République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 20 février 2009 à 14h30
56e législature - 4e année - 5e session - 24e séance
PL 10104-A
Premier débat
Le président. Le rapport est de Mme Captyn... qui ne désire pas prendre la parole. Nous allons donc procéder au vote... (Remarque.) Ah, la parole est demandée par M. Stauffer.
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi est une nécessité pour une claire et irréprochable séparation des pouvoirs. Vous allez pourtant le balayer dans quelques minutes, l'envoyant en classement vertical à la poubelle.
Alors laissez-moi vous dire ceci - il est vrai que c'est un peu technique: aujourd'hui, pour être juge ou magistrat du pouvoir judiciaire, il faut d'abord signer son adhésion à un parti politique; ensuite, une commission judiciaire interpartis sélectionne les candidats pour les présenter, puisque, je vous le rappelle, c'est normalement le peuple qui doit élire ces magistrats. Mais un article de loi stipule que, s'il y a dix candidats pour dix postes, l'élection populaire est superflue. Eh bien, cette commission judiciaire interpartis - qui est une commission illégale, car elle ne figure dans aucun texte de loi - s'arrange, et s'arrange entre les partis, afin de présenter des candidats - représentants des tendances socialistes ou libérales, selon une clef de répartition - pour le pouvoir judiciaire. Ainsi, un magistrat indépendant qui ne serait affilié à aucun parti politique n'aurait aucune chance de pouvoir exercer cette noble profession, qui se veut impartiale dans son exercice.
J'en veux pour preuve que, lors des travaux de commission relatifs à ce projet de loi - qui, je vous le rappelle, demande que 20% des personnes qui accéderaient au poste de juge ou de magistrat puissent être présentées hors de tout parti politique, donc de manière totalement neutre, cela pour garantir une réelle impartialité - eh bien, j'en veux pour preuve que même le président de cette commission illégale, M. Pedrazzini, a dit que cette dernière n'a pas vraiment de réalité légale. Seule une référence existe à l'article 10 de la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature. M. Pedrazzini indique aussi que l'on réfléchit à une éventuelle institutionnalisation de cette commission; vu qu'elle n'a aucune existence légale, on voit mal comment cela pourrait être réalisé.
De surcroît, M. Pedrazzini lui-même, président de cette commission qui n'est pas légale, dit que les candidats au poste de magistrat sont auditionnés et interrogés sur leurs convictions - ce qui est tout de même incroyable ! Par ailleurs, il ajoute que si un candidat n'est pas présenté par un parti, il n'a quasiment aucune chance d'être retenu pour siéger et exercer sa profession.
Nous le voyons bien, Mesdames et Messieurs les députés, la justice... (Brouhaha.) Monsieur le président, le niveau du bruit est assez élevé... Enfin, je sais que lorsque c'est le MCG... (Le président agite la cloche.) ...qui s'exprime, vous êtes beaucoup plus tolérant. Je reprends: on voit bien que la justice a atteint ses limites. J'en veux pour preuve le mégaprocès qui va bientôt s'ouvrir sur la Banque cantonale de Genève. (Brouhaha.) On l'a bien vu, il aura fallu quasiment dix ans pour arriver à un hypothétique procès, dont une partie des charges sont déjà prescrites par le délai. Et c'est là où nous atteignons la limite du système de nomination des juges, puisque, dans le scandale de la Banque cantonale de Genève, à l'exception de l'UDC et du MCG, vous y avez tous participé, avec des administrateurs, avec des dirigeants placés par les partis, qui ont fauté et auront coûté plus de 2 milliards aux contribuables ! Aujourd'hui, ces responsables qui devaient être jugés ne le seront pas. (Brouhaha.) On fera certes sauter quelques grands fusibles, mais, pour le reste, le seul perdant dans toute cette histoire sera le contribuable.
Alors oui, Mesdames et Messieurs les députés, il faut soutenir la possibilité de pouvoir élire des juges qui ne signent pas au préalable un bulletin d'adhésion à un parti politique pour exercer leur profession de magistrat ! Raison pour laquelle nous vous demandons de soutenir ce projet de loi. Mais je sais que c'est un voeu pieux, puisque, de toute façon, vous vous tenez tous par la barbichette, à l'exception de l'UDC et du MCG, et que vous allez jeter aux oubliettes ce projet de loi. Ainsi, la justice continuera à être vérolée par le politique pour de gros dossiers comme la BCG, qui n'aboutiront jamais.
M. Jean-Claude Ducrot (PDC). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, peut-on dans ce parlement laisser taxer notre justice de «justice vérolée» ? Le terme est extrêmement grave, Mesdames et Messieurs les députés ! Quand bien même cela vient d'un député à qui nous ne prêtons peut-être pas suffisamment d'attention. Cependant, lorsque cela est dit publiquement, on peut faire croire en se taisant que ce parlement donne un blanc-seing à M. Stauffer quand il dit que la justice est vérolée. Non, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, notre justice n'est pas vérolée ! Il est important de le dire.
Je reprendrai simplement les termes de M. Pedrazzini, lors de son audition par la commission. Je ne veux certes pas donner plus d'importance qu'il n'en faut à M. Stauffer. Pourtant, il y a tout de même une certaine correction à avoir dans les débats, quand bien même on bénéficie de l'impunité parlementaire. M. Pedrazzini a pu constater lui-même que les magistrats élus assument leur charge en totale indépendance. Il cite également l'exemple d'autres pays, qui ont fait d'autres choix; nous avons notre culture politique, laquelle a ses valeurs, ses représentants au niveau de tous les groupes politiques et de la justice, il y a donc un équilibre. Certains pays qui ont fait le choix de ne pas donner d'étiquettes politiques aux juges connaissent, Mesdames et Messieurs, des problèmes de radicalisation de ceux-là: ils s'inscrivent à des syndicats de tous bords politiques, ce sont ensuite les syndicats qui dirigent la carrière des magistrats. Ce n'est pas le cas à Genève. Je crois que c'est un élément extrêmement important, qui a été relevé par le président de cette commission.
Mesdames et Messieurs, la justice choisit ses juges publiquement, de manière transparente: des élections ont lieu, on l'a vu pour le procureur général. Donc, il ne faut pas dire que notre justice est vérolée. En conclusion, le parti démocrate-chrétien ne soutiendra pas ce projet de loi.
M. Pierre Losio (Ve). Comme d'habitude, le préopinant du MCG fait toujours dans la nuance... Et si on devait lui laisser l'application et la responsabilité de la justice, on verrait que l'on ne couperait pas les cheveux en quatre, mais les gens en deux. (Remarque.) Oui, je peux parler dans le micro, Monsieur Catelain ! Je disais que si l'on confiait l'exécution de la justice au préopinant du MCG, on ne couperait plus les cheveux en quatre, mais rapidement les gens en deux !
En ce qui concerne notre groupe, nous sommes effectivement choqués par les déclarations qui ont été portées sur la justice, que l'on accuse d'être vérolée. Nous avons le plus profond respect des institutions et de la séparation des pouvoirs.
Maintenant, à titre tout à fait personnel, je tiens à réaffirmer ce que j'ai dit en commission. Non, la justice n'est pas vérolée, mais le fonctionnement de la commission interpartis est pour le moins verrouillée, et j'en ai gardé un certain malaise. Je le dis, afin que cette position personnelle soit inscrite au Mémorial.
M. Olivier Wasmer (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, une fois de plus, le seul langage que connaissent les représentants du MCG, c'est la calomnie. La calomnie des institutions, du pouvoir, qu'il soit judiciaire, exécutif, et même législatif. Il n'y a pas d'autres mots dans la bouche des représentants du MCG que du langage destructif. Je peux vous dire à titre personnel, comme avocat qui fréquente le Palais de justice depuis près de vingt-cinq ans et comme membre de la commission judiciaire de l'UDC, que la justice n'est absolument pas pourrie, que la justice n'est absolument pas vérolée ! Bien au contraire, elle fonctionne grâce au système que nous avons, que nos prédécesseurs ont mis en place, à savoir une représentation politique dans la justice, comme c'est le cas aujourd'hui.
Mesdames et Messieurs les députés, vous saurez que tant la Cour de justice que le Tribunal des baux et loyers sont composés - toujours ! - de plusieurs représentants de partis politiques: un socialiste, un libéral, un PDC, par exemple; ou encore un UDC, un radical, un Vert... Et, chaque fois, cette justice non seulement est rendue sur le droit, mais se fait aussi selon une répartition égale fixée par une commission interpartis. Quand M. Stauffer parle d'une commission illégale, j'aimerais bien qu'il me dise, lorsqu'il reçoit de la drogue de certaines personnes devant L'Usine ou qu'il accomplit des missions aux Pâquis, si lui même est dans la légalité... Par contre, je peux vous dire que cette commission désigne et permet à chaque parti politique de présenter des candidats valables.
Bien évidemment, nous ne pouvons malheureusement pas engager des juges dont nous ne connaissons rien. Au sein des partis politiques, et au sein même des commissions judiciaires de chaque parti, nous avons la possibilité d'évaluer les candidats, de connaître effectivement leur parcours et de savoir si le parti veut les présenter dans le cadre d'élections judiciaires.
Ces élections judiciaires sont tacites, Mesdames et Messieurs les députés, tout simplement parce que nous n'avons pas assez de candidats au sein même des partis. Aujourd'hui, le MCG, comme n'importe quel autre parti, peut présenter des candidats, pour autant bien entendu qu'ils soient valables et reconnus, comme dans tout débat démocratique, par la majorité. Or, même si aujourd'hui nous n'avons pas de juge MCG - en tout cas pas à ma connaissance, mais je crois qu'il y en a dans certaines commissions - vous constatez que la démocratie en matière de justice fonctionne et qu'en aucun cas on ne saurait la remettre en question, comme le fait très gravement le mouvement qui est sur ma gauche. (Rires.) Sur ma gauche !
Pour tous ces motifs, Mesdames et Messieurs, je vous demanderai de classer ce projet de loi, d'autant plus que la commission dans sa totalité, tous partis politiques confondus, a dit exactement la même chose après avoir, à ce sujet, entendu des personnes.
Mme Loly Bolay (S). Mesdames et Messieurs les députés, je ne vais pas relever des propos inacceptables, inadmissibles dans cette enceinte, au sujet de notre justice. Je crois qu'ils sont d'une telle bassesse que cela ne vaut pas la peine que je gaspille ma salive et mon énergie à les commenter.
Mesdames et Messieurs les députés, nous vivons sous le régime - cela a été dit par mon préopinant, M. Pierre Losio - de la séparation des pouvoirs. Certes, nous souhaiterions que la commission interpartis puisse, nous l'avons exprimé en commission, fonctionner sur une base légale. Ma foi, cela pourrait venir... Elle n'a parfois pas tout juste, mais elle a le mérite de fonctionner - et de bien fonctionner ! Je regrette donc les propos malveillants qui ont été tenus à l'égard de notre justice. Elle fonctionne, même si elle est lente ! On verra bien ce qui se passera avec Justice 2011, sur laquelle nous sommes en train de travailler.
J'aimerais ajouter qu'il faudrait peut-être avoir une réflexion plus approfondie. Par exemple, pour créer, comme d'autres pays l'ont fait, une école de magistrature au niveau romand. On pourrait en effet prévoir une telle école, donc, et je le répète: pas seulement au niveau d'un canton, mais au niveau romand.
Le parti socialiste a refusé ce projet de loi. Il en fera de même tout à l'heure. Je vous remercie, Monsieur le président.
Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à Mme Captyn.
Mme Mathilde Captyn (Ve), rapporteuse. Puis-je prendre mon tour de parole après ?
Le président. Après, c'est M. le conseiller d'Etat Moutinot.
Mme Mathilde Captyn. Bien, alors je vais...
M. Eric Stauffer. Mais vraiment, c'est lamentable !
Le président. Taisez-vous, s'il vous plaît ! (Commentaires de M. Eric Stauffer.)
Mme Mathilde Captyn. Je vais prendre la parole...
M. Eric Stauffer. Cela fait deux fois, Monsieur le président ! Franchement, cela commence à faire...
Le président. Vous êtes des Calimero, c'est clair !
Mme Mathilde Captyn. J'aimerais pouvoir parler, s'il vous plaît ! (Commentaires de M. Eric Stauffer.)
Le président. Madame Captyn, vous avez la parole.
Mme Mathilde Captyn. Je vous remercie, Monsieur le président. Je voulais simplement rectifier quelques bêtises... (Commentaires de M. Eric Stauffer.)
Le président. Madame Captyn, vous avez la parole.
Mme Captyn. Je vous remercie. Je voulais rectifier quelques bêtises qui ont été dites... (Brouhaha.) ...lors de la première prise de parole sur ce projet de loi. (Remarque. Le président agite la cloche.) Premièrement, la commission interpartis n'est pas illégale. D'ailleurs, le MCG en a fait partie pendant de nombreuses années ! Deuxièmement, il n'est pas obligatoire d'être membre d'un parti politique pour se présenter aux élections judiciaires: tout citoyen peut le faire s'il le souhaite.
Donc, la grande majorité de la commission judiciaire a relevé le caractère anti-juges et anticonstitutionnel de ce projet de loi, et c'est la raison pour laquelle nous vous invitons à le refuser.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat condamne catégoriquement les propos de M. Stauffer, accusant la justice genevoise d'être vérolée. Ce n'est pas le cas. J'ai eu le triste privilège, dans ma carrière d'avocat, d'être observateur judiciaire dans un certain nombre de pays où, là, il y aurait beaucoup à dire sur la justice. Heureusement, nous pouvons être fiers de la justice genevoise, qui, comme toute institution humaine, a quelques défauts, faiblesses, lenteurs ou manquements, mais en aucun cas elle ne peut être qualifiée de vérolée.
Vous avez aussi dit que la commission judiciaire interpartis était illégale, motif pris qu'elle ne figurait pas dans la loi. Le MCG ne figure pas non plus dans la loi, mais il n'est pas pour autant illégal... (Rires.) ...dès lors que chacun peut s'associer avec d'autres pour discuter d'un sujet ou d'un autre, peut créer un cercle, un club... En l'occurrence la commission judiciaire interpartis est un cercle... (Remarque.) ...où se rencontrent des gens qui n'ont aucun - aucun ! - pouvoir décisionnel quelconque, puisque le pouvoir décisionnel appartient soit au peuple, soit à votre Grand Conseil en matière d'élection judiciaire.
Mis aux voix, le projet de loi 10104 est rejeté en premier débat par 44 non contre 7 oui.