République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 19 mars 2009 à 14h
56e législature - 4e année - 6e session - 34e séance
PL 10218-A-I
Premier débat
Mme Patricia Läser (R), rapporteuse de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, revenons à des sujets peut-être un peu plus sérieux.
Il faut aujourd'hui produire des impulsions pour la croissance, et ce projet de loi en est une. Il fait suite à la votation du mois de février 2008. Déjà un projet de loi, le PL 10247, adaptant la loi genevoise au nouveau régime fédéral, a été adopté en septembre 2008 par cette plénière. Mais ce PL 10218 émanant de l'Entente compte utiliser la marge de manoeuvre laissée à chaque canton de faire plus pour leurs entreprises, c'est-à-dire de s'attaquer à la double imposition.
Aujourd'hui, peut-être encore plus qu'au moment du dépôt de ce projet de loi, nous avons l'occasion de donner un coup de pouce pour aider nos entreprises dans une période difficile. Ces entreprises sont, je le rappelle au rapporteur de minorité, génératrices d'emplois ! Et avec un petit clin d'oeil, je reprends partiellement vos termes: «Il est important de soutenir toute mesure publique susceptible de maintenir un tissu économique de proximité.» Or nos entreprises sont sans cesse en concurrence avec celles des autres cantons, qui eux, ont déjà légiféré.
Ce projet est fait pour nos PME, pour nos entreprises familiales, pour tous ceux et toutes celles qui offrent des places de travail à nos concitoyens. Je vous remercie donc de suivre le rapport de majorité, qui est le résultat d'une volonté populaire votée avec enthousiasme par les Genevois et qui donnera un bol d'air à des entreprises aujourd'hui en proie à de grandes difficultés.
Une voix. Bravo !
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, le parti socialiste doit d'abord constater que le projet de loi 10218 visait à accorder des exonérations de l'ordre de 50% à 60%, et que le coût initialement possible de cette mesure était de l'ordre de 120 à 140 millions de francs par an. Je vous rappelle qu'il est extrêmement dangereux, pour l'ensemble de notre collectivité publique, d'aller dans la direction d'une baisse de recettes fiscales aussi importante dans un contexte comme celui que nous vivons aujourd'hui, quel que soit le gain pour certaines entreprises.
En commission, le Conseil d'Etat, dans sa grande sagesse, nous a évidemment fait des propositions pour réduire l'impact financier de cette mesure. Et nous sommes passés d'un système qui visait à exonérer 50% des gains à un système qui plafonne cette exonération à 8500 F. En fait, c'est une imputation de l'impôt sur le bénéfice à l'impôt sur le capital. Cette solution a un effet non négligeable puisque, du coup, le montant total de la mesure s'élève à 20 millions de francs. Par ailleurs, le montant forfaitaire de 8500 F cible certainement mieux les petites entreprises - si elles réalisent un bénéfice ! Bien entendu, les autres ont toujours leurs yeux pour pleurer, mais elles ne voient pas l'effet positif de cette mesure.
Il faut donc bien se rendre compte que, ainsi, nous touchons quelques entreprises, effectivement en priorité des PME - alors oui, à cet égard, on peut considérer que cette mesure va dans le bon sens - mais, en même temps, on ne touche pas forcément les PME qui en ont besoin. C'est déjà le cas pour d'autres mesures proposées et votées par cette majorité de droite dans ce Grand Conseil. Vous avez une logique de saupoudrage: vous voulez que toutes les entreprises, quels que soient leurs bénéfices et leur situation économique, profitent de la mesure. Pour les socialistes, c'est particulièrement inefficace. On sait très bien qu'en réalité une entreprise peut réaliser un bénéfice de quelques millions. Entre cette dernière et les nombreuses autres, surtout les PME, qui n'ont pas de bénéfice du tout, je ne sais pas lesquelles il faut aider en priorité, mais je ne suis pas certain que ce soient celles qui font des millions ou des centaines de milliers de francs de bénéfices ! Ces 8500 F seront naturellement toujours bon à prendre, ils permettront au directeur ou à l'actionnaire - à nouveau, avec cette logique selon laquelle il faut détenir plus de 10% d'actions - d'acheter une plus belle Mercedes ou une nouvelle Ferrari ! C'est merveilleux ! Mais c'est complètement ridicule - ridicule ! - au niveau de l'impact réel pour l'économie genevoise.
Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés, pour les socialistes, cette mesure est inefficace parce qu'il s'agit d'un saupoudrage. Ces 20 millions de francs seraient bien plus utiles pour aider des entreprises qui en ont besoin, qui font des demandes et qui mériteraient d'être aidées à une époque difficile comme la nôtre. Voilà qui est plus utile que de dire: «Ecoutez, quelle que soit votre situation, on vous enlève 8500 F d'impôt, parce que, de toute façon, cela ne va pas vous faire de mal.» Oui, c'est vrai, sauf que cela ne changera rien à la situation de certains. Donc, pour les socialistes, la mesure est inefficace.
A nouveau, on a ce double discours qui consiste à dire, quand cela nous arrange, qu'un franc est un franc, pour déclarer ensuite: «Ah non, concernant les gains en capital, ce n'est plus le cas: ce n'est pas "un franc est un franc", mais un franc égale cinquante centimes.» C'est un principe indéfendable pour les socialistes, car nous pensons que tous les revenus doivent être taxés de la même façon, quelle que soit leur origine. Il n'y a pas de raison particulière à l'existence de traitements privilégiés, à part peut-être pour les retraités, parce que c'est un cas historique; mais là encore, sur le fond, ils méritent un traitement identique aux autres.
Fondamentalement, les socialistes ne peuvent pas suivre cette mesure, d'autant moins qu'il n'était pas obligatoire de procéder à cette réduction d'impôt pour les actionnaires, dans la mesure où c'était une possibilité accordée suite à la votation du mois de février. De surcroît, je vous rappelle que cette dernière avait été acceptée au niveau fédéral par seulement 20 000 voix d'écart. En l'occurrence, la passivité du Conseil d'Etat genevois n'était peut-être pas étrangère au fait que cette réforme a été acceptée à Genève... En effet, elle a été refusée dans les cantons voisins. Et l'on peut se rendre compte que les Suisses, et les Suisses romands en particulier, ne sont pas dupes quant aux réels bénéficiaires de ces mesures: il s'agit à nouveau de cadeaux aux plus riches. Par conséquent, ce n'est pas acceptable pour les socialistes.
Je vous invite à refuser ce projet de loi, comme je vous invite à refuser au mois de mai, en votation populaire, le projet de loi 10247, qui a un impact fiscal de l'ordre de 30 millions. La commission fiscale étudie une fois de plus un projet de loi de l'Entente qui va jusqu'à des chiffres astronomiques - de l'ordre d'un milliard ! - de baisse de recettes fiscales annuelles: je ne comprends pas que l'on puisse avoir une politique aussi suicidaire dans la situation économique que nous connaissons aujourd'hui ! Et pour aider les entreprises qui en ont besoin, il faut que les collectivités publiques aient des moyens ! J'espère que vous vous souvenez d'une certaine entreprise suisse, elle s'appelle UBS, qui a dû recourir à des fonds publics... Par conséquent, Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à refuser ce projet de loi.
M. Michel Forni (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, pour le PDC, cette notion de double imposition des entreprises a bien sûr été l'objet d'une grande réflexion. Et considérant l'attitude de la Confédération, qui maintenait l'imposition sur le capital, il convenait naturellement d'avoir aussi des éléments qui, localement, étaient intéressants par rapport à la concurrence intercantonale et à certaines formes de distorsions, si on en revenait à une justice fiscale vis-vis des entreprises.
Après analyse, il est apparu que favoriser nos PME actuellement, même en période de crise, était une solution indéniable. C'est la raison pour laquelle, en privilégiant cette mesure et en ciblant bien le problème des petites entreprises, nous avons décidé de donner suite à ce projet. Nous proposons donc de l'accepter.
Mme Lydia Schneider Hausser (S). Ce projet de loi est présenté comme une aide aux PME. Mais, comme l'a déjà dit le rapporteur de minorité, il aide toutes les entreprises, il ne cible pas uniquement les petites entreprises qui ont du mal à tourner... Ainsi nous arrosons, à raison de 20 millions, les entreprises du canton aux frais des revenus de l'Etat.
Depuis le dépôt de ce projet de loi - je vous rappelle qu'il date tout de même d'une année et qu'il était le pendant du projet de loi 10247 sur l'allégement de la double imposition qui passera devant le peuple en mai prochain - il y a eu comme un petit changement sur la place financière et économique... Il semblerait que des temps difficiles sont arrivés. Or maintenant, avec ce projet de loi, on se tire une balle dans le pied quant à l'économie de ce canton ! Effectivement, enlever 20 millions au potentiel d'investissements de l'Etat - alors que ces investissements pourraient profiter aux PME qui sont en difficulté ou qui en ont besoin - nous trouvons que ce n'est peut-être pas très réfléchi sur le moyen terme.
La dette et la situation économique difficile sont maintes fois évoquées - par les mêmes qui préconisent cette baisse de revenus de l'Etat - pour diminuer des prestations sociales, des prestations ciblées. Là, on va faire un cadeau de 8500 F à toutes les entreprises ! Et c'est le début ! Lors des travaux en commission, on a malgré tout, avec le centime additionnel, sauvé la Halle 6 jusqu'en 2014. Mais tout de même, on crée là un forfait, purement et simplement. Dommage !
Je pense que la cible a changé et qu'il serait convenable que les partis de l'Entente le comprennent aussi. Du reste, je crois que le Conseil d'Etat va rappeler sa position, à savoir le refus. Le projet de loi qui sera présenté en mai devant le peuple demande déjà un énorme effort à la collectivité, et là, on en rajoute une couche ! Mais la cible est mal choisie.
M. Olivier Jornot (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, chers collègues, l'impôt sur le capital des sociétés est un impôt injuste, fondamentalement scandaleux, puisqu'il s'attaque à la substance des entreprises sans tenir aucun compte de leur capacité financière réelle, c'est-à-dire de leur capacité à générer des bénéfices. Tant et si bien que la Confédération a supprimé il y a quelques années son propre impôt sur le capital des entreprises, à l'époque où elle a introduit, pour l'imposition de leurs bénéfices, une imposition proportionnelle plutôt que progressive. Il est vrai que cela pouvait se justifier auparavant, parce que l'on disait que, lorsqu'une société a un capital important, elle paie moins d'impôts sur le revenu, donc on se rattrape sur le capital.
Mais tout cela a disparu. La Confédération a supprimé son impôt sur le capital, et les cantons, eux, auraient dû faire de même, mais ils n'ont pas pu en raison de la loi d'harmonisation. Pourtant, un certain nombre de cantons alémaniques ne se sont pas gênés pour fixer des taux tellement bas qu'ils tendaient asymptotiquement vers zéro, ce qui revenait quasiment à supprimer l'impôt sur le capital. Puis est arrivée cette bienvenue réforme dite «de l'imposition des entreprises II», qui permet aux cantons d'imputer l'impôt sur le capital à l'impôt sur le bénéfice, c'est-à-dire d'en faire d'une certaine manière une sorte d'impôt minimal au-delà duquel on ne paie plus que l'impôt sur le bénéfice.
Cet élément faisait partie du projet de loi déposé par l'Entente aussitôt après le vote populaire favorable, pour immédiatement dire que nous tenions à ce que tous les aspects positifs de cette réforme «fussent» - comme dirait mon collègue Pierre Weiss - mis en oeuvre. Or tout de suite, le Conseil d'Etat est venu pour dire: «Nous sommes d'accord de mettre en oeuvre la réforme fédérale, mais uniquement sur les aspects où elle ne nous coûte rien ou pas grand-chose, raison pour laquelle nous ne sommes pas d'accord d'imputer l'impôt sur le capital.» C'est bien dommage que le Conseil d'Etat n'ait pas saisi l'occasion d'appliquer la volonté populaire complètement, y compris en réformant l'imposition du capital. D'autres cantons, qui pourtant sont souvent fiscalement prudents, n'ont pas eu cette même réserve ! Le canton de Vaud, par exemple, a décidé d'imputer totalement l'impôt sur le capital, et le peuple vaudois a suivi son gouvernement et son parlement en approuvant tout cela en février dernier. Le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui ne garde plus que cette partie «réforme de l'imposition du capital» puisque le reste fera partie de ce que peuple approuvera, j'en suis convaincu, en mai prochain.
La commission a effectivement été sensible aux arguments du Conseil d'Etat s'agissant de la baisse potentielle de recettes fiscales et a accepté, par conséquent, de limiter la portée de l'imputation en fixant une enveloppe de 20 millions. Raison pour laquelle c'est une imposition limitée à un plafond qui vous est proposée. Pourquoi un plafond plutôt qu'une baisse proportionnelle ? Précisément pour éviter le saupoudrage, ce que nos adversaires reprochent aujourd'hui à la solution proposée. Du coup, en effet, ce sont essentiellement les PME, celles qui ont un capital faible, qui vont bénéficier en plein de cette réforme.
Mesdames et Messieurs les députés, on vous dit dans le rapport de minorité qu'il s'agit d'aider les PME. Or pour M. Deneys et Mme Schneider Hausser, chaque mesure est intéressante, mais ce n'est jamais la bonne ! C'est toujours l'autre qu'il aurait fallu proposer ! Parce qu'en définitive vous ne supportez pas l'idée que l'on puisse baisser les impôts, même quand il s'agit, comme celui-là, d'un impôt scandaleux qui n'a aucune légitimité en termes de capacité économique des contribuables.
Il s'agit donc aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, non seulement de faire un geste qui nous place un tout petit peu mieux en termes de concurrence fiscale, notamment par rapport au voisin vaudois, mais il s'agit surtout et avant tout de faire un geste de justice vis-à-vis des entreprises, et en particulier des petites et moyennes entreprises. Je vous invite donc à accepter ce projet de loi.
Mme Michèle Künzler (Ve). S'agit-il véritablement d'une politique fiscale ? Non ! En fait, le projet qui passera en votation populaire peut se justifier après le vote populaire au niveau fédéral - et pourtant, nous étions opposés sur cette discussion - mais là, chaque fois, on veut grignoter de la substance fiscale, et ce d'une manière un peu aléatoire. En effet, que cherche-t-on à régler ? On nous parle de bol d'air, d'aide aux entreprises... Au maximum, 8500 F par entreprise seront dégrevés. Et contrairement à ce qui est marqué dans le rapport de majorité, ce n'est pas en pour-cent, mais en pour-mille que l'on calcule. Même des entreprises au capital de 4 millions seraient touchées, elles paieraient 8500 F de moins d'impôts. Alors soyons sérieux, ce n'est vraiment pas une mesure qui se justifie !
En revanche, on va perdre 20 millions de recettes fiscales dans une situation qui sera extrêmement dure, 20 millions qui auraient pu - qui pourront, parce que nous souhaitons que ce projet de loi soit refusé - servir à des investissements, à de la formation, à des choses utiles ! Mais là, c'est simplement du saupoudrage. Règle-t-on vraiment les problèmes ? Non ! On complique la fiscalité, puisque l'on fait des imputations, en ne supprimant pas le centime sur les communes; ensuite, il faut encore tenir compte de l'impôt complémentaire de Palexpo...
Bref, si vous voulez vraiment avoir une fiscalité attrayante, retravaillons toute la fiscalité ! Mais là, on ajoute chaque fois une couche, qui n'est finalement pas très intéressante pour les entreprises, qui n'a aucun attrait et qui n'est même pas claire ! C'est une mesure totalement illisible, on ne la comprend même pas, et vous ne pourrez jamais attirer la moindre entreprise en lui disant: «Oui, mais vous profiterez d'un avantage majeur: vous pourrez même déduire 8500 F de votre taxe.» Ce n'est donc vraiment pas sérieux ! Par contre, la collectivité va perdre 20 millions qui ne pourront pas servir, ni à la formation, ni aux investissements. Et règle-t-on le vrai problème de l'impôt sur le capital en imposant des entreprises qui n'ont pas de bénéfices ? Non ! C'est justement le seul problème dont il fallait s'occuper, et on ne le règle pas. Alors refusons ce projet de loi !
On peut mettre en chantier une véritable discussion sur l'imposition des entreprises - on est déjà en train de le faire sur la personne physique. Je rappelle simplement que, si l'enveloppe projetée par le Conseil d'Etat représentait 250 millions en moins, eh bien, là, on s'approche dangereusement des 350, voire des 400 millions, avec toutes les mesures proposées en plus. Par conséquent, il faut prendre des décisions de manière un peu plus globale et réfléchir à ce que l'on veut. Si l'on perd déjà 50 millions au mois de mai, 350 en septembre, maintenant 20 millions, plus... A un moment donné, il faudra nous dire où il faut couper ! Quand on s'approche des 20% du budget de l'Etat... (Brouhaha.) Je rappelle que vous avez de toute façon la majorité, or vous n'avez jamais, en quatre ans, proposé quoi que ce soit de sérieux ! Si vous voulez vraiment trancher 20% des recettes de l'Etat, il faudra nous dire où couper ! Mais de cela, vous n'en avez jamais eu le courage.
Donc, refusez ce projet de loi ! De surcroît, comme je l'ai dit, il n'apporte strictement rien aux entreprises, et ce n'est pas avec 8500 F que vous allez en attirer de grandes !
M. Alberto Velasco (S). J'ai entendu tout à l'heure M. Jornot parler de l'impôt sur le capital de l'entreprise. Mais cet impôt a une logique, Monsieur Jornot. A l'époque, il avait été mis en place surtout pour les grandes sociétés, qui parfois font peu de bénéfices mais qui investissent dans leur capital. Il y a donc une logique. Cependant, il est vrai que les PME ont bien souvent très peu de capital mais font parfois des bénéfices. Ainsi, ceux qui ont réfléchi à l'époque à cet impôt n'avaient pas si tort, leur raisonnement n'était pas si faux que cela. Par conséquent, vous voyez qu'il y a toujours un sens derrière les choses, il ne faut pas simplement dire que c'est bête.
Ensuite, je reviens à votre logique. Si cet impôt favorise les grandes sociétés - vous voulez qu'il favorise les grandes sociétés - avec 8500 F, franchement... L'UBS n'est plus à 8500 F près, que je sache ! Cela se passe à un autre niveau. Par contre, j'aurais compris des aides aux petites et moyennes entreprises. Cela aurait été intéressant. Si l'on disait, par exemple: «On peut défiscaliser les petites et moyennes entreprises qui investissent dans la recherche et le développement.» Une mesure pourrait encore s'énoncer comme suit: «Les entreprises qui ont créé tant d'emplois dans la république bénéficient justement d'une certaine défiscalisation.» Voilà qui est intéressant, parce que l'on parle d'investissements et de création d'emplois ! Mais ici, que faites-vous ? Comme l'a dit Mme Künzler, vous donnez 8500 F sans savoir à quoi les bénéficiaires vont employer cet argent. Peut-être qu'ils l'emploieront pour partir en vacances, ou que cette somme ne servira à rien du tout ! En réalité, vous n'avez aucune assurance que cette somme sera investie dans l'économie. Aucune assurance !
Vous nous critiquez, nous les socialistes. Effectivement, nous préférons, plutôt que d'opérer des baisses continues comme vous le faites, offrir des prestations. Et par les temps qui courent, que demande-t-on aujourd'hui à l'Etat, non seulement ici, vous le savez Monsieur Jornot, mais partout ? De fournir des prestations et des aides à l'économie. C'est cela qui est fondamental. En période de crise, l'Etat doit justement être présent pour soutenir le secteur économique. Oui, je suis tout à fait d'accord que l'on ne peut pas laisser tomber des pans de l'économie, simplement pour des raisons idéologiques. On doit soutenir.
Mais franchement, il faut arrêter avec cette politique de défiscalisation en tout temps, n'importe quand et n'importe comment ! Vient un moment où il y a une logique. Mme Künzler a calculé une somme, et moi aussi... C'est grave, tout de même: en plus des 12% d'impôts que nous n'avons toujours pas réussi à amortir, vous venez avec tout un autre train d'impôts. Or ce qui va arriver au mois de mai représentera environ encore 12%. Je ne sais vraiment pas comment on va pouvoir amortir ces baisses d'impôts... Je ne le sais pas ! Vous nous direz. Si vous reprenez la parole, Monsieur Jornot, ce serait intéressant que vous nous disiez: «Nous pensons que les dizaines de millions de baisse fiscale seront compensés comme cela.» Et ne dites pas que l'activité économique sera réactivée grâce à ces 8500 F, parce que ce n'est pas vrai. Donc, j'attends une réponse de votre part.
Mesdames et Messieurs les députés, il faut quand même arrêter... Une période difficile s'annonce, et je pense qu'il faut arrêter avec des projets de lois idéologiques ! Il s'agit ici d'un projet fiscal idéologique qui ne correspond à rien du tout, et je considère qu'il faut le rejeter.
Présidence de M. Guy Mettan, premier vice-président
M. Philippe Guénat (UDC). L'UDC genevoise, comme vous le savez, est très sensible à la protection et même à la survie des petites et moyennes entreprises genevoises, surtout en ces temps sombres. C'est pour cela que nous allons bien sûr soutenir ce projet de loi, dans lequel nous nous sommes impliqués.
J'aimerais dire à M. le rapporteur de minorité - si vous me permettez - que ce sont les petites rivières qui font les grands fleuves et que tout le monde prône, pour la relance économique, une baisse de la fiscalité. Mais je regrette qu'à force d'avoir dû faire des consensus pour aboutir à ce projet - je rappelle quand même que le MCG était au départ fermement opposé à toute déduction fiscale pour les PME - nous avons été un peu frileux sur le montant total des déductions. Mais nous avons aussi dû tenir compte de certaines communes et de la très fameuse Halle 6, que nous continuons de payer.
Maintenant - si vous me permettez à nouveau, Monsieur le président de la séance - M. le rapporteur de minorité a parlé de Mercedes achetées par le patronat... Après les déclarations de M. le ministre des finances allemand, je pense que ce ne sont que les patrons socialistes qui achèteront des Mercedes.
Donc, les députés UDC voteront en faveur de ce projet de loi, faisant bénéficier nos PME d'un tout petit bol d'air financier bienvenu et annulant cette injustice dont nous avons parlé tout à l'heure.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Roger Deneys.
M. Roger Deneys (hors micro). Je suis le rapporteur de minorité, alors si cela ne vous ennuie pas... Merci.
Le président. Alors je passe la parole à Mme Curzon Price.
Mme Victoria Curzon Price (L). Mesdames et Messieurs, l'économie est un circuit sans fin. Or l'entreprise se trouve au centre de ce circuit, c'est d'ailleurs le seul lieu de valeur ajoutée dans l'économie. En effet, la valeur ajoutée ne vient pas de la consommation, mais de l'entreprise, où l'entrepreneur réunit les facteurs de production: le travail et le capital. Et son idée, si elle rencontre une demande, apporte de la valeur ajoutée. Donc l'entreprise est la seule source de valeur ajoutée !
Dans un monde idéal, elle ne devrait pas du tout être imposée. Dans ce circuit économique, l'Etat peut imposer n'importe où, sauf le lieu de création de la valeur ajoutée. Sans doute, le présent projet de loi est imparfait, il est très modeste, mais le mieux ne doit pas être l'ennemi du bien. Je vous propose donc de voter cette loi.
Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Je soutiendrai ce projet de loi, car si l'on peut redonner un souffle d'air aux petites entreprises, je ne peux qu'approuver. Quant aux 20 millions que cela va prétendument coûter, d'après ce que j'ai entendu auparavant, j'aimerais bien que l'on me dise à quoi ils vont servir. En effet, jusqu'à maintenant, j'ai plutôt l'impression que l'on gaspille l'argent, que l'on n'a d'ailleurs pas, au vu des 19 milliards de dette que Genève a accumulé ces dernières années. Alors plutôt que de mettre 20 millions n'importe où sans que cela ne serve à rien, comme on en a l'habitude, je préférerais consacrer cet argent à quelque chose d'intelligent. N'oublions pas que les petites entreprises sont l'avenir économique de notre république et que, sans elles, on va au-delà de gros problèmes. Alors, pour une fois qu'on peut les soutenir intelligemment, je vous prierai d'accepter ce projet de loi.
M. Olivier Jornot (L). Mesdames et Messieurs les députés, suite aux divers discours que nous avons entendus, je souhaitais ajouter une ou deux précisions.
Monsieur Velasco, vous dites: «C'est un impôt qui se justifie par rapport aux entreprises ayant un gros capital.» Alors très bien: pour celles-là, ce projet de loi sera quasiment «indolore», si je puis dire. Et précisément, depuis que le système fiscal a été modifié, comme je le disais tout à l'heure, l'impôt ne sert plus à faire payer ces entreprises qui ont un gros capital. Donc n'ayez aucun souci à ce sujet.
Mais ce que je voulais surtout vous dire, Monsieur le député, c'est que votre conception de la politique fiscale à l'égard des entreprises est la même que celle que vous avez en matière d'aide sociale. C'est-à-dire que vous souhaiteriez en quelque sorte non pas que l'Etat mette en place les conditions qui permettent aux entreprises de se développer, et notamment de créer des emplois, des richesses et des recettes fiscales, mais qu'il intervienne pour aider de cas en cas celles qui ne fonctionnent pas bien. Or cela ne marche pas comme cela ! Précisément lorsque l'Etat essaie de faire cela, il maintient en vie des canards boiteux et n'aide en rien à la conservation des emplois.
Vous dites aussi: «On n'a aucune assurance que les entreprises affecteront cette baisse d'impôts à des activités utiles à la collectivité.» Mais ce que vous souhaitez, dans le fond, c'est que l'Etat contrôle, si je vous comprends bien, toutes les recettes des entreprises pour s'assurer franc par franc qu'elles vont bien les utiliser d'une manière conforme à l'intérêt que vous imaginez être celui de l'entreprise en question. Cela n'a évidemment aucun sens.
Je voudrais vous dire, chère Madame Künzler, que j'entends avec beaucoup d'intérêt les discours que vous nous tenez souvent sur les plantages urbains ou les vélos électriques. Laissez-moi vous dire que, lorsque vous parlez d'économie et d'entreprises, vous êtes nettement moins convaincante. Venir nous dire maintenant que les entreprises n'ont aucun intérêt, quel qu'il soit, à ce que l'on mette en place des conditions cadres fiscales qui leur soient favorables me semble un peu fort de café !
Par ailleurs, vous tirez la sonnette d'alarme en disant: «Mais combien de fois allez-vous rajouter de nouvelles baisses ?!» Laissez-moi vous dire que ce n'est pas une nouvelle baisse ! En effet, il s'agit d'une partie de la baisse que le peuple - suisse et genevois - a votée en 2008. Elle fait partie d'un paquet, d'une réforme de la fiscalité des entreprises. Donc, il s'agit seulement d'une partie d'un tout, et non pas d'une nouvelle proposition. Cela signifie, Mesdames et Messieurs, que vous pouvez sans aucun scrupule voter oui à ce projet de loi, qui concrétise simplement la volonté de la population. (Applaudissements.)
M. Gabriel Barrillier (R). Mesdames et Messieurs, je n'avais pas l'intention d'intervenir dans ce débat. Mais j'ai entendu l'une de mes préopinantes du parti des Verts nous dire que nous pourrions utiliser ces 20 millions en faveur d'une politique de formation très importante, pour financer la formation professionnelle, etc. J'aimerais vous dire, chère Madame - et nous sommes plusieurs dans cette enceinte à nous occuper de formation professionnelle - que, à chaque séance... (Remarque.) Tripartite ! ...on nous demande de trouver des entreprises et des artisans qui engagent des apprentis et offrent des places de stages. Cependant, on a beaucoup de peine à le faire. Or que demande-t-on ici ? D'alléger légèrement la pression fiscale jusqu'à 8500 F. Je puis vous dire, chère Madame, que 8500 F pour une PME ou un artisan, c'est extrêmement important.
De surcroît, j'aimerais souligner - et cela a peut-être été dit tout à l'heure - que 98% des entreprises sont des PME et des artisans ! Je crois que l'un de mes préopinants a dit que cette mesure concernait aussi les grandes entreprises... Mais elle concerne l'essentiel du tissu économique de ce canton ! Donc, j'aimerais tout de même vous rappeler et attirer votre attention sur le fait que ces 20 millions, si on y arrive, représentent vraiment un coup de pouce à ces entreprises qui font un très grand effort pour la formation professionnelle.
Une voix. Bravo ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Le Bureau a décidé de clore la liste. Sont inscrits: M. Velasco, Mme Künzler, MM. Golay, Jeanneret, les deux rapporteurs et M. Hiler. La parole est à M. Velasco.
M. Alberto Velasco (S). M. Jornot parle du cas par cas. Je ne me référais pas à l'UBS. En effet, l'UBS est un cas particulier, ayant fait l'objet d'une aide spécifique. Et à coup de milliards ! Non, Monsieur, je n'ai pas parlé du cas par cas. J'ai simplement dit que, si vous voulez défiscaliser - selon une politique économique, un choix du Conseil d'Etat, un choix de cet Etat - alors cette défiscalisation doit se faire intelligemment, par rapport à un objectif choisi. Or en l'occurrence, on défiscalise en nous disant qu'il faut croire que ce sera bien pour les entreprises... C'est de la foi, non ?!
Comme je l'ai dit tout à l'heure à M. Jornot, je comprendrais si l'Etat avait, par exemple, décidé de favoriser le développement et la recherche ou d'encourager la formation, et que, dans ce cadre-là, il mettait en place une politique de défiscalisation. Je le comprendrais, puisque l'on saurait où va l'argent. En l'occurrence, Monsieur Jornot, on ne sait pas où ira l'argent ! Peut-être qu'il servira, peut-être pas. Par conséquent, personne dans cette assemblée ne peut garantir l'impact économique ! Voilà ce je voulais dire. Et c'est la réalité. Donc pour moi, c'est un projet tout à fait idéologique. Et c'est à ce titre-là que je peux le considérer. Mais ce n'est pas du tout un projet qui correspond vraiment à une politique affirmée par le Conseil d'Etat nous demandant de défiscaliser. Voilà pourquoi ce projet me gêne.
Enfin, Monsieur le président, j'aimerais relever qu'il faut payer tous ces projets de défiscalisation, j'ai demandé tout à l'heure au député Jornot de nous indiquer comment il les compense. Je peux dire qu'il y a un secteur qui les paie: la fonction publique. Oui, les baisses de salaires, les blocages des salaires de la fonction publique...
M. Pierre Weiss. Fallait oser ! (Brouhaha.)
M. Alberto Velasco. ...année après année, ont, entre autres, servi précisément à payer ces défiscalisations. Je vois là une manière de les compenser. Je pense donc que, pour cette fonction publique qui a tout de même déjà mis sur la table plus d'un milliard toutes ces dernières années, c'est le moment de s'arrêter et de dire non ! S'il faut payer une défiscalisation, cela doit se faire par d'autres secteurs ou, cela existe aussi, par des transferts fiscaux; certains dans cette société gagnent énormément, d'autres peu. C'est vrai, Monsieur Barrillier, il y a des petites entreprises, d'une seule personne, qui ont donc besoin d'une aide. Mais ce n'est pas la totalité, Monsieur Barrillier ! (Remarque.) Mais non, Monsieur Barrillier ! Ce serait terrible pour le canton de Genève: 8500 F, cela représente un salaire, un mois de salaire ! Non, Monsieur, le problème est ailleurs. Je considère que ce projet est tout à fait idéologique. Voilà comment je peux le comprendre. Mais je ne peux pas le comprendre comme étant une mesure d'aide à une relance économique.
Mme Michèle Künzler (Ve). Je réponds tout d'abord à M. Barrillier. Soyez vraiment convaincu que j'attache autant d'importance que vous à la formation professionnelle. Mais vous auriez dû regarder un peu mieux ce projet de loi. Pour avoir une réduction, il faudrait déjà être imposé sur le capital ! En effet, la plupart des entreprises ont des capitaux extrêmement modestes, tandis qu'avec un capital de 4 millions, on paie 8500 F d'imposition ! Au fond, les réductions qui seront opérées pour ces petites entreprises, qui nous tiennent aussi à coeur, seront de l'ordre de 100 F, 200 F, peut-être 1000 F. Voilà ce que vous nous proposez ! Alors ne nous laissons pas leurrer par ce projet.
Quant à M. Jornot, il fait, soit dit en passant, une remarque un peu amusante. Mais soyons sérieux: je suis peut-être spécialiste en plantage urbain, mais je le suis moins que vous, les libéraux, en plantage financier ! (Rires.) Parce que là, vous n'avez pas de leçon à nous donner ! Et lorsque nous plantons une graine, cela donne de beaux fruits. Tandis que vous, c'est plutôt Pinocchio, le chat et le renard. Je ne sais pas si vous vous souvenez de cette histoire; vous devriez absolument la relire... (Brouhaha. Commentaires.) Eh bien, je vais vous la raconter ! Puisque vous ne la connaissez pas... Et c'est d'ailleurs pour cela que vous vous laissez séduire par M. Madoff. En effet, le chat et le renard ont séduit Pinocchio pour qu'il plante ses petits sous dans la terre en lui laissant croire qu'un arbre d'or pousserait. Les libéraux, Madoff et Pinocchio: même combat ! (Rires.) Vous croyez vraiment n'importe quoi ! (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée, pour ce conte édifiant ! Je passe maintenant la parole à M. Golay.
M. Roger Golay (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le MCG a toujours soutenu l'économie et soutiendra ce projet de loi. (Brouhaha.) Et pour répondre à M. Weiss, qui a tendance à dire tout et n'importe quoi, prétendant lors du débat que l'on vient d'avoir sur les jours fériés que je n'avais que faire de l'économie, je tiens à signaler que j'étais favorable à ce projet de loi à la commission fiscale. Voilà qui enlèvera peut-être, chez M. Weiss, ses préjugés à mon égard.
M. Claude Jeanneret (MCG). Mesdames et Messieurs, chers collègues, je crois que ce projet de loi a quelque chose de sain parce qu'il se veut incitatif à la bonne marche des entreprises. Certes, quand on examine un premier effet, on se dit: «Attention, il n'y a que les gros capitaux qui vont bénéficier d'une réduction fiscale, parce que si on ne paie pas de capital sur les fonds propres, on n'a pas de réduction fiscale.» Cela se peut ! Je vous rappellerai au passage qu'un vieux proverbe chinois dit que, en période de famine, les gros maigrissent et les maigres meurent... Ce que j'aimerais dire par là, c'est que, lorsque qu'une entreprise a eu la sagesse d'accumuler une certaine capitalisation et des fonds propres, il est juste de lui permettre, en période de difficulté, de récupérer un tout petit peu cette sagesse d'épargne consistant à ne pas distribuer tous les bénéfices, mais à faire certaines réserves pour les situations difficiles. Donc je crois qu'il s'agit là de cette idée des entreprises durables et pérennes que l'on évoque volontiers. En effet, l'épargne permet de passer à travers les périodes difficiles; autrement, au moindre effet négatif, il n'y a plus personne !
C'est vrai que 8500 F ne représentent pas grand-chose pour une grande entreprise. Cependant, pour une petite entreprise, cette somme peut tout de même inciter et encourager. C'est la raison pour laquelle le MCG sera, dans cet état d'esprit, très favorable à cette nouvelle loi.
M. Roger Deneys (S), rapporteur de minorité. Tout d'abord, concernant le fait que tout le monde demande des baisses d'impôts, j'aimerais vous dire que j'ai entendu une très belle expression à propos de ce «tout ce monde» qui demande des baisses d'impôts: on les appelle les «oies du capital». Et manifestement, on entend ces «oies du capital» jusqu'ici, dans cette salle du Grand Conseil. Il s'agit de ce discours que l'on entend du matin au soir sur toutes les chaînes de télévision, dans tous les journaux bien-pensants, véhiculant toujours les mêmes idées, que le capitalisme va réussir... On entend aussi Mme Curzon Price nous donner un cours d'économie - je ne sais pas si elle a jamais dirigé une PME, j'ai un grand doute - mais elle prononce un grand et beau discours sur l'économie. C'est ce genre de discours sur l'économie qui fait que l'on se «plante» et que l'on va réellement se casser la figure. Pas seulement à Genève, mais partout sur terre. Je pense qu'il y a un moment où il faut arrêter de penser, dans cette logique, cette spirale, que le monde s'en sort mieux en payant moins d'impôts. Il faut répartir les efforts et certainement améliorer les conditions-cadres, mais ce n'est pas avec des mesurettes à 20 millions qui ne sont pas ciblées que l'on va s'en sortir.
Mesdames et Messieurs les députés, je n'ai pas envie de trop me laisser obnubiler par ce projet de loi. Il a un côté symbolique, évidemment, électoraliste pour certains, mais son impact n'est pas très important. Si ce n'est qu'il s'inscrit dans un contexte où d'autres projets de lois visent d'autres baisses de la fiscalité ! Voilà bien le problème. En effet, on pourrait dire: «La priorité, ce sont les entreprises.» Alors on renoncerait au projet de loi sur les baisses d'impôts massives en direction de la classe moyenne. Il faut à un moment faire des choix ! Nous n'avons pas les moyens de tout nous payer ! Je suis heureux d'apprendre que, une fois de plus, les libéraux rêvent de vivre à crédit... Mais cela ne m'étonne pas ! Ils vivent de cela.
Par ailleurs, Monsieur Jornot, le saupoudrage existe toujours avec ce projet de loi. Il est simplement plafonné à 8500 F, ce qui limite l'impact fiscal global. Mais cela reste du saupoudrage. En effet, il n'y a pas de critère; n'importe quelle entreprise bénéficiera de la mesure - et cela répond aussi à M. Jeanneret - qu'elle ait, en situation de crise, elle aussi des difficultés ou non. Il se peut que, dans son secteur d'activité, une entreprise particulière ne connaisse aucune difficulté, cependant elle profitera aussi de cette réduction d'impôt. En fait, on est en train de diminuer la substance fiscale de l'Etat en touchant tout le monde, et pas seulement ceux qui auraient besoin de la mesure ! C'est bien là que je trouve le saupoudrage dramatique.
Monsieur Barrillier, vous êtes certes un éminent représentant de la Fédération des métiers du bâtiment, vous connaissez bien le monde de l'entreprise, c'est vrai, je ne sais pas si vous-même avez été à l'occasion dirigeant d'une PME. Ce qu'il y a de sûr, c'est que la plupart des petites entreprises et des indépendants ne font pas de bénéfices, Monsieur Barrillier ! Elles ne font pas de bénéfices ! Alors ce sont peut-être des PME, mais, en réalité, elles ne sont pas concernées par la mesure, ou très marginalement. Donc, vous ne ciblez pas les entreprises qui en ont le plus besoin.
Monsieur Jornot, vous dites: «Les socialistes n'ont pas de proposition.» C'est faux ! Je vous rappelle que, la semaine passée, nous avons voté la motion 1870, émanant du PDC en l'occurrence, demandant «la création d'un fonds de secours pour aider les PME-PMI à lutter contre la crise». Eh bien voilà ! Les 20 millions que nous sommes ici en train de sacrifier en supprimant des recettes fiscales à certaines entreprises qui font peut-être d'importants bénéfices et qui se portent très bien auraient été bien plus utiles dans un fonds à destination des indépendants et des entreprises qui connaissent en ce moment des jours difficiles et qui ont peut-être seulement quelques problèmes de liquidités ! Il faut les aider maintenant, pour quelques mois, c'est important ! Là, l'argent serait à mon avis bien mieux investi.
Pour le reste, Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais encore dire une chose. Dans ce projet de loi - et cela révèle l'inconscience et l'inconséquence d'une majorité dans ce Grand Conseil - il aurait tout à fait été possible de faire subir la mesure d'économie aux communes. Pourtant, la majorité du droite du Grand Conseil décide de supprimer 20 millions de recettes fiscales au canton, lequel a déjà une dette de l'ordre de 11 milliards et va certainement connaître des années délicates, alors que les communes genevoises se portent dans leur grande majorité - et je vois M. Walpen sourire - extrêmement bien ! Peut-être que les communes genevoises auraient pu supporter 20 millions bien plus facilement que le canton. Eh bien non ! Evidemment, que se passe-t-il ? La majorité de droite de la commission n'a pas souhaité que cette mesure soit appliquée aux communes, ni qu'elle soit complètement portée par les communes.
A nouveau, c'est inconséquent. On a déjà une situation économique difficile au niveau des recettes et des dépenses du canton, et on fait porter cette baisse sur les recettes fiscales cantonales. Donc c'est aussi une logique suicidaire. On a l'impression d'avoir à faire à des lemmings économiques qui vont se jeter dans l'océan du capitalisme et du libéralisme... Mais enfin, notre époque est ainsi ! Peut-être que cela va changer - je l'espère.
Mesdames et Messieurs les députés, je répète: je vous invite à refuser ce projet de loi et à reporter cette pseudo-économie de 20 millions sur le fameux fonds pour aider les entreprises. Voilà qui sera une vraie mesure concrète pour aider ceux qui en auront besoin ! En effet, il ne faudra pas venir ensuite dire qu'il n'y a pas d'argent. Quant à améliorer les conditions-cadres, Monsieur Jornot, ce n'est pas avec 20 millions que vous y arriverez. Vous faites joli pour votre campagne de la fin de l'année, mais ce n'est franchement pas très sérieux.
Mme Patricia Läser (R), rapporteuse de majorité. Je reviens brièvement sur les différentes prises de paroles. Madame Künzler, ce projet de loi n'a absolument pas pour vocation d'attirer de nouvelles entreprises. Il est simplement fait pour essayer d'aider les 98% des entreprises genevoises, qui sont des PME.
Mesdames et Messieurs les députés, lorsqu'on est chef d'entreprise, avec des salariés, et que l'on est en proie à des difficultés financières, on cherche par tous les moyens à sauver prioritairement les emplois ! Et pour celles qui n'ont pas de difficultés financières... (Remarque.) ...cela leur donnera une impulsion bénéfique. Ainsi, même si ce projet de loi a été revu à la baisse, il est important aujourd'hui de donner un signal positif à nos PME. Je vous recommande dès lors, Mesdames et Messieurs les députés, de voter ce projet de loi.
M. David Hiler, président du Conseil d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat, pour être très franc, estime que ce projet est un moindre mal par rapport à la proposition initiale. Ce n'est pas un jugement absolu, mais il est directement relié aux choix qu'a faits notre Conseil. Et quels sont les choix qu'a faits notre Conseil ? A un moment où l'on estimait encore qu'on allait vers un ralentissement de la croissance ou une croissance nulle, nous avions considéré qu'il convenait de maintenir une baisse fiscale - qui est très substantielle - en faveur des familles, que ce devait être là notre priorité parce que le système était tout simplement inéquitable et que, par ailleurs, la mesure était efficace du point de vue économique puisque l'argent allait bel et bien être pour l'essentiel dépensé et non économisé. Evidemment, c'est un choix qui rend compliqué l'atteinte de l'équilibre en 2010. En réalité, il l'empêche. Et c'est la raison pour laquelle, à partir de là, nous souhaitions que l'on y aille un peu doucement.
L'autre choix que nous avons fait - et il nous en a coûté, à vrai dire - a été de transcrire immédiatement dans le droit genevois la mesure la plus contestée de la réforme des entreprises au niveau fédéral, c'est-à-dire qu'il convenait d'alléger l'imposition sur les dividendes pour les personnes ayant plus de 10% d'une entreprise. Pourquoi l'avons-nous fait ? Pour défendre l'attractivité fiscale de notre canton. Non pas parce que nous trouvions que c'était particulièrement moral et intelligent, mais bien pour défendre l'attractivité.
Là-dessus s'est ajouté ce projet. A ce sujet, j'aimerais vous dire que votre débat m'a tout de même un peu surpris, parce que j'ai l'impression - et je m'empresse de le dire - que, de part et d'autre, il y avait une mauvaise compréhension de la teneur de ce projet ! D'abord, ce n'est pas une réduction de l'impôt sur le bénéfice, comme je l'ai entendu, mais sur le capital. L'impôt sur le capital n'est effectivement pas, en doctrine, un très bon impôt, puisque l'entreprise le paie même quand elle subit des pertes. Donc, il n'est à priori pas un très bon impôt. Maintenant, comme on a fait le choix d'agir ailleurs, on ne dispose évidemment pas d'une marge de manoeuvre illimitée.
Avec l'autre argument qui a été donné, on a en quelque sorte laissé croire que les 8500 F profiteraient à tous. Mais non, Mesdames et Messieurs les députés ! Le tableau est extrêmement clair. Il y a un peu moins de 24 000 entreprises à Genève en 2006. En arrondissant, 3700 d'entre elles paient 0 F sur le capital, donc n'économiseront rien; 3500 paient 30 F, donc économiseront 30 F; 3000 paient 77 F en moyenne, voilà leur économie... Bref, la moitié des entreprises concernées auront droit à un sugus de 100 F, pas 8500 F ! C'est ce qui nous gênait, parce qu'on a l'impression que ce n'est au fond pas efficace. Ce n'est pas efficace, vous l'avez dit, Madame la rapporteuse de majorité, du point de vue de l'attractivité; ce n'est pas fait pour cela. Vous avez bien fait de le préciser. En revanche, il est vrai que, malgré tout, malgré l'effort fourni par la commission, en choisissant la variante pour que la mesure puisse toucher les petites entreprises, en réalité elle touche les moyennes entreprises, et non les petites. Mais ce sont les faits que vous devrez assumer lorsqu'on en parlera.
Cela dit, je le répète, le Conseil d'Etat estime que c'est un moindre mal par rapport au projet initial et que, effectivement, ces 20 millions risquent bien de nous manquer. Mais ce n'est pas définitif pour compromettre la situation de l'Etat.
Maintenant, j'aimerais vous expliquer - parce que je ne l'ai fait qu'en commission fiscale, et je pense qu'il va falloir un peu sortir de ce cénacle - pourquoi le Conseil d'Etat voulait bien réfléchir avant de toucher à la fiscalité des entreprises. Parce que, Mesdames et Messieurs, vous allez en avoir pour votre argent dans les prochaines années. Je vais essayer de faire le lien entre notre canton et les articles que vous lisez sans doute dans la presse, mais je ne suis pas sûr que vous fassiez toujours la relation. Pourquoi sommes-nous attractifs à Genève en matière de personnes morales, en dehors de conditions-cadres exceptionnelles ? Parce que, pour une série de secteurs, nous offrons deux statuts intéressants.
Le premier, spécifique à la Suisse, est la société auxiliaire ou société mixte. Ce statut est combattu avec la dernière des énergies par l'Union européenne. Et il y a quelques chances, comme dans d'autres dossiers, que le plus gros gagne contre le petit, n'est-ce pas ? Voilà un premier élément. En soi, il était déjà assez inquiétant, parce qu'il exige, si nous voulons conserver les entreprises dans notre canton, une révision fiscale assez importante et à la baisse en termes de recettes. Et ce n'est pas de la science-fiction: c'est le menu de ces cinq, six, peut-être sept années à venir. Et il faudra être prêts à y répondre. En effet, on sait aujourd'hui qu'il y a deux solutions: soit les taux fixes - ce qui exigerait, chez nous, la diminution de pratiquement la moitié du taux pour toutes les entreprises ! - soit le système hollandais, si les Hollandais convainquent l'Union européenne de le maintenir, auquel cas la perte serait effectivement moins grande.
Maintenant, l'autre atout que nous avons - celui-ci, nous ne sommes pas les seuls à l'avoir, il est pratiqué partout - c'est la société principale. La société principale nous permet de prendre en compte le lieu où est créée la valeur du groupe, pour les multinationales. Jusqu'à présent, comme chacun le fait en Europe, il n'y a pas de levée de boucliers à ce sujet. Mais il y en a une aux Etats-Unis ! Il s'agit du projet de loi déposé par M. Levin, eh oui ! C'est cela qu'il vise à faire. Or là, il n'y a même pas besoin de faire pression sur la Suisse. C'est beaucoup plus simple, Mesdames et Messieurs: il suffit de taxer aussi aux Etats-Unis, sur les valeurs transférées à la société en Suisse. Et voilà ! C'est ce qui nous attend.
Ces éléments-là, vous devez les avoir en tête quand vous allez prendre des décisions fiscales ces prochaines années. Nous allons vers une révision drastique de la fiscalité des entreprises pendant la prochaine législature. Les choses doivent se faire dans le bon ordre. Nous espérons que la capacité diplomatique de la Suisse sera suffisante pour ne pas subir des diktats qui seraient injustes. En effet, on pourrait presque - c'est le danger - se retrouver à ne pas avoir le droit de faire ce que tout le monde fait !
Et évidemment, il y a dans ce contexte une réflexion qui m'a intéressé, parce que je la partage. Elle émane du groupe libéral. Eh oui ! A priori, ce serait mieux de ne pas taxer les entreprises. Et cela ne présente pas de problème, si ce n'est qu'il faudrait augmenter la fiscalité sur les personnes physiques de 20% pour compenser la différence ! Cela dit, il est bien sûr plus intelligent de taxer les revenus distribués par l'entreprise que l'entreprise elle-même, puisque c'est elle, au fond, qui se trouve au coeur du système. On ne peut être que d'accord. Et pour mémoire, cette proposition qui avait l'air iconoclaste avait d'ailleurs figuré une fois dans un programme des Verts français. Elle est assez logique. Simplement, ce que personne n'a jamais osé faire, c'est augmenter de 20% l'impôt des personnes physiques.
Tout cela pour vous dire, Mesdames et Messieurs, que, dans ce contexte, lorsque nous aurons réussi par la richesse de notre canton à compenser le déficit, que je crois que nous aurons encore couvert par la réserve conjoncturelle, à la sortie de la crise nous attendent des difficultés. Et vous savez aussi que des difficultés attendent l'une des principales, sinon la principale activité économique genevoise, soit son système financier. C'est la raison pour laquelle, élections ou pas élections, un temps de pause est maintenant nécessaire. Il semble qu'il y ait un large consensus sur la question des familles; le Conseil d'Etat en est heureux. Ce projet de loi, j'en suis sûr, sera plébiscité ici et devant le peuple. Mais au-delà de cela, Mesdames et Messieurs, il faut quand même laisser un peu de temps au temps pour voir comment et à quelle vitesse évolue le dossier avec l'Union européenne et les Etats-Unis et pour définir les possibilités de réforme fiscale que nous avons, afin non pas de continuer à gaspiller, Madame Borgeaud, mais d'avoir un hôpital, une police, une bonne école, institutions qui représentent 80% à 85% du budget de l'Etat. Malheureusement, c'est incompressible. Et ce n'est pas avec des mesurettes sur le gaspillage qui reste - il en restera toujours un peu - que nous arriverons à résoudre ces problèmes.
Voilà en conclusion, Mesdames et Messieurs, ce que pouvait dire le Conseil d'Etat, sûr et certain que cela ne vous fera pas changer d'avis par rapport à votre disposition d'aujourd'hui. Mais j'espère que vous entendrez tout de même l'appel à une extrêmement prudence au sujet de nouvelles initiatives de ce type. Nous allons vers un déficit, à la suite de la baisse d'impôt, assez substantielle en 2010. Nous allons au-devant de révisions extrêmement difficiles de la fiscalité dans toute la Suisse, et à Genève en particulier, sous la pression de l'Union européenne et très vraisemblablement des Etats-Unis d'Amérique. (Applaudissements.)
Le président. Nous sommes arrivés au terme de ce débat. Nous nous prononçons d'abord sur l'entrée en matière de ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 10218 est adopté en premier débat par 48 oui contre 29 non.
La loi 10218 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.
Le président. Nous allons à présent voter ce projet de loi dans son ensemble... Monsieur Weiss ?
M. Pierre Weiss (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je demande que ce vote s'effectue à l'appel nominal.
Le président. Etes-vous soutenu, Monsieur le député ? C'est le cas.
Mise aux voix à l'appel nominal, la loi 10218 (nouvel intitulé) est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 48 oui contre 29 non.