République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 19 mars 2010 à 17h
57e législature - 1re année - 6e session - 29e séance
PL 10640-A
Premier débat
M. Renaud Gautier (L), rapporteur. Pour résumer les nombreux travaux et auditions effectués par cette commission, je vous donne un certain nombre de définitions.
Je commence par les ARE et les EdS dans la loi genevoise. La loi cantonale en matière de chômage - la LMC - telle que votée par le peuple le 16 décembre 2007 a introduit des dispositions de réinsertion en faveur des chômeurs parvenus au terme de leur délai d'indemnisation par l'assurance-chômage. Parmi les mesures les plus fortes, il y a les allocations de retour en emploi - les ARE - et les emplois de solidarité - les fameux EdS.
Ces mesures sont destinées exclusivement aux personnes qui perdent leur droit aux indemnités fédérales. Ces personnes sont en effet doublement fragilisées: du point de vue économique par la perte des indemnités de l'assurance-chômage, et du point de vue de leur réinsertion, car la durée du chômage est le facteur le plus pénalisant pour retrouver un emploi.
Les ARE facilitent l'engagement par un employeur privé d'un chômeur en fin de droit dont l'Etat prend en charge 50% du salaire pendant douze mois, charges sociales comprises. Cette prise en charge est dégressive: 80% le premier trimestre, 60% le deuxième trimestre, 40% le troisième et 20% le quatrième. Pour les chômeurs âgés de plus de 55 ans, la durée d'application de la mesure est doublée.
Le programme des emplois de solidarité permet à des chômeurs en fin de droit, en rupture de lien social, de trouver un emploi à durée indéterminée dans le marché secondaire de l'emploi, auprès d'entreprises à but non lucratif et d'utilité publique.
Ces deux mesures ont permis en 2009 à 629 chômeurs en fin de droit de retrouver un emploi. Cela malgré le ralentissement économique observé. En 2008, le résultat était de 667 personnes réinsérées. Il est bon de rappeler que le meilleur moyen d'éviter qu'une personne ne s'inscrive à l'aide sociale n'est pas d'y retarder son entrée mais bien de la réinsérer professionnellement.
Quelques informations sur les indemnisations en droit fédéral. La durée d'indemnisation maximale d'indemnités journalières de l'assurance-chômage est actuellement de 400 jours pour la majorité des chômeurs. Elle est déjà de 520 pour les chômeurs les plus âgés et ceux touchant une rente partielle AI. Pour certaines catégories de chômeurs, la durée d'indemnisation n'est que de 260 jours.
Suite au vote par le Grand Conseil de la résolution 602, le Conseil d'Etat a sollicité auprès de la Confédération le prolongement de la durée maximale d'indemnisation, comme le permet la LACI. La Confédération peut en effet accorder un prolongement de 120 jours pendant une période de six mois si la situation économique le justifie, ce qui est le cas à Genève.
Quelle est la conséquence, Mesdames et Messieurs, de la résolution 602 sur les ARE et les EdS ? Le prolongement de la durée d'indemnisation du chômage de 120 jours constitue un risque majeur pour les ARE et les EdS, la loi cantonale les réservant aux personnes parvenues en fin de droit. Concrètement, pendant 120 jours ouvrables, soit près de six mois, plus aucun contrat ARE ou EdS ne pourra être signé. Les entreprises souhaitant profiter des avantages de l'ARE devront donc y renoncer et, dans le secteur des emplois de solidarité, ce sont environ 125 personnes qui ne pourront trouver un emploi. Dans ce secteur, certains cas seront particulièrement problématiques, notamment les programmes «Mary Poppins», «Chaperon Rouge» et «Présence Seniors», qui fournissent des services de garde d'enfants ou d'accompagnement des seniors, pour lesquels de grands recrutements sont prévus.
C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat souhaite modifier en urgence la loi cantonale en matière de chômage, de manière à permettre aux chômeurs de bénéficier d'une ARE ou d'un EdS dès le 401e jour d'indemnisation, au lieu d'attendre le 520e jour.
Ce projet de loi déposé par le Conseil d'Etat est donc sollicité en urgence, afin de permettre son entrée en vigueur à l'issue du délai référendaire dès la fin avril ou le début mai; on évite ainsi de devoir renoncer à la réinsertion professionnelle de chômeurs de longue durée. Rappelons encore que l'impact budgétaire de ce projet de loi est nul, puisque le budget 2010 a été établi sur la base d'une durée d'indemnisation maximale standard.
C'est la raison pour laquelle, Mesdames et Messieurs les députés, l'unanimité de la commission vous suggère d'accepter le projet de loi 10640. (Applaudissements.)
Mme Anne Emery-Torracinta (S). Le projet de loi qui vous est soumis maintenant représente donc la suite de la résolution socialiste acceptée par la majorité de ce parlement lors de la dernière session. Et je tenais d'abord, au nom du groupe socialiste, à remercier le Conseil d'Etat d'avoir suivi cette résolution et demandé à la Confédération de prolonger l'indemnisation des chômeurs de 120 jours. Même si, Monsieur le conseiller d'Etat Longchamp, je regrette un peu que vous ayez été plus royaliste que le roi, en vous autocensurant d'emblée en demandant que cette mesure ne concerne que les personnes de 30 ans et plus, puisque rien dans la loi fédérale, rien dans l'ordonnance fédérale, n'indique une telle limitation. C'est seulement le SECO, dans les cantons qui ont fait cette demande, qui a mis cette limite à 30 ans. Nous regrettons cela infiniment parce que, s'il y a des personnes qu'il faut réinsérer, ce sont bien les jeunes !
Cela montre aussi - et c'est pour cela que le parti socialiste votera ce projet de loi aujourd'hui - contrairement à ce que vous nous aviez dit la dernière fois lors du débat, Monsieur le conseiller d'Etat, que l'on peut être favorable à la prolongation des 120 jours sans forcément remettre en question la loi actuelle sur le chômage !
Cela dit, le parti socialiste votera certes le projet de loi qui nous est soumis, mais ce n'est pas pour autant un blanc-seing en faveur de la politique menée par le gouvernement contre le chômage.
En effet, si nous saluons le principe des ARE - les allocations de retour en emploi - nous mettons de très forts bémols par rapport aux emplois de solidarité, et cela pour trois raisons essentielles.
La première raison, c'est que les emplois de solidarité nous ont été présentés en 2008 - au moment où la loi est entrée en vigueur - comme un moyen de réinsérer ensuite les personnes concernées sur le marché ordinaire du travail, comme un tremplin. Or les chiffres dont nous disposons actuellement - ce sont d'ailleurs des chiffres anciens, et c'est bien pour cela que j'ai déposé toute une série d'interpellations urgentes écrites afin d'obtenir des chiffres plus récents - et qui datent de juillet 2009 dissocient les cas de figure. Et, sur les 304 personnes qui ont bénéficié à Genève d'un emploi de solidarité, seulement sept - sept, Mesdames et Messieurs les députés ! - ont été réinsérées sur le marché du travail ! Alors, on peut probablement imputer ce fait à la crise économique, à la conjoncture, mais on ne peut en tout cas pas qualifier cette mesure de «mesure-tremplin» !
Le deuxième bémol, c'est bien sûr la question des salaires. Les deux tiers des emplois de solidarité sont payés seulement 3000 F par mois... Comment voulez-vous, notamment lorsqu'on a une famille, vivre à Genève avec 3000 F par mois ? C'est un vrai problème !
Et cela m'amène au troisième bémol, à savoir la durabilité de ces emplois. En réalité, on crée souvent des emplois de solidarité dans des secteurs où il faudrait créer des emplois durables. M. le rapporteur a parlé de «Présence Seniors», qui est mis en place par la Croix-Rouge et qui est un excellent projet, puisqu'il permet de soulager les proches des personnes âgées en accompagnant ces personnes âgées, justement pour éviter que ces proches ne soient trop sollicités. Toutefois, vu le vieillissement de la population et les besoins inhérents à ce vieillissement qui vont se faire sentir ces prochaines années, ce ne sont pas des emplois de solidarité qu'il faut créer dans ce secteur, mais des emplois durables, car ce sont des emplois d'avenir ! Du reste, le parti socialiste aura très certainement bientôt l'occasion de vous présenter un certain nombre de projets dans ce domaine.
En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, nous soutiendrons le projet de loi d'aujourd'hui, parce qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain - il n'est pas question de prétériter les chômeurs qui arrivent maintenant en fin de droit - même si, je le répète, cela ne représente pas de notre part une adhésion de fond à la politique qui est menée aujourd'hui pour lutter contre le chômage !
M. Eric Stauffer (MCG). Le groupe MCG soutiendra aussi ce projet de loi qui est une modification de la loi genevoise et qui apparaît comme étant une modification technique par rapport à la prolongation de 120 jours des indemnités chômage.
Mais nous tenons à profiter de ce projet de loi pour dénoncer avec vigueur l'arrogance dont le conseiller d'Etat a fait preuve dans le dossier du chômage. Il ne s'en est fallu que d'une voix pour que cette résolution passe, mais nous avons tous entendu - comme la population genevoise - le lendemain dans les médias que le Conseil d'Etat n'entendait pas forcément appliquer cette résolution, qu'elle n'avait aucun effet contraignant... C'est méprisant à l'égard de ce parlement qui l'avait votée à la majorité !
Ensuite, nous avons entendu qu'il verrait, que cela s'appliquerait peut-être pour les plus de 55 ans... Et, aujourd'hui, on nous soumet finalement un texte qui indique, dans l'exposé des motifs, que cette mesure va s'adresser aux chômeurs de plus de 30 ans... Quand on demande pourquoi, on nous répond que, pour les jeunes chômeurs, il n'est pas nécessaire d'augmenter la période d'indemnisation du chômage, qui est de 106 jours. Eh bien, justement, si tel est l'argument du Conseil d'Etat, en quoi, pour les quelques cas qui auraient pu poser plus de problèmes, était-il impératif de limiter cette mesure aux personnes de plus de 30 ans ?
Je vais vous en expliquer la raison ! Cela n'a rien à voir avec le fait d'aider ou pas les chômeurs et leur famille qui ont été touchés par la disgrâce du chômage: c'est simplement pour limiter les statistiques en matière de chômage ! Le Conseil d'Etat va certainement répondre encore, avec l'arrogance qui le caractérise, qu'un demandeur d'emploi qui est inscrit au chômage, même s'il n'a pas d'indemnité, est compté dans les statistiques des chômeurs... Ce sont des balivernes: aucun contrôle n'est effectué à ce niveau ! Vous pouvez bien imaginer qu'un chômeur qui est inscrit au chômage et qui ne touche pas d'indemnité ne va pas écrire au chômage pour indiquer qu'il a retrouvé un travail, si par bonheur il en retrouve un. Il laisse le dossier de côté, et donc aucune statistique sérieuse n'est faite par rapport à cela !
C'est donc pour une question de statistiques ! Et le gouvernement affiche encore de l'arrogance, en alléguant qu'à Genève le chômage est de 6,2% alors qu'il est de 7,4%... Quoi qu'il en soit, la population n'est pas dupe ! Tout le monde sait très bien que Genève ne se porte pas bien en termes d'emploi: on sait très bien qu'il y a trop de main-d'oeuvre qui provient de la zone euro, de l'Europe, que les eurofrontaliers viennent de plus en plus loin.
Et la mesure que l'on nous propose aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, c'est de créer des emplois de solidarité à 3000 F pour ceux qui n'ont pas de certificat, et à 3500 F pour ceux qui ont un CFC ! Et puis figurez-vous que dans certaines conventions collectives touchant certaines professions à Genève, le salaire est justement de 3300 F ! Vous m'expliquerez comment une famille peut vivre à Genève avec 3300 F par mois ! Par contre - vous l'aurez compris - pour la main-d'oeuvre frontalière, c'est deux fois et demie le SMIC ! Evidemment, avec un salaire d'environ 2000 euros, ils peuvent vivre très bien en France !
Je vous le demande, Mesdames et Messieurs, quelle Genève voulons-nous pour l'avenir ? Quelle Genève voulons-nous pour nos enfants ? Voulons-nous faire de Genève une ville, un canton d'assistés, où le salaire moyen sera revu aux alentours des 3500 F, qui deviendront la règle tant la concurrence va être féroce par rapport aux personnes qui viennent de l'Union européenne ? Ce gouvernement va-t-il enfin se réveiller pour indiquer qu'il y a là un vrai problème ? Le signal a été donné...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !
M. Eric Stauffer. Je conclus, Monsieur le président ! ...un certain 11 octobre: la population veut du changement ! Ou allons-nous assister à un pitoyable numéro d'arrogance où l'on va nous affirmer que tout va bien dans le meilleur des mondes, qu'à Genève le chômage est résorbé, que nous travaillons beaucoup et qu'il diminue ?! Car c'est ce que vous allez entendre dans quelques minutes ! (Applaudissements.)
M. François Longchamp, président du Conseil d'Etat. La situation du chômage est difficile pour les personnes qui la connaissent. Je suis heureux que ce parlement ait conscience des outils proposés par le canton de Genève. Les emplois de solidarité et les allocations de retour en emploi, même s'ils sont perfectibles, permettent à certains chômeurs en fin de droit, c'est-à-dire ceux qui sont confrontés aux difficultés les plus grandes et pour lesquels notre attention doit être la plus soutenue, de retrouver un travail et de pouvoir envisager un avenir meilleur. Nous plaçons en effet environ 30 personnes par mois grâce aux allocations de retour en emploi et 20 personnes grâce aux emplois de solidarité. Aujourd'hui, 343 personnes ont un emploi de solidarité. Mme Anne Emery-Torracinta m'a interpellé sur le nombre de personnes qui ont actuellement retrouvé une situation. Il y en a 30: 17 ont retrouvé un emploi et 13 ont entamé une formation ou ont décidé de se reconvertir et de choisir une autre option professionnelle.
Bien sûr, c'est insuffisant, mais ces outils sont néanmoins des solutions très concrètes. Et si nous ne modifions pas cette loi comme vous le propose le Conseil d'Etat, la prolongation des indemnités chômage privera mécaniquement certaines personnes d'un emploi de solidarité ou d'une allocation de retour en emploi, quand bien même elles le souhaiteraient, car nous n'aurons plus la possibilité légale de le faire.
L'un des effets pervers, que je vous signalais lors du débat sur la prolongation des indemnités chômage, se trouve donc ici corrigé sur proposition du Conseil d'Etat. Je vous remercie d'y donner suite. D'autres effets pervers, malheureusement, subsisteront, et je réitère mes doutes sur la mesure que vous avez prise.
Mais je ne peux pas entendre, Monsieur le député, que le Conseil d'Etat a d'une manière ou d'une autre essayé de bafouer la volonté du Grand Conseil ! En effet, dans la demi-heure qui a suivi le vote du Grand Conseil, j'ai indiqué de manière claire, alors que rien ne contraignait le Conseil d'Etat, que celui-ci appliquerait la résolution votée par ce parlement, quand bien même elle ne lui plaisait pas. Il en est ainsi ! Et nous aurions pourtant pu largement disserter sur la façon dont ce vote a été fait !
Enfin, je signale que la limite de 30 ans n'a pas été fixée par le Conseil d'Etat. Elle l'a été par le Conseil fédéral - pas par le SECO - qui, dans le canton de Vaud, à Neuchâtel et dans le canton du Jura, a indiqué qu'il n'acceptait les prolongations qu'au-delà de 30 ans. J'ai personnellement négocié à Berne la prolongation des indemnités, et le Conseil fédéral m'a averti que la mesure proposée par le canton de Genève ne serait acceptée et acceptable que si elle était présentée pour les plus de 30 ans. J'aurais volontiers, Monsieur le député, proposé une mesure différente, mais je vous aurais certainement entendu, à ce moment-là, pérorer dans ce Grand Conseil en nous expliquant que cela avait différé l'accord du Conseil fédéral d'un mois et aggravé encore la situation de certaines personnes !
Je vous remercie donc d'avoir - en particulier, vous, Monsieur le président - convoqué la commission de l'économie entre deux séances, pour trouver une solution concrète qui permettra tout de même à 50 personnes par mois - des chômeurs en fin de droit, ceux pour lesquels, je l'ai dit, notre attention doit être la plus soutenue - de trouver une réponse à leur problème qui corresponde mieux à leur désir, à leur envie, à leurs possibilités, à leur volonté de travailler. Cela nous permettra également d'atténuer l'un des effets pervers d'une mesure que j'ai, au nom du Conseil d'Etat et avec l'accord unanime de mes collègues, appliquée avec célérité dans le respect du suffrage populaire que vous représentez ici ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets maintenant l'entrée en matière du projet de loi 10640.
Mis aux voix, le projet de loi 10640 est adopté en premier débat par 88 oui et 1 abstention.
La loi 10640 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 10640 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 89 oui et 1 abstention.