République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 3 avril 2009 à 20h30
56e législature - 4e année - 7e session - 39e séance
M 1872
Débat
Le président. Nous sommes toujours en débat de catégorie II: trois minutes par groupe plus trois minutes pour l'auteur de la proposition. La parole est à Mme Läser.
Mme Patricia Läser (R). Mesdames et Messieurs les députés, cette motion vous a certainement fait sourire... (Remarque.) ...rire ou peut-être même pleurer. Elle n'est, je l'avoue, pas très sexy. On se sent transporté dans les années septante. Pourtant, elle est tout à fait réaliste et d'actualité. Certains considérants de cette motion vous rappellent les problèmes de nos jeunes: obésité, «malbouffe», endettement, mais aussi intolérance et violence. Ces problèmes n'ont apparemment rien en commun. Et pourtant, ils découlent tous d'un manque de connaissances de base, d'un défaut d'apprentissage de règles indispensables à la vie de tous les jours. Tous les groupes présents dans cette salle ont déposé des motions suggérant des remèdes. Celle que nous vous soumettons vous propose de la prévention.
Aujourd'hui, au travers des 15% de marge de manoeuvre cantonale prévue dans le PER - plan d'études romand - cette motion vous propose de réintroduire des cours de «compétences au quotidien», appelés de façon ringarde «économie familiale». Que l'on soit fille ou garçon, on y apprend qu'un ménage est une version microscopique du monde de l'économie globale et donc qu'il y a des règles à respecter - ces règles que l'on n'apprend plus et qui, malheureusement, ne sont pas innées. Pour être progressiste et moderne, la formation doit prendre en compte les aspects individuels et communautaires de la vie de tous les jours. Les enfants et adolescents acquièrent ainsi les outils pratiques et indispensables pour la suite de leur vie. Ils seront capables de se nourrir correctement, d'être des consommateurs attentifs, de fonctionner en réseau et de gérer leur budget.
Ces cours ont été stoppés il y a des dizaines d'années à Genève, bien avant les autres cantons romands, laissant des enseignements à option ici ou là. Aujourd'hui, on se rend compte que la gestion d'un ménage contient tout ce qu'il faut afin d'être prêt pour la vie, quel que soit le futur qui nous attend. Ces compétences acquises au fil des âges et rappelées de manière régulière tout au long de la scolarité, en allant à chaque fois un peu plus loin, permettront peut-être de prévenir certains dérapages. Je vous demande donc de renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement afin qu'elle puisse regarder sereinement la piste qu'il y a peut-être à explorer pour prévenir, au lieu de sans cesse guérir, des maux qui viennent en grande partie d'une méconnaissance des gestes de base de notre quotidien.
Des voix. Bravo ! (Applaudissements.)
M. Antoine Bertschy (UDC). Comme vous le savez, le PER est encore en consultation, et voilà que le parti radical veut déjà prendre les 15% d'autonomie qui resteront au canton pour dire ce que l'on devra en faire. Et qu'est-il proposé ? Aux yeux de l'UDC, ce n'est pas vraiment ce que nous aimerions que l'on fasse de ces 15 tout petits pourcents. «Vie en société», tel est le premier chapitre. La vie en société doit-elle être apprise par l'école ou par la famille ? La question se pose... (Brouhaha.) L'essentiel de la vie en société pour un enfant doit d'abord s'apprendre au sein de la famille, et cela continue naturellement à l'école. Quant à la santé, qui constitue le deuxième chapitre, nous lisons cette phrase: «De nos jours, un enfant sur cinq souffre d'obésité.» Donc le parti radical demande par là que les enfants apprennent à se nourrir à l'école. Pourquoi pas ? Mais à notre sens, encore une fois, la cellule familiale est là pour ce genre de choses. Un enfant apprend à se nourrir... (Brouhaha.) On espère qu'il se nourrit le plus souvent possible au sein de sa famille. (Le président agite la cloche.)
Ensuite, il y a d'autres propositions, qui sont un peu plus intéressantes, par exemple les activités manuelles. Je sais que mes souvenirs d'école sont quelque peu lointains, mais il me semble néanmoins que les activités manuelles s'apprennent déjà à l'école. Y a-t-il vraiment besoin de proposer une motion pour déjà encombrer ces 15 tout petits pourcents de liberté qu'il restera au DIP pour élaborer un programme scolaire ? Aux yeux de l'UDC, ce n'est pas le cas, raison pour laquelle nous refuserons cette motion.
Mme Janine Hagmann (L). Mesdames et Messieurs les députés, nos amis radicaux fourmillent d'idées pour mettre au goût du jour l'enseignement primaire à Genève. Nous nous en réjouissons beaucoup, car je me souviens très bien du temps pas du tout lointain où le langage que vous teniez, Mesdames et Messieurs les radicaux, était beaucoup plus simple. Vous disiez que l'école était faite pour apprendre à lire, à écrire et à compter. Et lors de l'une de mes interventions où j'avais osé parler de «savoir-être» - ce qui n'est pas inclus dans votre motion - et de «savoir-faire», vous m'aviez dit que j'avais un affreux langage digne de la FAPSE ! Alors bravo, Mesdames et Messieurs, si aujourd'hui vous avez une vision beaucoup plus large de la notion de formation !
Vous demandez ainsi des compétences au quotidien dans des domaines que je peux rapidement énumérer: la société, la santé, les activités manuelles, la culture, l'écologie, l'économie. N'avez-vous pas oublié les droits de l'Homme ? Je vous rappelle simplement que l'accord HarmoS, que vous avez voté il y a peu de temps, définit avec précision les finalités de la scolarité obligatoire. Or, dans HarmoS, la formation de base comprend les langues, les mathématiques et les sciences naturelles, les sciences humaines et sociales, la musique, les arts et les activités créatrices, le mouvement et la santé. Est-ce que rien de ce que vous avez proposé ne figure dans l'un de ces chapitres ? Si ! Tout y figure, y compris «[...] le développement d'une personnalité autonome, ainsi que l'acquisition de compétences sociales et du sens des responsabilités vis-à-vis d'autrui et de l'environnement», comme le prévoit l'article 3, alinéa 3, de l'Accord intercantonal sur l'harmonisation de la scolarité obligatoire - HarmoS. Alors votre motion n'est-elle pas un doublon ? N'est-elle pas seulement un alibi en ce moment ?
Je vous rappelle tout de même qu'actuellement à l'école primaire, en plus des cours donnés, chaque enseignant a droit, pour ses élèves, à tout ceci: le brossage des dents, les cours de circulation, les pompiers, l'éducation sexuelle, la posture du dos, l'information sur les chiens dangereux, la diététique, l'apprentissage chez les petits de la manière idoine de se moucher, la préparation des cadeaux pour la fête des mères, éventuellement pour Noël... (Remarque.) ...la préparation de la fête des promotions, de l'Escalade...
Mme Fabienne Gautier. Et chanter !
Mme Janine Hagmann. Et chanter, évidemment, le «Cantique suisse» ! (Rires.) A un moment donné, nous, libéraux, disons: «Mais attendez, halte là !» Je vous rappelle l'objectif de l'école publique. L'article 4 de la loi sur l'instruction publique stipule: «L'enseignement public a pour but, dans le respect de la personnalité de chacun: a) de donner à chaque élève le moyen d'acquérir les meilleures connaissances dans la perspective de ses activités futures et de chercher à susciter chez lui le désir permanent d'apprendre et de se former;» C'est vrai qu'aujourd'hui l'enseignement ne doit pas seulement instruire, mais faire grandir. C'est bien la réflexion qu'ont menée - avant vous, Mesdames et Messieurs les radicaux - les instigateurs du PER.
Le président. Il faudra terminer, Madame la députée.
Mme Janine Hagmann. C'est pour cela que cette motion - bien que basée sur une belle réflexion, je vous en félicite - est inutile. Tout figurait dans le rapport que nous avons voté sur HarmoS. (Applaudissements.)
M. Pablo Garcia (S). Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion pose, on l'a dit, des questions louables. Comment donner aux jeunes enfants les outils nécessaires pour s'épanouir et comprendre la société qui les entoure ? Mais la réponse la plus éclatante que nous pouvons offrir à cette motion est le travail quotidien, le soutien que les enseignantes et enseignants apportent aux élèves genevois. Notre école a depuis longtemps intégré ces attentes des familles et des enfants. Elle remplit en effet largement cette mission, qui est celle de transmettre des savoirs et de former la jeunesse, mais aussi d'enseigner le «vivre ensemble», un enseignement peut-être plus important que le savoir-vivre demandé par cette motion.
Cette sensibilisation aux pratiques de santé, de culture, de responsabilité individuelle et collective se retrouve en filigrane dans les programmes de l'instruction publique. Pour s'en convaincre, comme l'a fait Mme Hagmann, il suffit de s'informer sur les ateliers organisés par les diététiciens du service de santé de la jeunesse de Genève auprès des écoles ! Le SSJ conseille les équipes éducatives sur les besoins sanitaires de l'enfant et sur le développement des jeunes. De plus, ce service du DIP donne des séances d'information sur ces thèmes auprès des parents et des familles. Sans parler, évidemment, des cours sur l'hygiène de vie, du soutien psychologique ou de la prévention sur les toxico-dépendances. Je laisse donc les motionnaires s'informer de tout cela sur le site internet de l'Etat de Genève pour tout renseignement complémentaire.
Nous avons donc ici une motion louable, mais qui n'apporte rien de nouveau, aucune proposition nouvelle; une motion louable, qui salue un travail important et nécessaire effectué par des personnes dignes d'admiration et de soutien. Alors plutôt que de dicter la matière des cours aux professeurs, faisons déjà en sorte de leur donner tout le budget nécessaire, tout le soutien budgétaire nécessaire à ces tâches supplémentaires que nous souhaitons leur donner. Parlons d'abord des moyens, Mesdames et Messieurs les députés, avant de demander aux professeurs de sauver le savoir-vivre.
Mesdames et Messieurs, les socialistes reconnaissent ce travail. Nous savons à quel point ces compétences du quotidien sont d'ores et déjà transmises de génération en génération, car nous n'oublions pas que l'école n'est pas uniquement un lieu de savoir, mais aussi un lieu majeur d'apprentissage de la sociabilisation et du «vivre ensemble». Cette motion ne fait que reconnaître ce que l'instruction fait déjà, mais sans apporter de propositions nouvelles. Voilà pourquoi nous n'entrerons pas en matière.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Je pense que cette motion est très bien ! (Exclamations. Rires.) Elle confirme justement tout ce qui existe déjà au DIP. Ainsi, c'est un hommage à notre école publique, qui a besoin d'être revalorisée. Donc c'est précisément l'occasion de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat pour montrer que le département de l'instruction publique a déjà tout fait pour répondre à ces préoccupations. Je crois que la population a besoin d'être rassurée; et elle verra par une réponse circonstanciée du Conseil d'Etat que nos chères petites têtes blondes n'ont pas de souci à se faire, parce que tous ces domaines sont pris en compte, que les enfants sont en de bonnes mains et que, avec l'accord intercantonal, on va encore renforcer ces actions. Nous avons par conséquent tout pour nous réjouir.
Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Je suis bien évidemment contre cette motion. (Brouhaha.) J'estime que ce n'est pas à l'Etat d'éduquer les enfants, mais bien aux parents. Quand on veut être parent, on doit l'assumer avec tout ce que cela implique. On n'a pas de leçon à recevoir et chacun est libre d'éduquer son enfant comme il l'entend. D'ailleurs, quand on refuse d'informer les jeunes sur les violences, car tout est déjà fait selon vous, je trouve plutôt mal placé de vouloir jouer les moralisateurs envers les parents au sujet de l'éducation. Je suis d'accord que certains adultes ont seulement été nourris et sont mal élevés. (Brouhaha.) Mais je ne crois pas que vous soyez en mesure de vous prendre pour les rois de l'éducation. L'Etat instruit au travers de l'école et les parents éduquent: c'est leur rôle. Je vous enjoins donc, Mesdames et Messieurs, de refuser cette motion, car l'éducation de nos enfants est libre et regarde les parents.
M. François Gillet (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, au nom du groupe démocrate-chrétien, j'aimerais dire que, parfois, nos amis radicaux nous inquiètent. (Commentaires. Rires.) Ils ont déposé une initiative sur l'accueil continu des élèves qui entre dans d'infinis détails. Et là, ils nous proposent d'ores et déjà de décider comment nous utiliserons les 15% de marge que nous laisse le plan d'études romand pour introduire toute une série de domaines qui, à nos yeux, sont pour la plupart de la responsabilité des familles. Ces dernières devraient conserver - mais peut-être cela échappe-t-il aux radicaux - une certaine marge de manoeuvre et d'autonomie dans l'éducation de leurs enfants. Parfois, nous avons l'impression que, pour les radicaux, ce serait à l'Etat d'éduquer les enfants, et non plus aux familles. Nous avons donc quelques inquiétudes par rapport à cette façon de voir les choses...
Maintenant, au sujet du plan d'études romand - soyons sérieux ! - nous venons à peine de terminer la procédure de consultation. Il n'a même pas encore été présenté à la commission de l'enseignement. D'après ce que j'ai pu en lire, j'aimerais préciser que de nombreux aspects que vous énumérez dans votre motion sont déjà intégrés à des domaines d'enseignement qui figureront dans le plan d'études romand dans le cadre d'un certain nombre de disciplines. Je pense par exemple aux activités manuelles, que vous citez, à l'écologie, à l'économie... Ce sont des aspects qui sont intégrés - et je pense que c'est une bonne chose - à des domaines d'enseignement dans des cours qui ne se focaliseront pas que sur ces aspects, même s'ils sont importants.
Ensuite, il y a effectivement des compétences, Mesdames et Messieurs les députés, qui ne s'acquièrent pas à l'école ! Il y a les compétences qui s'acquièrent par la pratique, par le vécu que l'on peut avoir dans sa famille, dans le monde associatif, à l'extérieur de l'école. Tout ne doit pas être appris à l'école dans un cadre forcément structuré. Beaucoup de choses s'apprennent en marge de l'école, et c'est très bien. Que cela continue ainsi.
En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, même si les objectifs de cette motion sont louables, il est prématuré d'imaginer affecter maintenant déjà les 15% de marge qui nous restent à ce type de domaines. Et à nos yeux, il est important qu'il reste une latitude aux familles et à tout le tissu parascolaire et périscolaire pour amener les enfants à acquérir ces compétences, aussi importantes soient-elles.
M. Jacques Follonier (R). Mesdames et Messieurs les députés, il faudrait quand même regarder les choses en face. J'entends des gens, comme Mme Hagmann, dire que l'accord HarmoS règle ces problèmes. Ce n'est pas vrai. Quant au PER - je vous entends tous en parler - je n'ose pas demander qui d'entre vous a lu ce PER, les deux cents pages de ce magnifique classeur blanc. M. Gillet et moi, en tout cas, les avons lues. (Remarque.) Certainement M. Beer aussi, effectivement. Je donne raison à M. Gillet: une partie de ces points sont traités. Néanmoins, cela nous laisse le temps de réfléchir sur ce que nous pourrions faire.
Je vais vous donner un exemple. Il y a six mois, dans une ZEP - une zone d'éducation prioritaire - une classe française a été choisie, alors qu'elle ne connaissait absolument rien à la cuisine ni au service, pour préparer un repas à la ministre de l'enseignement, Mme Valérie Pécresse, et au ministre de la santé. Les élèves ont mis trois mois, sous la férule de Cyril Lignac, à préparer ce repas magnifique pour lequel ils tremblaient tous. Lorsque ce repas a été servi, il a été somptueux et a fait réfléchir d'une manière importante la ministre française de l'enseignement.
Eh bien cette petite motion a exactement le même but, d'une manière beaucoup plus courte: faire réfléchir notre ministre de l'éducation sur le bien-fondé ou la possibilité éventuelle d'utiliser ces fameux 15%, que nous pourrions d'ores et déjà imaginer, construire et préparer. Dès lors, je pense que l'on peut, sans que cela pose grand problème, renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes saisis d'une demande de renvoi de cette proposition de motion 1872 à la commission de l'enseignement... (Remarque.) Madame Läser, vous demandez la parole ? Il vous reste trente secondes. (Exclamations.)
Mme Patricia Läser (R). Je retire ma demande de renvoi en commission et rejoins mes collègues pour un renvoi au Conseil d'Etat.
Une voix. Bravo ! (Exclamations. Commentaires.)
Le président. Voilà une bonne nouvelle ! Merci, Madame la députée. Nous allons donc nous prononcer sur cette proposition de motion 1872.
Mise aux voix, la proposition de motion 1872 est rejetée par 41 non contre 11 oui et 5 abstentions.