République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 14 novembre 2008 à 20h30
56e législature - 4e année - 1re session - 5e séance
PL 7572-A
Premier débat
Le président. Monsieur Bertinat, vous demandez la parole: je vous la donne !
M. Eric Bertinat (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Je voudrais juste rappeler le problème qui nous est posé...
Le président. Une petite seconde, Monsieur le député ! Je vous informe que le Bureau a décidé que, pour cet objet en catégorie II, le temps imparti est de quatre minutes.
M. Eric Bertinat. Merci, Monsieur le président. A voir la longueur du rapport, de la majorité comme de la minorité, j'ai l'impression que nous n'aurons pas besoin de plus de temps !
Je voudrais simplement rappeler la question qui nous est posée par le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui: faut-il permettre aux communes de dépasser leur budget ? La majorité de la commission n'a pas accepté le principe même de cette proposition. Et il faut relever que cet objet a été traité très rapidement, ce qui explique le court rapport que j'ai rédigé. Je note simplement que le texte du rapporteur de minorité, pour expliquer sa position, n'est guère plus long.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité. Par les temps qui courent, ce projet de loi mériterait que le temps imparti pour en parler ne soit pas réduit à quatre petites minutes... Il faudrait en effet beaucoup plus de temps pour pouvoir en discuter sérieusement dans cette enceinte.
Tout d'abord, je tiens à dire ici que les députés de ce parlement ont le devoir de traiter dignement chaque projet de loi qui leur est soumis, quel que soit le groupe à l'avoir déposé, car tous les groupes ont été élus par le peuple. Or, ce projet n'a pas été traité correctement en commission des finances, Monsieur le président: il a été liquidé en deux ou trois minutes ! C'est la raison pour laquelle, Monsieur le rapporteur de majorité, mon rapport est si succinct. Comme je viens de le dire, ce projet a été liquidé en deux ou trois minutes, sans même entrer en matière !
Que propose ce projet de loi ? Il préconise de permettre aux communes de dispose d'une certaine marge de manoeuvre du point de vue budgétaire: à savoir que les communes puissent avoir un excédent de charges de 5% et que les intérêts annuels de leur dette ne dépassent pas 15% des recettes. Je trouve cela très intéressant ! Et j'imagine que cela doit représenter un instrument extrêmement intéressant pour les magistrats municipaux qui nous écoutent et qui se trouvent ici, dès lors que le Conseil d'Etat n'est pas en mesure d'assurer le montant des recettes aux communes, puisque, en effet, c'est le Conseil d'Etat qui indique aux communes quelles sont les recettes dont elles disposeront pour l'année ! Le Conseil d'Etat ne pouvant même pas prévoir les recettes de l'Etat de manière certaine en raison de la crise, comment voulez-vous qu'il les prévoie pour les communes ?
Il me semble donc que ce pourrait être un outil très intéressant pour les communes: elles pourraient dépasser leur budget de 5% et, ainsi, participer elles aussi à la relance de l'économie cantonale. Comme le fait l'Etat aujourd'hui en mettant le paquet sur les projets d'investissement: 200 millions supplémentaires pour l'Hôpital, etc. C'est une bonne chose que les communes puissent utiliser ce levier en ayant la possibilité de dépasser leur budget de 5%. Imaginez quelle puissance économique cela représenterait en matière de relance au niveau de ce canton ! Au contraire, on les corsète, on les oblige à maintenir un équilibre budgétaire, à avoir une gestion totalement rétrograde.
Pour moi, chers collègues, ce projet n'est ni de droite ni de gauche: il est plus intelligent que vous, Monsieur Stauffer ! (Commentaires.) Ce ne sont pas des barbouzes qui ont élaboré ce projet de loi: ce sont des personnes très intelligentes, des députés renommés ! (L'orateur est interpellé.) Oui, mais ce ne sont pas des barbouzes, ce sont des députés très honorables ! Vous n'avez qu'à voir leur nom !
Je le répète, pour les magistrats municipaux présents dans cette enceinte, cet instrument est tout à fait intéressant pour la gestion des communes, surtout en période de conjoncture difficile. Je regrette donc vraiment, chers collègues, que nous ayons traité ce projet en si peu de temps à la commission des finances et que nous n'ayons pas pu en discuter suffisamment: il l'aurait mérité ! Tout cela parce qu'il a été déposé par des députés qui, malheureusement, ne sont plus parmi nous aujourd'hui et qui ont simplement été stigmatisés. Ce n'est pas en raison de son contenu que ce projet a été rejeté: à mon avis, c'est parce qu'il a été déposé par des députés de l'Alliance de gauche !
Mme Christiane Favre (L). Le rapport de minorité l'a très bien expliqué: la loi sur l'administration des communes comporte des garde-fous en matière d'équilibre financier des budgets communaux. Elle exige que le montant des charges n'excède pas celui des revenus... Ce qui est d'une logique basique et imparable, vivement appréciée de tous les contribuables obligés de faire vaillamment la même chose dans leur propre ménage.
Mais la loi permet aussi aux communes en difficulté de présenter, momentanément et sous certaines conditions, un budget déficitaire. L'une de ces conditions étant d'établir un plan financier prévoyant un retour à l'équilibre dans les quatre ans - huit ans pour la Ville de Genève. Dire que cette loi qui force à la sagesse a porté ses fruits est un euphémisme ! Les finances des communes sont à ce point saines que l'Etat, qui ne prend pas toujours autant de précautions avec son propre budget, leur transfère des charges à chaque occasion. Et elles investissent... Monsieur Velasco, je vous assure qu'elles investissent !
Mais il ne s'agit pas pour autant d'assouplir cette intelligente pratique, même s'il est évident que certaines communes souffrent à atteindre cet équilibre alors que d'autres présentent d'impressionnants bonis. Car la bonne solution ne viendra jamais de nouvelles facilités de crédit: elle viendra éventuellement d'une meilleure gestion; le plus souvent, d'une meilleure répartition des ressources entre les communes, et cela, Mesdames et Messieurs les députés, c'est l'affaire de la péréquation.
Dès lors, il est assez facile de comprendre qu'il ait fallu aussi peu de temps à la commission des finances pour refuser l'entrée en matière de ce projet de loi. Ce que nous allons faire tout aussi rapidement. (Applaudissements.)
M. Guy Mettan (PDC). Mme Favre a exprimé avec talent tout ce que la loi actuelle sur les communes permettait de faire. Elle offre en effet une certaine souplesse - le déficit d'une commune est permis sous certaines conditions - mais, en même temps, elle fixe une obligation de sagesse, les déficits à long terme n'étant pas autorisés.
Si Genève peut s'honorer d'avoir les communes de Suisse parmi les plus prospères et les plus florissantes du pays, c'est bien grâce à cette loi. Ce n'est pas comme cela dans tous les cantons... Je suis d'origine valaisanne, et je sais que le canton du Valais a dû plusieurs fois venir à la rescousse de communes qui avaient été mal gérées. Mais, grâce à cette loi qui est effectivement très pondérée, ce n'est pas le cas à Genève.
Le vrai problème des finances communales, c'est celui de la péréquation. Certes, cette péréquation ne fonctionne pas bien actuellement, et elle doit être revue, mais cela n'a rien à voir avec la loi dont il est question ici. C'est un autre problème qui demande à être traité dans un autre lieu et par le biais d'un autre objet que celui qui nous est proposé ce soir.
C'est la raison pour laquelle le parti démocrate-chrétien vous invite à refuser ce projet de loi.
M. Alain Charbonnier (S). Eh bien non, on ne peut pas séparer les choses comme cela ! Vous le communiquerez à M. Mettan, Monsieur le président. Pour nous, les choses forment un tout: quand on parle de budget déficitaire au niveau d'une commune, la fiscalité, la péréquation, etc., jouent forcément un rôle dans ce domaine.
A ce propos, je tiens tout de même à signaler ceci: certaines personnes dans cet hémicycle pensent que les communes sont très florissantes... C'est une vision unilatérale. Certaines communes - et pas des moindres - souffrent dans ce canton. Je suis originaire de la commune de Vernier et j'y habite: on ne peut pas dire que celle-ci roule sur l'or et rigole tous les jours à la pensée des centaines de millions que les impôts vont pouvoir lui rapporter. Sans parler, il faut le préciser, des centimes additionnels qui sont très différents d'une commune à l'autre, ce qui génère un déséquilibre gigantesque que la péréquation, même si elle a été un peu améliorée, ne permet pas du tout de rétablir. Il est donc tout à fait faux d'affirmer qu'à Genève les communes en général roulent sur l'or et que tout va bien. Même si, il faut le préciser, les libéraux s'étant - à l'époque de leur initiative sur la baisse d'impôts - bien gardés de toucher les communes, certaines d'entre elles ont des bonis énormes actuellement et se permettent de baisser, et de baisser encore, leurs centimes additionnels.
A côté de cela, il y a aussi des communes qui souffrent; et c'est l'objet de ce projet de loi ! C'est vrai, la loi actuelle sur les communes offre une certaine souplesse, mais, nous, nous pensons que ce projet de loi apporte plus de souplesse, ce qui permettrait à ces communes qui souffrent de pouvoir gérer plus librement leur budget. Les libéraux nous donnent toujours des leçons en matière de liberté individuelle - notamment pour la fumée - pour eux, la liberté individuelle passe avant le reste, mais, bizarrement, pour les communes, ils trouvent que c'est une bonne chose qu'elles soient corsetées par une loi-carcan, et ils pensent qu'il faut la conserver ! Ce qui est un peu contradictoire, il faut le dire, Mesdames et Messieurs les libéraux, avec votre conception des choses !
Alors songez-y, et entrons en matière sur ce projet de loi, pour que la commission des finances puisse travailler sur cet objet !
Le président. Merci, Monsieur le député. Monsieur Velasco, voulez-vous vous exprimer maintenant ou à la fin ? (Commentaires.) Vous avez la parole.
M. Alberto Velasco (S), rapporteur de minorité. Je le reconnais, la situation financière des communes est bien meilleure que celle du canton, mais, comme l'a relevé mon collègue de parti, M. Charbonnier, la baisse d'impôt de 12% n'a pas concerné les communes. La loi instaurant cette baisse d'impôt a eu des répercussions assez rudes pour le canton, mais pas pour les communes.
C'est vrai, la péréquation est aussi un instrument nécessaire, mais il n'y a pas un instrument meilleur que l'autre. Je dis simplement que l'instrument préconisé dans ce projet de loi représente un plus: c'est une possibilité supplémentaire que l'on offre aux communes, elles peuvent l'utiliser ou pas. La situation de la Ville de Genève n'est pas la même que celle de communes comme Thônex, Vernier, Onex ou Gy. Leur situation est bien différente; les revenus sont différents; les tâches sont parfois différentes, et, par conséquent, les instruments financiers doivent être divers pour répondre à ces situations diverses !
C'est pour cela que j'ai trouvé cet instrument financier intéressant. Voilà, Monsieur le président, ce que je tenais à répondre.
M. Christian Bavarel (Ve). Je suis - je dois le dire - relativement amusé... Nous sommes censés faire les débats en commission, et nous venons de passer beaucoup plus de temps à parler de ce sujet en plénière que nous n'en avons passé en commission des finances. Et ce qui est étonnant, c'est qu'en commission des finances personne n'avait rien à dire: il semblait clair qu'il ne valait pas la peine d'aborder ce sujet, que c'était un objet mineur qu'il fallait balayer le plus vite possible...
Mais peut-être ce sujet cache-t-il d'autres aspects. Il aurait donc fallu auditionner certaines personnes, cela nous aurait permis de nous faire une opinion. Après, chacun vote comme il l'entend. En ce qui me concerne, cela ne me pose pas de problème: nous sommes en démocratie. Si nous pensions tous pareil, il n'y aurait qu'un seul parti. Ce qui n'est pas le cas dans ce Grand Conseil, et j'admets donc volontiers faire partie de la minorité.
En revanche, j'ai beaucoup plus de peine à accepter notre manière de travailler: en commission des finances, nous bâclons certains sujets, et puis, après, en plénière, nous nous rendons compte qu'il serait peut-être intéressant d'en débattre et d'y réfléchir. Je trouve cela regrettable, car ce n'est pas le lieu de le faire ! Mais cela vient bel et bien de notre manière de fonctionner. J'aurais préféré que l'on entre en matière sur cet objet ou, au moins, comme je l'ai déjà dit, que l'on auditionne des personnes avant: cela nous aurait évité cette discussion. Peut-être aurions-nous même eu un vote unanime de la commission des finances - on peut toujours rêver ! - cela nous aurait permis de traiter cet objet dans les extraits. Visiblement, cela nous amuse beaucoup plus de faire les choses autrement !
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Ducrot, à qui il reste deux minutes trente-cinq.
M. Jean-Claude Ducrot (PDC). Merci, Monsieur le président. Je prendrai un exemple concret tiré de ce projet de loi. A la lettre b), il est dit: «...et que les intérêts annuels de sa dette ne dépassent pas 15% des recettes.» Que se passerait-il, si une commune, suite à l'explosion des intérêts de sa dette, était dans l'incapacité de rembourser sa dette et si elle n'était pas en adéquation avec la loi ? On se rend donc compte que ce projet de loi est tout à fait inadéquat !
Par ailleurs, je n'ai pas souvenance - comme d'autres collègues, qui étaient magistrats communaux - que l'ACG ait souhaité un tel projet de loi.
La situation des communes genevoises, Mesdames et Messieurs les députés, a permis à ce parlement de reporter un certain nombre de charges sur les communes. Si leur système financier n'était pas aussi rigoureux qu'il ne l'est maintenant, ce report de charges aurait certainement été moins important. Moralité: qui paie ses dettes s'enrichit ! La loi actuelle sur les communes genevoises est excellente: alors gardons-là, puisqu'une péréquation est en cours !
Ce n'est certainement pas avec un tel projet que l'on pourrait réparer les injustices - pour autant qu'il y en ait - entre les budgets et les centimes additionnels différents des communes !
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Apparemment, ce qui a justifié le rapport de minorité, ce n'était pas tant un soutien enthousiaste au projet de loi, mais, surtout, l'indignation exprimée dans le rapport de minorité - une indignation dont M. Bavarel s'est fait aussi le porte-parole - par rapport à la brièveté des débats en commission.
Je ne sais pas s'il est souhaitable que les débats se fassent en commission ou en plénière... Ce que je sais, c'est qu'en plénière nous avons pu bénéficier de l'avis d'un certain nombre de magistrats communaux, qui ont eu à pratiquer cette législation qu'est la loi sur l'administration des communes. Je pense notamment aux interventions de Mme Favre, fort bien documentée et précise, et de M. Ducrot, riche de son expérience de magistrat.
Pour ma part, je vous apporterai un simple témoignage. Ce projet de loi remonte effectivement à plus de dix ans, puisqu'il a été déposé en 1997. A cette date, la situation n'était pas celle d'aujourd'hui, et, c'est vrai, la Ville de Genève avait, sans être dans les chiffres rouges, quelques difficultés à boucler son budget. Aujourd'hui, il en va tout à fait différemment, et l'on peut s'en réjouir. Ce projet de loi est donc connoté historiquement.
Et que nous a enseigné l'Histoire ? C'est que, en réalité, notre loi cantonale, telle qu'elle est rédigée dans la loi sur l'administration des communes, s'est avérée parfaitement adéquate, puisque la Ville de Genève a pu bénéficier - et d'autres communes à sa suite - dans certaines circonstances, de la souplesse d'ores et déjà prévue par la loi et qui permet, à certaines conditions, aux communes d'avoir un budget déficitaire. Cela lui a permis de surmonter ses deux ou trois années de mauvaise passe, et, aujourd'hui, la Ville de Genève - et chacun s'en réjouit - est très largement dans les chiffres noirs, comme, du reste, les autres communes de ce canton. Vous le savez peut-être, l'année dernière, le bénéfice de toutes les communes réunies était de l'ordre de 250 millions. Dans ce bénéfice se cachent un certain nombre de disparités, bien sûr, puisque des communes se trouvent dans des situations très florissantes et d'autres dans des situations plus difficiles. Mais c'est la péréquation intercommunale qui peut répondre à ces disparités. Cela fera d'ailleurs l'objet d'un projet de loi spécifique, sur lequel vous devrez vous pencher au début de l'année prochaine.
C'est donc dire que le Conseil d'Etat estime que le débat a eu lieu, aujourd'hui en tout cas, il a eu lieu en public... Et, à partir de là, vous pouvez en toute bonne conscience refuser d'entrer en matière sur ce projet de loi, dans la mesure où la législation actuelle s'avère tout à fait efficace et - j'ajouterai ce point aussi - dans la mesure où ce projet de loi est quelque peu à contre-courant. En effet, depuis dix ans, l'Etat de Genève lui-même - tout dépensier que l'on puisse le qualifier - s'est imposé, à votre demande, un certain nombre de contraintes. Il serait quelque peu paradoxal, au moment où l'Etat de Genève s'impose toute une série de contraintes pour pouvoir respecter l'équilibre budgétaire, que l'on donne le signal exactement inverse aux communes de ce canton !
Je le répète, vous pouvez refuser l'entrée en matière de ce projet de loi en toute bonne conscience. Le débat a eu lieu: il a montré la pertinence de notre législation.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat, Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets maintenant la prise en considération du projet de loi 7572.
Mis aux voix, le projet de loi 7572 est rejeté en premier débat par 48 non contre 15 oui.
Le président. Nous allons passer - je vais vous rendre le sourire - au dernier objet que nous allons traiter ce soir, soit le point 30 de l'ordre du jour. Toutefois, avant de l'aborder, j'aimerais vous rappeler que dans la salle des Pas-Perdus vous attendent des enveloppes à votre nom concernant le budget. N'oubliez pas de les prendre en sortant !