République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 27 juin 2008 à 16h45
56e législature - 3e année - 10e session - 57e séance
PL 9984-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
M. Olivier Jornot (L), rapporteur de majorité. Nous avons disserté hier sur la notion d'archétype et nous sommes posé la question de savoir s'il était bon ou non de réagir avec promptitude à des situations qui nous sont présentées. Voilà encore un cas de figure intéressant à étudier dans ce domaine, puisque ces deux projets de lois n'avaient d'autre but à l'époque que de réagir à certaines situations de recours en grâce multiples émanant de personnes dont la demande avait été rejetée et qui venaient la renouveler devant notre parlement, causant ainsi la colère des auteurs des deux projets de lois.
La commission a examiné ces objets et a constaté qu'ils posaient des questions d'ordre à la fois politique et technique. S'agissant du côté technique, ces projets de lois ont d'abord l'inconvénient d'être totalement incompatibles avec les règles du droit fédéral, qui garantissent à toute personne condamnée le droit de demander en tout temps sa grâce devant l'autorité compétente pour la prononcer. Les présents projets de lois, en déclarant que les décisions sont définitives et que les demandes ne peuvent être renouvelées, s'inscrivent donc en violation de ce droit à réclamer l'examen de toute demande de grâce.
Ensuite, ces projets de lois insistent sur le fait que la grâce ne peut être demandée que lorsqu'une condamnation est définitive; il n'est certes pas contraire au droit fédéral que de dire cela mais, dans la mesure où c'est une condition posée par le droit fédéral à toute demande de grâce, il est probablement superflu que de l'ajouter comme exigence.
Sur le plan politique, l'examen de ces deux projets a suscité d'intéressants débats en commission. Vous savez que la grâce est un objet politique et juridique mal identifié. C'est en quelque sorte une survivance de prérogatives fort anciennes, mais aussi quelque chose d'assez curieux; en effet, c'est une violation crasse de la séparation des pouvoirs, puisque cela induit le législatif à remettre en cause des décisions de justice. En même temps, c'est une institution à laquelle chacun tient, puisque cela permet de manifester en tout temps la primauté du politique et offre la possibilité au politique de témoigner son pardon par rapport à des situations de culpabilité avérée. Il n'en demeure pas moins que, dans ce contexte-là, légiférer sur la grâce est toujours problématique. Par définition, la grâce est arbitraire et, par définition, elle est injuste, puisqu'elle revient à absoudre le coupable, lorsqu'elle est prononcée, ou à refuser cette même prérogative à quelqu'un qui estimerait y avoir parfaitement droit, en cas de rejet. Et c'est précisément parce que c'est un objet extrêmement délicat qu'il y a lieu d'être prudent et de légiférer de manière parcimonieuse sur ces questions.
Pour terminer, j'évoquerai une piste qui a été examinée par la commission. Le droit fédéral indique que, lorsqu'il y a abus, l'autorité qui refuse une demande de grâce peut fixer un délai pendant lequel la personne qui avait effectué un recours en grâce ne peut plus renouveler sa demande. On peut ainsi éviter, dans certaines situations, des cas où les personnes demanderaient de manière extrêmement répétée la grâce pour les mêmes délits et sans faire valoir de faits nouveaux. Cette possibilité existe par le droit fédéral et pourrait être mise en oeuvre dans notre canton; de cette manière, si d'aventure la commission de grâce devait estimer qu'un cas est effectivement abusif, elle pourrait parfaitement inclure dans sa proposition de rejet de la grâce la fixation d'un délai pendant lequel la demande ne peut plus être renouvelée; nous pourrions donc, si vraiment nous devions un jour être confrontés à des cas d'abus extraordinaire, nous prémunir contre ces situations en faisant simplement application du droit existant. Ce sont les raisons pour lesquelles la majorité de la commission vous propose de ne pas entrer en matière sur ces deux projets de lois.
M. Eric Bertinat (UDC), rapporteur de minorité. Si nous sommes amenés à reconnaître, suite aux discussions qui ont eu lieu lors de la séance de la commission, que l'aspect technique nous conduit à ne pas insister sur le projet de loi 9984, il en est légèrement différent du deuxième projet de loi. Celui-ci vise à limiter l'accès d'un droit de recours répétitif - si j'ose m'exprimer ainsi - s'appuyant entre autres sur le droit fédéral, qui laisse à chaque canton la possibilité de fixer un délai, comme vient de le dire M. Jornot.
Lors de la discussion en commission, plusieurs commissaires étaient favorables à cette idée. Par conséquent, je vous propose de renvoyer le PL 9985 en commission, afin de définir quel pourrait être ce délai. Cela nous ferait gagner du temps, dans la mesure où, si tel n'était pas le cas, nous présenterions simplement un nouveau projet de loi, qui ne servirait finalement qu'à gonfler l'ordre du jour. Ce pourrait donc être une proposition élégante afin de rediscuter plus à fond de ce sujet. D'autant plus que, je le répète, la lecture du procès-verbal de la commission des droits politiques indique qu'une bonne partie des députés étaient tout à fait enclins à aller un peu plus loin sur ce sujet. Peut-être que la formulation de notre projet de loi n'était pas la plus propice pour obtenir un retour de la part des commissaires et c'est pour cette raison que nous vous proposons de renvoyer ce projet en commission.
La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur. Puisque vous avez fait une demande formelle de renvoi en commission, je vais donner la possibilité à un représentant de chaque groupe, ainsi qu'au rapporteur de majorité, de s'exprimer pendant trois minutes sur cette proposition. Auparavant, nous allons recopier la liste des demandes de parole, afin que, en cas de refus de votre proposition, nous puissions reprendre le débat et donner la parole dans l'ordre à ceux qui s'étaient inscrits. (Un instant s'écoule.) Merci ! J'ouvre maintenant le débat sur la demande de renvoi en commission.
M. Pascal Pétroz (PDC). Je remets vite ma veste pour pouvoir m'exprimer avec dignité ! Le groupe démocrate-chrétien s'opposera à cette demande de renvoi en commission et souscrit totalement à l'argumentation qui a été brillamment développée par le rapporteur de majorité. Ce projet de loi, que nous le retravaillions ou non, ne peut être accepté; par conséquent, le renvoi en commission n'a pas de sens et nous vous recommandons, sur le fond - ce qui m'évitera de reprendre la parole tout à l'heure - de rejeter ce projet de loi pour les motifs évoqués dans l'excellent rapport de majorité.
M. Olivier Wasmer (UDC). Qu'il n'y ait pas d'ambiguïté: l'UDC a retiré son projet de loi 9984, dans la mesure où ce texte semble effectivement superflu en regard du droit fédéral, puisque la loi stipule que, de toute façon, la grâce ne peut être accordée que suite au prononcé d'un jugement définitif exécutoire. Ce premier projet est donc retiré.
En revanche, concernant le projet de loi 9985, nous avons eu à plusieurs reprises, en tout cas deux - contrairement à ce qui a été indiqué dans le rapport de majorité - des cas de demandes répétées: premièrement, une fille d'avocat qui est venue deux fois devant la commission de grâce pour faire sauter ses amendes, qui ascendaient à environ 25 000 F et, deuxièmement, un criminel qui a présenté une demande deux fois de suite en une année pour des crimes de sang.
On constate quand même qu'il n'y a pas beaucoup de personnes qui sont venues demander la grâce suite à des jugements du pouvoir judiciaire, mais aujourd'hui le système a complètement changé, dans la mesure où le législateur a prévu des peines-amende, comme vous le savez, qui sont d'ailleurs très critiquées. Pas plus tard que ce matin, je suis allé au service des contraventions négocier pour l'une de mes clientes 25 000 F de contraventions pour des infractions à la circulation routière. Elle m'a indiqué que son précédent avocat lui avait dit - vous le devinez - qu'il fallait saisir la commission de grâce. Pour ma part - et peut-être a-t-elle pris un mauvais avocat en me choisissant ! - je lui ai répondu: «Mais c'est hors de question, Madame ! Vous roulez n'importe comment, vous avez cinquante excès de vitesse ! La commission de grâce n'est pas un tribunal. Cette commission - et le principe de la séparation des pouvoirs fait que vous ne pouvez pas être jugée mais simplement demander miséricorde au peuple - vous accordera, à titre tout à fait exceptionnel et pour des circonstances qui le sont tout autant, une remise de peine, voire l'absolution.»
J'estime donc que ce projet de loi 9985, dans lequel l'UDC demande tout simplement que l'on fixe un délai pour une nouvelle demande de grâce, n'est ni exorbitant, ni exceptionnel. Je pense que, de cas en cas, chaque fois qu'une personne demandera la grâce, on fixera un délai, ce que l'on n'a jamais fait jusqu'à ce jour, à ma connaissance. Ce délai sera fixé et simplement inscrit dans la loi, puisque le législateur fédéral nous autorise à le faire.
Pour tous ces motifs, l'UDC appuiera cette demande de renvoi en commission.
La présidente. Merci, Monsieur le député. Vous avez dit que le projet de loi 9984 avait été retiré par ses auteurs, mais ici nous n'avons rien entendu ! Il n'y a absolument pas eu de proposition dans ce sens, donc je n'en tiens pas compte, car ce sont les auteurs qui doivent le retirer. Pour l'instant, nous en sommes toujours à la demande de renvoi en commission du projet de loi 9985.
Mme Catherine Baud (Ve). Les Verts ne suivront pas cette demande de renvoi en commission, car ils considèrent que ces deux projets de lois ont été déposés dans un esprit bien particulier et avec une vision très restrictive du droit de grâce. L'exposé des motifs contient d'ailleurs des phrases qui sont à nos yeux choquantes. Traiter le droit de grâce comme une mesure subjective entachée d'abus et dire que «[...] le droit de grâce ne fait en réalité qu'entériner le principe de l'arbitraire», etc., je crois que cela va beaucoup trop loin ! Ces deux projets de lois ont été déposés dans le but réel de faire cesser ce que les signataires pensaient être des abus mais, en réalité, depuis que le nouveau droit est entré en force, la commission de grâce ne se réunit pratiquement plus ou pour quelques rares cas qui concernent des peines légères. Je crois que c'est négligeable et qu'il n'est pas nécessaire de légiférer pour ces quelques cas que nous pouvons tout à fait résoudre.
Il me semble par conséquent qu'il est totalement inutile de renvoyer l'un ou l'autre de ces projets de lois en commission, et nous voterons donc contre cette proposition.
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Comme nos préopinants, nous ne souscrirons pas à ce renvoi en commission et abondons dans le sens de l'argumentation développée par M. Jornot dans son rapport. Une fois n'est pas coutume, nous sommes entièrement d'accord avec lui, et il nous semble tout à fait inutile de vouloir légiférer sur un ou deux cas. De plus, comme le droit de grâce n'est pas remis en question, il est aussi insultant de prétendre que la commission de grâce fonctionne de façon arbitraire, à la tête du client.
Enfin, je noterai que l'UDC a déposé deux projets de lois, mais n'a pas été fichue de les défendre en commission. Nous avons auditionné les signataires UDC et ils n'ont pas dit grand-chose; leur argumentation était extrêmement faible et ils n'ont manifesté aucune conviction dans la défense de ces deux projets de lois. Par conséquent, je ne vois pas pourquoi nous devrions renvoyer le PL 9985 en commission et, le cas échéant, nous nous opposerons de toute façon à ce texte. Un renvoi est donc inutile et nous pouvons continuer à débattre sur ce projet de loi pour le refuser.
Mme Michèle Ducret (R). Je vous dirai simplement que les radicaux refuseront le renvoi en commission, et je note avec plaisir que les raisons invoquées par M. le rapporteur de majorité ont été entendues par le groupe UDC. J'espère qu'il va aussi comprendre que nous n'approuverons pas le PL 9985, mais je me réserve la possibilité d'en reparler tout à l'heure en débat.
Mme Fabienne Gautier (L). Le groupe libéral suivra la majorité du Grand Conseil et ne renverra pas ce projet de loi en commission. Maintenant, si le groupe UDC veut rédiger un nouveau projet de loi, libre à lui de le faire mais, en tout cas, nous ne renverrons pas le PL 9985 en commission. Je pense qu'il y avait un problème concernant les recours en grâce, comme l'a dit M. Jornot, jusqu'en janvier 2007, mais maintenant que les tribunaux ne peuvent plus prononcer d'expulsions, il y a beaucoup moins de recours en grâce qui nous parviennent. En outre, le groupe libéral considère que le droit, auquel il tient, qu'a chacun de demander la grâce est un droit fondamental qu'il faut respecter. C'est la raison pour laquelle nous refuserons le renvoi de ce projet de loi en commission.
M. Olivier Jornot (L), rapporteur de majorité. Renvoyer un objet en commission signifie soit qu'on estime que la commission a mal fait son travail - ce qui en l'occurrence pourrait s'expliquer, comme le disait Mme Fehlmann Rielle tout à l'heure, par le fait que les auteurs du projet de loi n'ont pas pris la parole pendant le débat - soit qu'il est nécessaire de le corriger sur l'un ou l'autre point.
Dans le cas présent, Mesdames et Messieurs les députés, si je prends note du fait que les auteurs s'efforcent à l'heure actuelle de retirer le PL 9984, je relève, s'agissant des deux articles qui composent le PL 9985, que le premier vise à adapter le règlement du Grand Conseil à la nouvelle partie générale du code pénal; or cela a été fait et était même déjà entré en vigueur au moment où le projet de loi a été déposé. Cela signifie que l'article 206 correspond à la teneur actuelle du texte de la loi, et qu'il est donc inutile.
Le deuxième, l'article 208, en tant qu'il prévoit l'interdiction de déposer une demande de grâce pour les mêmes faits, est contraire au droit fédéral. Alors lorsque, sur deux articles, les deux ne sont plus utilisables, et que la seule clause qui peut rester telle quelle, parce qu'elle est absolument parfaite, c'est celle de l'entrée en vigueur, il faut en tirer la conséquence logique qui s'impose et présenter un nouveau projet de loi !
Je l'ai dit tout à l'heure, je ne suis pas certain qu'il soit techniquement nécessaire de légiférer dans la loi portant règlement du Grand Conseil sur la question du délai, et je suis en revanche convaincu que, déjà maintenant, et sans modifier la loi, la commission de grâce pourrait proposer des délais pendant lesquels une nouvelle demande ne serait pas traitée.
Cela étant, si l'UDC estime qu'il est absolument indispensable de mettre cela dans la loi, qu'elle rédige un projet de loi qui porte sur cet objet, qu'elle l'étudie techniquement avec soin, qu'elle l'assortisse d'un exposé des motifs limpide et, à ce moment-là, il fera l'objet du traitement qu'il mérite en commission.
M. Eric Bertinat (UDC), rapporteur de minorité. Pour que ce soit bien clair, nous retirons le PL 9984, afin que nous n'ayons pas besoin de le voter. En revanche, nous maintenons notre demande de renvoi en commission du PL 9985.
La présidente. Merci, Monsieur le député. Il est pris acte du retrait du PL 9984 modifiant la constitution genevoise.
Le projet de loi 9984 est retiré par ses auteurs.
La présidente. Nous allons maintenant voter sur votre proposition de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 9985 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est rejeté par 44 non contre 7 oui.
La présidente. Nous reprenons le cours de notre débat. Je vais donner la parole aux différents orateurs dans l'ordre dans lequel ils s'étaient inscrits avant la demande de renvoi en commission: Mmes Ducret, Baud et Fehlmann Rielle, MM. Wasmer et Pétroz, Mme Gautier et, enfin, M. le conseiller d'Etat Laurent Moutinot... (Commentaires. Brouhaha.)
Une voix. On clôt la liste !
La présidente. Oui, d'accord ! On clôt la liste ! Et je donne la parole à Mme Ducret.
Mme Michèle Ducret (R). Je ne serai pas longue. Je voulais simplement faire une remarque. Ce droit de grâce que nous possédons est tellement bien ancré dans les habitudes qu'il a été repris tel quel dans le projet sur la procédure administrative dont notre Grand Conseil a été saisi et qu'il est en train d'étudier, parce que, aux yeux des auteurs du projet, le droit de grâce est un principe qui ne doit pas être modifié. Je crois que c'est déjà un point important, et plusieurs personnes l'ont relevé tout à l'heure.
Je voudrais encore vous citer une liste que le service du Grand Conseil a eu la très grande gentillesse de me faire parvenir à propos des cas de grâce. (Brouhaha.) Repartons en 2004, si le groupe démocrate-chrétien veut bien me laisser m'exprimer ! Donc, en 2004, il y a eu 60 demandes de grâce, dont 18 ont été acceptées et 34 rejetées. En 2005, on a enregistré 48 demandes, dont 19 ont été acceptées et 27 rejetées et, en 2006, sur 49 demandes, 9 ont été acceptées en totalité ou partiellement et 40 rejetées. On ne peut donc pas dire qu'il y ait un abus de ce genre de demandes.
Concernant les personnes qui se représentent plusieurs fois, j'ajoute que je n'ai personnellement vu qu'un seul cas depuis que j'ai été élue au Grand Conseil en 2005. Je crois qu'il y en a eu un deuxième aujourd'hui ou hier, mais deux cas en trois ans, je ne trouve pas que ce soit abusif. Par conséquent, vous l'avez compris, nous refuserons ce projet de loi.
La présidente. Merci, Madame la députée. Je salue à la tribune notre ancien collègue Patrick Schmied. (Applaudissements.)
Mme Catherine Baud (Ve). Très rapidement, ce PL 9985 est tout à fait inutile. Il n'y a pas d'abus et le droit fédéral pose des principes clairs, alors pourquoi maintenir ce texte et cet exposé des motifs, sinon pour donner l'impression que des abus existent et persistent, que les députés sont trop laxistes et qu'il faut encore et toujours durcir les normes de la société par méfiance de l'autre et par soupçon d'abus généralisé ? Nous refuserons donc ce projet de loi.
Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). J'ajouterai juste un ou deux éléments, puisque nous avons dit que nous allions soutenir l'excellent rapport de majorité. J'aimerais rappeler que, selon le fonctionnement de la commission de grâce, nous attendons en général qu'il y ait un fait nouveau pour accorder une grâce, parce qu'il n'est pas question de refaire le travail de la justice. Alors bien sûr qu'il peut y avoir des éléments subjectifs qui entrent en ligne de compte, mais je crois que les commissaires ont à coeur de faire leur travail au plus près de leur conscience.
Par ailleurs, concernant l'éventuelle crainte qu'on ne se souvienne pas d'une année à l'autre de ce qui se passe, puisque les commissaires changent chaque année, je vous signale que les dossiers sont extrêmement bien documentés, ce qui fait que nous avons toujours une mémoire grâce à laquelle nous pouvons nous rappeler des cas. De plus, le service du Grand Conseil fait bien son travail et accompagne aussi celui de la commission de grâce. Pour toutes ces raisons, nous vous recommandons donc de refuser ce projet de loi.
M. Pascal Pétroz (PDC). A ce stade, il convient peut-être de faire un peu d'humour pour détendre l'atmosphère... (Exclamations.) Nous avons finalement deux options à disposition. Vous vous rappelez que nous venons de voter - et en particulier en rejetant un amendement à ce sujet - une nouvelle procédure dans le cadre de ce Grand Conseil. Par conséquent, nous devrions peut-être reconsidérer notre position sur la demande de l'UDC et, justement, renvoyer ce projet de loi en commission afin qu'il y dorme deux ans, qu'ensuite nous soyons obligés de le faire revenir en plénière - où nous dirons qu'il est tellement mal fait que nous le renvoyons à nouveau en commission afin qu'il y dorme six mois supplémentaires - et que nous ne sachions pas quoi faire à l'échéance de ce délai de six mois...
La deuxième option qui s'offre à nous est la suivante... Moi j'écoute toujours le rapporteur de majorité Jornot, car ce qu'il dit est toujours pertinent. Or, puisqu'il a indiqué qu'il y avait un article fantastiquement bien rédigé, à savoir je crois l'article 2 souligné - je parle sous votre contrôle, Monsieur le rapporteur de majorité - peut-être pourrions-nous entrer en matière sur ce projet de loi, refuser tous les articles et ne conserver que celui qui est fantastiquement bien rédigé, pour ne pas que l'on nous accuse de nous opposer à toutes les demandes émanant de certains partis dans ce Grand Conseil !
Plus sérieusement, Mesdames et Messieurs les députés, il ne s'agit plus de se prononcer sur deux projets, puisque le premier vient d'être retiré, et, concernant le second, il convient clairement, dans la mesure où il est inutile et illégal, de le refuser.
M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. S'agissant du règlement de votre Grand Conseil, le Conseil d'Etat observe en général une prudente et sage réserve. Mais dès lors qu'il s'agit du droit de grâce, qui est une véritable institution, le Conseil d'Etat vous invite à rejeter le projet qui vous est présenté.
Il faut rappeler que la grâce est une véritable soupape en mains de votre parlement, qui est normalement possible dans deux, et deux seuls cas: premièrement, lorsqu'un fait nouveau fait apparaître la peine infligée comme manifestement injuste, au point par exemple que cette peine n'aurait pas été infligée si le fait nouveau avait été connu du juge et, deuxièmement - et c'est un cas que vous avez pratiqué fort souvent - lorsqu'une condamnation n'est politiquement plus supportable. Pendant de nombreuses années, votre Grand Conseil a ainsi gracié des objecteurs de conscience qui ne payaient pas leur taxe militaire, motif pris que, puisqu'ils avaient déjà été condamnés par le Tribunal militaire, il était un peu dur de les condamner une deuxième fois par le Tribunal de police. Vous ne pouvez pas dès lors, dans cette matière, ne pas vous faire confiance à vous-mêmes ! Parce que la règle qui vous est proposée revient en gros à vous interdire par avance de gracier, dans un certain nombre d'hypothèses, quelles que soient les circonstances. Mesdames et Messieurs les députés, vous usez du droit de grâce avec discernement et habileté, et il n'est nul besoin que vous vous brimiez vous-mêmes dans l'exercice de cette liberté.
Mis aux voix, le projet de loi 9985 est rejeté en premier débat par 40 non contre 5 oui et 1 abstention.