République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 13 mars 2009 à 20h45
56e législature - 4e année - 6e session - 31e séance
R 578
Débat
M. Frédéric Hohl (R). Mesdames et Messieurs les députés, au nom du groupe radical, je tiens d'abord à vous remercier d'avoir tous appuyé avec nous la demande de traitement en urgence de cette résolution. Cette résolution concerne les médecins de premier recours, les généralistes, internistes et pédiatres.
La plupart des Suisses ont un médecin généraliste, un médecin de famille avec lequel ils entretiennent des liens privilégiés. Notre médecin de famille nous connaît, il connaît les autres membres de la famille, il connaît le mode de fonctionnement des patients d'une même famille. Notre médecin de famille sait nous donner de bons renseignements, il sait s'occuper de nous, il sait nous donner de bonnes nouvelles et, aussi, nous donner de manière humaine les mauvaises nouvelles, quand malheureusement il y en a. Parfois, les rapports qu'on a avec son médecin de famille sont extrêmement amicaux. Pour ma part, mon médecin généraliste ne roule ni en Ferrari ni en Porsche, il n'a pas de chalet à Verbier, il n'a pas de maison de vacances sur la Côte d'Azur. Les médecins généralistes sont donc des gens comme la plupart des autres. (Commentaires.)
La décision du Conseil fédéral relative à la baisse du prix des analyses est véritablement la goutte d'eau qui a fait déborder le vase chez les médecins. Le vrai combat n'est pas de sauvegarder le prix des laboratoires, mais, véritablement, de sauvegarder la profession de médecin généraliste. Il est là, le vrai combat ! Nous devons absolument rendre cette profession attractive; à titre de renseignement - vous l'avez lu dans notre résolution - la moitié des médecins de premier recours ont plus de 50 ans et un cinquième d'entre eux ont plus de 60 ans.
Oui, le système actuel est onéreux, mais il reste l'un des plus performants au monde. Alors, des analyses rapides et professionnelles chez notre médecin, c'est fort utile, ça évite de devoir courir à droite et à gauche et de passer dans un hôpital, dans une clinique ou dans un laboratoire. Et cette mesure fédérale risque, à longue échéance, de coûter cher en termes de santé publique. N'oublions pas que le médecin de premier recours et son laboratoire sont des maillons essentiels pour une médecine de proximité de qualité.
Aussi, pour toutes ces raisons, et pour suivre l'exemple du Grand Conseil vaudois, je vous encourage, Mesdames et Messieurs les députés, à faire comme nous et à renvoyer cette résolution au Conseil d'Etat, pour que celui-ci intervienne au niveau fédéral. (Applaudissements.)
M. Claude Aubert (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, la médecine est mise au défi de s'adapter aux transformations de notre société; je pense en particulier à ses modes de consommation. Notre époque se caractérise par un mode de consommation typique des grandes surfaces qui réduisent au maximum le lien entre le client et le vendeur: seul comptent l'accès aux produits et la file d'attente aux caisses.
Par analogie, je remarque que la population ne cherche plus tellement à bénéficier d'un lien avec le médecin, un lien qui se prolonge et se renforce au cours des années, elle veut un accès direct aux prestations, peu importe qui les prodigue, ce jour-là, ce soir-là, cette nuit-là.
Cela explique, en partie seulement, la crise que connaît la médecine de famille, qui fait justement du lien et de la continuité l'essentiel de sa vocation. Une vocation qui ne semble plus au goût du jour, mais qui s'imposera demain.
Qui dit grandes surfaces dit aussi rationalisation, achats en gros, diminution des marges, concurrence, perte d'emplois et chômage, maux qui frappent à la porte du médecin, jusqu'alors assez protégé. Le médecin réalise maintenant qu'il doit subir, comme c'est le cas dans toutes les professions, une réalité économique qui l'enserre et l'asphyxie.
Les libéraux soutiendront cette résolution qui relaie un profond souci concernant l'avenir, tout en sachant que, dans ce vaste domaine qu'est l'assurance-maladie obligatoire, rien n'est vraiment simple, rien n'est vraiment transparent. Avec une difficulté supplémentaire: l'inquiétude légitime des médecins quant à leurs conditions de travail pourrait être voilée par l'inquiétude légitime de la population, confrontée à l'augmentation continuelle des coûts de la santé.
M. Alain Charbonnier (S). Je crois que les positions exprimées peuvent être soutenues, mais il me semble que le principal souci de la population, c'est que l'on doit pouvoir être pris en charge par un médecin de famille. Malheureusement, on en trouve trop peu aujourd'hui, on a soumis les médecins de famille à une telle pression ! Et rares sont les médecins qui s'intéressent désormais à la profession de généraliste dans notre canton - et évidemment dans notre pays, puisqu'il s'agit d'un enjeu fédéral. D'ailleurs, dans une étude récente, l'Observatoire suisse de la santé montre qu'une pénurie très importante de médecins de famille et de généralistes se profile d'ici à 2030 avec un manque de médecins de près de 40% ! Je ne crois pas donc pas qu'il s'agit d'une pression effectuée par la «génération kleenex» qui changerait de médecin simplement comme ça... C'est plutôt le manque de médecins de famille qui est en cause, de même que la disponibilité réduite des médecins qui pratiquent; parce que ceux-ci se retrouvent avec une surcharge de travail incroyable face aux demandes.
Il est important de relever - comme on l'a fait tout à l'heure, lors du débat sur les EMS - que la population vieillit. Je crois que c'est la cause principale du problème auquel nous sommes confrontés et, aussi, l'une des raisons de la pénurie de médecins qui se profile. En fait, il y a deux causes: ces médecins de famille et généralistes n'ont pas été assez soutenus jusqu'à maintenant; par ailleurs, la population aura, en vieillissant, de plus en plus besoin d'eux. Or, si l'on veut tenter de juguler les coûts de la santé, la médecine de proximité est peut-être l'aspect le plus important; car, si un patient ne reçoit pas l'appui et les conseils du médecin de famille qui lui est proche, il passe d'un médecin spécialiste à un autre... Et il faut relever que, par exemple, le médecin de famille, même s'il n'est pas spécialisé en pédiatrie, est souvent à même de donner des conseils concernant les enfants. Dans un quartier ou une commune, le médecin de famille peut aussi, en cas d'urgence, orienter les familles, ce qui permet une meilleure efficience.
C'est pourquoi nous approuvons à 100% les arguments développés dans cette résolution: il faut absolument maintenir cette médecine de proximité !
J'exprimerai un seul bémol, un petit regret. Aujourd'hui, on parle des médecins, on se bouge beaucoup pour eux et on dépose des résolutions... Je rappelle pourtant que d'autres professions ont subi les foudres du Département fédéral de l'intérieur, plus précisément les effets de sa politique en matière de santé: avant les médecins, il y a eu les ergothérapeutes; avant les médecins, il y a eu les sages-femmes; avant les médecins, il y a eu les physiothérapeutes... Toutes ces professions ont été passées à la moulinette par le Département fédéral de l'intérieur et par l'Office fédéral de la santé publique, mais pas grand-monde n'a alors bougé ! Aujourd'hui, nous sommes contents de pouvoir défendre les médecins, parce que nous pensons que la médecine de proximité est importante, et nous soutiendrons donc cette résolution. (Applaudissements.)
Mme Brigitte Schneider-Bidaux (Ve). Il est vrai que la médecine de premier recours est un des piliers de la santé publique: sans les médecins de premier recours, je ne sais pas très bien comment nous ferions pour soigner la plupart de nos bobos. Parce qu'il est vrai qu'on n'a pas besoin d'aller tous les jours chez le cardiologue, on n'a pas besoin d'aller tous les jours chez le pneumologue ou chez le «logue» de je ne sais quoi ! Par contre, quand on n'est pas bien, on va chez le généraliste, on discute avec lui et, éventuellement, si besoin est, on est dirigé ailleurs. C'est très bien que cela se passe ainsi. Et, si l'on veut que cela puisse continuer, il faut soutenir les médecins dans leur combat pour leur profession !
Soutenir cette résolution est donc une excellente chose: pour que M. Couchepin se rende compte qu'on ne résout pas les problèmes de la santé en réduisant le nombre de généralistes, en réduisant le nombre de physiothérapeutes et en réduisant le nombre de soignants; on peut éventuellement restreindre le recours à la technologie ou, en tout cas, se montrer plus circonspect dans ce domaine-là.
Je vous encourage donc à soutenir cette résolution, pour que le Conseil d'Etat l'adresse au Conseil fédéral.
Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Mesdames et Messieurs les députés, je soutiendrai cette résolution, elle est d'actualité. On peut effectivement comprendre qu'il devient de plus en plus difficile de trouver des médecins, notamment des généralistes, parce que c'est un métier extrêmement ingrat, qui demande énormément d'heures de présence; c'est pourquoi beaucoup d'entre eux n'ont plus envie de s'investir dans de longues études, pour aboutir à pas grand-chose. On constate ce problème en France également, où l'on n'arrive même plus à recruter des médecins.
La santé n'est pas un jeu, il faut la prendre très au sérieux, et je pense qu'il est temps que certaines choses cessent, parce qu'elles vont beaucoup trop loin: on suspend de nombreuses prestations, on en restreint beaucoup, et l'on aboutit à une médecine à deux vitesses... Cela veut dire que les riches pourront choisir où ils veulent aller, alors que les pauvres resteront sur le carreau. Ça, ça ne va pas ! On est en Suisse, le pays où les gens sont le plus assurés et où l'on est supposé avoir l'une des meilleures médecines au monde... Si nous voulons continuer à être reconnus pour ces qualités, je pense qu'il est plus qu'important de continuer à soutenir les personnes qui veulent s'engager dans la profession de médecin généraliste et, surtout, il faut épauler les personnes qui l'exercent déjà. Vous savez que certains médecins abandonnent leur cabinet et ne le remettent même pas à un autre médecin; ils jettent l'éponge parce que cela devient trop difficile et contraignant.
Cette situation ne concerne pas que Genève. C'est pourquoi il faut donner un signal d'alarme fort et il faut que Berne se secoue un peu ! Si, pour une fois, Genève pouvait montrer l'exemple, ce serait une bonne chose - et ça sortirait un peu de l'ordinaire. Je vous invite donc à soutenir cette résolution.
Le président. Merci, Madame la députée. Je salue à la tribune Mme et M. Keller, les parents de notre chère collègue Virginie Keller. Ils assistent pour la première fois à nos débats et peuvent être très fiers de leur fille ! (Applaudissements.) La parole est à M. Catelain.
M. Gilbert Catelain (UDC). Cette proposition de résolution va donc engager ce parlement, respectivement le Conseil d'Etat, à intervenir à Berne dans un problème de fond, à savoir l'avenir du médecin généraliste dans le système de santé. Le groupe UDC n'a pas eu la possibilité d'approfondir ce thème, dans la mesure où il ne faisait initialement pas partie des priorités de l'ordre du jour. (Rires.) Le groupe UDC laissera donc la liberté de vote à ses membres, mais soutiendra probablement l'esprit de cette résolution.
Dans l'exposé des motifs, les auteurs mentionnent le vieillissement de la population médicale. C'est un fait, mais c'est quand même une situation qui a été voulue par le parti radical, puisque le chef de l'action sociale dans ce pays est un certain M. Couchepin, qu'il applique une politique radicale, et c'est lui qui maintient le numerus clausus pour la filière des études de médecine. Par le biais de cette pénurie plus ou moins cachée qu'il a instaurée, il souhaite réduire les coûts de la santé !
Si la moitié des médecins a plus de 50 ans, il faut reconnaître que nous avons à Genève un nombre de médecins deux fois plus élevé que la moyenne suisse. Cela explique aussi pourquoi nous payons nos primes d'assurance-maladie trois fois plus cher que les Valaisans ! Il est vrai aussi que la présence à Genève d'un hôpital universitaire engendre des dépenses. Là n'est peut-être pas le fond du propos, mais j'aimerais rappeler que, lorsque nous devions voter sur les bilatérales, les médecins ont milité pour se préserver un pré carré afin de ne pas être soumis à la concurrence des médecins européens, d'Europe de l'Est notamment. (Brouhaha.) Il est donc assez difficile d'admettre ou de justifier aujourd'hui une pénurie de médecins et l'âge avancé de la moitié d'entre eux. Lorsqu'on a voté sur les bilatérales, au début des années 2000, les médecins furent les premiers à vouloir défendre leur pré carré ! Je ne pense donc pas que l'argument de la pénurie sera forcément porteur lorsqu'il s'agira de défendre les invites de cette résolution devant le Conseil fédéral.
Sur le fond, il y a un argument qui tient la route, qui n'était pas exposé dans la motion: si les analyses médicales ne sont plus effectuées chez le médecin, elles seront, si j'ai bien compris, envoyées en Allemagne. Le patient devra donc consulter deux fois son médecin, ce qui engendrera un doublement des coûts de consultation; ce doublement ne sera pas compensé par l'économie réalisée sur le prix de l'analyse. Ce motif devrait à lui seul être suffisant pour soutenir le renvoi de cette résolution au Conseil d'Etat.
M. David Hiler, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, en l'absence de mon collègue Pierre-François Unger, j'aimerais vous dire deux choses. D'abord, vous avez choisi la voie de la résolution: notre conseil transmettra bien entendu cette résolution aux Chambres fédérales pour qu'elles en prennent connaissance.
Sur le fond, force est de constater que, du côté du département concerné au niveau fédéral, on n'a pas senti une volonté très forte de changer d'avis, disons-le ainsi ! Nous souhaitons toutefois qu'une solution qui préserve les intérêts légitimes et l'avenir des médecins généralistes soit trouvée.
Le Conseil d'Etat, pour sa part, intervient principalement par le biais des Conférences intercantonales. Cette résolution viendra appuyer les efforts de mon collègue Unger. Et, comme je crois qu'il y a unanimité dans ce cénacle, je ne vais pas reprendre les arguments que les uns et les autres ont avancés - avec brio, bien entendu !
Espérons tout de même qu'une solution puisse être trouvée, le temps presse et le mécontentement est grand. Et l'on se rend compte malgré tout, lors des interventions des uns et des autres, que, dans tant de domaines, il est quand même bon de mettre quelques limites au marché !
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Monsieur Forni, je vous donne la parole, rien ne vous empêchant de la prendre après le conseiller d'Etat. Mais vous aviez tout le temps d'appuyer sur le bouton avant, car il est de coutume de donner la parole en dernier au conseiller d'Etat.
M. Michel Forni (PDC). Merci, Monsieur le président. C'est toujours un plaisir de parler après le président du Conseil d'Etat et je me permettrai de commencer par une petite anecdote.
Un citoyen de ce monde, appelé Staline, avait un excellent docteur qui l'avait accompagné du début de sa carrière au Parti jusqu'au moment où la guerre s'est terminée. Ce médecin était même son conseiller et son confident, il savait exactement quels étaient les problèmes de ce grand homme. Un beau jour, après la fin de la guerre, le brillant dirigeant en question décida que son docteur en savait trop et il l'envoya faire un séjour en Sibérie. Le résultat a été que, trois semaines plus tard, M. Staline s'en alla, et on ne sait pas encore exactement quelles sont les raisons de sa fin. Visiblement, la succession des événements mentionnés ne lui fut pas tout à fait favorable !
A partir de cet élément, je voudrais simplement vous dire deux choses, n'étant pas directement concerné par le problème qui touche mes collègues généralistes. Il est évident que nous sommes arrivés à un point de non-retour et que le problème qui se pose ce soir est non seulement celui d'une forme de survie de certains médecins, médecins qui sont incontournables. Dans le monde anglo-saxon, le généraliste dont on parle, c'est le «GP», le «general practitioner». Le «GP», c'est l'homme qui est capable de vous aider dans toutes les circonstances, comme cela a été dit ce soir. C'est l'homme qui est votre confident; c'est l'homme qui est aussi en mesure de vous accompagner au-delà de votre maladie; c'est l'homme qui est en mesure de fournir à votre famille des éléments de réponses à des problèmes aussi différents que les voyages, la succession ou la dépression.
Derrière ce problème, il faut comprendre que la grogne qui se manifeste à Genève est peut-être un peu différente de celle de nos collègues suisses alémaniques - pour répondre aux allusions de M. Catelain, tout à l'heure. Ils ne travaillent pas tout à fait de la même façon et les manques en médecine générale en Suisse alémanique ont été comblés par l'arrivée de confrères allemands qui ont trouvé chez nous, pour exercer, des conditions supérieures à celles de leur pays.
A partir de là, il est évident que les comparaisons ne sont pas tout à fait les mêmes. On peut parler du pourcentage des médecins qui exercent, comme vous le disiez tout à l'heure. Toutefois, vous oubliez une chose fondamentale, c'est que tous n'exercent pas à 100%. Nous avons des trous qui sont actuellement énormes, parce que certains de nos collègues ne travaillent qu'à 40% ou 60% ! Ce faisant, quand vous parlez de 100% de docteurs, il n'y a malheureusement que 50% d'entre eux qui sont à 100% !
Une dernière chose à partir de ces éléments - après, je me tairai - parce que le but, ce soir, c'est de vous rendre attentifs au fait que pour travailler en médecine générale on a besoin de moyens ! Et, parmi ces moyens, le laboratoire reste une arme qui permet de poser un diagnostic et d'engager un traitement. Si vous n'avez pas cet élément-là, vous devez le sous-traiter à un groupe de laboratoires. Ils peuvent certes être excellents, mais cette solution implique un délai d'attente; cela oblige le patient, qui va faire les frais du problème, à revenir une fois, à revenir deux fois ou trois fois. Ce faisant, vous ne faites que déplacer le problème. Et comme on nous reproche toujours, en politique, de ne faire que déplacer les problèmes sans trouver des solutions, je vous demande ce soir d'apporter des solutions et de soutenir les médecins ! (Applaudissements.)
Le président. Je vous remercie, Monsieur Forni. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote.
Mise aux voix, la résolution 578 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 70 oui et 2 abstentions.
Le président. Nous reprenons notre ordre du jour normal: chapitre du département de l'économie et de la santé, point 67.