République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 18 mars 2011 à 15h
57e législature - 2e année - 6e session - 31e séance
P 1707-A et objet(s) lié(s)
Débat
M. Stéphane Florey (UDC), rapporteur de majorité. Là également, nous avons affaire à ce fameux paquet, cité tout à l'heure par M. Unger, de quatorze pétitions. Celles qui nous occupent maintenant concernent l'enseignement. La commission a estimé qu'il ne fallait pas entrer en matière sur ces deux pétitions, au motif que globalement la situation n'était pas aussi déplorable que la description qui en est faite dans ces deux pétitions, et que l'effectif des élèves était même plutôt à la baisse qu'à la hausse. Nous avons donc estimé que l'augmentation de postes demandée n'était pas nécessaire. Par conséquent, la commission vous recommande le dépôt de ces deux pétitions.
Mme Prunella Carrard (S), rapporteuse de minorité. Il y a effectivement deux pétitions: l'une concerne l'enseignement primaire et l'autre l'enseignement secondaire. Sur l'enseignement secondaire, les socialistes se sont ralliés à l'avis de la majorité, à savoir le dépôt. Par contre, sur l'enseignement primaire, les socialistes estiment qu'il s'agit plutôt de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. En voici les trois raisons.
La première est relative au taux d'encadrement. Rappelons que, en 1992, le taux d'encadrement... (Brouhaha. Le président agite la cloche.) ...se situait à 14,25. Il s'agit du nombre d'élèves par professionnel. Rappelons ensuite que le Conseil d'Etat affirma en 2000 que le taux d'encadrement de 17 était un maximum et ne devait en aucun cas être dépassé. Concernant le réseau d'enseignement prioritaire, ce taux d'encadrement se situe autour de 15, ce qui est une bonne chose. Mais pour le reste de l'enseignement primaire, il se situe plutôt autour de 18, voire de 19. Alors, au niveau de la moyenne, on arrive à 17; mais pour l'enseignement primaire, c'est du coup extrêmement élevé. Voilà l'un des problèmes soulevés par la pétition.
Le deuxième point relève des dépenses publiques d'éducation. Il s'avère que, en 2007 - ce sont les chiffres les plus actualisés que j'ai trouvés au moment de la rédaction de ce rapport - Genève occupait le 24e rang, largement au-dessous de la moyenne suisse, en ce qui concernait le pourcentage de dépenses publiques d'éducation par rapport aux dépenses cantonales totales. Là aussi, nous avons estimé qu'il y avait un problème et que la pétition soulevait une juste question.
Enfin, le troisième point est relatif au taux de redoublement. A Genève, le taux de redoublement de l'enseignement primaire déploré par les pétitionnaires est particulièrement élevé par rapport aux autres cantons suisses. Le SRED, le Service de la recherche en éducation, nous le confirme: avec un taux de redoublement à l'école primaire égal à 2,2%, Genève se situe effectivement au-dessus de la moyenne suisse, qui est de 1,7%.
Pour conclure, effectivement, les temps changent. Les enfants sont de moins en moins encadrés par leurs parents, obligés de travailler de plus en plus pour boucler les fins de mois dans beaucoup de familles. Dans ce contexte, il est absurde de constater que, en 1992, le taux d'encadrement se situait à 14,25, alors qu'il est aujourd'hui - hors réseau d'enseignement prioritaire - à près de 18. La minorité estime que la majorité n'a pas pris la mesure de la situation lors des débats en commission et demande le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.
M. Jean Romain (R). Je remplace au pied levé M. Marcel Borloz, mais je ne voterai pas, étant donné ma profession, sur ces deux pétitions.
La réalité est connue. Il y a une surcharge avérée à l'école, et c'est vrai qu'il y a une baisse de la qualité de l'enseignement. Cette baisse de la qualité d'enseignement, Mesdames et Messieurs, est-elle due aux seuls effectifs ? Evidemment pas ! Ce serait simple, beaucoup trop simple si, à l'école, il suffisait d'injecter des millions, de diminuer le nombre d'élèves par classe, d'augmenter le nombre de profs, pour que la catastrophe qu'est notre école soit miraculeusement réformée. Les arguments sont nombreux. Je vais en donner trois aujourd'hui.
L'école est malade de ses réformes. On a réformé à haut vol une école qui n'en peut plus. Ensuite, on vient nous dire: «Comme c'est bizarre ! Augmentez le nombre de profs, et vous avalerez ces réformes.» Dans le «bougisme» hallucinant qui est le nôtre, les profs ne peuvent plus avaler la série de réformes. Il y a une cause à cela: la FAPSE. C'est là l'égout, la nourrice principale de ce qui nuit à notre école. Il est urgent, Mesdames et Messieurs les députés, de fermer l'institut universitaire de formation des enseignants. C'est de là que part le mal, c'est de là que le goutte-à-goutte arrive tous les jours dans notre école ! (Remarque.) Non, non !
La deuxième chose que je voudrais dire est que les parents attendent de l'école ce qu'ils ne veulent plus faire. C'est faux, Madame la députée, qu'ils ne doivent travailler... Une certaine quantité, oui. Simplement, on se défausse sur l'école de la responsabilité, de l'autorité qui revient aux parents. Ensuite, on vient la bouche enfarinée nous dire qu'il faut augmenter les postes, les sommes d'argent que l'on consacre ! Nous avons l'école la plus chère du monde, et on a des résultats catastrophiques aux études PISA.
La troisième chose que je voudrais mentionner est évidemment l'augmentation du travail administratif. Les profs croulent sous du travail, mais du travail administratif, n'ayez aucune crainte ! Au fond, nous sommes en butte à une sorte de phobie de l'école qui consiste à se dire: «On n'ose plus mettre de mauvaises notes ni dire un certain nombre de choses, parce que des avocats sont devant la porte ou que des parents sont passés du droit aux études au droit aux résultats.» Et dès que les résultats ne sont pas là, quoi qu'ils fassent, ils ont le droit à tout. Nous sommes en train d'augmenter, d'augmenter la charge administrative. C'est vrai que cette charge-là diminue la qualité du travail que nous avons face aux élèves. Oui, il y a un problème.
Je terminerai ainsi. Je vois l'enfumage des réponses à mes trois interpellations urgentes écrites; quand je dis «enfumage», je choisis mes mots. Je pose les questions précisément sur l'augmentation du travail administratif. On me répond maintenant. Mesdames et Messieurs, je vous suggère de lire cela, c'est un vrai scandale. Il y a un problème à notre école et je ne pense pas - je conclus ainsi - qu'il suffit d'amener de l'argent supplémentaire, d'augmenter le nombre d'enseignants, pour que cela change. Le problème est beaucoup plus profond et le malaise beaucoup plus large. Mais je ne voterai pas sur ces deux pétitions.
Une voix. Bravo, Marcel ! (Applaudissements.)
M. Antoine Bertschy (UDC). Nous voyons que, parfois, les choses sont quand même assez relatives. Alors oui, effectivement, le métier d'enseignant est un métier compliqué, qui demande beaucoup de motivation. C'est presque un sacerdoce. Néanmoins, quand on voit qu'un plein-temps représente de vingt à vingt-quatre heures par semaine et que l'on aimerait faire baisser cela entre dix-huit et vingt-deux heures... A ce moment-là, je pense aux caissières de la Migros, qui travaillent quarante heures pour 3200 F, et aux employés de Denner, qui réalisent quarante-quatre heures, voire quarante-six heures pour 3500 F par mois. Je me dis que c'est effectivement un sacerdoce d'être enseignant, mais il y a quand même quelques avantages.
J'aimerais aussi dire que les postes d'enseignant, si on les cherche vraiment, on les trouve. Combien d'enseignants sont à des postes administratifs ? Combien d'enseignants sont dans des services de recherche qui nous pondent des rapports que pratiquement personne ne lit, sauf les membres de la commission des finances ? (Remarque.) Et vous, chère Madame, et encore... Mais ce sont des enseignants ! Or où est la place d'un enseignant ? Derrière un bureau, dans un service administratif, dans un service de recherche quelconque ? Non, la place d'un enseignant est dans une classe, face aux élèves, pour transmettre son savoir. Vous voulez plus d'enseignants, alors allez chercher ces gens qui nous pondent des rapports que personne ne lit, et mettez-les dans les classes.
Une voix. Ouais, bravo, Antoine ! (Applaudissements.)
Mme Esther Hartmann (Ve). Quelle verve par rapport à cette pétition ! Et quelle réaction quasi épidermique ! En même temps, je suis très affligée de voir que le métier d'enseignant est encore conçu comme celui du XIXe siècle, ou même peut-être avant le XIXe siècle. Donc il n'y a pas de nécessité de faire de recherche, il faut juste suivre les programmes à la lettre et, finalement, les processus d'apprentissage des enfants ne sont pas si importants que cela; ils n'ont qu'à apprendre par coeur ! (Brouhaha. Le président agite la cloche.) Heureusement, je ne partage pas du tout ce point de vue. Attaquer la FAPSE me semble un peu excessif alors que l'on parle là des postes.
Les Verts vont soutenir le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat pour les motifs suivants. On dit qu'il y a une «réformite aiguë». Je vous rappelle que le système d'enseignement subit encore actuellement une réforme et que de très grands défis devront être surmontés par le département de l'instruction publique et les enseignants. Les horaires scolaires sont en discussion, de même que la nature du programme. Tout est en train de bouger. Nous avons un budget qui est prévu pour l'adaptation de ces horaires et de cette réforme. Il est prévu d'engager du personnel. Mais, à l'heure actuelle, vu toute l'ampleur du travail qui est déjà en cours et celui qui va nous attendre tous - les parents, les enfants, les enseignants et le département - il sera nécessaire d'engager probablement plus de personnel que ce qui est prévu. C'est pour cela que les Verts vont encourager le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.
M. Jean-François Girardet (MCG). Au contraire de mon ami député Jean Romain, je m'exprimerai et je voterai pour le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat, et je m'en explique.
Tout d'abord, s'il s'agit de faire respecter ou de respecter l'article 24, alors allons jusqu'au bout. M. le député Jean Romain n'aurait pas le droit de prendre part au débat.
La deuxième raison pour laquelle je m'exprime est que, si l'on voulait appliquer l'article 24, tous les enseignants mais aussi tous ceux qui ont un ascendant ou un descendant au premier degré enseignant dans une école primaire ou secondaire au département de l'instruction publique ne pourraient pas s'exprimer. Quand vous aurez ôté toutes ces personnes, je ne sais pas si beaucoup pourront s'exprimer sur ce sujet, à part M. Florey, qui est, lui, fonctionnaire aux TPG. (Brouhaha.)
Alors j'aimerais simplement encore répéter... (Commentaires. Le président agite la cloche.) J'aimerais encore donner une troisième argumentation pour cet article 24. Je n'ai pas d'intérêt prépondérant privé à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Au contraire...
Le président. Je crois qu'il faut en venir au sujet, maintenant, Monsieur le député !
M. Jean-François Girardet. Voilà, j'en viens au sujet. Au contraire, le MCG demandera que le Conseil d'Etat réponde aux pétitionnaires, parce qu'il y a des arguments à faire valoir, notamment des chiffres que nous n'aurons pas si nous gardons cette pétition et la classons aux oubliettes sur le bureau du Grand Conseil. Le Conseil d'Etat pourra donner à la fois les chiffres récents, les statistiques et les proportions entre le nombre d'enseignants, d'intervenants, et le nombre d'élèves dans les classes.
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Eh bien oui, nous avons pas mal d'enseignants au groupe socialiste. Selon l'article 24, ils ne parleront pas. Personnellement, je ne suis pas enseignante. Par contre, je suis tout de même très étonnée par le discours de M. Jean Romain, d'une part vis-à-vis de cet article, mais d'autre part quand il dit: «Il y a des réformes sans arrêt ! On n'arrête pas, on n'arrête pas...» Mais qui les veut, ces réformes ? Qui les a proposées, les a fait voter et a dépensé de l'énergie pour changer beaucoup de choses dans ce système scolaire ?
Indépendamment de cela, il est vrai que... (Commentaires.) Vous voulez des noms ? Ce sont des associations, dont certains sont proches... (Remarque.) Voilà. Je reprends. Il est vrai que, en tant que parents - alors là, je ne sais pas si l'article 24 s'applique... (Remarque.) - nous sommes passés, en l'espace de quelques années, disons des quinze dernières années, de classes de primaire où il était possible de dispenser un enseignement de qualité, avec des enseignantes assistantes et des travaux qui stimulaient l'apprentissage des enfants, à des classes où les maîtresses - ou les enseignantes, parce que l'on ne dit pas «maîtresse» à Genève - n'ont plus que le temps de donner aux enfants la matière. Mais elles ne connaissent quasiment plus leurs enfants, tellement elles en ont et tellement les problématiques sont différentes. (Brouhaha.) En plus de cela, des élèves qui ont des handicaps, des difficultés, viendront «renforcer» ces classes. Ne serait-ce que de ce point de vue là, la pétition est importante.
Cela a déjà été relevé - mais j'aimerais tout de même le rappeler - tout le monde dit: «L'enseignement coûte cher.» Peut-être que le département de l'instruction publique est l'un des plus grands départements, financièrement, du canton. Par contre, le coût de l'enseignement primaire genevois est au 24e rang sur 26 par élève au niveau suisse. Ce sont quand même des questions que l'on peut se poser. Même en se basant uniquement sur ce chiffre-là, les socialistes suivront la rapporteuse de minorité - notre rapporteuse - et renverront cette pétition au Conseil d'Etat.
Le président. Merci, Madame la députée. Monsieur le député Roger Deneys, vous avez la parole pour trente-cinq secondes.
M. Roger Deneys (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais simplement vous rappeler les réponses du Conseil d'Etat à mes interpellations urgentes écrites 1085 et 1086, qui évoquent le fait que, pour avoir des effectifs de 20 élèves au maximum par classe à l'école primaire - ce qui ne serait pas un luxe à Genève - cela coûterait 9 millions par année. C'est un montant relativement modeste, qui me semble tout à fait supportable pour les finances cantonales. Nous vous invitons donc à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.
Nous reviendrons certainement à la charge pour donner des moyens supplémentaires à l'école publique genevoise, qui en a besoin. Nous n'acceptons pas de faire des sacrifices sur les familles défavorisées et les personnes d'origine étrangère qui doivent faire des efforts supplémentaires d'intégration. Vivre ensemble demande des moyens, et les socialistes sont attentifs à ce que ces moyens existent.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Stéphane Florey, pour le rapport de majorité. Il vous reste deux minutes.
M. Stéphane Florey (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Ce sera bien suffisant. Deux mots pour rappeler que le rôle de l'école n'est effectivement pas de remplacer les parents dans leur devoir d'éducation.
En conclusion, je souligne que la commission des pétitions avait estimé, également, «qu'il n'est pas nécessaire d'augmenter les effectifs et que d'une manière générale les problèmes soulevés par ces deux pétitions relèvent plus de la qualité de l'enseignement ainsi que de la bonne volonté de ceux-ci que du nombre d'élèves par enseignant.» Cela figure à la page 6 du rapport. C'est pour ces excellentes raisons que nous vous invitons à déposer ces deux pétitions sur le bureau du Grand Conseil.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, nous allons procéder à un vote sur la P 1707 et à un autre sur la P 1711.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 1707 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 32 oui contre 31 non et 2 abstentions. (Exclamations à l'annonce du résultat. Commentaires.)
Le président. Nous allons nous prononcer... (Commentaires.) Nous allons nous prononcer sur la P 1711. (Commentaires.) Nous sommes en procédure de vote; il n'y a pas de prise de parole.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 1711 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 33 oui contre 32 non et 2 abstentions.