République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 23 septembre 2010 à 20h30
57e législature - 1re année - 11e session - 57e séance
PL 10657-A
Premier débat
M. Pierre Conne (R), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, le but de ce projet de loi d'amnistie fiscale est pragmatique et simple: il vise à accroître les recettes fiscales. A court terme tout d'abord, en encourageant le plus grand nombre de contribuables concernés à déclarer des fortunes ou des revenus qui restent cachés à ce jour. A long terme ensuite, en permettant le réinvestissement des sommes déclarées dans l'économie. Ce projet de loi propose de mettre en place pendant deux ans une réduction attractive des taux d'imposition applicables au rappel d'impôt: 70% de rabais si la déclaration est faite la première année, 60% de rabais si la déclaration est faite l'année suivante.
Dans quel contexte ce projet de loi s'inscrit-il ? Le 1er janvier 2010 est entrée en vigueur la loi fédérale sur la simplification du rappel d'impôt en cas de succession et sur l'introduction de la dénonciation spontanée non punissable. Cette loi facilite la tâche de ceux qui souhaitent remettre dans la légalité la fortune soustraite par le défunt et introduit une forme d'amnistie individuelle pour les personnes qui se dénoncent spontanément. Cependant, cette disposition fédérale n'offre aucun incitatif financier et se borne à ne pas pénaliser les contribuables. En conséquence, les conditions posées pour le calcul du montant total du rappel d'impôt sont à ce point élevées que rares seront ceux qui s'y risqueront, préférant rester dans l'illégalité. Ce projet de loi vient donc compléter l'amnistie fiscale prévue par la loi fédérale en introduisant une réduction des taux d'imposition réellement incitative. De plus, il convient de préciser les points suivants: cette amnistie ne concerne pas les personnes morales; la réduction ne s'appliquera qu'aux montants soustraits avant le 31 décembre 2009; la période pendant laquelle la dénonciation spontanée non punissable permettra de bénéficier d'une réduction du taux d'imposition est limitée au 31 décembre 2013; et, finalement, il n'y aura aucun rappel d'impôt pour les cas où la fortune soustraite n'excédera pas 80 000 F.
En conclusion, la majorité de la commission fiscale vous demande d'accepter ce projet de loi.
Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse de première minorité. Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi ne touche pas seulement la densité de l'amnistie fiscale fédérale appliquée depuis janvier 2010. Il ébranle un fondement de l'Etat: l'application réelle et indifférenciée des règles adoptées par l'Etat de droit, ainsi que la notion d'honnêteté entre l'administration fiscale et le contribuable. Le sens donné à cette honnêteté est créateur par l'impôt d'un système de scolarité, de formation, de santé, de redistribution minimale des richesses via l'aide sociale, et j'en passe. C'est ce qui fait que Genève est un canton. Avec ce projet de loi, nous croyons rêver, ou plutôt cauchemarder. En effet, le projet de loi qui vous est présenté prône que les personnes qui souffrent d'amnésie vis-à-vis du fisc, qui oublient de déclarer leurs revenus, qui ont pris le risque de ne déclarer ni toute leur fortune ni tous leurs revenus sont les gagnantes, les sportifs de la haute voltige financière. Elles doivent être récompensées, incitées lourdement pour déclarer ce qu'elles ont caché. Le jeu doit en valoir la chandelle. Sur les montants de l'impôt dus, si ces gens se déclarent, ils pourront déduire sans gêne 70%, et ne paieront aucuns frais. Ce sont les champions.
A contrario, le salarié ou le contribuable honnête qui accepte les règles de la démocratie est pressenti comme un sot, un «has been», une personne démodée. Non seulement il paie l'impôt, mais s'il n'arrive pas à le payer, il sera passible de poursuites qui le handicaperont pour la recherche d'un logement ou un changement de travail; c'est un perdant ! Lors de l'émission «Temps présent», au Jeûne genevois - j'ai eu le temps de la regarder - une journaliste spécialisée dans des enquêtes ayant trait aux paradis fiscaux, Mme Lynnley Browning du «New York Times», rapporte que l'estimation des montants soustraits au fisc est de l'ordre de 7000 milliards de dollars dans le monde, et il est estimé que la Suisse en abriterait au bas mot 2000 milliards de dollars.
Les propos entendus lors des auditions, la pression, l'urgence de cette mesure d'amnistie de la part des partis de droite ne font que renforcer ces supputations, ces estimations de sommes énormes cachées au fisc. Compte tenu de cela, nous, socialistes, nous nous posons beaucoup de questions face au contrôle effectué par l'administration fiscale. Peut-être qu'il devrait être renforcé, voire adapté. Mais surtout, cela pose la question de savoir ce que l'on va gagner en offrant un tel cadeau. Les gens vont se déclarer peut-être un peu plus qu'ils ne le font actuellement avec l'amnistie fédérale; on va gagner pendant une année ou deux au fisc, et après, zou, ça va partir, parce qu'en termes de concurrence fiscale entre cantons il y en a encore qui sont meilleurs.
En résumé, le PL 10657 prône que, à revenu imposable égal, celui qui a déclaré normalement paie davantage que celui qui ne l'a pas fait et le déclare dans le cadre de l'amnistie. Cela implique qu'un contribuable modeste paierait des impôts supérieurs à ceux d'une personne aisée qui profiterait de cette loi. En clair, les fraudeurs qui bénéficieront de l'amnistie fiscale paieront moins que s'ils avaient respecté la loi.
Mesdames et Messieurs les députés de droite, je fais solennellement appel à votre sens civique, à votre sens de l'Etat de droit - les mêmes règles pour toutes et tous, les règles et les devoirs - et je vous demande de refuser cette loi. Et si elle vient à être acceptée ce soir, j'espère franchement que les citoyens honnêtes qui nous entendent n'accepteront pas de se laisser traiter comme des pigeons ou des dindons de la farce. Nous vous demandons donc de refuser cette loi.
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve), rapporteuse de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, comme vous l'avez déjà compris grâce aux deux interventions précédentes, la loi qui nous est soumise aujourd'hui comporte deux parties distinctes. Tout d'abord, une adaptation de notre législation cantonale à la loi fédérale sur la simplification du rappel d'impôt en cas de succession et sur l'introduction de la dénonciation spontanée non punissable. Ce premier point ne pose bien évidemment aucun problème aux Verts, puisqu'il s'agit ici uniquement d'appliquer les nouvelles dispositions fédérales. Ensuite, ce projet de loi comporte un second élément, à savoir une proposition d'amnistie fiscale offrant jusqu'à 70% de réduction du montant dû au titre du rappel d'impôt aux personnes ayant dissimulé une partie de leurs avoirs aux autorités fiscales. C'est bien ce projet d'amnistie que nous combattons, car une telle réduction constitue une prime à l'amnésie fiscale.
Le premier point sur lequel je voudrais insister est le suivant: contrairement à ce qu'affirme le rapporteur de majorité, la loi fédérale est déjà une réussite du point de vue du nombre de personnes qui en ont profité pour mettre au clair leur situation fiscale. Ainsi, Genève avait enregistré en juin dernier pas moins de 133 dénonciations spontanées pour un montant estimé à pas loin de 13 millions de francs. De plus, le journal «der Bund» parle même de plus de 1000 cas de dénonciation spontanée en Suisse au cours des six premiers mois de l'année. Le rapporteur de majorité affirme dans son rapport que cette loi se bornant à dépénaliser les contribuables amnésiques ne suffit pas. L'actualité nous démontre le contraire. Aujourd'hui, la lutte contre la fraude et la soustraction fiscale s'intensifie, l'entraide entre les pays s'améliore, et les contribuables indélicats envers le fisc l'ont bien compris. Ne plus être passible de poursuites pénales est déjà extrêmement rassurant à l'heure actuelle, et ce n'est pas le contribuable américain qui vient d'écoper d'un an de prison ferme qui me contredira.
En plus d'être superflu, ce projet d'amnistie fiscale pose en outre de sérieux problèmes éthiques et juridiques. D'un point de vue éthique, le montant élevé de la ristourne n'est pas acceptable. Je voudrais souligner ici que ce ne sont pas uniquement quelques gauchistes qui l'affirment, mais que ce problème éthique est également mentionné par le Département fédéral des finances sur son site, ainsi que par M. Pascal Broulis, chef du département des finances du canton de Vaud, lequel - si je ne fais erreur - n'est ni Vert, ni socialiste. Fixer un taux de réduction de la facture de l'impôt de 70% constitue une prime à la soustraction fiscale. En effet, les contribuables faisant acte d'un repentir tardif sont nettement favorisés par rapport à ceux qui ont toujours déclaré l'intégralité de leurs revenus et de leur fortune.
Le second problème que pose ce projet d'amnistie est non des moindres, vu que c'est sa compatibilité même avec le droit fédéral supérieur qui est mise en cause. A nouveau, le Département fédéral des finances met en garde sur son site contre les grands problèmes juridiques que pose l'amnistie fiscale. Je rappelle que le département cantonal des finances a également averti les commissaires à ce sujet, en démontrant dans une note que les principes d'égalité de traitement et d'imposition selon la capacité économique n'étaient pas respectés. Les dispositions du projet de loi sont telles que les contribuables qui profiteraient des 70% d'abattement demandés pourraient bénéficier non seulement d'un taux d'imposition moyen inférieur à celui d'autres contribuables ayant tout déclaré et disposant d'un revenu plus modeste, mais également d'une charge fiscale inférieure en francs.
Enfin, Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais attirer votre attention sur un fait important: à ce jour, tous les cantons de Suisse, à l'exception du Jura, ont décidé d'appliquer la législation fédérale telle quelle. Il est bon de souligner que c'est l'histoire du canton du Jura qui a incité les autorités à mettre en oeuvre une telle amnistie. Il faut en effet savoir que de nombreux citoyens jurassiens préféraient, pour des raisons politiques, cacher une partie de leurs avoirs quand ils étaient encore sous l'autorité fiscale bernoise. (Exclamations.) Or, depuis l'indépendance, les autorités jurassiennes tentent vainement de retrouver ces montants non déclarés. La situation du canton de Genève, vous l'admettrez, est à l'évidence fort différente de celle du Jura. Il est en outre important de souligner que Zurich ou Bâle, dont la situation économique s'apparente passablement à la nôtre, n'ont pas voulu d'une amnistie fiscale telle que proposée.
Enfin, et malgré les demandes réitérées de la part de certains commissaires lors des séances de la commission fiscale, cette dernière n'a pas réussi à établir au cours de ses délibérations quelles seraient les spécificités économiques, sociales ou historiques du canton de Genève qui justifieraient que le canton se singularise en adoptant une amnistie fiscale d'une telle ampleur.
En résumé, ce projet d'amnistie fiscale est inutile, puisque la législation fédérale porte déjà ses fruits, pose de graves problèmes éthiques et viole certainement les principes d'égalité de traitement et d'imposition selon la capacité économique contenus dans la LHID. Pour toutes ces raisons, les Verts déposent donc un amendement, tel que décrit dans le rapport de deuxième minorité, qui consiste à supprimer l'alinéa 1 de l'article 2 souligné du présent projet de loi. Si cet amendement vient à être refusé, la minorité Verte vous invitera, Mesdames et Messieurs les députés, à refuser ce projet de loi. (Applaudissements.)
M. Stéphane Florey (UDC). Il est important que le canton se dote d'une loi cantonale d'amnistie fiscale, et ceci pour deux raisons essentielles: d'abord, les recettes supplémentaires non négligeables qui vont venir gonfler les caisses de l'Etat, et ensuite la somme des montants considérables qui vont être réinjectés dans l'économie du canton. Malheureusement, je me dois de vous faire part d'une certaine déception concernant les cas bagatelles de l'article 72, alinéa 9, de la LIPP, qui exempt de l'impôt les montants inférieurs à 80 000 F. Ce montant ne correspond malheureusement pas à la réalité d'aujourd'hui. Si l'on tient compte de l'inflation et de la valeur actuelle de ce montant, ce dernier aurait dû s'élever au minimum à 100 000 F, voire beaucoup plus.
Concernant le taux de 70%, l'UDC n'y voit absolument rien de choquant, puisqu'il est incitatif; et qui dit incitatif dit forcément rentrées fiscales supplémentaires.
Malgré cette petite déception citée plus haut, l'UDC genevoise soutiendra bien évidemment ce projet de loi, puisqu'elle en est également signataire, et j'invite malgré tout la minorité à revoir sa position et à faire de même.
Présidence de Mme Catherine Baud, deuxième vice-présidente
M. Pascal Spuhler (MCG). Le MCG soutiendra ce projet de loi qui, après discussions en commission, a donné satisfaction, suite à certains amendements que nous avons pu voter, entre autres pour les cas bagatelles, à 80 000 F, et concernant la limite dans le temps de ce projet de loi, soit jusqu'à fin 2013.
Pour ces différentes raisons, et également, comme l'a dit mon préopinant, au vu des différentes recettes supplémentaires que l'Etat pourra obtenir grâce à ce projet de loi, le MCG va soutenir cet objet.
M. Michel Forni (PDC). Une loi fédérale entrée en vigueur le 1er janvier 2010 veut aider des héritiers à remettre en légalité d'éventuelles fortunes soustraites par un défunt et introduit une amnistie individuelle pour des personnes qui se dénoncent spontanément. Ce type de disposition n'a généralement aucun effet incitatif financier, et rares sont les pseudo-amnésiques, comme vous les appelez, qui se risqueront à l'autodénonciation. La nature humaine est ainsi faite de clichés: il est évident que le riche incarne le mal, l'argent le diable, le rentier la turpitude, la richesse l'injustice et l'héritier, finalement, personnifie le péché. Mais grâce à cette loi, les éléments inquisiteurs n'enverront plus au bûcher les héritiers de tous les fortunés dignes de la guillotine.
J'aimerais ici faire mention de M. Mitterrand, qui était contre l'argent qui corrompt, contre l'argent qui achète, contre l'argent qui écrase, contre l'argent roi qui ruine, qui pourrit jusqu'à la conscience des hommes, juste avant qu'il n'engageât M. Tapie.
Grâce aux auteurs de ce projet de loi, l'idée de compléter l'amnistie fiscale prévue dans la loi fédérale démontre qu'il y a une mesure incitative, peut-être sans idéologie, sans croisade, mais qui introduit le principe de l'attractivité du taux d'imposition. Alors une résultante, qui est celle d'accroître les recettes fiscales à long terme et de permettre à ceux d'en haut, à ceux d'en bas, privés, publics, élites, derrière cet argent diabolique, de réinvestir des sommes déclarées dans l'économie, démontre finalement que cette panne peut être comblée.
Nous avons parlé des chiffres, je n'y reviens pas: 70% de réduction. L'Etat redoutait des baisses de recettes, eh bien nous sommes dans une situation où nous aboutissons finalement, comme vous l'avez entendu, à une loi qui violerait des principes d'égalité de traitement et d'imposition. Alors ces vieilles querelles, alliant comparaison perpétuelle, observation obsessionnelle et transgression suprême, restent caricaturales et finalement regroupent en vrac tous les stéréotypes disponibles de l'argent diabolique et des âmes noires.
Le jeu en vaut donc la chandelle. Ce projet, devenu un compromis réformiste, nous plonge non pas dans la magie d'un Etat tutélaire, mais bien dans un monde où l'on baise la main qui donne et où l'on mord la main qui a refusé. Cette réforme est praticable dans sa symbolique et sa conduite, et le PDC vous propose d'y souscrire.
M. Charles Selleger (R). Mesdames et Messieurs les députés, de quoi parlons-nous ce soir ? Il est question d'une amnistie, mais je crois qu'il est bon de rappeler la définition de ce terme, telle que vous pouvez la trouver dans le dictionnaire Larousse: l'amnistie, c'est un acte du pouvoir législatif - c'est bien le nôtre - qui efface un fait punissable, arrête les poursuites et anéantit les condamnations. C'est à distinguer de la grâce qui, elle, supprime l'exécution de la peine mais laisse subsister les effets de la condamnation. L'amnistie anéantit et la punition et le fait qui en est la cause. Voilà pour la définition.
Alors de quoi s'agit-il ce soir ? Il s'agit de voter une amnistie. Certes, l'amnistie ce n'est pas quelque chose d'éthique, cela pose un conflit moral, on est tout à fait d'accord. Il est convenu, plus ou moins implicitement, qu'une fois par génération on passe l'éponge sur les arriérés fiscaux qui ont été dissimulés, non pas dans le but de faire un cadeau aux contribuables indélicats, mais afin de remettre cet argent en circulation. Alors quand on nous dit, comme Mme Schneider Hausser, qu'il est indigne de faire un rabais de 70%, il faut bien comprendre que ce rabais de 70% ne portera que sur l'année où ces revenus réapparaîtront ! Et les revenus eux-mêmes seront pleinement taxés, ce n'est que le rappel d'impôt qui sera réduit de 70%. De plus, les années suivantes, les revenus qui seront réapparus continueront à être taxés, bien entendu, ils ne vont pas disparaître du jour au lendemain.
Je pense donc qu'il convient ce soir d'être pragmatiques et de se dire qu'un rabais de 70%, ce n'est pas les 100% qu'on a connu en 1969. C'est un incitatif, et il faut que cet incitatif soit important, sinon les sommes ne réapparaîtront pas et on aura une amnistie fiscale qui aura manqué son but. C'est pourquoi le groupe radical vous propose bien entendu de voter ce projet de loi. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Mme Mathilde Captyn (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi ne vise qu'une seule chose: des inégalités de traitement ! Il attaque en plus un pilier fondamental de notre société, le principe de redistribution de l'impôt. Je vous le demande donc, Mesdames et Messieurs les députés: à qui va profiter ce cadeau fiscal ? (Commentaires.) Non non ! Il va profiter aux malhonnêtes qui auraient caché leur fortune au fisc ! C'est donc une prime à l'amnésie fiscale. Par ailleurs, comme les arguments des minorités ont malheureusement été fort mal retranscrits dans le rapport que vous avez sous les yeux, je vais me permettre de répéter les principaux arguments des deux minorités: ce projet de loi est inutile, superflu, inique, il est vraisemblablement incompatible avec le droit supérieur, et c'est la raison pour laquelle les Verts vous proposent de le refuser. (Applaudissements.)
M. Christian Dandrès (S). Le projet qui nous est soumis ce soir, Mesdames et Messieurs les députés, on vous l'a dit, est peint comme le correctif indispensable aux défauts du régime fédéral, qui semble être insipide, mais qui existe tout de même depuis le 1er janvier 2010. Selon les auteurs du projet, la simple suppression de l'amende ne suffirait pas. Du coup, l'Entente et ses alliés proposent d'offrir 70% de réduction d'impôt aux fraudeurs. C'est une sorte de palme, on peut le voir ainsi, à des sportifs émérites dans une discipline - la soustraction fiscale - pour laquelle certains ont beaucoup travaillé ces dernières années. Et pour faire passer ce qui n'est en réalité qu'une baisse d'impôt différée, les auteurs du projet déclinent la vulgate habituelle. Je ne résiste pas à l'envie de vous citer quelques propos issus du rapport de majorité. On parle d'incitatifs financiers, de réduction attractive, de pragmatisme légal, de choc, j'en passe et des meilleures. On se croirait revenu au temps béni des prescriptions quasi médicales des institutions financières internationales qui ont tant fait pour la ruine de l'Argentine notamment.
Alors un lecteur attentif pourra se demander de façon toute naturelle qui est cet être si difficile à convaincre qu'il faille lui sacrifier 70% de son impôt pour le forcer à remplir une déclaration fiscale. Eh bien cette personne, Mesdames et Messieurs les députés, c'est le contribuable genevois tel que l'Entente et ses alliés le perçoivent. Il s'agit pourtant - et je m'en étonne - du même contribuable que celui dont l'Entente vantait le sens du devoir profond, lorsqu'elle défendait sa résolution 605 en mars dernier. Et j'entends encore sur ces bancs notamment le député Jeanneret qui martelait à trois reprises qu'il soutenait l'idée d'un citoyen profondément honnête, raison pour laquelle il n'était pas nécessaire de rendre l'administration plus transparente. Alors ce retournement me fait sourire, je ne vous le cache pas, et laisse voir à la population le crédit que vous portez à vos propres convictions.
Mais la majorité de la commission fiscale ne s'est pas arrêtée en si bon chemin. Après avoir décliné à l'envi le thème de la psychologie, c'est au tour de l'intérêt suprême de l'économie, le fameux intérêt suprême de l'économie. Elle va prétendre que l'argent va sortir des placards, se retrouver dans le circuit économique et relancer la croissance tant attendue. Mais ce que les auteurs du projet ne mentionnent pas, Mesdames et Messieurs les députés, c'est que cette baisse d'impôt va surtout permettre à un fraudeur de régulariser à bon marché l'argent qu'il a caché au fisc pendant plus de dix ans. Et cet argent, il a toutes les chances par la suite de le placer ailleurs qu'à Genève. Sinon on peut se demander pourquoi le fraudeur ne se serait pas contenté du régime fédéral. C'est une question intéressante. Pourquoi un fraudeur ne se contenterait-il pas du régime fédéral s'il n'avait pour intention de placer l'argent un jour ou l'autre ailleurs qu'à Genève ? Donc rien n'est moins sûr que ce projet de loi profite à la prospérité de notre canton.
Mesdames et Messieurs les députés, avec ce projet de loi, le parti libéral nous donne une magnifique leçon de syndicalisme, qui plaira sans doute aux contribuables et à nos concitoyens qui respectent la loi et déclarent chaque année leurs revenus. Je vous invite donc naturellement à rejeter ce projet de loi.
M. Olivier Jornot (L). Mesdames et Messieurs les députés, l'une de nos collègues reprochait tout à l'heure avec perfidie au rapporteur de majorité de ne pas avoir bien fait son travail. J'aimerais au contraire souligner la grande qualité du rapport de majorité. Alors évidemment, il ne procède pas par jeux de mots et calembours, il est sérieux, parfois même râpeux, mais il est complet et je l'en remercie.
Nous savons dans cette salle que le Parlement fédéral a tenté de faire une amnistie. C'est une amnistie «Canada Dry»: elle en a un peu le goût, un peu l'odeur, mais pour le reste, tous ceux qui pratiquent le droit fiscal, tous ceux qui pratiquent la contribution publique - en tant que contributeurs ou en tant que professionnels - savent que ce n'est pas une vraie amnistie, parce qu'on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre.
Cette amnistie, Mesdames et Messieurs, il faut l'adopter au moins pour deux raisons - il y en a plusieurs, plus de deux, qui ont été évoquées tout à l'heure par nos différents collègues, mais j'aimerais en évoquer deux. D'abord, il y a effectivement la raison financière: ce projet de loi est un projet qui augmente les recettes de l'Etat. Il n'est pas très fréquent que les libéraux proposent d'augmenter les recettes de l'Etat ! Et il est encore moins fréquent que les socialistes, qui aiment bien l'Etat gourmand et boursouflé, combattent un projet qui garantit des recettes supplémentaires à l'Etat. Et l'expérience nous montre que ça marche ! L'amnistie fiscale de 1969 a parfaitement fonctionné ! L'amnistie jurassienne marche, et qu'on ne vienne pas nous faire le coup du petit peuple occupé qui était par conséquent obligé de ne pas déclarer. Entre l'amnistie fiscale générale de 1969 et l'entrée en souveraineté du canton du Jura, il y a moins de dix ans qui se sont écoulés, les Jurassiens sont des citoyens suisses comme les autres, et l'on n'a pas à prendre un exemple particulier, ou en tout cas à renier notre droit à vouloir faire comme eux. Et je vous donnerai un troisième exemple, c'est le «scudo fiscale» italien qui, avec un prélèvement de 5% - c'est-à-dire évidemment inférieur à ce qui est proposé ici - a permis à l'Italie de régulariser des montagnes d'argent qui sera désormais fiscalisé.
Et la deuxième raison, Mesdames et Messieurs, pardonnez-moi, mais c'est une raison éthique ! C'est une raison éthique, parce que si l'on ne vote pas une amnistie de la sorte, qu'est-ce qu'on aura ? On aura ce que vous, Mesdames les rapporteures de minorité, vous appelez à cor et à cri, c'est-à-dire que ces fonds restent non déclarés, qu'ils demeurent non productifs de recettes fiscales et que les contribuables restent en quelque sorte en marge de la possibilité de contribuer à l'Etat social. Entre cette situation-là, celle de ces fonds qui demeurent non taxés, et celle d'une amnistie où les gens ont droit à un rabais, il est parfaitement évident que la morale est chez nous; elle n'est en tout cas pas chez vous, Mesdames les rapporteures de minorité ! (Applaudissements. Commentaires. Rires.)
Des voix. Bravo !
M. Olivier Jornot. Il paraît qu'il y aurait des raisons juridiques qui s'opposeraient à ce projet de loi. Mesdames et Messieurs, depuis quand est-ce que ce sont les raisons juridiques qui gouvernent dans cette salle ? (Exclamations. Rires. Applaudissements.) Il est vrai que le département a commandé un rapport qui figure précisément dans le rapport de majorité, mais ce rapport, je n'hésite pas à le dire, est scandaleux. Il est scandaleux parce que c'est un effort scolaire de défendre une thèse indéfendable, celle selon laquelle le droit fédéral n'autoriserait pas les cantons à avoir leur propre politique en matière de taux. Or tout le monde sait que c'est le cas, tous les experts que nous avons entendus savent que c'est le cas, il n'y a que l'expert du département - ce n'est pas vrai, il le sait très bien... - qui a reçu l'ordre de ne pas le savoir. Et je trouve que c'est dommage, parce que ça signifie qu'on a maintenant dans nos documents un texte juridique qui soutient le contraire de ce que ce parlement va dire, je l'espère, dans un instant.
Oui, nous avons le droit d'avoir notre propre politique de taux, et ça n'a rien à voir avec la situation obwaldienne par exemple, qui est citée dans l'un ou l'autre des rapports de minorité. J'aimerais quand même rappeler que l'administration fédérale des contributions a travaillé main dans la main avec le canton du Jura, et qu'elle a salué l'amnistie proposée par ce canton.
Alors, Mesdames et Messieurs, je crois qu'il n'y a pas à hésiter: il faut voter oui ! Il convient d'abord d'entrer en matière bien entendu, puis d'éliminer l'amendement qui propose ni plus ni moins que de vider ce projet de loi de sa substance, et il faut le faire pour les Genevois, pas seulement pour les contribuables, mais aussi pour tous ceux qui bénéficient des prestations de l'Etat. (Applaudissements. Huées.)
M. Claude Jeanneret (MCG). C'est vrai qu'un projet d'amnistie pose toujours un petit problème, je dirai, d'éthique. Est-il juste que des gens qui n'ont pas déclaré puissent en un coup le faire et ne pas être imposés totalement ? D'accord. Mais je dirai aussi: est-ce qu'il est souhaitable pour un Etat de voir disparaître des revenus importants, du fait que l'on va pénaliser des gens qui peuvent très bien vivre avec de l'argent caché ? Il y a beaucoup de créneaux sur lesquels il faut parler. Premièrement, l'amnistie fiscale n'est pas une gratuité: c'est un rabais, et c'est un rabais si l'on compte l'amende qui affecte automatiquement le retard d'impôt; on aura quasiment une égalité, c'est-à-dire que les gens vont pouvoir se remettre à jour sans être trop pénalisés, ce qui est souhaitable.
Deuxièmement, il faut maintenant et aujourd'hui travailler pour Genève. Lorsque l'on a un capital déclaré et que ce capital est soumis à l'imposition genevoise, on a un impôt sur la fortune qui revient à Genève uniquement, puisque le fédéral n'a pas d'impôt sur la fortune. Et puis nous avons un impôt sur le revenu, et le revenu est principalement composé, dans les dossiers titres, d'intérêts et de dividendes soumis à l'impôt anticipé de 35%, qui part à la Confédération, alors que si ces gens déclarent à Genève, 10% revient à la Confédération et le reste à Genève. Et là, Mesdames et Messieurs les députés, pour l'avenir de notre canton, il est quand même souhaitable que cet argent soit déclaré à Genève.
Il y a une deuxième phase où il faut réfléchir un petit peu à l'avantage de ce genre de procédé: dans le temps, il est vrai que l'évasion fiscale était l'apanage des riches. Aujourd'hui - en tant que fiduciaire, je le vois régulièrement - ce n'est pas l'apanage des riches: ce sont souvent des gens qui sont d'honnêtes fonctionnaires ou travailleurs, qui ont fait un petit héritage, qui ont fait ceci cela et qui n'ont pas voulu le déclarer, parce qu'ils ont acheté par exemple une petite maison en France. C'est 200 000 à 300 000 F, ce n'est pas beaucoup ! Mais multipliés par 20, 30 ou 40 000, c'est énorme ! Et ceci, il faut que ça rentre dans le cadre social. Parce que je vous rappelle une chose: au niveau des prestations sociales, lorsque quelqu'un arrive dans un EMS et ne possède rien, c'est l'Etat qui paie ! Or, s'il a 300 000 ou 400 000 F d'épargne, c'est d'abord son épargne qui paie. Tout cela fait que c'est l'Etat de Genève, ce sont les concitoyens de Genève, qui paient des impôts tous les jours, qui ne devront pas payer pour ceux qui n'ont pas déclaré ! Donc, il faut véritablement encourager les gens à déclarer ce qu'ils possèdent, c'est important ! En plus de cela, ce n'est pas la gratuité: ils paieront des impôts ! Ils vont simplement bénéficier d'un rabais qui évitera que la pénalité d'impôt soit trop lourde. Mais c'est quand même tout à fait acceptable ! Ils ne vont pas avoir la gratuité, et il n'y a pas de disparité majeure entre ceux qui ont déclaré et ceux qui ne l'ont pas fait, parce que ceux qui ont déclaré et qui avaient des revenus modestes, avec les 35% retenus sur leurs dividendes par l'impôt anticipé, eh bien ils y ont gagné ! Et ceux qui ne l'ont pas déclaré, ils y ont perdu ! Toutefois, cet argent n'a pas été pour Genève, mais pour la Confédération. Alors, s'il vous plaît, Mesdames et Messieurs les députés, pensez à Genève ! Il faut absolument que cette amnistie fiscale passe, que l'on ait le maximum de gens qui déclarent, même de petites fortunes, même 300, 200, même 100 000 F. Peu importe ! Ils déclarent quelque chose, ils déclarent leurs avoirs et, surtout, sur ces avoirs, ils déclarent le revenu des avoirs, et tout cela rentre dans l'escarcelle de la recette fiscale de Genève !
Alors d'accord, il y a une question d'éthique, celle de savoir s'il est normal que des gens qui n'ont pas déclaré puissent bénéficier d'un avantage. Mais soyez raisonnables, ce n'est pas un avantage de gratuité: c'est un avantage de diminution de la pénalité. Et je pense que, là, il est important que nous soyons conscients que, pour l'avenir de Genève, nous avons besoin d'impôts, car nous avons quand même encore une grosse dette à rembourser. Si l'on arrive à faire en sorte que l'épargne des Genevois soit déclarée, et surtout le revenu de l'épargne, qui représente des millions et des millions, tout cela va rentrer dans l'escarcelle de Genève, et non de la Confédération ! Donc il faut absolument, en tant que citoyens genevois, en tant que parlementaires genevois, que nous encouragions cette amnistie fiscale. C'est une fois, c'est bien, et il ne s'agit pas de faire des cadeaux aux riches ! Je vous rappelle une chose: les milliardaires n'en ont rien à foutre de l'amnistie fiscale, parce que, eux, si aujourd'hui Genève va mal, ils vont à New York ou à Singapour. Ce ne sont pas les riches, ce ne sont pas ceux que défendent nos lobbies banquiers qui vont souffrir ou non d'une amnistie fiscale. Je dis que, aujourd'hui, ceux qui vont bénéficier de cette amnistie fiscale, c'est le citoyen lambda, c'est le fonctionnaire, c'est l'employé, c'est quelqu'un qui a peu d'argent mais quand même une petite épargne honnête, qu'il a accumulée toute sa vie et qu'il n'a pas osé déclarer à un certain moment, parce qu'il a acheté quelque chose... Et ça, il faut le régulariser. Et ce n'est pas de la malhonnêteté, ce n'est pas encourager la fraude, c'est simplement permettre aux citoyens honnêtes de rentrer dans le rang et à l'Etat de Genève de récupérer l'argent et les impôts sur le revenu de cet argent, auxquels il a droit. C'est la raison pour laquelle nous, le MCG, nous voterons pour cette amnistie. (Applaudissements.)
Mme Lydia Schneider Hausser (S), rapporteuse de première minorité. C'était magnifique au théâtre ce soir... Oui, il est là M. Jornot... Mais il oublie, à travers l'intensité de son verbe, de dire que ce n'est pas si drôle que ça d'être fraudeur actuellement, et qu'il y a de plus en plus de risques pour les personnes qui n'ont pas tout déclaré - on ne va pas parler des petits épargnants, parce que ceux-là arrivent, j'en suis sûre, à réinjecter, dans la déclaration, des montants oubliés. Mais les grosses sommes non déclarées maintenant vont devenir chaudes pour leur détenteur en raison des collaborations qui s'installent entre les différents pays d'Europe, voire du monde, des doubles conventions, bref, de tous ces accords qui sont conclus.
Il est vrai aussi que, pour l'équilibre du prochain budget et des prochains comptes, il serait assez bon que de l'argent extraordinaire rentre dans les caisses, parce que, d'une manière ou d'une autre, que ce soit financièrement, voire dans les prestations, on va sentir passer les 450 millions qui ont été diminués dans les revenus de l'Etat il y a six mois.
Du reste, Monsieur Jeanneret, à ce niveau-là je suis assez étonnée de constater un peu cette attitude girouette, parce qu'il y a six mois il y avait assez de finances pour octroyer des grands cadeaux, et actuellement on reprend les mêmes thèmes, mais cette fois pour aller chercher de l'argent afin de diminuer la dette. Je ne sais pas, mais, à un moment donné, il faudrait choisir, et je crois qu'en tout cas le parti socialiste a choisi. Il y a une amnistie fiscale fédérale, qui existe depuis déjà le 1er janvier, et n'oubliez pas que cette amnistie enlève déjà toute velléité de passer devant des juridictions pénales, ce qui est le cas dans la règle générale au niveau fiscal. C'est énorme, il y a déjà des avantages donnés, alors pourquoi en accorder plus à Genève, alors que ce n'est peut-être pas là que l'on a besoin de plus gros revenus qui n'ont pas été déclarés.
Pour conclure, nous voterons l'amendement proposé par les Verts, et nous vous demandons de refuser la loi au cas où cet amendement ne serait pas accepté.
Présidence de M. Guy Mettan, président
Mme Sophie Forster Carbonnier (Ve), rapporteuse de deuxième minorité. Je voulais juste revenir sur certains points qui ont été mentionnés pendant la discussion. Tout d'abord, concernant ces fameux cas bagatelles, dont la commission a parlé lors de ses débats, ce projet de loi prévoit donc d'exonérer totalement de tout rappel d'impôt toute soustraction fiscale inférieure à 80 000 F. Les partisans de cette proposition ont évidemment affirmé en commission qu'il s'agissait d'inciter les petits épargnants, les personnes aux revenus modestes, à déclarer leur argent. Nous nous opposons à cette disposition pour deux raisons. Premièrement, parce qu'il s'agit ici de pure démagogie: en effet, à l'heure actuelle, dans la loi, cette déduction est inutile puisque le seuil des déductions sociales est fixé aujourd'hui dans la loi à 82 000 F. Donc, en fait, concernant ces cas bagatelles, que l'on nous présente comme étant un cadeau, les petits épargnants qui auraient économisé 80 000 F ne sont de toute façon pas soumis à l'impôt actuellement.
Deuxièmement, il a été déclaré dans cette salle que la loi fédérale ne fonctionne pas... A nouveau, je le répète: oui, elle fonctionne ! La loi fédérale fonctionne. A l'heure actuelle, plus de 1000 personnes se sont dénoncées en Suisse. A Genève, on a eu des cas de dénonciation pour environ 13 millions de francs, ce qui n'est pas négligeable du tout. Ainsi, je pose la question suivante, qui est à peu près la même que celle de ma collègue Mme Schneider Hausser: ne serait-ce pas plutôt la crainte aujourd'hui qui incite les initiants de ce projet de loi à proposer une telle amnistie fiscale ? La crainte, car, en effet, oui, l'étau se resserre; oui, les Etats collaborent aujourd'hui de plus en plus pour lutter contre la soustraction fiscale. J'en ai terminé, Monsieur le président.
M. Pierre Conne (R), rapporteur de majorité. J'aimerais juste revenir sur ce qui a été dit. Je relève dans le fond que notre débat politique de ce soir s'articule autour de trois postures: deux postures défendues par ces dames, les rapporteures de minorité, et leur groupe, ainsi qu'une posture défendue par la majorité de la commission et les groupes qui la représentent.
La première posture que j'identifie, je la qualifierais de perdante, parce qu'elle veut nous faire croire que ce projet d'amnistie fiscale ne rapportera rien et que de toute façon, étant opposé au droit fédéral, il ne pourra pas aboutir. Quant à la deuxième posture, je la qualifierais de dogmatique, voire d'infantile, parce qu'elle continue encore et toujours à vouloir opposer les citoyens modestes et honnêtes aux citoyens riches et malhonnêtes. Et la troisième posture - celle que je défends et que je vous propose - est simplement une posture gagnante-gagnante. Pourquoi ? Parce que l'Etat sera gagnant, la fiscalité de notre canton sera gagnante, et les contribuables concernés seront également gagnants, non pas parce qu'ils auront triché, mais parce qu'ils seront revenus dans la légalité. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo ! (Exclamations.)
M. David Hiler, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, après le dépôt de ce projet de loi, j'avais eu l'occasion de vous dire que le Conseil d'Etat, en l'état, n'était pas favorable à ce projet, puisque le taux de réduction était tout de même extraordinairement important: 70%, non pas de l'amende, mais de l'argent dû. En effet, la question de l'amende, elle, était réglée parfaitement par le droit fédéral. Donc non pas la sanction, mais le dû.
Je vous avais indiqué également en commission que le Conseil d'Etat retraiterait de la question à la fin de vos travaux; il a noté les amendements déposés, notamment par le groupe démocrate-chrétien, et il accueille favorablement l'idée que cette amnistie ne soit pas étendue aux entreprises où, là, compte tenu des montages sophistiqués, nous aurions été dans une situation assez désagréable.
Le Conseil d'Etat a donc rediscuté de cette question et, sur la base de ce qu'il reste pour les personnes physiques - c'est-à-dire les 70%, portant à la fois sur le revenu et sur la fortune - le Conseil d'Etat n'est pas favorable à cette amnistie, pour des raisons qui ne sont pas forcément celles qui ont été développées par les uns ou par les autres, et qui tiennent en réalité à trois éléments.
Premièrement, nous pensons que c'est un mauvais message à l'égard de contribuables peu nombreux, mais assurément immensément riches, qui jouent aujourd'hui sur des possibilités consistant à s'établir en Suisse centrale tout en continuant à vivre à Genève - j'insiste là-dessus. Le message que l'on donne à ces gens-là est le suivant: «Ne vous en faites pas, cela s'arrangera dans vingt ans pour vos héritiers ou pour vous.» C'est tellement vrai que l'on a même vu des gens s'établir en Suisse centrale après avoir durement négocié le fait d'annoncer postérieurement le montant de ce qu'ils avaient fraudé au fisc, et ces faits ne vous sont pas inconnus puisqu'ils figurent dans un rapport ICF. Par conséquent, Mesdames et Messieurs, le message aujourd'hui est vraiment brouillé. Nous avons une immense majorité de gens riches qui, à l'évidence, déclarent ce qu'ils doivent, mais il y a toujours un petit nombre de personnes qui, elles, sont prises par l'avidité, et à ces personnes-là nous ne devons pas donner un message de laxisme aujourd'hui.
Le deuxième message faux, à notre avis, c'est à l'égard de la Suisse. Je dois vous dire que, si vous lisez de temps en temps les journaux suisses alémaniques, vous avez pu constater qu'outre-Sarine on a été frappé que Genève fasse cavalier seul alors même que Zurich se dise très satisfait de l'amnistie fédérale, qui a permis de tripler ce qu'il obtient d'habitude par les dénonciations spontanées. Evidemment, il y a le Jura et, à l'époque, on croyait encore que le Tessin allait le faire, ce qui n'est pas le cas. Et il y a Genève... Voilà, ils laissent tout faire, et ce n'est pas bon; ce n'est pas bon parce que, par rapport à un certain nombre de pratiques fiscales extrêmement limites de la Suisse orientale, sur la question tant des personnes physiques que des personnes morales - notamment la localisation de sociétés qui ne possèdent strictement que le brevet, qui se trouvent dans des cantons de Suisse orientale et dont on prétend que c'est là que le revenu se réalise, alors que tout le reste est à Genève - nous estimons que cela a affaibli la position de Genève dans ces discussions.
Le troisième élément, c'est le message à l'égard de l'étranger qui, le moins que l'on puisse dire, regarde avec attention ce qui se fait en Suisse ces temps, et le message est assez compliqué à comprendre. Nous sommes connus - à tort ou à raison - comme un réservoir d'argent non déclaré; aujourd'hui, la stratégie a changé, le profil d'affaires a changé, on est avec de l'argent blanc, pour prendre la traduction littérale de l'allemand du PLR. (Commentaires.) Oui, ça c'est la traduction suisse romande ! Et nous, septième, huitième, neuvième place financière, alors qu'aucun canton suisse économiquement significatif ne procède à cette amnistie, nous allons la pratiquer ? Pourquoi diable ? Qu'avons-nous à cacher ? Est-ce que par hasard, en plus de toutes les pratiques sur lesquelles l'Union européenne aimerait que nous revenions en arrière - sans vraiment de base juridique, d'ailleurs, je le précise, ce sont des négociations - est-ce que par hasard nous voudrions donner le signal que non seulement nous avons des pratiques qui sont contestées sur nos techniques d'imposition, mais qu'en plus nous n'imposons pas les gens pour de vrai ? Ce que nous ne serions pas les seuls à faire dans le monde, certes... C'est encore, à notre avis, un mauvais message.
Je conclurai sur la question juridique. Il y a un doute, et je regrette simplement, Monsieur le député Jornot, que vous vous soyez un petit peu laissé aller dans l'argumentation. (Exclamations.) Je suis payé pour me faire insulter, mais mes collaborateurs ne le sont pas. M. Dufey - certains d'entre vous le connaissent bien, c'est le fils de l'ancien secrétaire général - qui a fait cela est convaincu de cette affaire, et j'aurais bien eu de la peine à lui donner le moindre ordre, parce que jamais je n'avais pensé que c'était ça le problème. Aujourd'hui, je crois avoir compris quel est le problème, je vous ai indiqué en commission, Monsieur Jornot, que je n'en savais rien, et de toute façon cela n'a pas beaucoup d'importance, puisque ce sont les tribunaux qui trancheront. On peut donc toujours dire des choses ou des autres, vous savez bien qu'il y a plusieurs avis, et je pense qu'il conviendrait quand même que vous retiriez quelques propos; les gens ont le droit de ne pas être de votre avis sur le plan juridique, tout en étant des gens indépendants et honnêtes, et c'est le cas de ce collaborateur. Je voulais juste le signaler.
Il y a un deuxième élément au moins que personne ne conteste. Vous allez vraisemblablement, d'après les déclarations des uns et des autres, voter cette amnistie; elle sera soumise au peuple, puisqu'il y a un référendum obligatoire sur ces questions, et de la sorte nous aurons une première indication des aspects juridiques qui tiennent effectivement au fait de savoir si concéder ce genre d'avantages peut être compris dans la LHID aujourd'hui, ou si ce n'est simplement pas une concurrence matérielle, mais justement par des astuces sur la manière d'imposer les gens. Cette question sera tranchée par les tribunaux, et je n'entends pas dire un mot de ce sujet que je maîtrise fort mal. Les chiffres sont plus mon affaire que le droit.
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, les trois raisons, essentiellement, qui font que notre Conseil ne soutient pas ce projet, qu'il pense préjudiciable à bien des égards et notamment par rapport à notre image en Suisse et à l'étranger. (Applaudissements.)
Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. La parole n'étant plus demandée, nous allons voter sur l'entrée en matière de ce projet de loi.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. La parole n'étant plus demandée, nous allons voter sur l'entrée en matière de ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 10657 est adopté en premier débat par 61 oui contre 29 non.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'article 1 (souligné).
Le président. A l'article 2 souligné, nous sommes saisis d'un amendement de la seconde minorité, qui consiste à supprimer l'alinéa 1 de cet article 2 souligné.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 60 non contre 29 oui.
Mis aux voix, l'article 2 (souligné) est adopté par 61 oui contre 29 non.
Mis aux voix, l'article 3 (souligné) est adopté.
Le président. Le troisième débat n'est pas demandé... (Remarque.) Si ! Merci, Monsieur le conseiller d'Etat !
Troisième débat
La loi 10657 est adoptée article par article en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 10657 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 60 oui contre 29 non. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)