République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 27 juin 2008 à 16h45
56e législature - 3e année - 10e session - 57e séance
PL 10000-A
Premier débat
Mme Emilie Flamand (Ve), rapporteuse de majorité. Je me retrouve aujourd'hui dans une situation assez étrange, puisque je vous présente un rapport de majorité sur un projet de loi que je vous recommande de refuser, au motif qu'il ne va pas assez loin à notre goût.
Certes, je peux souscrire à presque tous les arguments développés dans le rapport de minorité sur la nécessité d'un financement public des partis politiques: oui, les partis sont des acteurs indispensables au bon fonctionnement de la démocratie; oui, les sources actuelles de financement, essentiellement la rétrocession des jetons de présence, peuvent poser problème à l'heure où la plupart d'entre nous sont des semi-professionnels, si l'on se réfère à l'étude du professeur Sciarini.
En revanche - et c'est là que nos positions divergent - je pense que ce financement ne peut pas et ne doit pas être inconditionnel. Il faut qu'il y ait en échange une transparence accrue et une limitation des frais de campagne. On ne peut pas arroser les partis financièrement, puis les laisser faire ce qu'ils veulent avec cet argent. Le financement public des partis vise à les mettre sur pied d'égalité, or cette dernière reste purement illusoire si l'on ne limite pas par ailleurs les dépenses électorales. A l'heure où l'Etat rationalise ses dépenses, exige une grande rigueur et pose toutes sortes de conditions très contraignantes aux associations - l'une des premières questions posée lors des travaux de la commission était d'ailleurs de savoir si les partis étaient soumis à la LIAF, ce qui n'est pas le cas - il serait extrêmement malvenu que les partis s'octroient des subventions, car c'est bien de cela qu'il s'agit, sans aucune exigence en contrepartie. Or ce PL 10000 ne prévoit rien en matière de limitation des frais de campagne, et très peu en matière de transparence. La seule nouveauté introduite par ce projet de loi en matière de transparence est l'interdiction des dons anonymes, et cette proposition a déjà été contestée lors de l'audition de l'un des représentants des partis, qui est également auteur du projet de loi.
En ce qui concerne les dons, on a l'impression que les auteurs de ce texte sont plus intéressés par l'aspect de la défiscalisation - qui d'ailleurs ne serait probablement pas une réalité, puisque nous avons appris lors de nos travaux que l'utilité publique d'une association ou d'un parti ne peut être décrétée par la loi, mais est décidée par le Conseil d'Etat et soumise au secret fiscal - que par la transparence.
Finalement, ce projet de loi, intitulé «Transparence et financement des partis politiques», aurait dû s'appeler «Financement et défiscalisation», puisque l'on y parle très peu de transparence. Je vous engage donc à entrer en matière sur les volets de la transparence et de la limitation, et si, par hasard, ce projet de loi est adopté en premier débat, nous déposerons en deuxième débat un amendement concernant ces limitations de frais de campagne. Sinon, nous nous verrons obligés de refuser ce projet de loi.
Mme Michèle Ducret (R), rapporteuse de minorité. Mme Flamand a indiqué tout ce qu'il y avait dans mon rapport de minorité, et je l'en remercie car cela m'évite de me fatiguer trop à vous répondre ! Mais je voudrais quand même mettre l'accent au moins sur le problème de la pluralité des partis, parce que je sais que tout le monde ici y est sensible et pense que c'est une nécessité démocratique. Or, pour que cette pluralité soit conservée, je pense qu'il faut aider certains partis à se financer.
Je voudrais encore mentionner un point important: nous avons beaucoup discuté en commission des droits politiques, mais nous ne sommes pas allés assez loin, puisque l'entrée en matière a été refusée pour des raisons purement circonstancielles d'absence de certains députés. Par conséquent, puisque nous n'avions pas terminé nos réflexions, que nous avions pris une direction intéressante et que, de plus, des amendements proposés par le groupe socialiste devront être discutés en commission, je vous propose de renvoyer ce projet de loi en commission des droits politiques, afin qu'il y soit étudié à fond.
La présidente. Merci, Madame la députée. Comme pour le point précédent, nous allons ouvrir un tour de table de trois minutes par groupe sur la demande qui vient d'être formulée de renvoyer ce projet de loi en commission.
Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Je soutiendrai le renvoi en commission de ce projet de loi, car je ne peux le voter tel quel. En effet, nous sommes un parlement de milice et non pas des professionnels. Je rappelle que nous ne vendons rien, si ce n'est peut-être de l'air, et que nous ne faisons aucun bénéfice. Je ne veux pas professionnaliser la politique, car cela n'aurait plus aucun sens. Les partis ne sont pas d'utilité publique, dans la mesure où ce serait contraire au droit fédéral. Nous sommes des associations à but non lucratif, et cela doit rester en l'état.
Ce projet de loi est la porte ouverte au fait que les députés doivent déclarer aux impôts leurs revenus et qu'ils soient taxés. Une manière pour l'Etat de se faire encore plus d'argent ! Alors on ne peut plus considérer les parlementaires comme des miliciens mais comme des employés de l'Etat, des professionnels. Où est la démocratie ? Les débats seraient totalement faussés et, en outre, aucun député ne pourrait s'exprimer librement, avec son coeur, ses idées et ses convictions. Il est inutile de dire que cela n'arrivera jamais, car cela arrivera, et plus vite qu'on le pense ! La véritable question à se poser aujourd'hui et en commission est la suivante: veut-on être des employés et être obligés d'obéir aux ordres ou préfère-t-on continuer à être des miliciens libres ?
Je vous propose de renvoyer ce projet de loi en commission et de réfléchir à cette question qui me paraît fondamentale parce que, si on lit entre les lignes, c'est de cela qu'il s'agit; plusieurs députés dans ce parlement veulent à tout prix ce qui a été défendu énergiquement à l'époque, à savoir taxer les jetons de présence. Mais alors, plus personne ne va vouloir venir déclarer qu'il est là pour défendre ses convictions; il y aura des lobbies et on n'aura plus aucun pouvoir de liberté. Si c'est cela, faire de la politique, excusez-moi, mais, non, je ne suis pas d'accord !
M. Gabriel Barrillier (R). La situation me paraît se décanter. Finalement, tous les partis sont à peu près d'accord pour dire qu'il faut une aide de l'Etat, puisque les partis politiques sont des rouages indispensables dans la formation de l'opinion et le fonctionnement de la démocratie.
Nous avons en outre sur notre pupitre une demande d'amendement des socialistes et des Verts.
En lisant les rapports de majorité et de minorité, on voit que la question qui pose problème et sur laquelle nous ne sommes pas allés assez au fond des choses, c'est éventuellement celle du plafonnement des dépenses et de la transparence. Il faut donc renvoyer ce projet de loi en commission, ce qui nous permettra sans doute de parvenir à un accord, car je crois que ce petit détour en commission devrait suffire à trouver une solution.
M. Olivier Jornot (L). Il est tout à fait regrettable que, en raison d'un problème mathématique, la commission n'ait pas voté l'entrée en matière de ce projet de loi. Pour notre part, nous y sommes favorables pour des raisons extrêmement pragmatiques, et notamment parce qu'il amène une amélioration considérable de la transparence, en introduisant l'obligation de déposer les comptes établis selon un modèle et vérifiés par une instance indépendante, ce qui n'existe pas aujourd'hui.
Cela étant, il s'agit de renvoyer ce projet en commission, non seulement parce que c'est à la faveur d'un hasard que l'entrée en matière n'a pas été votée et qu'il s'agit d'y étudier l'amendement presque général, pourrait-on dire, qui nous est soumis aujourd'hui, mais aussi parce qu'un fait nouveau est survenu entre-temps. En effet, l'un des pans de ce projet, à savoir la déductibilité des dons, était à l'époque du dépôt encore une façon de se projeter dans l'avenir, mais celui-ci est devenu réalité puisque, comme vous le savez, sur le plan fédéral, la déductibilité des dons en faveur des partis politiques a considérablement progressé et que des travaux parlementaires ont eu lieu sur ce thème. Il est donc nécessaire de pouvoir intégrer cet élément dans les réflexions de la commission et dans le projet de loi qui sera finalement adopté. Le groupe libéral vous recommande donc également de renvoyer cet objet en commission.
M. Philippe Guénat (UDC). On savait que l'Entente et le MCG voulaient nous proposer quelque chose de prestigieux pour un numéro de projet de loi non moins prestigieux - le 10000 - mais alors là, je dois dire qu'ils ont fait très fort ! J'ai vu que M. Leyvraz avait signé ce texte, mais il a dû le faire dans un moment de faiblesse... (Protestations.) Vous qui êtes là à nos côtés pour combattre l'emprise de l'Etat, pour couper et réduire des subventions, vous demandez tout à coup à devenir des salariés de l'Etat ? Mais comment peut-on critiquer un Etat qui vous paie ?! Il y a trois ans que je suis là, et vous n'avez pas cessé de dire que l'Etat dépense trop et qu'il interfère, et maintenant, parce que vous connaissez une certaine perte de popularité, que vos adhérents vous quittent, que les cotisations ne rentrent pas, vous criez famine et implorez l'Etat de vous donner des subventions ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Certains partis, comme le parti radical, ont régné en maître absolu dans le canton de Genève ! Ils étaient tout-puissants à une époque, et subitement...
La présidente. Monsieur le député, vous devez vous exprimer sur le renvoi en commission !
M. Philippe Guénat. Oui, je l'ai dit au début de mon intervention: nous nous opposerons au renvoi en commission. Comme nous nous opposerons à cette entrée en matière, parce que vous, partis qui avez monopolisé la vie genevoise pendant des années, sans compromis, vous criez maintenant famine ! Eh bien non !
La présidente. Il vous faut conclure, vous aviez droit à trois minutes !
M. Philippe Guénat. Nous sommes contre l'entrée en matière de ce projet et contre le renvoi en commission. Vous voulez des financements ? Ayez des membres ! (Commentaires. Brouhaha.)
La présidente. Merci, Monsieur le député. C'est vrai que la chaleur monte...
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). A entendre la diatribe de M. Guénat, on voit que le climat n'est pas encore à l'entente cordiale... (Rires.) ...et les discussions prochaines risquent d'être croustillantes !
Je crois que ce projet de loi est au moins le quatrième sur ce thème, ces projets émanaient de groupes différents... (Remarque.) C'est le troisième ? Alors c'est le troisième ! Il y en a notamment eu un du groupe socialiste qui a été balayé, mais peut-être arriverons-nous un jour à un consensus qui puisse tous nous satisfaire !
Tout le monde s'accorde à dire que les partis politiques jouent un rôle extrêmement important mais, pour notre part, nous sommes opposés à ce que les campagnes électorales se transforment en simples campagnes de marketing, et nous sommes vraiment attachés à une égalité de traitement.
Nous sommes d'accord avec le fait que les partis soient financés, nous l'avons toujours dit, mais il faut une contrepartie et, pour nous, la contrepartie indispensable réside en une véritable transparence, ce qui n'est absolument pas le cas dans le projet de loi issu de commission, dont l'entrée en matière a heureusement été refusée. A nos yeux, il est extrêmement important qu'il y ait un plafonnement des campagnes et c'est à ce prix-là - c'est le cas de le dire ! - que nous acceptons et appelons de nos voeux un certain financement des partis. Peut-être que l'UDC pourrait y penser et nourrir ses réflexions estivales grâce à ces éléments.
J'ajoute que le parti socialiste a déposé un amendement, certes assez long, qui reprend en partie les options que nous défendions dans nos précédents projets de lois. En conclusion, nous acceptons le renvoi en commission de ce projet, avec l'espoir que les autres partis s'engagent à entamer la discussion sur ces deux aspects.
M. Fabiano Forte (PDC). En guise de préambule, j'aimerais dire que les partis représentés dans ce parlement ne bénéficient pas de millions de francs d'industriels, plus précisément d'un industriel, pour ne pas le citer, M. l'ancien conseiller fédéral Christoph Blocher, qui aime à se faire appeler M. le conseiller fédéral non réélu...
M. Pierre Weiss. Ex !
M. Fabiano Forte. ...ou ex-conseiller fédéral, merci mon cher collègue Pierre Weiss !
Tout cela pour dire que le groupe démocrate-chrétien soutient le renvoi en commission. Il n'est pas question ici de crier famine. Il convient de se poser réellement la question de l'utilité publique des partis politiques, parce qu'il ne s'agit pas uniquement de dire que les partis politiques sont d'utilité publique, mais simplement de reconnaître le travail quotidien de celles et ceux qui, dans les parlements communaux, cantonaux et nationaux, s'engagent pour leur commune, leur canton, leur nation et l'ensemble des concitoyens. Il faut reconnaître cet engagement, et ce n'est pas crier famine.
Mme Emilie Flamand (Ve), rapporteuse de majorité. J'aimerais juste dire quelques mots pour rassurer Mme Borgeaud. Non, nous ne voulons pas devenir des employés de l'Etat, nous ne voulons pas de treizième salaire et, surtout, nous ne voulons pas avoir un devoir d'obéissance envers le Conseil d'Etat !
Concernant le financement des partis politiques, il s'agit de les subventionner comme toutes les associations qui contribuent à la bonne marche et à la diversité de notre société.
Nous accepterons le renvoi en commission afin de rediscuter de ce projet dans le même esprit que la première fois, c'est-à-dire que nous sommes favorables à un financement si, en contrepartie, nous pouvons avoir une transparence accrue et un plafonnement des frais de campagne.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 10000 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est adopté par 44 oui contre 5 non.