République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 29 janvier 2010 à 17h05
57e législature - 1re année - 4e session - 20e séance
PL 10349-A
Premier débat
M. Patrick Saudan (R), rapporteur de majorité ad interim. Vous allez croire que c'est une habitude chez les radicaux, mais je vais commencer en rendant hommage à mon ex-collègue Mme Michèle Ducret pour l'excellence de son rapport.
Mesdames et Messieurs les députés, le temps passe et rien ne change. En 2000, le parti socialiste avait déposé le PL 8300 qui voulait instituer à Genève une caisse publique genevoise d'assurance-maladie, sous prétexte que celle-ci serait plus transparente que les caisses maladie privées et qu'elle serait plus éthique, plus préoccupée par le bien-être des malades qu'elle assurerait que par ses profits. Ce projet de loi avait passé le cap de la commission de la santé mais avait été refusé en plénière en mai 2002 pour des entorses sévères au droit fédéral qui avaient été mises en évidence par le président du département de la santé, qui est toujours le même à l'heure actuelle. (Exclamations.) Il pourra donc recycler son discours ! C'est l'avantage ! En 2007, il faut noter le rejet par le peuple suisse et le canton de Genève de l'initiative sur la caisse maladie unique - rejet de justesse à Genève, il faut bien le dire. Et en septembre 2008, à une année des élections au Grand Conseil genevois - mais évidemment le moment du dépôt de ce projet de loi est totalement fortuit - le parti socialiste dépose le projet de loi 10349, qui est un copier-coller du PL 8300, hormis le fait qu'il ne s'occupe que de l'assurance de base, qui bénéficierait de la garantie financière de l'Etat.
L'argumentaire des auteurs du projet est toujours le même. Il consiste à dire d'une part qu'il n'y a aucune transparence de la part des caisses maladie privées, et nous sommes d'accord sur ce point - preuve en sont toutes les propositions de résolutions qui ont été déposées par les partis de l'Entente et appuyées par le Grand Conseil l'année dernière, demandant soit un plafonnement des réserves à Genève, soit une cantonalisation de ces réserves - et d'autre part que le montant très élevé des primes dans notre canton s'expliquerait en partie par le montant extrêmement élevé des réserves à Genève et également par les frais administratifs, qui comprennent la publicité.
Dans cet argumentaire, un minimum d'honnêteté intellectuelle aurait exigé que l'on mentionne que la principale cause du montant élevé des primes à Genève résulte du fait que le coût par assuré à Genève est supérieur, par rapport à la moyenne suisse, de plus d'un tiers. Cela est dû à de nombreux facteurs sociaux, économiques et culturels. Je ne vais pas m'étendre sur ce point, mais je déplore que l'on n'en fasse jamais mention dans l'argumentaire des auteurs du projet.
Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission de la santé vous demande de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi pour trois raisons principales. La première, la plus importante - c'est déjà celle qui avait fait échouer en plénière le PL 8300 - ce sont les entorses au droit fédéral. L'article 5 n'est absolument pas conforme à l'alinéa 2 de l'article 60 de la LAMal, qui exige un financement autonome des caisses maladie. Tant le crédit de 6 millions que la garantie de l'Etat genevois ne sont pas conformes à la LAMal. En outre, l'article 3 non plus n'est pas conforme, puisque les personnes qui sont totalement subventionnées seraient affiliées d'office à cette caisse maladie cantonale, et cela va contre la liberté de choix des assurés, qui est garantie dans la LAMal.
Le deuxième point, c'est la couverture de 6 millions qui est totalement insuffisante. On sait que, pour être viable, une caisse maladie doit avoir un nombre important d'assurés; ce niveau minimal correspondrait à une caisse maladie de 10 000 personnes, et l'on sait que la viabilité à long terme n'est pas du tout assurée. D'autant moins, et c'est le troisième point, que si elle devait accepter tous les patients qui bénéficient d'un subside total de primes - et qui sont les mauvais risques, on le sait d'expérience - cette caisse irait tout droit à la faillite. Sa pérennité à long terme serait donc compromise. D'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à l'avoir dit. L'audition de Mme Dreifuss a été très instructive à ce niveau. Avec beaucoup de courtoisie, elle a expliqué aux auteurs que ce projet de loi était contraire au droit fédéral, que le montant de 6 millions était trop faible, que l'expérience de la caisse publique bâloise n'avait pas été très heureuse - et c'est un euphémisme, puisqu'elle a dû être privatisée pour devenir conforme à la LAMal - et que l'efficacité de la gestion d'une caisse publique n'était pas du tout assurée par rapport à celle d'une caisse privée.
En résumé, le problème de l'opacité des comptes des caisses maladie est réel, tout comme celui du montant exagéré des réserves sur Genève. Cependant, Mesdames et Messieurs les députés, la bataille se joue à Berne, et non à Genève. Et notre rôle en tant que parlementaires cantonaux consiste à appuyer nos autorités cantonales et nos parlementaires fédéraux dans leurs efforts au niveau des Chambres fédérales. Ce projet de loi est un bricolage, c'est un copier-coller du PL 8300; il n'a aucune chance d'être accepté par les instances fédérales vérificatrices et il ne résout en rien le problème principal des Genevois, à savoir la cherté des primes. En conséquence, la majorité de la commission de la santé vous demande de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi.
M. Alain Charbonnier (S), rapporteur de minorité ad interim. «Le temps passe et rien ne change.» Je remercie M. le rapporteur de majorité de sa remarque. Effectivement, rien ne change malheureusement: ni le montant vertigineux des primes à Genève, avec des spécificités autres qu'uniquement des coûts élevés - on y reviendra tout à l'heure - ni la position de la droite de ce parlement, qui refusera l'entrée en matière de ce projet de loi, comme elle l'avait fait lors de notre plénière en 2002 suite au dépôt de notre projet de loi en 2000. Cela fait donc quand même dix ans que nous avons déposé ce projet de loi la première fois, Mesdames et Messieurs les députés ! Et dix ans plus tard nous avons pensé qu'il était temps de revenir avec cette proposition, parce qu'au niveau cantonal on n'a pas grand-chose d'autre à faire que d'essayer de savoir ce qui se passe à l'intérieur des comptes de ces caisses maladie. Et l'un des députés présents - M. Poggia, pour ne pas le citer - en sait quelque chose, lui qui a mené le combat jusqu'au Tribunal fédéral afin, en tant qu'assuré, de faire respecter ce droit à la transparence que les assurances refusent toujours d'offrir, y compris à notre conseiller d'Etat, qui se bat depuis des années. On le reconnaît pleinement, on le soutient même à travers des résolutions que nous avons aussi déposées, mais force est de constater, Monsieur le rapporteur de majorité, que rien ne change et que nos primes ici, à Genève, sont toujours aussi élevées, anormalement élevées en comparaison des réserves. Parce que c'est là que réside le centre du problème, et vous ne l'avez pas mentionné, Monsieur le rapporteur de majorité: les réserves que font les assurances ici à Genève sont proprement scandaleuses; elles s'élèvent à plus de 47% alors que, légalement, elles devraient plutôt se situer entre 11 et 15%.
Donc là aussi rien ne change; vous avez une écrasante majorité, et vous l'exercez d'une façon quasi scandaleuse puisque, hormis l'audition de Mme Dreifuss, vous avez refusé toutes les autres auditions - je dis bien toutes les autres. Et si l'on examine le rapport de majorité, on voit qu'il s'en tient au même discours que vous avez tenu, c'est-à-dire qu'il relève uniquement les points négatifs qu'a pu éventuellement citer Mme Ruth Dreifuss, et j'y reviendrai, parce qu'en plus c'est en partie faux.
Je saluerai plutôt, à mon tour, le rapport de minorité de mon ex-collègue Thierry Charollais, qui a réalisé un travail beaucoup plus conséquent que la rapporteuse de majorité, et qui est vraiment allé au fond du problème pour essayer de montrer qu'on ne peut pas jeter de cette façon, lors du vote d'entrée en matière, ce projet de loi qui traite d'un problème qui concerne tous les Genevois. Et là je pense au MCG qui s'est permis de refuser l'entrée en matière de ce projet, lui qui tient des discours soi-disant proches des citoyens genevois.
Alors, qu'apporte cette proposition de caisse maladie cantonale ? Elle apporte ce qu'a relevé Mme Dreifuss, et je vais lire le procès-verbal de la commission, puisqu'autant le rapporteur de majorité que le rapport rédigé par Mme Ducret font une omission scandaleuse de certains de ses propos. Mme Dreifuss a donc rappelé, je cite: «[...] que les avantages d'une caisse publique, en termes de prestations, ne diffèrent guère de ceux d'une caisse privée.» Evidemment, il ne saurait en être autrement, puisque c'est un catalogue imposé à toutes les caisses. Je poursuis: «Elle pense que la différence relève surtout de la qualité du service, de la proximité avec les assurés - ça, c'est pour le MCG - des frais de fonctionnement et de la transparence.» Alors venir nous dire que ce projet de loi pose des problèmes beaucoup plus importants d'alignement avec le droit supérieur et qu'il faut donc le rejeter lors du vote d'entrée en matière, alors que Mme Ruth Dreifuss, que vous avez citée, pense, elle, le contraire... Elle estime que cela n'apporte que des points positifs, hormis les quelques ajustements auxquels il faut procéder. Elle a en effet déclaré en début d'audition qu'elle pensait que ce projet de loi posait quelques problèmes et nécessitait des discussions. Or vous n'avez pas voulu de discussions ! Vous avez jeté ce projet de loi lors du vote d'entrée en matière, après tout au plus peut-être deux heures de séances de commission, parce qu'à chaque fois ce sont des moitiés de séance qui ont été consacrées à l'étude de ce projet de loi - plus précisément deux moitiés de séance, dont l'audition de Mme Ruth Dreifuss.
Cette caisse maladie cantonale amène ce que Mme Ruth Dreifuss a relevé, c'est-à-dire les points suivants: la possibilité de maîtriser les frais de fonctionnement, notamment administratifs et publicitaires puisque, comme vous pouvez le voir, il y aurait un conseil d'administration qui gérerait cette caisse maladie cantonale, avec par conséquent la possibilité d'un double contrôle, voire d'un triple contrôle sur les frais administratifs. Des frais publicitaires, il n'y en aurait évidemment plus du tout, puisqu'une caisse maladie cantonale ne ferait pas de publicité, elle n'en aurait pas besoin.
J'ai mentionné la possibilité de maîtriser les frais de fonctionnement, mais il y a aussi, au niveau des réserves, la possibilité pour chaque membre du parlement - pour tout citoyen, finalement, puisque nous sommes censés les représenter - d'avoir cette fois une vision complètement transparente - ce qui est très cher à M. Poggia, je le rappelle - de suivre l'évolution de ces réserves, de voir pourquoi elles existent, de quelle façon elles sont constituées, et d'empêcher la spoliation qu'il y a actuellement sur les assurés de notre canton par rapport à ces réserves.
Ensuite, il y a la possibilité d'assurer un véritable service public de l'assurance-maladie, ce qui évidemment n'existe pas aujourd'hui - on l'a assez dit - avec les assurances privées, qui font preuve d'une opacité totale pour la plupart.
D'autres possibilités existent encore: celle d'impliquer les acteurs de la santé dans le fonctionnement de la caisse, puisque le conseil d'administration comprendrait des représentants des HUG et des principales institutions de la santé genevoises, ainsi que des assurés eux-mêmes; celle de maintenir et d'améliorer la concurrence entre les caisses, puisque cette caisse maladie publique ne serait pas unique. Je tiens à le préciser clairement, parce qu'on laisse souvent planer la confusion pour faire rejeter ce projet de loi: cette caisse maladie cantonale ne serait pas unique, car ce serait totalement contraire à la LAMal, et l'on s'est bien gardé de venir sur ce terrain-là. Elle entre donc dans la concurrence avec les autres caisses.
Tous les arguments que vous invoquez concernant la non-correspondance de ce projet avec le droit supérieur, le droit fédéral, nous les rejetons complètement, parce qu'il aurait suffi d'accepter l'entrée en matière pour pouvoir discuter. Et de venir sur le projet de loi qui avait été proposé à l'époque par le professeur Auer qui, lui, avait gommé les défauts du projet déposé par le parti socialiste d'alors... C'est vrai que nous n'avons pas totalement supprimé les problématiques, mais nous en avons en tout cas gommé l'une des principales, à savoir la participation aux assurances complémentaires, qui relève totalement du privé. Donc, sur ce point, nous avons fait une correction. Maintenant, nous sommes tout à fait ouverts à un retour en commission de cet objet, de façon à discuter sereinement du problème de ces assurances et de la possibilité de créer à Genève cette assurance cantonale genevoise.
Pour ce qui est du bassin de population, que vous jugez beaucoup trop petit, avec un risque important, nous pensons que, là aussi, il y aurait lieu d'ouvrir une discussion avec nos voisins vaudois, par exemple. Il se pourrait que M. Maillard soit tout à fait ouvert à venir collaborer à cette caisse cantonale genevoise, qui s'appellerait alors «caisse valdo-genevoise», par exemple. Ceci de façon à avoir un bassin de population suffisant pour rendre cette assurance crédible au niveau financier.
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur Charbonnier !
M. Alain Charbonnier. Je vous enjoins donc, pour la population genevoise, de voter l'entrée en matière, de façon qu'il y ait au moins une discussion et un débat, plutôt que de continuer à renvoyer des résolutions qui n'ont aucun poids, aucune importance à Berne: on l'a vu avec notre collègue Brigitte Schneider-Bidaux, lorsqu'on y est allés pour présenter une résolution que nous avions votée à l'unanimité ici à Genève. Ils ont finalement bien rigolé de nous, après nous avoir laissés parler pendant une heure ! Votons donc au moins l'entrée en matière et renvoyons ce projet de loi en commission, de façon qu'il y ait un véritable débat sur une caisse cantonale d'assurance.
M. Michel Forni (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, je me permettrai ce soir de revenir sur deux constats et d'extrapoler ensuite cette discussion, qui est finalement très technique et très basée sur l'économique. Comme cela a été dit, la commission de la santé a examiné ce projet au printemps 2009. Ce dernier découlait d'un préprojet remontant à 2000, à savoir le PL 8300 dont il a déjà été question. Celui-ci, comme vous le savez, contenait des entorses au droit fédéral, et il est donc devenu inacceptable. Par la suite, je vous rappelle qu'il y a eu au niveau fédéral le problème de la caisse unique. Ce projet a mûri progressivement, et il n'est d'ailleurs pas totalement oublié, puisqu'il mijote tranquillement dans les marmites.
A partir de ces deux éléments et sur les dix ans qui se sont écoulés, il y a dix ans de stratégies et de réflexions politiques qui aboutissent à un échec. Toutefois, derrière ce projet de loi nous pouvons retenir des préoccupations qui sont celles de la population de Genève face aux coûts de la santé, à l'élévation des primes - injustifiées - ainsi qu'à la hausse des contributions cantonales qui sont parmi les plus élevées. Et il y a aussi une forme de dénonciation de la gestion des caisses, notamment des opacités de gestion. Mais ce projet, comme il a été dit, présente une énorme faiblesse: il analyse peu les problèmes et les mécanismes de la maîtrise des frais; il tente de renforcer ce support et son association avec l'Etat, mais les mécanismes tels que la concurrence ne sont pas tout à fait bien adaptés à ce qui se passe en 2010. Deuxième constat: l'offre a peu évolué, la demande ne cesse de croître, mais cette stratégie ne peut s'appliquer.
Ce soir nous ne sommes pas dans une démarche d'expertise, nous ne sommes pas là pour essayer de tirer les ficelles du projet ou de voir les bons points qui ont pu ressortir; constatons simplement que ce type de réforme s'associe à un échec et que les mécanismes de correction qui découlent des problèmes de la LAMal ne peuvent pas être forgés de cette façon.
D'autre part, comme cela a été dit, nous ne pouvons pas être complices de certains maquillages de projets qui remontent à plus de dix ans. Nous ne pouvons pas non plus demander à l'Etat d'être tantôt un régulateur, tantôt un investisseur. Alors que faut-il faire ? Eh bien, je crois qu'il faut revenir à une dimension beaucoup plus large, celle d'un réexamen général de la LAMal, qui doit porter sur les différents problèmes qui vont de son organisation aux recherches. Et nous ne connaissons pas grand-chose en termes de recherches dans ce pays, hormis quelques études qui sont apparues. Je citerai celle de Siegrist, mais comme elle est rédigée en langue allemande, personne ne l'a lue... Ce sont environ 150 pages, qui constituent quand même la base de l'OFAS et également des assurances. Mais finalement, qui la connaît au parlement, à Berne comme à Genève ?
Dans ces conditions, il faut penser différemment. Et pour nous, il faut demander aux économistes d'approcher et de nous donner de nouveaux outils, car il n'y a pas d'approche empirique sans théorie. Il faut repenser l'assurance, en s'intéressant à quatre éléments: le comportement individuel, l'analyse des classes sociales, la répartition des revenus et le poids de l'histoire dans l'évolution de la LAMal. Finalement, pourquoi pas un nouveau contrat social entre toutes les parties prenantes, avec une négociation, voire l'élaboration d'un compromis ? Mais comme cela a été relevé également, tout ceci ne peut se dérouler qu'à Berne. Des cellules de réflexion cantonales peuvent favoriser le discours et le dialogue, mais les marges de pression sont à conserver, et les marges de manoeuvre, malheureusement, sont faibles et étroites. Il convient cependant, dans tout ce que nous ferons - et le parti démocrate-chrétien y tient énormément - de maintenir d'une part la solidarité et, d'autre part, les efforts concertés. Il ne nous appartient pas ce soir d'entrer dans le mécanisme des contrôles, dans les mécanismes de planification. Le PDC vous propose de ne pas donner suite à ce projet, mais de maintenir un état de concertation avec les décideurs, qu'ils soient à Berne ou au niveau des assurances. Merci donc de ne pas donner suite à ce projet.
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous saluons à la tribune notre ancien collègue Yvan Galeotto. (Applaudissements.)
Mme Brigitte Schneider-Bidaux (Ve). Effectivement, le problème des primes des assurances-maladie est probablement le sujet et le poids le plus lourd dans le budget des familles, après le loyer et les impôts - pour celles qui paient des impôts, bien entendu. Il est vrai que c'est un problème important et que plusieurs propositions de motions et projets de lois ont été déposés sur ce thème depuis pas mal d'années. Ce projet correspond du reste à un projet de loi qui a été déposé en 2000 et à propos duquel il avait été répondu qu'il n'était pas possible d'entrer en matière. Nous l'avions soutenu à l'époque, parce que nous pensions qu'il était important d'avoir un débat. Malheureusement, nous ne pouvons pas en l'état soutenir le projet de loi dont il est question ce soir, parce qu'il est effectivement incompatible avec le droit fédéral et qu'il ne résout pas le problème de la transparence des caisses. En effet, il y aura toujours le choix pour la population, et là-dessus je ne suis pas d'accord avec vous, Monsieur le rapporteur socialiste; qu'il y ait le choix de la caisse maladie, oui, c'est un devoir fédéral, mais pour qu'une caisse cantonale puisse être viable, il faudrait que toute la population genevoise s'y affilie, ce qui n'est pas possible. Je vous demande donc de refuser ce projet de loi. Je dirai qu'il s'agit malheureusement d'une fausse bonne idée et que ce projet ne répond pas à un problème qui est effectivement un énorme souci pour toute la population genevoise.
Le président. Merci, Madame la députée. Le Bureau décide de clore la liste. Doivent encore s'exprimer M. Bertinat, M. Aubert, M. Deneys, M. Poggia, M. Selleger, Mme Carrard, Mme Schneider Hausser, M. Saudan, M. Charbonnier, M. Stauffer et M. Unger.
M. Eric Bertinat (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, disons-le d'emblée: pour l'UDC, la proposition de créer une caisse cantonale publique n'est pas une solution au marasme de l'assurance-maladie obligatoire, qui devait introduire un effort de solidarité mais qui est devenue un facteur de paupérisation pour une partie importante de notre population. La proposition socialiste, déjà traitée en 2000, avait trouvé une réponse qui reste toujours d'actualité: une caisse publique ne fait pas baisser les coûts de la santé, même si cette caisse se cantonne à l'assurance de base. Ce qui est d'actualité, en revanche, ce sont des primes d'assurance qui ne cessent d'augmenter, au point de devenir des «impôts déguisés», selon l'expression si juste employée par Mme Dreifuss lors de son audition.
Précisons encore que l'opposition de l'UDC à ce projet de loi n'est pas politique au sens du sempiternel affrontement gauche-droite. Sur ce grave problème, nous rejoignons largement les inquiétudes exprimées par la gauche, et ce n'est pas un hasard si nous traitons en ce moment en commission des affaires sociales deux projets proposés par nos partis respectifs, qui attirent l'attention du parlement sur le poids financier insupportable des primes d'assurance-maladie dans le ménage de la plupart de nos citoyens. Permettez-moi de vous rappeler que 52% des Genevois gagnent moins de 70 000 F, et que 86% gagnent moins de 125 000 F. La classe moyenne, dont le revenu se situe entre 80 000 et 120 000 F, représente un quart de notre population. Elle plie sous le joug des assurances-maladie, au point qu'elle se trouve au seuil de la pauvreté. Oui, Mesdames et Messieurs les députés, de la pauvreté, comme le démontre la proposition de motion UDC que nous avons déposée pour instaurer un bouclier LAMal. Celles et ceux qui se lèvent chaque jour pour travailler n'ont plus assez pour vivre à Genève. Une simple comparaison entre notre canton et celui du Valais démontre qu'une famille avec trois enfants dispose là-bas d'un revenu net de 4900 F, alors qu'à Genève celui-ci s'élève à 4100 F, soit 20% de moins. Mon exemple d'une famille de trois enfants n'est pas choisi au hasard. Actuellement, les primes d'assurance-maladie tuent financièrement les familles nombreuses. Elles coûtent à la classe moyenne entre 17 et 20% de ses revenus, et ce sont les personnes de cette classe-là qui ne bénéficient que de peu d'allocations, voire d'aucune, selon leur situation financière.
Mesdames et Messieurs les députés, pour l'UDC le travail doit payer. L'Etat subventionne partiellement ou complètement les primes d'assurance-maladie des personnes de condition modeste, et pour les bénéficiaires de l'aide sociale ces dernières sont prises en charge entièrement, y compris les frais de maladie. Reste la classe moyenne qui trinque, mais la proposition socialiste d'une caisse publique n'est pas le bon moyen pour répondre à ses attentes. Alors c'est presque à regret que nous refuserons la proposition socialiste, qui cherche des solutions à une situation qui va empirer et pour laquelle les autorités seraient bien inspirées de proposer elles aussi des solutions, avant que les Genevois ne descendent dans la rue, tant leur situation est devenue proche de celle des Soviétiques, que ce soit en matière d'impôts de toutes sortes, de loyer ou d'assurance-maladie.
Des voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous saluons l'arrivée à la tribune de nos deux anciens collègues, Mme Ariane Blum Brunier et M. Christian Brunier. (Applaudissements.)
M. Claude Aubert (L). Mesdames et Messieurs les députés, je dois simplement dire en quelques mots ma lassitude. Les primes augmentent continuellement, lésant nombre de familles. De toutes parts, à intervalle régulier, des solutions sortent du chapeau, et depuis dix ans on se plaint, on parle, on disserte et on dit toujours la même chose. Et les primes augmentent... Voilà une proposition de plus, aussi vaine que les autres. Ce projet de loi veut instituer une caisse cantonale genevoise; pour nous, les libéraux, il s'agit d'instituer un pataquès cantonal de plus.
M. Roger Deneys (S). Mesdames et Messieurs les députés, je suis particulièrement surpris des propos que j'ai entendus concernant l'hypothèse d'une caisse maladie cantonale, dans la mesure où, aujourd'hui, vu la gravité du problème, toutes les solutions doivent être envisagées. On sait bien que le projet de loi tel qu'il est formulé comprend des dispositions qui ne sont pas conformes au droit supérieur, mais il n'empêche que le rôle d'un parlement, c'est d'étudier les projets et de les amender si nécessaire pour corriger les dispositions qui auraient été formulées de façon non conforme au droit supérieur. Et je m'étonne de la paresse des députés de la commission de la santé, qui ont refusé de faire ce travail pourtant élémentaire ! C'est même une fois de plus un manque de respect envers les propositions des partis politiques qui sont minoritaires dans ce parlement ! Mme Emery-Torracinta l'a rappelé hier soir, c'est aussi une façon de travailler qui est particulièrement méprisante envers les personnes à bas revenus qui souffrent de cette situation.
Mon autre sujet d'étonnement par rapport à ce projet de loi est que tous les premiers intervenants sont des médecins. Alors est-ce que c'est l'hôpital qui se moque de la charité ? Je trouve particulièrement étonnant que des médecins, qui sont en lien direct avec les assurances-maladie, interviennent dans ce débat pour prendre fait et cause contre l'idée d'une caisse cantonale publique, alors même que tous les moyens sont bons pour essayer de faire baisser les primes d'assurance-maladie. Et je suis d'ailleurs particulièrement surpris de la remarque de M. Saudan, qui a dit tout à l'heure que l'on n'évoque pas dans ce projet de loi la cause principale des primes élevées à Genève, à savoir le fait que les coûts sont 30% plus élevés à Genève qu'ailleurs. Mais, Monsieur Saudan, c'est une tautologie telle que je ne comprends pas que vous puissiez la formuler ! Il est évident que si les primes sont plus élevées, c'est parce que les coûts sont plus élevés ! Sauf que vous n'évoquez pas les raisons de ces coûts plus élevés, qui peuvent être par exemple les salaires trop élevés des médecins, le coût trop élevé des équipements médicaux, la rémunération trop élevée des directeurs des cliniques privées, etc., voire peut-être les publicités excessives des caisses maladie ! Toutes ces raisons font donc que les coûts sont trop élevés à Genève !
Mesdames et Messieurs les députés, je pense qu'aujourd'hui, à Genève comme ailleurs dans tous les pays occidentaux, une large part de la population est attachée à la notion de service public. Service public au sens strict, parce que le respect de l'Etat et les tâches qu'il assume sont de nature à rassurer les citoyens qui ne croient pas aux privatisations ni aux libéralisations, et qui pensent que l'Etat peut gérer de façon bien plus rationnelle et efficace des institutions d'intérêt général. Dans ce sens-là, la caisse cantonale est un moyen de répondre aux préoccupations des citoyens qui en ont marre des bonus, des salaires excessifs, du manque de transparence et des dépenses publicitaires, voire du soutien offert à tous les partis politiques de droite qui sont ici dans ce Grand Conseil, lesquels sont financés largement par les caisses maladie ! On le sait, tous les groupes ont des représentants aux Chambres fédérales, qui sont financés par les caisses maladie privées, donc nous ne sommes pas surpris de votre opposition à ce projet de caisse cantonale publique.
Maintenant, ce qui m'étonne beaucoup plus ce soir dans ce débat, c'est le fait que les Verts ne soutiennent pas cette proposition. Je trouve cela particulièrement choquant. (Brouhaha.) Oui, ne pas faire confiance à une solution publique, alors même que les solutions privées échouent année après année et sont aujourd'hui des causes majeures de gaspillage dans notre société occidentale, je trouve cela particulièrement choquant de la part des Verts. La moindre des choses serait donc d'entrer en matière sur un tel projet de loi !
Donc, Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à accepter l'entrée en matière de ce projet de loi et à voter des amendements pour le rendre conforme au droit supérieur. (Applaudissements.)
M. Mauro Poggia (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ce projet de loi résulte assurément d'une intention que l'on ne peut que soutenir, celle d'obtenir enfin la transparence dans le domaine de l'assurance-maladie. Nous versons chaque année des primes qui augmentent, qui augmentent plus vite que les coûts de la santé, de l'aveu même de santésuisse, mais malgré cela rien n'est fait à Berne pour que l'on sache pourquoi nous versons toujours plus, où passe notre argent et comment les structures au sein de ces caisses sont organisées. Vous le savez, les assureurs qui travaillent dans le domaine de l'assurance obligatoire travaillent également ou sont associés à des structures actives dans l'assurance complémentaire. Evidemment, ce mélange des genres génère des abus, qui sont une réalité. Celle-ci était encore niée il y a quelques années, elle est admise du bout des lèvres aujourd'hui et sera clairement reconnue demain. Donc, inévitablement, nous allons vers une plus grande transparence, et l'on ne peut que s'en féliciter. Je ne vois pas d'ailleurs comment le progrès pourrait aller en sens inverse.
Il est évident qu'une caisse publique ne va pas résoudre la question des coûts de la santé. Ce n'est pas parce qu'une entité publique va assumer les coûts de la santé que ceux-ci vont baisser, c'est naturellement un autre problème. Il est clair aussi qu'une caisse publique ne va pas régler la question du financement qui se posera. Et vous le savez comme moi, si l'initiative qui a été rejetée en mars 2007 a connu ce sort, c'est précisément parce que les initiants avaient décidé de coupler deux sujets, celui de la caisse unique et celui du financement. Et comme on a fait peur à la population de ce pays en lui disant que la classe moyenne allait payer plus, l'initiative a été rejetée. Vous savez comme moi que lorsqu'on fait peur à la classe moyenne, on fait peur à tout le monde, parce que personne ne se considère pauvre ou riche: nous sommes tous de la classe moyenne, qu'elle soit inférieure ou supérieure.
Cela dit, c'est une fausse bonne idée, ou une vraie mauvaise idée. Je vous expliquerai pourquoi. Sur le principe, il est évident que le MCG vous soutient. Le MCG est soucieux des préoccupations des citoyens de ce canton, qui n'en peuvent plus de voir leurs primes augmenter et de constater l'attitude arrogante des assureurs à leur égard. Les problèmes sont multiples, M. le rapporteur de minorité les a évoqués. Ils résultent d'ailleurs de la façon même dont les primes sont calculées, puisque vous savez qu'elles sont fixées sur la base de projections. Ainsi, lorsqu'il s'agit de fixer les primes 2010, on connaît les comptes 2008, qui sont à peine bouclés, on connaît aussi quelques mois de l'année 2009, et l'on va devoir faire une projection de ce que seront les coûts de la santé de l'année 2009 en cours, puis faire une projection sur cette projection afin de savoir ce que seront les coûts de l'année 2010. Alors évidemment, lorsqu'il s'agit d'être certain que l'on aura assez dans les caisses pour payer les factures, on présente une addition qui est largement comptée, pour être sûr de n'être pas à l'étroit. Et comme il n'y a pas de contrôle efficace, ni de volonté politique efficace à Berne de contrôler les primes... Je rappelle que les primes sont calculées par canton et par caisse, donc chacune des caisses qui travaillent dans les vingt-six cantons de ce pays possède des comptes différents pour chaque canton et demi-canton. Vous vous imaginez la difficulté, et il n'y a évidemment pas suffisamment de fonctionnaires pour effectuer ce travail de contrôle.
La caisse unique est la solution, mais la caisse publique ne l'est pas. Pourquoi ? Vous vous souvenez sans doute de ce qu'a connu la caisse Accorda. Accorda est née elle aussi d'un bon sentiment, le sentiment des professionnels de la santé qui se sont dit: «Nous voulons voir comment cela se passe depuis l'intérieur. Nous allons donc créer notre caisse pour être le baromètre de la santé de la santé» - si vous me permettez cette expression. Accorda a connu un triste sort, pour des raisons qui n'ont rien à voir avec les problèmes de la santé, car vous savez les difficultés que cette caisse a connues avant cela. C'était la seule qui ne faisait pas partie du groupement des assureurs-maladie, puisqu'on lui refilait tous les mauvais risques. Le but était de démontrer que cette caisse n'était pas viable; c'était le mouton noir à éliminer, et c'est ce que finalement nous avons fait. Alors que d'autres caisses ont obtenu la possibilité d'augmenter leurs primes en cours d'année, cette faveur n'a évidemment pas été offerte à Accorda, qui a coulé. Et c'est ce qui va arriver avec cette caisse publique, si elle passe. En effet, qu'est-ce que vous voulez faire ? Vous voulez mettre un instrument de contrôle qui n'aura qu'un contrôle par un petit bout de la lorgnette dans un vaste système qui sera soi-disant toujours soumis à la concurrence ! Donc les assureurs privés auront pour jeu de faire partir tous les mauvais risques de leurs caisses pour les faire arriver dans cette caisse publique. Et comme la répartition, la péréquation des risques ne fonctionne pas - ou très mal - au niveau fédéral, cette caisse publique va très vite se trouver totalement étranglée, ne pouvant faire face à ses coûts de santé extrêmement lourds, et elle devra donc augmenter massivement ses primes. Et lorsque ce sera le cas, nos assureurs privés auront beau jeu de dire: «Vous voyez, lorsque l'Etat veut s'occuper d'assurances, le résultat est celui-là, l'Etat est incapable; les seuls qui sont en mesure d'offrir un service fiable, c'est nous, les assureurs, et nous allons continuer à utiliser l'assurance de base pour aller chercher les bons risques et leur offrir des assurances complémentaires.»
Alors le parti socialiste est sur la bonne voie, mais pas au niveau cantonal; il l'est au niveau fédéral, avec cette initiative qui va être lancée pour une caisse unique. Vous savez que le MCG a également préparé un projet dans ce sens, et les deux projets se recoupent d'ailleurs totalement, puisque c'est le bon sens qui nous y amène. On ne peut pas maintenir un système de concurrence lorsque le client est captif, puisque tous les habitants de ce pays doivent obligatoirement être assurés. On ne peut pas faire de concurrence lorsque les prestations sont strictement les mêmes ! On ne peut pas offrir mieux pour moins cher, ou plus pour le même prix. Il n'y a donc qu'une seule solution, c'est la caisse unique, mais pas la caisse publique. C'est la raison pour laquelle, tout en reconnaissant les bonnes intentions du projet de loi qui vous est proposé, le groupe MCG vous demande de le rejeter, parce que ce serait rendre un mauvais service aux assurés que d'offrir sur un plateau ce mauvais exemple aux assureurs privés. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Sept minutes pile ! Parfait ! La parole est à M. Selleger.
M. Charles Selleger (R). Monsieur le président, vous transmettrez au député Deneys que je suis étonné d'entendre dans sa bouche des propos qui qualifient les commissaires de paresseux, alors même que c'est Mme Dreifuss, auditionnée dans les premiers temps des travaux, qui a indiqué que ce projet de loi ne tenait pas la route en regard du droit fédéral. Alors je ne sais pas si M. Deneys aimerait que les commissaires fassent du travail de singe... Peut-être, mais ce n'est en tout cas pas mon credo.
Les assurances-maladie et les règles qui régissent leur fonctionnement en Suisse sont une véritable nébuleuse, laquelle se cache en plus derrière un écran de fumée. Et il est vraiment très difficile de déterminer si les règles éthiques qui régissent normalement ces assurances sont respectées. Ces règles sont principalement l'absence de bénéfices - les assureurs ne doivent pas faire de bénéfices en assurance obligatoire de soins - et la solidarité. Mais pour s'en assurer, il faudrait que les caisses maladie exposent leurs comptes d'une manière transparente et qu'elles s'abstiennent de faire la chasse aux bons cas; ce n'est évidemment pas ce qu'elles font et, dans une logique de concurrence à laquelle non seulement les pousse la LAMal, mais qui est également légitimée par leurs parts d'activités en assurances privées - c'est-à-dire en assurances complémentaires - autant demander la lune !
Ce projet de loi a le mérite de proposer une forme d'assurance qui garantirait mieux la transparence. Toutefois, comme cela a été bien expliqué dans l'excellent rapport de Mme Ducret et rappelé par le rapporteur de majorité ad interim ainsi que par mes préopinants, ce projet de loi est contraire au droit supérieur et ne peut pas être accepté. En revanche, il pourrait faire l'objet d'une résolution, et je pense, contrairement à M. Charbonnier, qu'une résolution adressée aux Chambres fédérales pourrait atteindre son but, d'autant plus qu'on sent bien que le vent tourne en ce moment en ce qui concerne les assurances-maladie.
J'aimerais rappeler en outre que d'autres solutions existent pour améliorer la transparence du système des caisses maladie. L'une d'elles vient de surgir sous la forme d'une initiative qui va être lancée par l'Association des médecins de Genève, laquelle demande que les caisses maladie opérant en assurance obligatoire de soins se voient interdire d'agir également en assurances complémentaires privées. Cette séparation des activités aurait entre autres avantages celui de supprimer la confusion comptable qui laisse fortement suspecter le coulissement des frais généraux au débit de l'assurance obligatoire, alors même que les assureurs, la main sur le coeur, nous jurent le contraire. Quels philanthropes !
En l'état, ce projet de loi ne peut pas être accepté, même si son but nous paraît louable, et c'est pourquoi le groupe radical refusera l'entrée en matière.
Une voix. Bien !
Une autre voix. Très bien !
Mme Prunella Carrard (S). Je ne suis pas médecin, mais je vais tout de même oser prononcer quelques mots sur ce projet de loi. Cela fait assez peu de temps que je suis élue députée, mais j'ai déjà eu l'occasion de discuter - notamment en commission des affaires sociales - de la question des primes des assurances-maladie, et tout ce que j'entends de manière systématique, c'est que, oui, il y a un problème, tout le monde le reconnaît, mais que l'on ne peut rien faire... Alors là, je ne suis pas d'accord ! Nous, socialistes, essayons actuellement de proposer des solutions, et nous avons déposé en ce sens un projet de loi qui est discuté en ce moment à la commission des affaires sociales et qui tend notamment à aider les familles qui paient parfois jusqu'à 16%, voire 20% de leur budget en primes maladie. Je pense que tout le monde ici reconnaîtra que c'est assez scandaleux.
Alors oui, les primes à Genève sont chères, ce sont même les primes les deuxièmes plus élevées de Suisse, et pourtant c'est à Genève que les assureurs-maladie font les plus grosses réserves ! C'est également, à mon sens, un point à souligner.
J'en viens maintenant à la caisse cantonale. Certes, elle ne permettra pas de réduire les coûts de la santé à Genève, c'est certain; en revanche, elle permettra de s'assurer que les primes maladie payées par les Genevois correspondent effectivement aux coûts de la santé à Genève, et que les assureurs-maladie ne puissent pas constituer de réserves pour aider les autres cantons sur le dos des Genevois. Je pense que c'est une question fondamentale, et c'est précisément ce qui se discute en ce moment.
Nous demandons la transparence des budgets des assurances-maladie, la transparence des coûts, et, à ce titre, la caisse cantonale est la seule manière d'y parvenir pour l'instant ! Même si je salue le fait qu'il y ait une initiative qui aille dans ce sens, on n'y est pas encore, et l'on sait à quel point cela peut prendre du temps jusqu'à ce qu'une initiative soit votée. Or l'urgence, c'est aujourd'hui, donc la caisse cantonale est à notre sens la seule manière de faire face à la crise et de permettre aux assurés de payer des primes honnêtes, ce qui est, je pense, le point principal.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste vous appelle à soutenir ce projet de loi, ou du moins à entrer en matière, à évoquer la question, à ne pas écourter le débat, voire, pourquoi pas, à renvoyer ce projet en commission pour qu'il soit discuté de manière plus générale. Je vous en remercie. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Combien de personnes, parmi les 276 620 poursuites répertoriées en 2008, en font l'objet à cause de leurs cotisations d'assurance-maladie ? Certains ont parlé de la migration des mauvais risques dans ce qui pourrait être une caisse publique, une caisse cantonale. Mais, dans les faits, dans la réalité, elle existe déjà ! Je n'ai pas les chiffres, je ne les ai pas trouvés, mais combien de personnes chaque mois font appel aux HUG parce qu'elles n'ont plus d'autres moyens et d'autres possibilités de soins, n'ayant plus de couverture d'assurance-maladie ?
Mesdames et Messieurs les députés, c'est vrai que ce projet de loi comporte peut-être quelques défauts. Cependant, il me semblait justement - mais bon, nous appartenons à une minorité qui est la minorité du parti socialiste, la gauche - eh bien, il me semblait que les commissions parlementaires étaient censées pouvoir travailler sur un objet, l'améliorer, amener des idées afin qu'il soit acceptable et qu'il puisse être voté ici, dans cet hémicycle, en ayant été modifié pour qu'il soit compatible avec le droit supérieur, au cas où l'on avait omis quelque chose, etc. Mais ce n'a pas été le cas, et ce projet de loi a été botté en touche.
J'aimerais aussi indiquer qu'il est dommage que l'on ne pense pas, alors que c'est un sujet dont tout le monde ici se gargarise, en disant qu'il faut faire, qu'il faudrait, qu'il n'y a qu'à, etc. Mais, dans les faits, beaucoup de personnes dans ce parlement font partie de commissions interparlementaires ou romandes; de nombreuses commissions les délèguent, et le canton paie pour que des choses puissent se passer au niveau interparlementaire. Si vraiment le problème était important, et d'une importance notable pour tout le monde, je crois qu'on pouvait y travailler aussi dans le sens interparlementaire pour sortir quelque chose. Eh bien non !
Je crois que là, ce soir, ce qui va se jouer, c'est vraiment de savoir quelle est l'importance de l'accès à la santé via la couverture d'assurance-maladie pour tout le monde. C'est aussi de se dire que, oui, il y a des gens qui ont envie de réfléchir, mais qu'il y en a d'autres qui en restent aux «y a qu'à», «faut que».
Mesdames et Messieurs les députés, ma préopinante et camarade de parti a dit que l'on pourrait renvoyer ce projet de loi en commission. Il y a deux objets en commission des affaires sociales qui traitent de l'assurance-maladie, et je fais donc une demande formelle de renvoi de ce projet à la commission des affaires sociales, pour qu'il soit enfin un peu mieux étudié et qu'il puisse trouver la construction dont il a peut-être encore besoin, nous l'avouons. Le parti socialiste tient à pouvoir encore et encore travailler sur cet aspect de la vie de tous les Genevois, qui est l'accès aux soins via l'assurance-maladie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Nous sommes donc saisis d'une demande de renvoi à la commission des affaires sociales. Ont droit à la parole, sur le renvoi en commission seulement, les deux rapporteurs et le conseiller d'Etat, à raison de trois minutes chacun.
M. Patrick Saudan (R), rapporteur de majorité ad interim. Concernant le renvoi en commission, je crois que le parti socialiste doit bien comprendre que si ce projet de loi n'a pas rencontré l'assentiment de la commission de la santé, c'est parce qu'il est mal foutu, qu'il n'est pas conforme au droit fédéral, et c'est pour cette raison que nous allons refuser le renvoi en commission, que ce soit celle des affaires sociales ou de la santé. J'en profite pour dire que je sais que ce genre de débat se prête généralement bien à un florilège de démagogie et de mauvaise foi, et je pensais que le rapporteur de minorité détenait la palme, mais M. Deneys a vraiment remporté le championnat à ce niveau-là ! En effet, traiter de paresseux les commissaires de la santé, alors que le parti socialiste n'a pas été capable d'intégrer les commentaires du professeur Auer dans le projet de loi 8300 en 2002, ni dans ce PL 10349, afin de le rendre conforme au droit fédéral... Mais où est la paresse ?! Elle est de votre côté, Monsieur Deneys ! Ce projet de loi, c'est n'importe quoi ! Et c'est pour cela que nous nous opposerons au renvoi en commission. (Applaudissements. Exclamations.)
M. Alain Charbonnier (S), rapporteur de minorité ad interim. C'est un peu dommage, mais l'on voit bien finalement qu'il y a une paresse. J'avais quelques doutes quant aux propos de M. Deneys, mais non, il a raison. En effet, M. le rapporteur de majorité ad interim n'a sûrement pas lu notre projet de loi de 2000, ni celui du professeur Auer, parce qu'autrement il se serait rendu compte que l'on a gardé dans le projet de loi que nous avons déposé les principales remarques du professeur Auer, en l'occurrence le fait de séparer l'assurance-maladie de base de l'assurance complémentaire privée. Car le principal reproche et le principal soupçon que l'on a à l'égard des assurances et de leurs prix vertigineux, c'est qu'une partie de l'assurance de base serait envoyée dans les comptes des assurances privées. Cela, beaucoup de gens le soupçonnent, et c'est pour cette raison que la transparence est demandée. Vous la refusez ce soir, mais on comprend pourquoi. En effet, avec Mme Schneider-Bidaux, quand elle était encore un peu proche du social... (Rires.) ...nous sommes allés à Berne, et à cette occasion nous avions pu voir qui étaient les personnes qui prennent les décisions là-bas. Eh bien, Monsieur le président, ce sont des gens de votre parti; eh oui, malheureusement, du parti démocrate-chrétien - vous leur donnerez la parole après, je pense, Monsieur le président, puisque je les offense - mais aussi du parti libéral et du parti radical. Ce sont ces représentants-là, membres des conseils d'administration des grandes assurances de ce pays, qui décident de l'orientation de notre assurance et de la LAMal - la loi qui régit l'assurance-maladie.
M. Forni disait tout à l'heure qu'il faut que cela se discute à Berne, etc. Mais ça fait des années, deux dizaines d'années maintenant que l'on discute à Berne, et cela n'avance pas ! Donc si l'on attend après eux, on ne verra aucun changement pour nos primes, et surtout on ne saura pas ce qui se passe dans les comptes de ces caisses maladie.
On nous a dit que notre projet n'allait pas diminuer les coûts de la santé... Evidemment ! Puisque le projet dont il est question ce soir institue simplement une nouvelle caisse qui permettra d'avoir une meilleure vision des comptes des caisses maladie ! J'ai en outre entendu quelqu'un, toujours dans mon dos, dire que l'on n'aurait pas la transparence au niveau des autres caisses. Mais il est évident qu'on ne l'aura pas ! Il s'agit juste d'obtenir, à travers une caisse, au moins une caisse, une transparence totale, ce qui nous permettra d'expliquer des différences significatives avec d'autres caisses. En conclusion, nous vous invitons à renvoyer ce projet de loi en commission, de façon que l'on puisse étudier sérieusement cette proposition.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, s'agissant du renvoi en commission, je suis obligé de souscrire aux éléments qui indiquent que de renvoyer en commission un projet mort-né n'est pas une idée absolument optimale, les commissions n'étant pas là pour pratiquer des autopsies.
J'ai entendu tout à l'heure tel ou tel député qui, au titre d'une expression minoritaire, légitime un projet de loi mal fait - le terme «paresse» a d'ailleurs été prononcé des deux côtés - et je suis un peu choqué. En effet, ce même groupe parlementaire dispose d'une personne remarquable que nous avons auditionnée, à savoir l'ancienne présidente de la Confédération, Mme Dreifuss, qui, avec beaucoup de doigté, a apporté des soins palliatifs à ce projet, avant de lui porter l'extrême onction ! Vous auriez pu également, Mesdames et Messieurs de la fraction socialiste, interroger Mme Maury Pasquier, conseillère aux Etats, qui est particulièrement pertinente et informée dans le domaine des assurances en général, et surtout de l'assurance obligatoire de soins. Enfin, vous auriez pu réinterroger le professeur Auer qui, si mes souvenirs sont exacts, appartient également à votre parti, même s'il a pris quelques distances géographiques. Je crois qu'il est maintenant à Zurich, mais il parle toujours français et connaît toujours le droit. Vous auriez fait simplement relire votre projet de loi par ces personnes qu'il en eût été très profondément modifié, et probablement abandonné. En conclusion, renvoyer ce PL 10349 en commission, pour qu'une telle commission écrive à elle seule un projet qui, fondamentalement, n'existe pas, est une mauvaise idée, et je vous propose donc de rejeter l'entrée en matière de ce projet de loi. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons donc nous prononcer sur le renvoi en commission de ce projet de loi.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 10349 à la commission des affaires sociales est rejeté par 61 non contre 21 oui et 9 abstentions.
Le président. Nous poursuivons notre débat, et je passe la parole à M. Stauffer.
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, mon collègue Mauro Poggia vous l'a déjà expliqué, c'est une vraie fausse bonne idée. Pour ma part, j'ai voulu savoir ce qui se passerait si, ce soir - puisque le MCG pourrait dégager une majorité - ce projet de loi était accepté. Laissez-moi vous donner le scénario, et le scénario pour les citoyens: on crée cette assurance-maladie cantonale. Parfait. La première année, c'est carton plein, les primes sont basses, puisqu'on définirait un niveau de primes. Les assureurs vont vous envoyer tous les mauvais risques et tous les mauvais payeurs, car malheureusement, malgré vos bonnes intentions, vous allez faire le jeu de ces rapaces que sont ces assurances-maladie privées. La deuxième année, cette caisse cantonale aura les primes d'assurance-maladie les plus élevées du canton, parce qu'elle ne pourra pas faire face. Mais la transparence, vous l'aurez. Et qu'est-ce qui se passerait après ? Eh bien, les assureurs-maladie auraient beau jeu de dire: «Vous voyez, cette assurance cantonale d'Etat a les mêmes problèmes que nous.» Et là vous seriez en train de suicider l'initiative fédérale pour une caisse unique ! Et ce serait de votre responsabilité, une responsabilité que le Mouvement Citoyens Genevois ne veut pas assumer vis-à-vis des citoyens. Et c'est pour cela que c'est une vraie fausse bonne idée.
Alors moi je vous le demande, Mesdames et Messieurs du parti socialiste, faisons preuve de responsabilité ce soir ! Je vous donne un petit scoop, car je ne suis pas sûr qu'à Genève vous en soyez informés: il y a un rendez-vous prévu prochainement entre le MCG et le parti socialiste suisse... (Exclamations.) ...afin de lancer une initiative fédérale pour une caisse unique, comme le MCG l'a annoncé récemment dans la presse. (Commentaires.) Alors, Mesdames et Messieurs du parti socialiste, retirez votre projet de loi qui suiciderait cette initiative et n'atteindrait pas l'objectif que vous souhaitez, soit faire baisser les primes d'assurance-maladie ! Le seul remède réside dans une solution globale et non pas cantonale. (Remarque.) Non, on ne fait pas rien, Madame la députée ! Socialistes, MCG, Verts, on va se mettre ensemble, on va monter des stands dans les rues de Genève et on va aller récolter ces 100 000 signatures... (Chahut. Applaudissements.) ...pour qu'il y ait une votation au niveau fédéral...
Le président. Revenons-en au sujet !
M. Eric Stauffer. ...et celle-là, nous la gagnerons, parce qu'il ne fallait pas mettre les primes d'assurance-maladie liées au revenu. Il fallait prendre, comme l'a proposé le MCG, la prime la plus basse par canton, parce qu'on ne comprend pas pourquoi une caisse peut proposer 380 F, alors qu'une autre propose 480 ou 540 F pour les mêmes prestations. (Rires.) Ces assurances n'ont pas à faire de bénéfices; lorsqu'elles font des publicités, elles les paient avec les primes d'assurance des citoyens suisses qui sont pris en otage par cette LAMal ! Alors moi je vous le dis: oui, on peut dépasser les clivages politiques; oui, on peut les dépasser et avoir cette intelligence pour le peuple ! On se met ensemble, on récolte ces 100 000 signatures au niveau suisse, on fait une votation fédérale, il y a une caisse unique pour toute la Suisse, avec des spécificités cantonales, et nous avons réglé le problème - en tout cas pour plus de dix ans - des primes d'assurance-maladie pour les citoyens de tout notre pays, la Confédération helvétique. Alors je vous le demande: retirez votre projet de loi ! Nous ne le voterons pas pour les raisons que l'on vient de vous expliquer, et vous savez combien le MCG est attaché à cette problématique des primes d'assurance-maladie. Et, non, nous ne faisons pas rien, nous avançons, mais c'est au niveau fédéral que cela se règle. Et je terminerai par vous dire, Mesdames et Messieurs les socialistes, que vous avez deux conseillers nationaux et une conseillère aux Etats. Que font-ils à Berne ?
Des voix. Trois !
M. Eric Stauffer. Trois ! Merci de me corriger ! Que font-ils à Berne ? Je n'ai pas entendu dans la presse qu'ils ont dénoncé la LAMal ou qu'ils ont fait des interventions sous la Coupole fédérale. (Chahut.) Je ne l'ai pas entendu ! Et c'est pour cette raison que les élus genevois... (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît !
M. Eric Stauffer. Les élus genevois que nous envoyons à Berne doivent porter la voix des Genevois sous la Coupole fédérale. Mais ça, le MCG s'en chargera aussi dans à peine dix-huit mois. (Exclamations. Applaudissements.)
Des voix. Bravo !
M. Eric Stauffer. Mesdames et Messieurs les députés, le MCG ne soutiendra pas cette vraie fausse bonne idée, et nous demandons aux socialistes de retirer leur projet de loi et d'aller vers une solution globale qui est une initiative fédérale pour une caisse unique.
Le président. Merci, Monsieur le député. Nous arrivons au terme de notre débat. Restent inscrits les deux rapporteurs et le conseiller d'Etat. Monsieur Bavarel, vous avez souhaité intervenir, mais le règlement est très clair. Vous n'avez pas été mis en cause personnellement, donc je ne peux pas vous donner la parole. En revanche, Mme Schneider-Bidaux, elle, a été visée personnellement; elle peut donc s'exprimer brièvement - brièvement, comme le demande le règlement.
Mme Brigitte Schneider-Bidaux (Ve). Merci, Monsieur le président, je ne vais pas être très longue. Je pense que j'ai une fibre sociale importante, et je le dis à l'intention de M. le rapporteur socialiste qui m'a mise en cause. Je suis pour une caisse unique fédérale, sans aucune restriction, car je pense que c'est l'une des solutions au financement des caisses maladie en général; en revanche, je ne suis pas favorable à ce projet de loi, parce qu'il ne répond pas aux problèmes.
M. Alain Charbonnier (S), rapporteur de minorité ad interim. Je signale qu'il y avait quand même un Vert conscient le jour où nous avons procédé au vote en commission, puisque le seul Vert présent a voté en faveur de ce projet de loi, je tenais à le relever.
M. Stauffer nous parle d'une vraie fausse bonne idée, car lui ne présente que des bonnes idées, c'est bien connu ! D'ailleurs, la dernière en date... J'ai vu dans la «Tribune de Genève» que l'on parle de lui, c'est vrai, car son bannissement des SIG a été confirmé par le Tribunal administratif... (Exclamations. Huées.) Effectivement, nos élus devraient faire parler d'eux, mais je vois que vous, vous faites parler de vous, mais pas toujours dans le bon sens, et je tenais à le signaler.
Sur la fixation de la prime aussi, on voit les limites de M. Stauffer. Il nous dit qu'on fixerait le montant de la prime ici à Genève; mais pas du tout, Monsieur Stauffer ! Ce n'est pas nous qui fixerions la prime, ce sont les autorités fédérales qui le feraient, et ce ne serait sûrement pas un prix très intéressant au départ, puisqu'en général le montant est fixé en fonction de la moyenne cantonale du canton en question. Je le répète, ce n'est donc pas nous qui fixerions cette prime !
Tout à l'heure, j'ai aussi entendu dire qu'il y aurait le danger que les assureurs nous envoient les mauvais risques - je crois que c'est M. Stauffer qui en a parlé. Mais je ne vois pas pourquoi ils nous enverraient leurs mauvais risques et ils n'ont pas le droit de faire démissionner des membres de leurs assurances ! C'est uniquement si l'on avait vraiment des primes ultra bon marché que ce risque existerait, mais, je vous le dis, au départ ces dernières seront dans la moyenne cantonale, donc il ne s'agira pas du tout de primes d'une attractivité telle que l'on récolterait uniquement les mauvais risques venant de toutes les autres assurances.
D'autre part, j'ai entendu quelque chose qui m'a fait sursauter tout à l'heure: un député libéral a dit que ça ferait un pataquès cantonal de plus. Certes, je connais la philosophie libérale par rapport à l'Etat, mais qu'est-ce que ça veut dire «un pataquès cantonal de plus» ? De quels autres pataquès ce député libéral parle-t-il ? Je m'étonne que l'on puisse juger et je ne sais pas s'il pense à l'Hospice général, aux HUG, aux SIG, à l'Aéroport... De quels pataquès parle-t-il ? Personnellement, ça me heurte que l'on vienne parler de «pataquès» à tout bout de champ, alors qu'on a un projet concernant un service public.
S'agissant du problème qu'a rencontré en son temps l'assurance Accorda, je tiens quand même à rétablir la vérité: si cette assurance a dû malheureusement fermer ses portes, c'est parce qu'elle a eu une gestion déplorable de ses comptes et de son administration. Il y a eu des problèmes avec l'Hospice général, eh oui, il faut le dire ! L'Hospice a eu un contrat avec Accorda, ce qui n'a pas amélioré l'état de cette assurance, mais d'autres problèmes, qui ont fini en justice, sont survenus avec des administrateurs de cette caisse. Donc il ne faut pas raconter n'importe quoi, ce n'est pas parce qu'Accorda s'est ouverte aux moins favorisés qu'elle a dû fermer ses portes.
Je reviens au contenu de notre projet de loi: il s'agit d'instituer une caisse publique cantonale. Et pour m'opposer au président du département, que nous soutenons d'ordinaire dans ses propositions, nous, de notre côté, proposons des résolutions et des activités au niveau fédéral pour essayer de modifier un tant soit peu nos primes d'assurance-maladie, surtout au travers des réserves. Je tiens quand même à citer à nouveau certains propos que Mme Dreifuss a tenus lorsqu'elle est venue devant la commission: «Elle déclare ensuite que rien ne s'oppose à ce qu'un canton se dote d'une caisse publique, dans la mesure où cette dernière ne s'oppose pas à la LAMal et à l'ordonnance fédérale relative. Elle pense par ailleurs que ce PL pose quelques problèmes et nécessite des discussions. Elle précise que les dispositions fédérales sont en l'occurrence respectées et que la forme juridique choisie ne pose pas de problème.» Ce sont donc des détails à discuter, d'après Mme Dreifuss, et il n'y a pas du tout d'opposition de sa part sur ce projet de loi.
Enfin, concernant nos conseillers nationaux qui ont été mis en cause tout à l'heure, je tiens quand même à signaler que, au niveau fédéral, le parti socialiste fait partie de l'extrême minorité du parlement. Les propositions se font mais, ma foi, elles ne reçoivent pas les échos nécessaires qu'elles mériteraient, et c'est pour cela qu'au niveau cantonal il est important de faire quelque chose.
En conclusion, nous vous enjoignons donc de soutenir ce projet de loi et d'accepter son entrée en matière, de façon que l'on puisse le traiter réellement en commission. Et je répète que nous sommes prêts à faire les amendements nécessaires et à suivre les propositions de M. Auer. Nous les avons du reste déjà suivies en partie en séparant les problèmes d'assurances privées de l'assurance de base qui nous intéresse uniquement, afin qu'il n'y ait pas de passage entre les deux vases, comme on peut le soupçonner aujourd'hui avec les caisses sous la forme où elles existent actuellement. (Applaudissements.)
M. Patrick Saudan (R), rapporteur de majorité ad interim. J'aimerais revenir sur certains points évoqués lors de ce débat et répondre à M. Deneys, qui mettait en cause les médecins comme étant partiellement responsables du niveau élevé des primes d'assurance-maladie à Genève. Alors est-ce que les médecins ont une responsabilité ? Structurellement, oui. On sait qu'à Genève il y a deux fois plus de spécialistes que la moyenne suisse, on sait que l'on n'a pas assez de médecins de premier recours et l'on sait que ce ratio est l'un des principaux déterminants pour la consommation médicale. On essaie d'y remédier, mais c'est très difficile. A part cela, il faut savoir que le revenu des médecins a stagné et même baissé chez les médecins de premier recours depuis 1970. C'est beaucoup plus complexe que cela, l'augmentation des coûts de la santé à Genève ! Les patients ont une responsabilité, les progrès technologiques, il y a donc un ensemble de facteurs socioculturels qui jouent.
S'agissant de la problématique des mauvais risques, Monsieur Charbonnier, c'est votre projet de loi qui l'implique, puisque vous dites que les personnes qui sont au bénéfice d'un subside total vont être affiliées d'office à cette caisse maladie cantonale. On le sait, ces personnes sont des mauvais risques. Donc vous allez décharger les autres caisses maladie privées de leur devoir de solidarité ! Vous allez faire un cadeau fantastique aux caisses maladie privées ! C'est un point qui est extrêmement important.
Concernant le projet de caisse maladie unique - et je n'ai pas de problème à le dire personnellement, parce que je l'avais déjà soutenu lors de la visite de M. Maillard devant le parti radical - j'y suis favorable, et du reste de nombreux médecins sont en faveur d'une caisse unique. On verra ce qu'il en adviendra au niveau fédéral quand cette initiative sera lancée.
Pour finir, j'aimerais répondre à Mme Carrard. Est-ce qu'on ne fait rien ? Non, Madame Carrard ! Mon collègue le docteur Selleger - encore un médecin ! - vous l'a dit: que font les médecins de l'AMG, les médecins genevois ? Eh bien, ils lancent une initiative fédérale pour séparer l'assurance-maladie de base des complémentaires, afin d'assurer une meilleure transparence. On essaie de se battre, mais on essaie de le faire au niveau fédéral, parce que c'est là que ça se joue. Voilà.
En résumé, il est clair que ce projet de loi, comme l'a très bien indiqué le conseiller d'Etat, est mort-né; techniquement et juridiquement, il ne vaut rien, et il ne faut donc pas voter son entrée en matière.
M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, j'essaierai d'aborder très rapidement trois des thèmes qui ont été ceux de vos discussions. D'abord, le thème des réserves, pour lesquelles vous avez soutenu l'action gouvernementale très fermement, avec deux résolutions, au sujet desquelles je serai auditionné par la commission de la sécurité sociale et de la santé publique des Etats dans les quinze jours à venir. Et je me réjouis de pouvoir en tout cas exprimer avec conviction la position qui était la vôtre concernant deux points. Le premier est la cantonalisation des réserves; au fond, les réserves sont constituées par la différence entre les primes versées et les prestations payées, il est donc évident que c'est fait par région de primes et il est donc clair que les réserves genevoises ont été payées par les Genevois. Ceci est important, et cela répondra, Madame, je l'espère, à l'une de vos interrogations, sans savoir si nous trouverons grâce devant la commission des Etats.
L'autre point était un plafonnement des primes. On n'a pas les chiffres à fin 2009, et pour cause, mais Genève est à plus de 40% des primes, malgré le fait que pendant trois ans - et cela, peu de gens le disent - les primes n'ont pas augmenté à Genève. Elles n'ont pas augmenté entre 2005 et 2009; elles ont pris 7 F par mois et n'ont donc pratiquement pas bougé, ce qui n'était pas le cas dans le reste de la Suisse, mais cela, personne ne l'a relevé. Il n'en reste pas moins que nous voulons défendre là aussi la limitation, par un plafond, des réserves.
Le deuxième élément est celui de la concurrence, qui est toujours invoquée lorsqu'on parle de LAMal. Le système, cela a été dit, n'est pas un système concurrentiel. Pourquoi ? Parce que pour exercer de la concurrence, il faut avoir de la marge sur la liberté de s'affilier ou non, or l'assurance est obligatoire. Il faut que les prestations puissent être différenciées, or elles ne le sont pas. Il faut qu'il y ait de la transparence, or, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on est dans l'opacité. Il n'y a donc aucune concurrence possible, sauf la plus lamentable d'entre elles, celle de chasser les bons risques, et respectivement de faire fuir les mauvais. L'une des grandes assurances qui pratique à Genève et assure 20 000 personnes paie systématiquement avec six mois de retard les sommes que les malades doivent avancer, ce qui exclut très naturellement les gens qui ont peu d'argent et ceux qui ont des maladies qui coûtent très cher, notamment des cancers pour lesquels les médicaments sont extrêmement onéreux. Les gens doivent changer d'assurance, tout simplement parce qu'avancer 60, 70 ou 80 000 F jusqu'au moment où le remboursement intervient, cela fait changer d'assurance ! Alors cette assurance dit: «Regardez, on a les primes les plus basses, parce qu'on est bien gérés». Non ! Ils ont les primes les plus basses parce qu'ils ont chassé les gens les plus malades, et il faut oser le dire.
Alors face à la concurrence, il n'y a pas trente-six possibilités: le seul mécanisme concurrentiel qui existerait dans la LAMal serait de supprimer ce que l'on appelle la compensation des risques. Parce qu'alors même que santésuisse et son président, M. Ruey, défendent le système concurrentiel, ils défendent curieusement la compensation des risques, qui consiste en gros à imposer à Toyota le versement de subsides à Renault, si par impossible Renault a de la difficulté. On voit dans quel type de concurrence on pourrait nager avec des sottises pareilles ! Alors j'ai dit à M. Ruey que j'étais d'accord avec son système concurrentiel, mais qu'il fallait supprimer la compensation des risques ! Ainsi, dans les trois ans il restera deux ou trois caisses, parce que les autres auront fait la cupesse, et avec deux ou trois caisses on sera si près de la caisse unique que c'est eux qui réclameront d'y arriver. Et je pense d'ailleurs qu'on arriverait plus vite par ce moyen que par une initiative populaire, même si bien entendu - mais je ne m'exprime qu'à titre personnel - je la soutiendrai toujours. Si je dis que je ne m'exprime qu'à titre personnel, c'est que je ne peux pas engager le Conseil d'Etat, et si je ne peux pas le faire, c'est parce que l'on n'en parle pas au niveau du Conseil d'Etat, dès lors que ce n'est pas un problème cantonal, cela a été dit et redit. Le jour où il y aura une telle initiative, il y aura des comités de soutien, nous nous demanderons nos avis respectifs, notre droit éventuel à soutenir, etc., mais pour le moment on n'en parle pas. Ce n'est pas un problème cantonal.
Enfin, je conclurai en parlant des coûts. J'ai été très intéressé par ces accusations au sujet de qui gagne beaucoup et qui gagne peu. Il est intéressant de voir que les dépenses du secteur privé de la médecine sont à Genève beaucoup plus élevées qu'ailleurs. Et cela voudrait dire, Monsieur Deneys, que vous voyez les médecins, le cas échéant, avec un chapeau claque et un gros cigare. Or il se trouve que le revenu moyen du médecin genevois est le plus bas de Suisse. Qu'est-ce que cela veut dire ? (Remarque.) Non, non ! Parce que vous ne pouvez pas avoir des coûts élevés qui seraient déclarés et des revenus qui, eux, ne le seraient pas. (Brouhaha.) J'ose vous demander deux secondes d'attention, Monsieur Saudan, s'il vous plaît ! (Rires. Commentaires.) J'essaie de défendre ce paradigme curieux qui fait que les assureurs disent qu'ils dépensent le plus à Genève pour le privé, et que les privés disent qu'ils gagnent le moins. Nous l'avons démontré par un système de monitoring des coûts, que nous sommes le seul canton à avoir mis sur pied. Et nous l'avons instauré parce que nous avons eu la capacité entre partenaires de faire autre chose que ce que vous faites sur ce sujet dans ce parlement, qui est une opposition frontale qui n'a aucun sens. Nous nous sommes assis, nous avons étudié les chiffres, chacun a donné les siens et on a pu découvrir un certain nombre de choses. Et je conclurai donc en vous disant que si les coûts sont élevés à Genève, c'est que les coûts sont des prix multipliés par des nombres ! Et lorsqu'il y a trop de nombres, par exemple le nombre de médecins, les coûts augmentent. Mais si les prix sont élevés, sachez que 82% des prix liés à la santé sont des coûts de personnel, alors chaque fois que vous demandez des moyens supplémentaires dans les différents organismes de soins, chaque fois que vous refusez une manoeuvre de restructuration, comme celle de Victoria, dans un hôpital, vous faites augmenter les coûts. Et lorsqu'on a conscience de cela, on mesure tout à la fois la difficulté des choses et l'importance de les faire là où l'on peut, et pas dans un monde virtuel. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. La parole n'étant plus demandée, je vais faire voter l'entrée en matière de ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 10349 est rejeté en premier débat par 68 non contre 15 oui et 9 abstentions.