République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 19 mars 2010 à 20h30
57e législature - 1re année - 6e session - 30e séance
R 586
Débat
M. Pierre Weiss (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, «ich bin ein Berner» et je vous expliquerai par la suite pourquoi.
Depuis le début de ce siècle, notamment avec la civilisation des loisirs, on assiste à une montée en puissance des institutions culturelles, jadis confinées aux publics des villes. Elles sont montées en puissance dans les publics qu'elles ont concernés, qui sont venus des campagnes environnantes puis des autres cantons. Elles sont montées en puissance dans les dépenses qu'elles occasionnent. Elles sont aussi montées en puissance par rapport aux capacités de ceux qui en avaient traditionnellement la responsabilité, je veux parler des communes. (Brouhaha.)
Il apparaît donc nécessaire de songer à une restructuration du paysage culturel pour une nouvelle répartition des compétences. C'est d'autant plus nécessaire que la Constitution fédérale accorde aux cantons un rôle éminent en la matière en son article 69. Puis, on se rend compte aussi qu'il n'y a pas que le canton qui doit avoir de l'importance; il y a également le secteur privé. Récemment, dans le cas d'un musée genevois, on a vu l'importance qu'un partenariat public-privé pouvait avoir pour le redéploiement des activités du Musée d'art et d'histoire, puisque c'est de lui que je veux parler ici. Voilà les côtés nouveaux, positifs, de cette montée en puissance des cantons - voire des régions, parce qu'il ne faut pas ignorer le rôle ou la dimension régionale en matière de culture. C'est aussi la montée en puissance du secteur privé en matière culturelle.
Cette restructuration est aussi rendue nécessaire parce que ceux qui avaient traditionnellement la responsabilité de la culture, à savoir les communes, n'ont pas toujours été à la hauteur de leur rôle qui leur était attribué par l'histoire, par la tradition, par l'inertie. S'agissant de la Ville de Genève, je pense par exemple au Musée de l'horlogerie, dont on a vu où pouvait mener l'incurie, à savoir à la disparition d'une partie importante de ses collections. Je pense au Musée d'art et d'histoire, qui a failli, à un certain moment, tomber en ruine. Je pense au Grand Théâtre, où des hésitations en matière de stratégies culturelles, probablement des politiques de besoins ailleurs ou des choix idéologiques, ont amené à mettre en danger l'institution; et là, il a tout à coup fallu que le secteur privé ou, par des subterfuges, d'autres moyens publics arrivent à la rescousse. Enfin, je pense même à quelque chose que j'ai lu dans un journal que l'on nous a distribué hier dans cette salle et où...
Le président. Il faut penser vite, Monsieur le député, car il faut conclure !
M. Pierre Weiss. Je vais penser vite ! ...l'auteur d'un petit «Zizi sexuel» met en cause, au fond, la Ville de Genève pour n'avoir même pas voulu héberger ici une exposition qui va se trouver à Lausanne. Je ne parle pas de ses jugements sur le responsable de la culture genevoise. (Exclamations.)
Bref, il s'agit aujourd'hui de donner aux communes un rôle d'incubateur. Il s'agit de donner au canton un rôle probablement de coordinateur...
Le président. Il faut conclure, Monsieur le député !
M. Pierre Weiss. Je conclus ! ...un rôle de coordinateur et notamment de responsable pour les grandes institutions culturelles. Voilà le sens de cette proposition de résolution, à laquelle je vous remercie de faire bon accueil.
M. Antoine Bertschy (UDC). Je noterai que mon préopinant a parlé d'incubateur, de zizi sexuel; la procréation est en bonne marche dans ce canton, je le remarque ! (Brouhaha.)
Le groupe UDC se réjouit de traiter cette résolution en commission. Nous ne nous opposerons pas à un renvoi en commission... (Remarque.) Mon chef de groupe me dit qu'il souhaite qu'on la renvoie à la commission fiscale. J'ai quelques doutes. Mais si vraiment la commission fiscale veut traiter de cela, alors pourquoi pas ? Personnellement, je serais plutôt favorable au renvoi à la commission de l'enseignement, de l'éducation et de la culture, ce qui me semble beaucoup plus logique. Donc je fais la proposition officielle de renvoyer la résolution à cette commission. (Brouhaha.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à Mme Serdaly Morgan. (Un instant s'écoule.) Mme Serdaly Morgan ne désirant pas prendre la parole...
Une voix. Si !
D'autres voix. On n'entend rien !
Mme Christine Serdaly Morgan (S). Mesdames et Messieurs les députés, lors de la session précédente de notre Grand Conseil, vous avez rejeté le projet de loi socialiste 10205 intitulé «Fonds d'investissement et de soutien aux institutions culturelles», au motif qu'il n'était plus en phase avec l'actualité, en particulier avec la nomination de la commission extraparlementaire, mise en place par le DIP, qui rendra par ailleurs ses conclusions au mois d'avril et qui permettra, nous l'espérons, de voir un véritable projet culturel cantonal émerger.
Il en est dès lors de même pour cette résolution. Nous vous inviterons à procéder avec cohérence et à la refuser. Certes, la résolution pointe, tout comme le projet de loi, le fait que la répartition des rôles entre Etat et communes mérite que l'on s'y penche, que la question a près de vingt ans et qu'il est temps que l'Etat, à l'instar d'autres cantons, occupe la place qui lui est dévolue tout en construisant une vision fondée sur un partenariat durable avec les communes. Les socialistes ne peuvent que saluer une vision qui place enfin la culture comme un élément de la qualité de vie des Genevois et du rayonnement de notre canton.
Mais si cette résolution n'est elle-même plus en phase avec l'actualité, elle présente par ailleurs quelques biais qu'il est nécessaire de relever pour l'avenir du débat. Une politique culturelle cantonale ne se réduit ni à ses institutions, ni à leur inventaire. Elle ne peut non plus se réduire à un calendrier de mise en oeuvre de propositions de répartitions des charges. Elle peut créer les conditions pour favoriser le partenariat public-privé mais, comme on le sait, elle ne peut assurer sa propre pérennité en reposant sur le privé. Et l'on ne dictera à aucune fondation ni entreprise mécènes une quelconque répartition des charges. Ce serait méconnaître les pratiques en la matière ou faire preuve de naïveté ou d'angélisme, ce qui ne constitue certainement pas l'assurance d'une politique culturelle cantonale. Il y a donc un écart considérable entre les ambitions des considérants et l'invite de la résolution.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, laissons oeuvrer la CELAC, la commission extraparlementaire ad hoc. N'imposons pas de vision aujourd'hui et préparons-nous à mobiliser l'énergie qui semble traverser bon nombre de nos partis pour discuter du projet de loi et de la vision qui nous seront soumis prochainement. Il sera alors temps de rappeler les qualités que nous attendons d'une politique culturelle. Dans cette perspective, le groupe socialiste vous invite à refuser cette résolution.
M. Frédéric Hohl (R). Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes étonnés de la position des socialistes parce que, somme toute, cette résolution nous donne des pistes. Par le dépôt de cette résolution, on ne souhaite pas résoudre toute la problématique culturelle de notre canton mais bien ouvrir le débat en commission. Par conséquent, pour le bien de la culture de notre canton et des communes, car nous tenons tous à cette culture cantonale et communale - également avec l'apport des privés - le parti radical vous encourage vivement, Mesdames et Messieurs, à suivre cette résolution et à la renvoyer à la commission de l'enseignement.
M. François Gillet (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, par rapport à l'intervention de Mme Serdaly Morgan, j'aimerais mettre en évidence une différence, en tout cas pour nous démocrates-chrétiens, entre le projet de loi socialiste qui proposait d'instituer un nouveau fonds, donc une nouvelle structure assez précise et contraignante dans le financement de la culture à Genève, et cette proposition de résolution qui demande de procéder à un inventaire. On n'est pas tout à fait sur le même plan.
Il est vrai que cet inventaire devra probablement être fait à la lumière des conclusions de la commission externe, qui est sur le point de conclure ses travaux. Je pense qu'il sera utile en commission d'avoir à la fois les conclusions de cette commission externe et peut-être des pistes du Conseil d'Etat quant à ce qu'il conviendrait de revoir au niveau de la répartition des tâches et des compétences. (Brouhaha.) Je rappelle que le forum des acteurs culturels, qui a fait un gros travail ces dernières années sur ces problématiques, reconnaissait qu'il y avait effectivement matière à repenser la répartition des responsabilités, notamment dans le domaine des grandes institutions.
Donc le groupe démocrate-chrétien pense que cette résolution doit être renvoyée à la commission de l'enseignement pour qu'on en discute, probablement en parallèle avec les conclusions de la commission externe qui arriveront tout prochainement.
M. Pierre Losio (Ve). Le groupe des Verts a pris une décision principielle concernant le problème de la répartition des charges et des compétences au sujet de la culture. Nous savons que la Constitution fédérale délègue le pouvoir et la gestion de la culture aux cantons. Toutefois, notre décision principielle est de ne pas prendre position avant d'avoir connu les conclusions du rapport de la commission externe et avant de savoir comment le Conseil d'Etat entend les appliquer.
Cette résolution est une déclaration d'intention; or nous n'avons pas de déclaration d'intention à faire, à ce jour, ce qui ne nous empêche pas d'avoir des opinions. Cependant, nous restons sur notre position consistant à attendre de savoir quelles sont les conclusions de la commission et les intentions du département. Il aurait été souhaitable que cette résolution et le projet de loi 10205 fussent renvoyés à la commission de l'enseignement, avec comme recommandation que ces deux textes y soient gelés, que l'on n'entre pas en matière avant de connaître les conclusions. Comme nous ne pouvons avoir aucune assurance concernant ce gel, puisqu'il n'est pas dans les compétences du Grand Conseil de décider a priori ce qu'une commission pourrait faire ou ne pas faire, nous adopterons la même position que celle que nous avons adoptée sur le projet de loi du parti socialiste. Nous ne sommes pas opposés mais nous ne souhaitons pas nous prononcer avant d'avoir des conclusions claires. C'est la raison pour laquelle, Monsieur le président, nous nous abstiendrons.
Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, contrairement aux socialistes et aux Verts, le MCG acceptera de renvoyer cette résolution à la commission de l'enseignement, tout en demandant à cette commission - on lui fait confiance - de prendre connaissance du rapport de la commission externe. On peut absolument faire confiance à la commission, qui prendra le temps et qui établira une planification de ses travaux en fonction de cela.
Nous voulions aussi dire que tout ceci nous montre la difficulté de répartir des tâches et compétences entre Ville et canton, si nous y regardons aussi l'évolution historique de l'ensemble des activités culturelles qui ont été développées. Nous vivons dans un canton et une ville absolument richissimes d'un point de vue culturel par la diversité et la qualité des propositions, mais aussi par la mobilité et la fluidité de l'évolution culturelle.
Nous voudrions aussi relever que les tâches et compétences ne sont pas choses aisées à gérer en raison de l'évolution historique, des enjeux, des partenariats privés et publics, et de la mobilité de l'art d'une manière générale. Si l'on regarde la manière dont évolue aujourd'hui l'association de l'ensemble des galeries de Genève, par exemple, on se rend compte de l'évolution de ces vingt dernières années et de la difficulté à véritablement faire en sorte qu'il y ait une espèce de coordination et d'homogénéisation. Par conséquent, dans le domaine culturel, l'une des recommandations que l'on pourrait faire à la commission est de tenir compte de cette richesse, de cette mobilité, de cette évolution.
Si nous sommes aujourd'hui très attachés à la culture de proximité, je crois qu'il faut quand même considérer aussi tout ce qui a permis le développement de cette culture de proximité et regarder un peu en avant, vers l'avenir. Nous aurons très probablement une politique et une géographie culturelles à Genève extrêmement différentes d'aujourd'hui. Donc nous sommes très contents de renvoyer cette résolution à la commission de l'enseignement.
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le débat qui s'est ouvert avec cette résolution va encore très vraisemblablement nous rassembler durant quelques sessions, sur plusieurs mois et probablement sur davantage de temps encore. En effet, la politique culturelle, tout particulièrement en ce qui concerne les investissements, mais également la répartition des tâches entre canton et communes, est interrogée à la lumière de plusieurs événements d'actualité, si j'ose dire, touchant notamment un certain nombre des grandes institutions de notre canton au sens territorial du terme.
Je souhaite évidemment que la commission externe puisse nous livrer l'avant-projet qu'elle s'est engagée à nous transmettre avant la fin du mois d'avril, de manière que nous soyons en mesure d'entrer dans le vif du sujet au cours de cette année déjà. Je pense que la résolution, comme l'ont également été le projet de loi du parti socialiste et d'autres contributions, représente évidemment des pistes de réflexion et de discussion que l'élément «méthode de travail» doit précéder. C'est pourquoi il est indispensable que nous puissions effectivement d'abord traiter d'un avant-projet, celui de la commission externe, pour entrer ensuite dans le vif du sujet et notamment évoquer la place des grandes institutions dans notre canton, tant il paraît en tous les cas important d'y consacrer une part pour le canton en ce qui concerne le pilotage et la gestion des institutions.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets maintenant la proposition qui nous a été faite, à savoir le renvoi de cette proposition de résolution à la commission de l'enseignement, de l'éducation et de la culture.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 586 à la commission de l'enseignement, de l'éducation et de la culture est adopté par 47 oui contre 11 non et 10 abstentions.