République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 27 août 2009 à 17h05
56e législature - 4e année - 10e session - 59e séance
M 1874
Débat
Le président. Nous passons au point 32 de notre ordre du jour. C'est à nouveau une proposition de motion, la M 1874 de M. Bertinat. Nous sommes en catégorie II: trois minutes par groupe. Monsieur Bertinat, vous avez la parole.
M. Eric Bertinat (UDC). L'affaire, pour autant que ce soit une affaire, débute le 18 février 2009 dans le point de presse du Conseil d'Etat, où nous apprenons que ce dernier a demandé au Conseil fédéral de remplacer les contrôles douaniers fixes pour les voyageurs en provenance de France par des contrôles embarqués dans les trains. L'idée - plus que de modifier les contrôles - c'est de pouvoir récupérer deux voies qui seraient très utiles à la gare de Cornavin vu le fort trafic ferroviaire. Mais il y a des problèmes: premièrement, ces deux quais sont soumis à un accord entre la France et la Suisse qui n'a pas été discuté pour l'instant; deuxièmement, le contrôle douanier à la gare de Cornavin est très important, puisqu'elle est un terminus pour passablement d'immigrés; troisièmement, la multiplication des faux documents oblige à avoir des installations fixes et, enfin, des contrôles volants qui se feraient dans les trains entre Bellegarde et Genève demanderaient des effectifs très importants et compliqueraient à l'envi la tâche difficile des douaniers - on peut penser aux doubles rames TGV où il faudrait quasiment doubler les effectifs.
Nous vous avons donné des explications, que nous espérons précises, sur toute la problématique qui est soulevée là derrière, et je me permets d'attirer votre attention principalement sur les invites, au nombre de trois: nous souhaitons maintenir les contrôles douaniers fixes pour les voyageurs en provenance ou à destination de la France; nous voulons prendre en compte les propositions d'augmentation des contrôles faites par la commission de sécurité du Conseil national lors de sa visite à Genève en 2007, qui demande justement dans son rapport que Genève conserve ce genre de contrôles. Et, enfin, pour quand même répondre à la difficulté à laquelle est confronté le Conseil d'Etat et que nous avons comprise, à savoir ce gros trafic que connaît Cornavin - qui va être encore augmenté par le CEVA si nous arrivons enfin à le construire - la troisième invite demande d'évaluer la possibilité de faire circuler des trains «suisses» sur les voies 7 et 8 dans les plages horaires disponibles. Nous vous remercions d'avance de faire bon accueil à cette proposition de motion.
M. Jacques Jeannerat (R). Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette motion est bizarre: elle va complètement à l'envers de l'actualité. Toute l'argumentation repose sur le fait qu'il faut respecter les accords de Schengen. Mais justement ! C'est parce qu'on respecte les accords de Schengen que le Conseil d'Etat a pris cette décision, le 18 février, de faire davantage de contrôles embarqués dans les trains. Et c'est très curieux de voir cela, je pense d'ailleurs que c'est la preuve que les UDC n'ont pas bien compris les accords de Schengen; ils ont oublié de faire lire cela à leur officier des douanes Catelain, puisqu'il n'a même pas signé cette proposition de motion ! Les contrôles embarqués dans les trains, ce n'est pas une invention du Conseil d'Etat, ça se pratique depuis de nombreuses décennies dans la région de Bâle avec l'accord de la Confédération et de la direction des douanes. Il n'y a donc absolument aucun problème dans ce sens-là.
L'un des arguments sur lequel je pourrais entrer en matière, c'est le considérant dans lequel il est dit que l'axe Bellegarde-La Plaine n'est pas couvert par le réseau radio Polycom ou par le réseau GSM. Eh bien, il suffirait que la motion demande justement qu'on équipe davantage ce secteur-là et le problème serait parfaitement résolu. Ainsi, si vous aviez fait une motion dans ce sens, je l'aurais même volontiers signée.
Et puis alors, amplifier les contrôles à la douane de Cornavin, c'est se tirer une balle dans le pied. En effet, ça fait maintenant cinq ou six ans que le chantier pour l'amélioration ou plutôt le raccourcissement de la durée de trajet des trains entre Paris et Genève dans le Haut-Bugey est en train de se faire, et l'on arrive bientôt à son terme. On va gagner trente minutes sur le trajet Paris-Genève, alors si l'on renforce encore le contrôle douanier, ça n'aura servi à rien d'avoir injecté des centaines de millions pour améliorer cette ligne. En outre, l'avenir du transport ferroviaire à Genève, c'est un avenir transfrontalier: le peuple genevois va se prononcer dans quelques semaines sur le concept du CEVA. Si le CEVA se réalise, il faudra au contraire amplifier ces contrôles embarqués, c'est donc maintenant qu'il faut que les autorités politiques donnent l'impulsion pour faire en sorte que ces contrôles soient efficaces.
Enfin, les motionnaires parlent d'améliorer le contrôle des marchandises, de la délivrance de carnets ATA, etc. Mais il ne s'agit pas, dans mes propos, de fermer la douane de Cornavin ! Celui qui arrivera avec de la marchandise pourra toujours la déclarer; il faut maintenir un poste de douane à Cornavin, c'est clair !
Quant à la troisième invite qui consiste à évaluer la possibilité de faire circuler des trains «suisses» sur les voies 7 et 8, eh bien non, justement pas, puisque l'on est en train d'améliorer l'offre à destination de la France, notamment avec le TGV, puis avec le CEVA; cela va donc à l'envers du bon sens.
En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, il faut carrément rejeter cette proposition de motion, qui est complètement bizarre.
Mme Elisabeth Chatelain (S). Mesdames et Messieurs les députés, moi aussi je vais parler de quelque chose de bizarre. Je vais vous dire que, comme toujours, je suis contre les bouchons. Et donc là, je ne veux pas d'embouteillages à la douane, il n'y a ainsi pas besoin qu'il y en ait une. On peut dire: «Halte aux bouchons à la douane de Cornavin !»
On peut dire surtout, et d'une façon plus sérieuse cette fois, qu'il y a une confusion dans cette motion par rapport aux contrôles des marchandises et aux contrôles des personnes. Les contrôles des personnes sont maintenant régis par Schengen, et il n'est plus nécessaire d'avoir cette douane à Cornavin, d'autant plus que nous avons en revanche urgemment besoin de place pour le réseau ferroviaire, pour le réseau RER et pour toutes les nouvelles formes de transports nécessaires. Je crois donc que nous pouvons simplement refuser cette motion sans aucune autre forme de procès.
M. Jean-Claude Ducrot (PDC). Il y a plus de dix ans que les CFF planchent sur le réaménagement de la gare Cornavin. Pourquoi plus de dix ans ? Parce qu'à l'époque, dans les contrôles douaniers qui étaient confiés à la police, Bâle pratiquait déjà les contrôles embarqués. Et qui plus est, Monsieur Bertinat, il y a vingt-cinq ou trente ans, tant la douane que la police genevoise, qui avaient en charge les contrôles aux frontières, faisaient déjà des contrôles embarqués qui ont disparu - peut-être pour des raisons de confort - entre Genève et Bellegarde, ce qui signifie que ce n'est pas une nouveauté; c'est une introduction souple par rapport à l'aménagement voulu: la facilitation pour les voyageurs.
Il y a dans cette motion un relent sous-jacent anti-européen. Or nous ne sommes pas dans le même cas de figure qu'à l'aéroport, où il existe deux trafics séparés: le trafic voyageurs à caractère international, hors espace Schengen, et le trafic dit «domestique», qui concerne non seulement la Suisse mais également les pays européens. Cela étant, quand je vois que «le point de franchissement de Cornavin est une voie d'immigration»... Bien sûr que c'est une voie d'immigration ! Mais je pense qu'il convient, tant pour les Français que pour les Suisses, de respecter les accords de Schengen; et c'est cela qui doit être appliqué. Les douaniers et les gardes-frontière ne doivent pas, uniquement sur la base du visage de la personne, accomplir un contrôle; c'est d'abord une question de marchandises qui doivent faire l'objet d'un contrôle. Et cela, c'est dans le cadre des missions prévues par les accords de Schengen.
Mesdames et Messieurs, oui aux contrôles embarqués ! Simplement, il convient que les moyens techniques soient élaborés pour permettre ces contrôles embarqués, qu'il y ait une concertation avec l'autorité française, et je pense que c'est vers cela qu'il faut aller. Et nous verrons bien: dans le cadre des accords de Schengen, il y a des évaluations et des appréciations qui seront faites, et c'est la Confédération qui a en définitive - puisque les gardes-frontière en dépendent - la responsabilité de faire cette évaluation. Et nous pourrons à ce moment-là, lorsqu'il y aura les premiers chiffres, faire état de notre point de vue politique. C'est pour ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, que le groupe démocrate-chrétien refusera cette proposition de motion 1874.
M. Eric Bertinat (UDC). Je voudrais juste réagir aux interventions qui viennent d'être faites. J'ai pu entendre, dans la bouche de mes collègues, que nous étions à l'envers du bon sens, et une autre personne a déclaré: «Halte aux bouchons à la douane !» Il faut être réaliste: plus il y aura de trains, plus on sera obligés de faire des contrôles. Or, selon votre position, plus il y aura de trains, moins on fera de contrôles. Nous venons de discuter pendant pratiquement une demi-journée de la sécurité, de problèmes graves que Genève connaît parce que c'est un canton frontière, où il y a non seulement un aéroport mais aussi une gare, qui entraînera un trafic de plus en plus dense. Et ce que vous offrez en ce moment aux citoyens genevois, c'est moins de contrôles, moins de douanes et moins de moyens pour effectuer ces contrôles. En effet, il est hors de question d'avoir à bord les moyens techniques de contrôler des passeports et des cartes d'identité falsifiés. Premièrement, on n'aura pas le temps, et les instruments sont gros, alors que des installations fixes à Cointrin, qui existent déjà, peuvent être améliorées et leur rendement encore augmenté. Donc, aujourd'hui, en refusant cette motion, vous êtes juste en train de dire: «Genève, ville ouverte !» Il y aura de plus en plus de transports, il y aura de plus en plus de personnes qui viendront à Genève sans qu'il y ait de contrôles douaniers, donc forcément il y aura moins de sécurité.
Mme Nathalie Fontanet (L). Le groupe libéral approuve totalement les propos qui ont été tenus par M. Jeannerat, et nous ne soutiendrons pas, tout simplement pour des raisons de conformité avec les accords de Schengen, cette proposition de motion.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, quelques explications: pourquoi le Conseil d'Etat est-il intervenu pour demander des contrôles embarqués ? C'est que votre Grand Conseil, à réitérées reprises, a demandé qu'on facilite précisément ce trajet, et c'est la méthode que tout le monde souhaitait. Pourquoi écrire à M. Merz ? Parce que, simplement, c'est le corps des gardes-frontière, soit le Département fédéral des finances, qui est aujourd'hui en charge du contrôle à la gare de Cornavin comme à l'aéroport, suite à une convention signée entre le canton et la Confédération. Par conséquent, le choix de contrôles embarqués ou pas dépend aujourd'hui de M. Merz. Nous sommes, semble-t-il, très majoritairement d'accord de préférer les contrôles embarqués, mais à supposer qu'il faille avoir une autre politique, en toute hypothèse, ce n'est que lui qui peut le faire.
S'agissant de Schengen aussi, je rappelle que ces accords permettent les contrôles de marchandises, mais pas les contrôles de personnes sans des éléments suffisants qui permettent de considérer qu'il faille en faire un. Et vous avez vu que la République tchèque s'est plainte récemment du fait qu'il y avait des contrôles systématiques de personnes.
Donc, cela, je ne pense pas que l'on puisse effectivement l'envisager à Cornavin, sans méconnaître, Monsieur Bertinat, la voie de passage qu'est Cornavin, c'est une évidence. Il s'agit de renforcer, parmi les mesures qui doivent être prises et qui sont d'ailleurs en très bonne voie, la collaboration entre les polices suisse et française au départ de l'un et l'autre point, et pas juste au passage de la frontière. Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, ce que je voulais ajouter sur cet objet.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat, nous allons donc voter sur cette proposition de motion 1874.
Mise aux voix, la proposition de motion 1874 est rejetée par 52 non contre 3 oui.