sur la résiliation si l'arriéré est payé. Cela concernera notamment et surtout des locataires qui n'ont pas accès aux prestations de l'Hospice général parce qu'ils ne remplissent pas les conditions. Certains diront peut-être que l'Hospice général peut intervenir dans ce genre de situation, mais ce n'est pas le cas quand les locataires ne remplissent pas les conditions d'octroi des prestations de l'Hospice.
Il nous a semblé également que l'organisme le mieux outillé pour gérer un tel fonds serait l'office du logement... Cela étant, tout cela doit être discuté et examiné, raison pour laquelle le groupe socialiste propose le renvoi de cette motion à la commission du logement, justement pour qu'elle y soit examinée et discutée.
M. Christo Ivanov (UDC). La proposition de motion 2017 demande la création d'un fonds cantonal de prêt aux locataires. Je crois que nous sommes tous conscients que de nombreux locataires ont des fins de mois difficiles et de la peine à payer leur loyer. Malheureusement, cette motion propose ni plus ni moins que l'Etat se substitue aux citoyens ou aux citoyennes en difficulté financière. Il s'agit là, aux yeux du groupe UDC, d'une véritable déresponsabilisation des locataires. Pire, cela ressemble même à un encouragement des locataires à ne plus payer leur loyer !
Néanmoins, la problématique est réelle et mérite notre attention. C'est pourquoi le groupe UDC soutiendra le renvoi de cette motion à la commission du logement.
Mme Sylvia Nissim (Ve). Nous en avons beaucoup parlé au sein de cette enceinte - et tout le monde le reconnaît, quelle que soit sa couleur politique - la crise du logement est un fait. Cette crise a de nombreuses causes, mais aussi clairement de nombreux effets.
Cette dernière année, on a vu les loyers augmenter de plus de 2%, et cette hausse des loyers a un double impact. D'abord, elle encourage les bailleurs à résilier les baux chaque fois qu'ils le peuvent parce que, forcément, une résiliation de bail entraîne une augmentation de loyer, et donc de leur intérêt. Ensuite, elle impacte bien évidemment les locataires, qui voient la part de leurs dépenses ménagères augmenter en raison de la hausse des loyers.
Les Verts soutiendront donc le renvoi de cette motion en commission. Contrairement à nos collègues d'en face, nous considérons que ces personnes ne sont pas encouragées à ne pas payer leur loyer. Si le nombre de personnes en difficulté qui voient leurs baux résiliés augmente, c'est justement en raison de la hausse du prix des loyers.
Nous soutiendrons le renvoi de cette motion à la commission du logement, et nous vous remercions de faire de même.
M. Serge Dal Busco (PDC). Mesdames et Messieurs, chers collègues, nous soutiendrons également le renvoi en commission. Nous constatons effectivement qu'un certain nombre de citoyens ont des difficultés en la matière. Nous constatons également, comme cela a été indiqué par Mme Buche, que les moins privilégiés d'entre nous peuvent bénéficier d'un certain nombre d'aides, mais ce n'est pas le cas pour les personnes de la classe dite moyenne. Ces personnes peuvent aussi connaître des difficultés passagères, et les aider à surmonter une passe difficile est une idée qui mérite d'être étudiée.
Je voudrais également signaler - contrairement à ce que pensent peut-être les représentants de l'ASLOCA - que certains bailleurs font aussi partie de la classe moyenne. Ils ont un petit bien immobilier et font souvent preuve de beaucoup de compréhension à l'égard de leurs locataires, mais certains se retrouvent - j'en connais - le bec dans l'eau justement en raison de leur trop grande mansuétude. Une fois les délais de garantie passés, ils se retrouvent avec des mois et des mois de loyers impayés. Par conséquent, un tel instrument - qu'il prenne la forme qui est proposée ou une autre forme - pourrait aussi présenter un intérêt pour cette catégorie de bailleurs.
Tout cela doit être examiné en commission - en commission du logement - et nous sommes bien sûr favorables au renvoi de cet objet dans cette commission.
M. Jacques Béné (L). Eh bien, d'une certaine manière, je trouve que c'est une bonne idée... C'est même une excellente idée ! Dans un Etat idéal, je trouve assez super que l'Etat puisse garantir tout ou à peu près tout...
Mme Buche, comme à son habitude, n'étant pas contente du nouveau code de procédure fédérale - elle n'a pas réussi à rallonger les procédures au niveau cantonal, parce que ce n'est pas possible - essaie maintenant d'obtenir des garanties pour les locataires. Mais ainsi, ce qui va se produire - c'est ce que je crains, parce que nous ne sommes malheureusement pas dans un Etat idéal - c'est que vous allez certes faire le bonheur des locataires, mais aussi celui des bailleurs. Je m'explique: au lieu de prendre des arrangements, ces derniers vont tous refuser d'arranger les locataires. Il sera plus facile pour eux de ne pas trouver d'arrangements avec les locataires et que l'Etat prête de l'argent à ces derniers pour qu'ils puissent verser leur loyer plutôt que de prendre le risque que l'arrangement ne soit pas respecté et de se retrouver dans la même situation quelques mois après. C'est très bien: vous allez satisfaire tout le monde !
Quoi qu'il en soit, nous sommes également favorables au renvoi de cette motion en commission. Cela nous permettra de l'étudier, de voir le coût que cela peut représenter et la manière de l'intégrer dans le budget 2012-2013-2014. Ce sera intéressant, car pour donner de telles garanties, il ne faut pas compter en centimes ou en centaines de francs, mais en millions et en centaines de millions !
Aussi, vous ne nous en voudrez pas si, par principe d'équité, nous rajoutons une invite - la même que celle qui est proposée dans cette motion - dans laquelle le mot «locataires» serait remplacé par «propriétaires», «loyer» par «intérêts hypothécaires» et «résiliation de bail» par «réalisation de gages immobiliers». Mais nous discuterons de tout cela en commission, et nous verrons bien à quoi nous aboutirons. Et il faudra surtout que vous nous proposiez des solutions pour financer l'arsenal législatif que vous souhaitez mettre en place. S'il y a des solutions, c'est bien volontiers que nous les entendrons, mais pour autant qu'elles soient équitables.
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, cette motion vous embête... Cette motion du parti socialiste vous pose un problème politique... Cette motion vous rend tous hypocrites vis-à-vis de la population... En effet, vous utilisez la voie diplomatique en acceptant de la renvoyer en commission. Eh oui !
Mais c'est le résultat de votre politique, Mesdames et Messieurs ! Et, sur le fond, les socialistes ont parfaitement raison: beaucoup de Genevois n'arrivent plus à payer leur loyer. Avant, le loyer représentait 15% du revenu, mais aujourd'hui il représente 50%, voire plus. A cela, vous ajoutez les primes d'assurance-maladie, les frais de la vie courante, les enfants qui vont à l'école, et ça donne quoi ? Des Genevois dans la merde... (Exclamations.) ...qui n'arrivent plus à payer leur loyer ! Oui, Mesdames et Messieurs, cela vous embête d'entendre le langage cru de nos citoyens: c'est pourtant la réalité !
Le seul à ne pas avoir été hypocrite aujourd'hui, c'est M. Béné, du parti libéral... (L'orateur est interpellé.) Oui, il est quand même d'accord de renvoyer cette motion en commission, mais c'est le seul à avoir dit quelque chose de sensé ! Vous critiquez parfois le MCG, parce que, selon vous, il propose des textes démagos... Alors, si celui-ci n'est pas démago, je m'appelle Rabbi Jacob ! (Commentaires.) Non, mais franchement, Mesdames et Messieurs les députés, comment voulez-vous que l'Etat puisse soutenir une telle mesure ? Tant que vous y êtes, faites une motion proposant d'annuler tous les impôts des citoyens, de rendre les loyers gratuits...
Une voix. On rase gratis !
M. Eric Stauffer. On rase gratis: exactement ! C'était le slogan ! Il faut être un peu sérieux...
Mesdames et Messieurs, il n'y a qu'un moyen pour aller dans le sens de cette motion - et vous l'avez refusé hier par vote nominal - c'est de déclasser des terrains pour construire des logements, afin de faire baisser le prix des loyers !
En fin de compte, on voit très bien comment les choses se passent... D'un côté, la gauche propose de créer un fonds pour les pauvres Genevois qui ne peuvent plus payer leur loyer et, ainsi, celle-ci peut se targuer de défendre ces locataires en disant que le Grand Conseil a refusé sa proposition. De l'autre, il y a ceux qui ne veulent pas construire... Pour quelle raison ? Mais parce que c'est très intéressant de pratiquer des loyers élevés ! Mesdames et Messieurs les députés, pourquoi n'allez-vous pas vous balader dans les multinationales - vous savez, celles qu'on fait venir chez nous à coups d'abattements fiscaux ?
Le président. Monsieur Stauffer, il vous reste trente secondes !
M. Eric Stauffer. Je vais conclure ! Allez à la cafétéria et regardez ce qu'il y a à louer: des cinq-pièces à 8000 F, des quatre-pièces à 6000 F ! C'est ça, le résultat de votre politique ! Alors, finalement, qui sont les hypocrites ? Eh bien, c'est la gauche et c'est la droite ! (Commentaires.)
Mesdames et Messieurs, nous nous abstiendrons en ce qui concerne le renvoi en commission. Bien que cette motion soit bonne sur le fond, elle ne sert à rien ! Et le signal que nous voulons vous donner...
Le président. Monsieur le député, vous devez conclure !
M. Eric Stauffer. Je conclus ! ...c'est qu'il faut construire pour casser les prix des loyers. C'est l'histoire de l'offre et de la demande ! Les grands mathématiciens du parti libéral le savent bien !
Le président. Monsieur le député, vous devez conclure !
M. Eric Stauffer. Je conclus, Monsieur le président !
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Eric Bertinat.
M. Eric Bertinat (UDC). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, je n'aurai pas besoin de hurler pour faire connaître ma position, qui est évidemment la même que celle exprimée par mon collègue Ivanov. (Exclamations.)
Je voudrais simplement attirer l'attention de ce parlement sur un point... Je ne sais pas combien d'entre vous ont eu des problèmes pour régler leur loyer et combien ont connu les affres et la dureté du Tribunal des baux et loyers. Quoi qu'il en soit, l'un des considérants mentionne le problème que connaît une frange de la population, qui rencontre des difficultés momentanées pour régler son loyer et qui n'a pas envie d'aller à l'Hospice général. Alors, je ne sais pas si la solution réside dans le fait de prêter de l'argent, mais toujours est-il que c'est une solution qui nous est proposée.
L'UDC est d'accord de renvoyer cette motion en commission pour pouvoir analyser le problème, pour savoir ce qu'il en est exactement et combien de personnes pourraient avoir besoin de ce fonds de secours. M. Béné a évoqué une somme qui se compte en centaines de millions: je n'ai pas l'impression que la situation est à ce point mauvaise. Alors étudions cette motion: un rapport précis nous permettra d'évaluer la situation et la part de la population qui souffre à Genève. C'est vrai que les loyers y sont très élevés: ils représentent bien plus que 30% des revenus, montant supportable lorsqu'on touche un salaire normal.
Enfin, je ne pense pas, contrairement à M. Stauffer, que la construction de nouveaux logements va forcer les propriétaires à revoir le prix des loyers à la baisse. Genève est dans une dynamique de coût de la vie très élevé, et il faudra bien trouver des solutions pour la population qui travaille, je le répète, mais qui n'arrive pas forcément à joindre les deux bouts tous les mois.
Une voix. Bravo Eric !
Mme Loly Bolay (S). Certains, avant de prendre la parole, devraient lire les considérants et l'invite de cette motion... Quel est le but de cette motion ? Elle vise tout simplement - ma collègue vous l'a indiqué - à créer un fonds. Aujourd'hui, beaucoup de locataires - parmi eux, bien entendu, il y a également de nombreux membres du MCG, car j'imagine qu'ils ne sont pas tous propriétaires - sont ou seront touchés par ce type de difficultés.
Mais il n'y a pas que les locataires, Mesdames et Messieurs les députés ! Et je vais vous raconter une histoire: une histoire vraie... Un Italien, qui est arrivé à Genève dans les années 60, a ouvert une carrosserie à Carouge et employait des salariés. Tout allait bien jusqu'en 2009, date à laquelle il a rencontré des problèmes de financement dans sa carrosserie - ce qui peut arriver chez tous les indépendants - ce qui fait qu'il s'est retrouvé en retard d'un mois pour régler son loyer. Qu'est-il arrivé ? Eh bien, il a reçu son congé en 2010. Je suis allée le voir, mais nous n'avons rien pu faire: rien du tout ! Cet homme, à l'aube de sa retraite - deux ans avant - se retrouve sans son outil de travail et en train de licencier les personnes qui travaillaient pour lui depuis des années...
Que propose cette motion ? Tout simplement de créer un fonds, et je cite le dernier considérant: «que l'octroi de chaque prêt devra être assorti de la signature d'une reconnaissance de dette et d'un plan de remboursement». Si ce fonds avait existé au moment où cette personne a connu des problèmes, elle n'aurait perdu ni son outil de travail, ni sa fierté, ni sa dignité. Et aujourd'hui, nous en sommes là: beaucoup de personnes perdent leur emploi et rencontrent des difficultés temporaires qui ne leur permettent pas d'honorer leurs factures.
Monsieur Béné, vous nous dites que cela va coûter des millions... Mais les forfaits fiscaux, le bouclier fiscal, combien de millions coûtent-ils à la république ? Mais cela ne vous gêne pas de faire des cadeaux aux plus riches ! Nous, si ! Vous avez accepté de renvoyer...
Le président. Madame la députée, il vous reste trente secondes !
Mme Loly Bolay. Monsieur le président, s'il vous plaît, je suis en plein dans la motion, et j'ai encore du temps !
Le président. Il vous reste quand même trente secondes !
Mme Loly Bolay. Je n'ai pas épuisé les trois minutes imparties ! Je vous le dis, Mesdames et Messieurs les députés: il faut absolument que cette motion soit étudiée sérieusement en commission pour aider aujourd'hui les plus démunis de notre société - qu'ils soient locataires ou qu'ils soient des indépendants qui créent des emplois - à se sortir de situations qui sont extrêmement difficiles à vivre ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes saisis d'une demande de renvoi...
Une voix. Appel nominal !
Le président. Etes-vous suivie, Madame la députée ? (Plusieurs mains se lèvent.) Bien. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes saisis d'une demande de renvoi à la commission du logement.
Mis aux voix à l'appel nominal, le renvoi de la proposition de motion 2017 à la commission du logement est adopté par 49 oui contre 8 non et 9 abstentions.