République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 janvier 2009 à 20h30
56e législature - 4e année - 4e session - 21e séance
PL 10327-A
Le président. Nous reprenons nos travaux concernant ce projet de loi et pouvons procéder au prochain vote.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les articles 7 (nouvelle teneur) à 136 (abrogé).
Le président. Nous sommes saisis d'une demande d'amendement pour un nouvel article 137, lequel est abrogé dans le projet de loi. Monsieur Losio, je vous laisse la parole.
M. Pierre Losio (Ve). Nous l'avons tous bien compris dans le premier débat: ce soir il n'y a pas d'échappatoire. En effet, à la fin de nos débats, ou bien le jury aura subsisté, ou bien il aura disparu. Nous nous trouvons ainsi dans une situation tout à fait binaire et ceux qui sont attachés à l'existence du jury n'ont pas d'autre solution que d'amender cet article 137.
Nous devons nous prononcer de manière principielle, et non pas de manière à prendre en considération les contingences pratiques qui pourraient découler du maintien du jury, contingences selon lesquelles ce serait compliqué, cela durerait des années, sans oublier l'histoire de l'immédiateté, etc. C'est en toute conscience que ceux et celles qui, dans ce parlement, souhaitent le maintien du jury doivent prendre leur décision, en disant: «Oui, je suis attaché à l'existence du jury, donc je vais voter cet amendement» ou: «Non, je ne suis pas attaché à cette institution et j'accepte que cet article soit abrogé.» C'est dans cet esprit que l'on doit se prononcer, les questions de praticabilité, d'intendance, ne devant pas entrer en ligne de compte. Si j'ose dire: «L'organisation judiciaire providebit».
En ce qui concerne l'amendement, nous ne sommes pas dans le cas de figure d'un projet de loi d'aménagement, par exemple, dans lequel, si l'on devait changer la bretelle de tel échangeur à l'entrée d'un parking, on pourrait trouver une solution foncière permettant d'arranger le projet de loi, qui deviendrait praticable... Ici, il n'y a pas d'échappatoire: c'est oui ou non. Voilà comment il va falloir se prononcer.
L'amendement que nous avons déposé maintient l'institution du jury pour ce que l'on peut appeler des crimes graves, puisqu'ils concernent strictement le Tribunal criminel et le Tribunal criminel d'appel. De plus, nous avons indiqué la composition du jury - nous aurions pu traiter de cela ultérieurement et décider dans la LOJ ou, à la limite, même dans le CPP, combien de membres... Cependant, nous l'avons fait figurer dans cet amendement. Ce faisant, nous avons voulu donner au Tribunal criminel d'appel une importance véritablement citoyenne supérieure, puisque nous l'avons composé de douze jurés. Enfin, pour qu'il y ait une plus large représentation possible, nous avons élargi à 65 ans l'âge du panel potentiel des jurés, de façon que l'on ait une possibilité d'élection plus étendue et un, si j'ose dire, «bassin» de tirage au sort plus grand. C'est donc dans cet esprit-là que je vous appelle à soutenir cet amendement.
M. Eric Stauffer (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, toujours à titre personnel, puisque la liberté de vote a été décrétée au MCG, je soutiendrai l'amendement de mon collègue, M. Losio. En réalité, je suis dans l'impossibilité de dire si, légalement parlant, le maintien du jury populaire pourrait être ou pas une réalité. Alors laissons le peuple décider, puisqu'il y aura une votation populaire sur ce projet de loi ! Et si le peuple lui-même désire maintenir le jury populaire, eh bien, il sera assez tôt pour le Tribunal fédéral de rendre un arrêt, s'il y a un recours un jour, afin qu'il tranche et confirme ou pas la légalité du jury populaire.
En conclusion, je dirai que, oui, je suis attaché aux valeurs citoyennes, et que, non, je ne suis pas pour une société aseptisée où tout serait parfait et professionnel. Il faut laisser cette marge de manoeuvre. En vérité, notre conseiller d'Etat lui-même a un doute du point de vue juridique... Enfin, je l'espère, parce que, s'il n'en a pas, c'est vraiment qu'il y aurait... Mais il est vrai que le Conseil d'Etat nous a habitués à quelques errances juridiques, rétablies par le Tribunal fédéral. Bref, je veux dire que, in fine, c'est la volonté, c'est l'esprit de maintenir ou pas le jury, c'est l'idéologie d'une justice citoyenne ou non, dont nous débattons en réalité ce soir. En ce qui me concerne, étant attaché aux principes citoyens qui sont les fondements de notre république, je suis en faveur du maintien du jury populaire.
Laissons donc les bavards bavarder, les juges juger, et nous autres, population genevoise... (Commentaires.) ...serons bientôt fixés sur la légalité de ce principe.
Mme Loly Bolay (S). Permettez-moi tout d'abord, Monsieur le président, de dire ceci: il est à relever que dans de nombreux cantons qui connaissent des juridictions incluant des juges laïcs occasionnels, celle avec jury a disparu avant même - avant même ! - cette nouvelle unification des procédures pénales. Je l'ai dit tout à l'heure, il n'y a que les cantons de Neuchâtel, Zurich, Vaud et du Tessin qui ont encore ces juridictions, mais sont en train de les abolir. Pour rappel, la Confédération a aboli les assises en 2000 déjà.
J'en viens à l'amendement que vous proposez. L'alinéa 2 énonce ceci: «Le Tribunal criminel est composé de neuf jurés et de trois juges de carrière.» Or, Mesdames et Messieurs, votre proposition suit exactement l'exemple du canton de Neuchâtel qui, lui, est en train de l'abolir parce que, précisément, cela contrevient au nouveau code de procédure pénale.
S'agissant de la deuxième proposition que vous faites, laquelle vise à prévoir, comme en Italie ou en France, les tribunaux d'appels - que vous nommez «Tribunal criminel d'appel», puisque la Cour d'assises n'existera pas - eh bien, cette proposition souffre des mêmes inconvénients que le jury populaire de première instance ! Elle souffre des mêmes avatars, des mêmes complications, c'est-à-dire de procédures lourdes, techniques et extrêmement compliquées.
De plus, permettez-moi, Mesdames et Messieurs, d'ajouter ceci: les modèles français et italien sont différents, puisque ces pays, eux, organisent les sessions de la Cour d'assises d'appel - que vous nommez «Tribunal criminel d'appel» - dans une autre circonscription. Mais à Genève, Mesdames et Messieurs, on a un seul tribunal, on n'en a pas deux ! Donc le système que vous proposez ne joue pas avec celui que nous avons ici !
Permettez-moi enfin de dire - Monsieur le président, je vais conclure - que votre proposition risque de se faire casser par le Tribunal fédéral. Avec quelles conséquences, Mesdames et Messieurs ? Des décisions cassées ! C'est-à-dire de voir en liberté des personnes dangereuses qui ont été condamnées par un jury n'ayant pas l'approbation du Tribunal fédéral ! Il s'agit de personnes dangereuses, étant donné que la Cour d'assises s'occupe de cas extrêmement graves. Alors, est-ce ce que vous voulez ?!
Mesdames et Messieurs les députés, le groupe socialiste ne peut pas prendre ce risque et vous demande de refuser cet amendement.
M. Claude Aubert (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, nous sommes ici à la première étape, puisqu'il s'agit au fond de décider du texte, et cet amendement est évidemment décisif pour savoir dans quel sens cela va se passer. Ensuite, à la deuxième étape, il s'agira pour les partis de se déterminer quant à la campagne qui aura lieu. Enfin, la troisième étape sera le vote populaire.
Il serait étonnant qu'au sein des partis il n'y ait pas de débats, étant donné que l'on nous annonce déjà qu'il pourrait y avoir liberté de vote. Et si tous les partis laissaient la liberté de vote, bonjour la campagne d'affichage ! Cela rappellerait le poète qui disait: «Elle ne dit ni oui ni non, c'est une fille avec un garçon.» Personnellement, je souhaiterais que ces trois étapes permettent de définir très clairement l'argumentaire, de manière que la population puisse décider en connaissance de cause. En ce qui me concerne, je soutiens le travail de nos collègues commissaires.
M. Roger Golay (MCG). Cet amendement démontre encore un peu plus l'art de compliquer la question qui nous est posée ce soir: abolir ou non le jury populaire ? Si l'on modifie par cet amendement la disposition qui existe aujourd'hui, je pense que nous courons un risque encore plus grand - en admettant que le jury populaire passe la rampe, la nôtre et celle du peuple - de voir cette proposition se faire casser par le Tribunal fédéral. Nous courrons aussi le risque d'être plus ridicules encore, de produire une nouvelle Genferei, et de nous «distinguer» comme nous l'avons fait à plusieurs reprises ces derniers temps.
Par ailleurs, Monsieur Losio, votre amendement... C'est un peu comme demander à une arrière-grand-mère de faire de la chirurgie esthétique pour plaire à des jeunots. Non, Monsieur Losio, je ne soutiendrai pas cet amendement.
M. Olivier Wasmer (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, chaque année, le 11 décembre, vous fêtez l'Escalade. Vous êtes fiers d'être genevois pour les vaillants exploits que nos ancêtres ont accomplis dans cette ville. Vous êtes fiers de vos institutions, fiers d'être dans la ville de Calvin, d'être à l'avant-garde dans de très nombreux domaines. Et aujourd'hui, il vous appartient, à vous députés de gauche comme de droite, de défendre les institutions genevoises.
Tout à l'heure, j'ai rencontré mon ami Christian Luscher, notre ancien collègue, avec qui j'ai discuté du jury de Cour d'assises, de Cour correctionnelle, auquel il adhère pleinement. Il me disait très justement: «C'est drôle, quand la Berne fédérale a voulu supprimer les agents d'affaires vaudois, des Vaudois se sont tout de suite mobilisés pour faire obstacle à ces changements de lois fédérales. Par contre, au niveau genevois, il n'y avait personne !»
Etes-vous, Mesdames et Messieurs les députés, un peuple soumis ? Etes-vous un peuple de perdants ? Non ! Il faut démontrer aujourd'hui que vous êtes attachés à vos institutions telles qu'elles ont été créées, même si elles doivent être modernisées par le biais des nouvelles lois, de l'unification des lois de procédure. Aujourd'hui, je vous demanderai d'appuyer l'amendement des Verts, car, s'il n'abroge pas totalement le jury, il permet de donner une autre ouverture, une autre dimension, au projet de loi que le Conseil d'Etat vous propose aujourd'hui.
Il ne faut pas vous soumettre, Mesdames et Messieurs les députés, aux injonctions de la Berne fédérale ! Il faut résister et démontrer que, à Genève, nous avons encore la capacité de gérer nos affaires sans que l'on nous impose une fois de plus - comme ç'a été le cas dans de très nombreux domaines - des lois fédérales qui ne nous concernent pas ! Nous avons des procédures particulières à Genève, que tout le monde connaît, et il n'y a aucune raison pour que l'on renonce à ce jury qui a fait ses preuves jusqu'à ce jour.
Pour toutes ces raisons, à titre personnel en tout cas, je soutiendrai cet amendement. J'espère que mes collègues le feront également.
Mme Nathalie Fontanet (L). Pour le groupe libéral, il ne s'agit ni d'être soumis, ni d'être perdant, mais d'être responsable. Nous construisons la justice de demain: une justice efficace qui respecte les droits de la défense et notre démocratie. Et nous sommes convaincus, pour les motifs exposés un peu plus tôt ce soir, que le maintien du jury ne remplit pas le droit supérieur et n'y est pas conforme. Par conséquent, il est absolument impossible de le maintenir. Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, le groupe libéral ne soutiendra pas l'amendement.
Mme Michèle Ducret (R). Je suis ravie d'entendre un UDC dire qu'il est indépendant de la Berne fédérale ! C'est vraiment une déclaration qui mérite d'être reprise dans les journaux, d'autant plus qu'elle est un peu paradoxale. En effet, si nous ne sommes pas censés obéir à la Berne fédérale - selon vous, elle n'interdit pas le jury - alors on tourne dans tous les sens ! Jury, pas jury, on fait comme on veut à Genève. Je crois que, là, vous êtes mal parti, Monsieur Wasmer, parce que ce n'est pas ainsi que cela va se passer.
Tout cela pour dire que nous avons voté en commission - et quand je dis «nous», c'est moi, puisque j'étais la seule représentante radicale. (Commentaires.) C'est un nous de majesté ! Donc, je dis «moi», parce que je ne suis pas sûre que tous les radicaux vont penser comme moi. (Commentaires. Rires.) Enfin, si nous avons voté la suppression du jury, ce n'est pas pour le ramener par la bande. Par conséquent, nous allons maintenir notre position et ne pas accepter cet amendement.
M. Michel Halpérin (L). Quelques mots, brièvement. D'abord pour répéter, mais en une phrase, que nous n'allons pas, si nous maintenons le jury en adoptant l'amendement proposé par M. Losio, porter atteinte au droit supérieur. J'ai dit tout à l'heure que le droit supérieur n'a pas proscrit le jury et que s'il devait être déduit de textes qui n'existent pas que ce jury était implicitement contraire au droit fédéral, il appartenait à ceux qui ont vocation à dire le droit de fédéral de l'exprimer et de condamner ce jury à mort. Mais on ne peut pas nous demander, en attendant que les législateurs ou les juges fédéraux se soient exprimés sur ce sujet, de commettre un suicide politique; cela ne me paraît pas nécessaire. Cet argument-là n'est donc pas recevable.
Le deuxième argument consistait à dire qu'une condamnation qui serait ensuite l'objet d'un recours au Tribunal fédéral entraînerait la mise en liberté du dangereux criminel recourant. J'ai déjà eu l'occasion de le dire, mais je le répète, puisque on ne m'a apparemment pas entendu: c'est faux ! Aujourd'hui déjà, il arrive que des cours d'assises condamnent quelqu'un, que le jugement soit cassé, pour n'importe quelle raison, et que la personne dont le jugement a été cassé reste en prison jusqu'à ce qu'elle ait été rejugée. C'est ainsi que cela se passe. Il ne faut donc pas s'imaginer que vous prendriez la responsabilité de laisser circuler librement un multirécidiviste des attentats contre la personne humaine, puisque ce n'est pas comme cela que cela fonctionne. Il ne faut donc pas se tromper d'argument pour prendre cette position.
La troisième considération, c'est pour m'étonner quelque peu du traitement réservé - notamment sur certains bancs - à l'importance de la présence du jury populaire lors des débats. Le jury populaire, a-t-on entendu à plusieurs reprises aujourd'hui, s'étiole, n'est plus en mesure de remplir ses fonctions, n'a plus envie de les remplir; les vocations seraient en disparition et on nous a expliqué ici ou là qu'il n'y siège plus que quelques fonctionnaires ou des gens qui ont du temps. Et tout à l'heure, j'ai même entendu avec plaisir Mme Bolay enfin prendre la défense des indépendants et des libéraux pour qui tout cela est un trop gros effort. Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, nous faisons nous-mêmes ce genre d'effort à longueur d'année; et être mobilisés une fois de plus ou une fois de moins pendant une journée ou une semaine pour remplir des fonctions de jury de tribunal criminel ne serait pas un changement radical dans les habitudes que nous avons prises. Je crois que l'effort civique demandé dans ces circonstances s'impose.
Enfin - c'est ma dernière remarque - je voudrais vous faire observer que l'introduction du code de procédure pénale unifié a essentiellement pour conséquence l'introduction du système que l'on appelle «accusatoire». C'est donc un système qui confie l'instruction de la cause à l'accusation et qui met en théorie sur pied d'égalité le parquet et la police d'un côté, la défense de l'autre côté. Nous avons tous à l'esprit que ce système a été a appelé des voeux de nombreux avocats, parce que c'est une manière populaire de faire le travail qui nous incombe et qu'on le voit fonctionner de cette façon-là en Angleterre ou aux Etats-Unis, maintenant en Italie.
Mais nous sommes aussi tous conscients que ce système présente un très gros inconvénient: il demande des moyens plus importants pour se défendre, parce qu'il n'y a pas d'arbitre pour faire l'instruction de sa propre autorité. L'instruction sera donc conduite en fonction des moyens qui seront mis, d'un côté par l'accusation, de l'autre côté par la défense. Cela fait donc courir un risque de justice à deux vitesses, en défaveur de ceux qui auront moins de moyens pour se défendre. Ce risque-là pourrait être utilement pris en considération par un jury qui n'aurait pas le sentiment que la justice suit son cours selon un mode huilé, fonctionnel, mais pas nécessairement aussi critique qu'il devrait l'être. C'est l'argument décisif, avec celui que j'évoquais tout à l'heure: la présence d'un regard attentif, une participation à la souffrance de la victime et de l'auteur dans cette espèce de théâtre tragique qu'est une cour d'assises.
Le président. Je vous remercie. La parole est à M. Jornot. (Quelques instants s'écoulent. Rires.)
M. Olivier Jornot (L), rapporteur. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je n'avais pas compris que c'était déjà fini.
Je voudrais dire, tout d'abord à M. Losio, l'auteur de cet amendement, que je ne comprends pas très bien la philosophie qui y préside. En effet, Monsieur Losio, vous nous avez dit tout à l'heure: «Nous devons nous prononcer dans le principiel» - il s'agit de se battre sur les principes, de ne pas ergoter sur les détails, ces derniers suivront. Or, vous nous proposez un amendement qui - alors qu'aujourd'hui la constitution garantit le jury en matière criminelle - non seulement répète la garantie, ou la fait renaître en matière criminelle, mais qui, de surcroît, nous prescrit en son alinéa 2 tout le détail. Alors, il faut choisir ! Soit c'est le principiel, et l'on se bat ici pour savoir quel est le principe, si le jury existe ou non, puis on examine au niveau de la loi comment cela doit fonctionner, soit on fait du détail. Or ici, vous nous faites faire du détail.
Cela présente des inconvénients, parce que ce Grand Conseil ne pourrait voter cet amendement qu'après s'être convaincu que la solution à neuf jurés en première instance et à douze en appel est la meilleure. Ce faisant, vous prenez un risque, parce que la solution de l'introduction du jury d'appel, qui n'est que l'une des possibilités de conserver un jury dans notre canton, est l'une des plus décriées ! C'est en effet l'une de celles... Regardez les débats en France et en Italie ! C'est celle qui fait du jury le moins ce qu'il devrait être, puisque l'on demande à des citoyens de statuer souverainement en leur disant que leur voisin de palier pourra venir le lendemain dire autre chose. On est donc complètement à côté de la notion de «vox populi, vox Dei» qui est le principe même du jury ! Parfois, les solutions sont bancales, telle celle qu'ont choisie les Italiens et qui consiste à demander un certificat de fin d'études aux jurés d'appel pour justifier le fait qu'ils puissent remettre en question ce que les jurés de première instance ont décidé. Je regrette que vous n'ayez précisément pas choisi la voie consistant à maintenir le débat à un niveau principiel et que, d'une certaine façon, vous nous embarquiez dans un débat sur la solution de détail.
L'appel, tel qu'il est exigé par le code de procédure pénale - fédéral, futur, nouveau - est un appel dans lequel la juridiction va reprendre l'ensemble du procès. Elle peut également laisser de côté ce qui n'est pas controversé et ne traiter que ce qui est contesté par l'une ou l'autre des parties. Donc on sort complètement - tout à l'heure, Mme Bolay l'a expliqué avec précision - du système actuel de la cassation. Et imaginer que l'on puisse avoir, dans un canton comme le nôtre, un empilement de jurys divers qui tous statuent sur les mêmes causes, c'est tout simplement une solution non seulement compliquée, mais - soyons corrects - une solution absurde.
J'aimerais terminer par ceci - une remarque de procédure, cela tombe bien - pour vous dire que je regrette - je l'ai peut-être déjà dit précédemment, mais je le dis maintenant - que, précisément sur une question aussi compliquée, aussi importante, qui peut autant porter à conséquence, on sorte de la manche un amendement de détail en plein pendant le débat. Je regrette que les choses n'aient pas été faites, par exemple pour que la commission ait eu l'occasion de débattre de ce genre de choses, ou pour que, dans l'élaboration du débat, les solutions qui n'étaient apparemment pas prêtes aient pu être présentées en vue de notre débat de ce soir.
Au-delà des arguments de principe et de tout ce que nous avons dit avant l'interruption - arguments qui doivent évidemment conduire, selon que l'on est favorable ou pas à la suppression du jury, au rejet ou à l'acceptation de votre amendement - j'aimerais terminer en relevant que son acceptation plongerait - non pas ce Grand Conseil, puisque nous aurions terminé nos travaux et que nous rentrerions avec la satisfaction du devoir accompli - mais notre république dans une situation assez embarrassante. En effet, dans le fond, vous obligeriez ensuite le législateur - notamment la célèbre commission Justice 2011 - à trouver la solution permettant de créer ce jury dans le cadre du nouveau code de procédure pénale. Vous obligeriez donc le législateur à faire la seule chose possible, c'est-à-dire à considérer le jury comme partie intégrante du tribunal. Vous contraindriez ensuite le législateur, et peut-être le Conseil d'Etat, à se demander comment il va pouvoir appliquer de manière concurrente cet article, le nouvel article 137, qui garantirait le jury, et l'article 132, qui oblige notre république à faire élire tous les juges par le peuple. Vous m'expliquerez, Monsieur Losio, comment vous ferez élire des jurés par le peuple lorsqu'ils devront, pour être conformes au droit fédéral, être considérés comme des magistrats !
Je vous invite, Mesdames et Messieurs, à rejeter cet amendement.
M. Olivier Wasmer (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, vous allez voter sur un problème très important, puisqu'il s'agit de la suppression d'une institution bicentenaire - ce qui n'est pas rien - institution qui permet un fonctionnement démocratique de la justice. Or je pense qu'aujourd'hui toute la lumière n'a pas été faite au vu des derniers propos du rapporteur sur les tenants et aboutissants de la suppression du jury en correctionnelle et en cour d'assises. Cela étant, afin d'éclairer encore les députés que nous sommes sur les problèmes qui se poseront si nous devions arriver à un vote négatif, c'est-à-dire en faveur de la suppression du jury, l'UDC pense qu'il faudrait renvoyer ce projet de loi en commission pour entendre à nouveau certains partenaires, notamment l'Ordre des avocats, d'autant plus que le projet de Justice 2010 n'a pas encore abouti. Pour tous ces motifs, l'UDC demande le renvoi de ce projet de loi en commission.
Le président. Peuvent s'exprimer sur ce renvoi en commission le rapporteur et le Conseil d'Etat.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le renvoi en commission ne servirait de toute évidence à rien, parce que votre commission Justice 2011 a fort bien travaillé et a entendu à réitérées reprises tous les partenaires possibles. A un moment donné, il faut trancher ! Ce moment est arrivé. Votre Grand Conseil connaît l'ensemble de la situation, il lui appartiendra dès lors de prendre sa décision.
Le renvoi en commission ne sert à rien et pose un problème particulier, c'est qu'il faut que le peuple vote ! Or, s'il y a un renvoi en commission, on n'arrivera pas à faire voter le peuple dans des délais raisonnables. Par conséquent, la suite de l'opération, qui est la mise en oeuvre légale de cette constitution - de quelque constitution que ce soit - serait extrêmement problématique.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous allons donc nous prononcer sur cette demande de renvoi à la commission ad hoc.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 10327 à la commission ad hoc Justice 2011 est rejeté par 68 non contre 6 oui.
Le président. Nous revenons maintenant à la demande d'amendement. La parole est à M. Stauffer.
M. Eric Stauffer (MCG). Je réponds brièvement à M. Jornot - Maître Jornot - concernant l'élection du jury par le peuple. J'aimerais seulement, très «basiquement» et sans base légale, vous donner un exemple: lorsque ce Grand Conseil élit des membres dans les conseils d'administration, c'est bien par suprême délégation de la population. Nous pourrions donc très bien, pour parer à cet article, faire simplement en sorte - peut-être à huis clos, afin que les noms ne soient pas divulgués - d'élire, sur la base d'une liste, ces jurés pour le procès qu'ils devraient juger.
Donc - encore une fois - il y a des solutions ! Mais je crois que, ce soir, la majorité de ce Grand Conseil, représentée par son rapporteur, a plutôt combattu l'idéologie du jury populaire, et non pas les arguments vraiment juridiques. Des arguments ont été utilisés, mais, selon que l'on défend l'agresseur ou l'agressé, comme on le sait bien lorsqu'on est avocat - et c'est là le fondement de leur profession - l'utilisation des articles et l'interprétation de la loi sont très divergentes !
En conclusion, je le répète: laissons les bavards bavarder, les juges juger, et nous verrons bien si le peuple veut maintenir le jury populaire. Ensuite, le Tribunal fédéral tranchera et nous saurons enfin si c'est légal ou non.
M. Michel Halpérin (L). Monsieur le président, je me suis posé la même question que M. Jornot à propos de l'amendement, c'est-à-dire s'il était de principe uniquement ou s'il devait entrer dans le détail. Je pense que ce que M. Jornot a appelé le détail du deuxième alinéa, qui précise ce que serait la composition d'un tribunal criminel de première instance, puis d'un tribunal criminel d'appel, est utile dans la constitution, parce que cela permettrait à la population de savoir exactement sur quoi on lui demande de voter et que nous ne serions pas ensuite, au cas où la population soutiendrait l'idée d'un jury populaire, en train d'avoir à réfléchir à la forme ou à l'interprétation qu'il aurait lieu d'y donner. On pouvait certes imaginer d'autres formules, mais, à partir du moment où la commission n'avait pas retenu, à l'issue de ses travaux, l'option du jury, il fallait bien que les rédacteurs de l'amendement imaginent eux-mêmes une solution. C'est ce qu'a fait M. Losio.
Je trouve que cette solution a du sens. D'abord parce qu'elle propose une composition différente, avec un nombre plus élevé de jurés en appel, ce qui donne cette légitimité permettant au deuxième jury de revoir le travail du premier. Je rappelle que cela arrive déjà maintenant: lorsque l'arrêt d'une cour d'assises est cassé, l'affaire retourne dans une autre cour d'assises avec un autre jury. Ce n'est donc pas une véritable innovation, et je ne vois personnellement aucune complication technique particulière sur ce sujet.
Avant de me rasseoir, Monsieur le président, je voudrais suggérer que nous votions par appel nominal.
Le président. Etes-vous soutenu pour l'appel nominal ? (De nombreuses mains se lèvent.) Vous êtes largement soutenu, Monsieur le député !
La parole n'étant plus demandée, nous allons nous prononcer sur l'amendement de M. Losio. Le voici: «1. L'institution du jury est garantie pour les infractions relevant du Tribunal criminel et du Tribunal criminel d'appel, sauf en ce qui concerne les tribunaux chargés de connaître des infractions commises par des mineurs. 2. Le Tribunal criminel est composé de neuf jurés et de trois juges de carrière; le Tribunal criminel d'appel est composé de douze jurés et de trois juges de carrière. 3. Les jurés sont pris parmi les citoyennes et citoyens suisses, âgé(e)s de plus de 25 ans et de moins de 65 ans, domiciliés dans le canton de Genève.»
Mis aux voix à l'appel nominal, cet amendement est rejeté par 53 non contre 19 oui et 6 abstentions.
Mis aux voix, l'article 137 (abrogé) est adopté.
Mis aux voix, l'article 1 (souligné) est adopté, de même que l'article 2 (souligné).
Troisième débat
La loi 10327 est adoptée article par article en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 10327 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 59 oui contre 6 non et 12 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)