République et canton de Genève

Grand Conseil

M 2010
Proposition de motion de Mmes et MM. Michel Forni, Anne Mahrer, Anne Marie von Arx-Vernon, Alain Charbonnier, Mathilde Captyn, Emilie Flamand, Philippe Schaller, Elisabeth Chatelain, Sophie Forster Carbonnier, François Lefort, Serge Dal Busco, Miguel Limpo, Nathalie Fontanet, Pierre Losio, Christian Dandrès, Patrick Saudan, Florian Gander, Anne Emery-Torracinta, Vincent Maitre, Loly Bolay, Guy Mettan, Roberto Broggini, Serge Hiltpold, Bertrand Buchs, Olivier Norer, Philippe Morel, Mathilde Chaix, Antoine Barde, Fabienne Gautier, Francis Walpen, Michel Ducret, Roger Deneys, Marie-Thérèse Engelberts, Catherine Baud, Brigitte Schneider-Bidaux, Christiane Favre : Cancer du sein : une priorité de santé publique incontournable

Débat

Le président. Nous traitons ce point en urgence. C'est un débat de catégorie II: trois minutes par groupe. La parole est à Mme la députée Anne Mahrer.

Mme Anne Mahrer (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je crois que les politiques ont compris le message. Les spécialistes des HUG s'activent avec un nouveau projet de centre coordonné et translationnel pour les études du cancer dès octobre prochain, avec un nouveau responsable. C'est pour cela que nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette proposition de motion à la commission de la santé, afin de donner un nouvel élan à ce projet, en collaboration avec les HUG, de proposer également une collaboration avec le canton de Vaud - puisque le Grand Conseil vaudois a déposé un postulat qui a été accepté et très bien accueilli par M. Pierre-Yves Maillard - et, pourquoi pas, de proposer aussi une collaboration avec les autres cantons romands intéressés. Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de renvoyer cet objet à la commission de la santé.

Mme Anne Emery-Torracinta (S). Mesdames et Messieurs les députés, quand on parle du cancer du sein, on ne se rend pas toujours compte du l'ampleur du phénomène. Ici, dans cette salle, nous sommes, si je compte avec les conseillères d'Etat, trente-trois femmes. Eh bien, malheureusement, selon les statistiques, quatre d'entre nous devraient avoir - ont déjà eu ou auront, un jour ou l'autre - un cancer du sein. Quand on parle du cancer du sein, on oublie aussi que, indépendamment du pronostic vital, le traitement est extrêmement lourd et - c'est ce que j'aimerais ajouter aux propos de Mme Mahrer - qu'il engendre aussi, lui-même, des effets que l'on appelle les effets adverses du cancer. Autrement dit, on peut guérir du cancer, mais l'on en guérit avec des séquelles, avec un certain nombre de problèmes. On peut avoir des problèmes quant à sa santé, par exemple des problèmes cardiaques, de sorte que, dix ou quinze ans après que votre cancer a été guéri, vous puissiez mourir d'un infarctus. Vous pouvez avoir également, selon votre situation personnelle financière, des problèmes économiques et financiers, parce que vous aurez des séquelles au niveau des yeux ou des dents, par exemple, et que les soins ne sont pas remboursés par l'assurance-maladie. Vous aurez des problèmes peut-être dans votre vie familiale, dans votre vie intime, dans votre carrière professionnelle, etc.

Donc, c'est un problème qui est réel. Et il est d'autant plus grave - voici la nouveauté, ces dernières années - que l'on constate qu'il ne touche plus seulement les femmes dès 50 ans, les femmes ménopausées notamment, mais aussi davantage de jeunes femmes. M. Forni, dans son exposé des motifs, rappelle que, à Genève, la femme la plus jeune ayant eu un cancer du sein avait 22 ans.

Et c'est cette problématique que veut traiter tout particulièrement la proposition de motion: essayer de comprendre quels sont les facteurs de risque qui amènent à développer un cancer chez les femmes, et principalement les jeunes femmes. Il s'agit là véritablement d'un problème de santé publique et je crois qu'il est sage de renvoyer cette proposition de motion en commission, afin que nous ayons quelques éléments par rapport à l'enquête qui va être menée à ce sujet. Je vous remercie d'accepter ce renvoi en commission.

Mme Christina Meissner (UDC). Le cancer, il est vrai, est la maladie des sociétés dites civilisées. Effectivement, on ne meurt plus aujourd'hui ni de faim, ni de froid, ni de la grippe. Les hommes ne meurent plus sur les champs de bataille et les femmes ne meurent plus en couches, et j'espère qu'elles ne mourront plus d'avortement clandestin. Alors forcément, on vit plus vieux, nos cellules finissent par faire n'importe quoi et le cancer apparaît. A force de prévention - eh oui, nous avons pas mal de prévention - les facteurs de risque favorisant l'apparition du cancer sont connus: l'âge, les antécédents familiaux, l'absence de grossesse, la prise à long terme de traitement hormonal pour la ménopause, peut-être même la pilule contraceptive, ainsi que - et c'est valable pour tous les cancers - le surpoids, la mauvaise alimentation, le manque d'activités sportives, la consommation d'alcool ou de tabac. Donc les moyens de diminuer une bonne partie des facteurs de risque, nous les connaissons. Or que fait-on ? Eh bien on ne fait rien ! On continue à manger, à devenir de plus en plus obèses, même les enfants, et on reste de plus en plus scotchés derrière notre écran d'ordinateur.

Alors qu'est-ce qu'une étude de plus de 3 millions de francs pourrait nous apporter de plus ? Nous dire que l'eau, que l'air, et probablement tous les pesticides et rayonnements que nous absorbons, sont responsables ? Certainement. Très certainement. Ensuite, nous aurons la satisfaction d'avoir pu identifier des causes qui nous font mourir, mais nous ne changerons rien à notre train de vie civilisée.

Je suis la première concernée - d'ailleurs, il semblerait que ce ne soit que les femmes qui parlent ce soir, et c'est tant mieux ! Bien que je sois la première concernée - je fume, je bois... (Exclamations.) ...et je suis une femme - je ne comprends pas surtout une chose: ce que vient faire l'urgence, et un projet de loi, pour un programme de recherche au parlement ! Cela, je ne le comprends pas. La recherche est libre, je l'espère encore. (Brouhaha.) Nous votons des budgets pour les universités et pour la recherche; je ne comprends pas comment nous pouvons nous immiscer dans la recherche, à moins, évidemment, que cette recherche pour «élucider les risques encourus par les femmes [...] du canton de Genève» - je cite l'invite - nous soit proposée pour satisfaire l'appétit des pharmas. Là en tout cas, je ne marche pas ! Et l'UDC non plus.

Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG). Je voudrais d'abord adresser mes remerciements aux personnes qui ont déposé cette proposition de motion, à M. Forni en particulier. Mais depuis qu'elle a été déposée, c'est vrai qu'elle fait l'objet d'une fronde un peu sournoise, ou telle qu'elle vient d'être décrite, à la fois lancée par certaines querelles dans le monde médical concerné et celui de la recherche.

En fait, cela m'est complètement égal ! J'aimerais relever que le sujet est pertinent et angoissant, et qu'il est à l'urgence. Si, parmi nous, certaines d'entre nous ont subi ce genre d'interventions et de difficultés, elles savent - il s'agit là des femmes, cela pourrait être des hommes pour d'autres problématiques - que, assurément, nous sommes directement concernées. Elles ont suivi des traitements lourds, qui se calculent non pas en jours ni en mois, mais en années. Il y a le temps de la chirurgie d'abord, de la chimio, des rayons, par exemple, et j'en passe. Mais il y a surtout cette épée de Damoclès au-dessus de la tête: une rechute, etc.

On va dire qu'il ne faut pas faire pleurer dans les chaumières, nous sommes bien d'accord. En même temps, les querelles intestines des milieux médicaux ou de la recherche sont relativement peu intéressantes pour nous. Je pense que le MCG sera d'accord de soutenir cette proposition de motion pour qu'elle parte à la commission de la santé, où là pourront s'expliquer des personnes qui sont compétentes et qui auront entendu le message déposé ce soir.

M. Michel Forni (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, comme vous l'avez parfaitement saisi, cette proposition de motion repose sur deux volets. Le premier est un problème de santé publique, cela a été relevé ce soir. Nous avons pris conscience du problème et notre empathie est tout à fait sincère. D'autre part, il y a bien sûr une étude, qui présente quelques maladies de jeunesse et qui coûte cher, mais qui est censée arriver - dans un climat parfois difficile. Je tiens cependant à rassurer les uns et les autres: il n'y a aucune collusion avec l'industrie. La méthodologie est peut-être particulière. Enfin, comme vous l'avez dit, il y a eu des conflits.

En revanche, cela a débouché sur une prise de conscience, je dirai surtout sur un développement, une coordination de ce projet, grâce à une ouverture des HUG. Cela nous permet non pas d'envoyer la proposition de motion dans la naphtaline, avec des caprices d'épidémiologistes, mais, au contraire, de la renvoyer à la commission de la santé, où l'on peut tout à fait évoquer cette coordination d'un projet pouvant être intrahospitalier, pouvant être coordonné grâce à l'arrivée d'un nouveau patron de cancérologie à Genève - qui est un homme raisonnable avec lequel nous pouvons discuter - et permettant aussi d'optimiser les programmes de recherche également sous un angle économique.

C'est la raison pour laquelle, sans vouloir épiloguer, nous vous proposons, non pas de dégager, mais de renvoyer cet objet à la commission de la santé, pour qu'il puisse être traité comme cela doit être le cas. Merci de votre attention et de vos efforts.

M. Pierre Conne (R). Mesdames et Messieurs, mes propos vont se placer sur deux niveaux. D'abord, il y a évidemment le niveau du problème de santé publique représenté par le cancer du sein, qui est un problème majeur. Le deuxième niveau sera de traiter, finalement, du coeur de la proposition de motion, laquelle nous demande de financer une recherche spécifique dans un domaine du cancer.

Le caractère majeur du problème de santé que représente le cancer du sein, touchant notamment les femmes jeunes, est unanimement reconnu. Mieux comprendre le phénomène, pour le prévenir et pour guérir de ce fléau, justifie que des travaux de recherche soient menés. Mais tout travail de recherche doit être fondé sur une méthodologie sans faille, afin de pouvoir répondre aux questions qui se posent, justifier les frais engendrés et surtout ne pas donner de faux espoirs aux personnes qui attendent des remèdes.

Apparemment, l'étude pour laquelle un financement de plus de 3 millions est demandé ne répond pas aux exigences méthodologiques requises, car aucun organisme officiel de financement ne la soutient. Les chances d'aboutir de cette étude sont également compromises, car les spécialistes hospitalo-universitaires et les médecins en charge des femmes concernées sont tenus à l'écart du projet à l'heure actuelle. Voyez-vous, le principal problème que pose spécifiquement cette proposition de motion tient au fait qu'il existe des organes et des mécanismes de financement officiels pour évaluer la valeur scientifique et méthodologique d'une étude, et que la présente démarche tend à les contourner.

Mesdames et Messieurs, compte tenu de la gravité du problème que représente le cancer du sein, le PLR propose de renvoyer cet objet à la commission de la santé, afin que toutes les questions qu'il soulève aujourd'hui y soient traitées de manière approfondie. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Pierre Weiss (L). Mesdames et Messieurs les députés, je voudrais m'associer aux propos qui ont été prononcés par mon collègue Pierre Conne, qui posent un problème plus général, un problème de financement d'étude, de recherche. Dans quelle mesure ce parlement peut-il agir à titre subsidiaire lorsque des problèmes aussi sérieux de santé publique que le cancer du sein sont posés ? Mais il y a d'autres problèmes de santé publique qui pourraient nécessiter aussi de notre part une intervention. Donc, dans quelle mesure ce parlement peut-il et doit-il agir à titre subsidiaire lorsque des organismes spécialement chargés de recherche, tel le Fonds national suisse de la recherche scientifique, refusent d'entrer en matière ? Refusent-ils d'entrer en matière parce que la méthode est, comme il l'a été dit tout à l'heure, particulière, au sens de novatrice peut-être, voire audacieuse dans ses aspects méthodologiques ? Est-ce parce qu'il y a incompatibilité entre les déposants et les examinateurs dudit projet de recherche ? Il y a donc, au préalable, des questions de ce type qui se posent pour l'engagement de fonds publics qui sont les nôtres.

Ensuite, il y a probablement des questions d'arbitrage - d'abord de précédents, puis d'arbitrage. Il y a des questions de précédents pour les autres problèmes de santé publique que nous serions peut-être appelés à devoir examiner ici, pour lesquels des requêtes pourraient être présentées, avec le même sérieux, la même importance, la même nécessité, par les membres de ce parlement. Il y a des questions d'arbitrage ensuite, compte tenu des responsabilités qui sont les nôtres dans l'affectation de l'argent public pour les tâches auxquelles nous avons prioritairement vocation de répondre, et pour d'autres qui sont peut-être de la responsabilité primaire d'organismes fédéraux ou privés, par exemple des fondations pour l'étude du cancer affectées au développement d'études, y compris d'études novatrices.

Voilà pourquoi je pense que c'est une excellente idée de renvoyer cette proposition de motion à la commission de la santé, pour que ce genre de préoccupations soient aussi étudiées, avant qu'une décision finale ne soit prise au sujet de cet objet.

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, vous l'avez toutes et tous dit, le cancer du sein est un fléau, puisque c'est le cancer qui tue 20% des femmes qui vont mourir d'un cancer. A cet égard, il est d'une gravité toute particulière, quand bien même un certain nombre de progrès ont été faits. Vous avez, Madame la députée, très bien décrit que le simple fait d'en guérir sur le plan de l'absence de cellules tumorales résiduelles n'était pas du tout forcément la solution à l'ensemble des problèmes que rencontrent les femmes, par la suite, en raison de séquelles, qu'elles soient physiques ou psychiques, et même psychosociales. A vrai dire, un gros travail a été fait ces dernières années à Genève, notamment par une association qui a fédéré des femmes ayant souffert d'un cancer du sein ou en souffrant toujours. Elle a, au même titre que les diabétiques, enseigné aux soignants ce qu'était le parcours de vie, de telle manière que, avec modestie, les soignants soient à leur tour enclins à apprendre des choses de celles qu'ils avaient soignées. Cela a été un travail tout à fait remarquable, qui doit continuer.

Vous le savez sans doute - ou cela a été dit tout à l'heure - le cancer du sein est l'un des axes stratégiques forts du nouveau plan stratégique des Hôpitaux universitaires de Genève. C'est la raison pour laquelle un centre consacré au cancer du sein va être ouvert, qu'il sera dirigé par Mme la professeure Castiglione, ancienne patronne de la SAKK, l'association faîtière, au fond, de tous les cancérologues de Suisse, et qu'elle fera une recherche de pointe dans tous les domaines concernés, qu'il s'agisse de l'épidémiologie ou de la génétique - un très grand spécialiste était à Genève, aux Hôpitaux; il est toujours à Genève mais s'est installé dans une clinique - et dans la recherche dite translationnelle, c'est-à-dire là où les échanges entre les soignants et les patients, et l'enseignement que l'on peut en tirer, sont particulièrement pris en compte. De cela, Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat est tout à fait conscient.

En revanche, pour vous parler très franchement, une proposition de motion comme celle-là, pour moi, est le fruit d'une instrumentalisation. C'est un terme que je n'aime pas beaucoup utiliser, mais la vitesse à laquelle les choses se sont décidées et à laquelle on nous propose de financer à hauteur de 3,5 millions... Des recherches, il se trouve que j'en ai fait quelques-unes, mais jamais à ce prix. (Commentaires.) C'est insensé pour le prix d'une recherche, épidémiologique, d'une part, et sur des caractéristiques de cytogénétique, d'autre part, c'est-à-dire relatives à la génétique de la cellule. Ce sont des choses importantes, bien sûr, mais on se propose de les faire à Paris alors qu'elles peuvent être réalisées à Genève. Tout cela ressemble, excusez-moi de le dire, à une instrumentalisation.

Cette instrumentalisation m'est insupportable à plusieurs titres. D'abord parce que cette recherche n'a été approuvée, M. le député Weiss l'a dit, par aucune des autorités académiques, celles qui sont habilitées à juger de la qualité d'une recherche: ni dans l'institut concerné; ni dans le département médical concerné, celui de médecine communautaire; ni par les spécialistes d'oncologie, qui n'ont même pas été consultés; ni par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. On aurait dû parler de cela dans la proposition de motion, si l'on était honnête et que l'on renonçait à se faire instrumentaliser.

Mesdames et Messieurs, le sujet est cardinal. La préoccupation du Conseil d'Etat et des Hôpitaux est très forte, et notre attention sera portée au développement des choses dont nous parlons. Les détails, vous avez raison, nous en parlerons en commission. Mais je pense tout de même que l'un des messages que le Conseil d'Etat aimerait apporter à votre parlement est le suivant: la liberté académique est la plus grande richesse des pays libres. Le jour où les parlements ou les gouvernements téléguideront la recherche universitaire, alors celle-ci disparaîtra au service du despotisme. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes saisis d'une demande de renvoi de cet objet à la commission de la santé, nous procédons au vote.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2010 à la commission de la santé est adopté par 76 oui contre 4 non et 4 abstentions.