République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 26 juin 2008 à 17h
56e législature - 3e année - 10e session - 52e séance
PL 8301-A
Premier débat
M. Olivier Jornot (L), rapporteur. J'ai deux ou trois points à présenter. Il s'agit à vrai dire d'un projet de loi concernant un objet qui aurait bien pu, un beau jour, être expédié dans une procédure d'extraits, non pas seulement à cause du résultat du vote, mais parce que c'est un texte anachronique et qui ne pourrait tout simplement pas être appliqué, si d'aventure il était voté.
Alors de quoi s'agit-il ? Il s'agit de cette question très délicate de l'indemnisation des personnes qui ont subi une détention préventive au terme de laquelle elles ont été reconnues innocentes, et l'Etat doit à ce moment-là, selon les règles en vigueur, les indemniser. Règles en vigueur qui sont assez chiches, puisque le code de procédure pénale stipule qu'aujourd'hui, dans un cas de ce genre, le plafond de l'indemnisation est de 10 000 F et que ce dernier peut être dépassé dans des situations particulières, par exemple si la personne a purgé une longue période de détention préventive.
Ce projet de loi est arrivé après le fameux procès Mikhaïlov où l'Etat de Genève a dû payer quelque 800 000 F d'indemnité suite à l'acquittement de cette personne. L'acquittement avait effectivement suscité quelque émoi, mais l'indemnisation en a causé encore plus - c'est vrai qu'à l'époque on n'avait pas encore connu le million de M. Ramadan, par conséquent les 800 000 F de M. Mikhaïlov apparaissaient comme une somme extrêmement importante - et les auteurs de ce projet de loi issu de l'Alliance de Gauche ont proposé d'introduire un plafond absolu de 200 000 F, au-delà duquel l'autorité ne pourrait pas aller, avec la conséquence que même les personnes qui passeraient, par hypothèse, plusieurs années en détention préventive et seraient reconnues innocentes ne pourraient pas prétendre à une somme supérieure.
La problématique est extrêmement intéressante du point de vue juridique et philosophique. Lorsque vous avez une détention qui est illicite - par exemple, si vous êtes retenu dans un poste de police alors qu'on n'a pas le droit de vous y retenir; ou si vous êtes incarcéré alors qu'il n'y a pas de titre de détention ordonné par un juge d'instruction - eh bien, dans ce cas, l'action de l'Etat est illicite et vous avez le droit à une pleine indemnité en fonction de la loi sur la responsabilité de l'Etat. En revanche, lorsque la détention était parfaitement licite tout au long de la procédure, qu'elle a été régulièrement contrôlée par la Chambre d'accusation - comme le prévoit aujourd'hui notre code de procédure pénale - et que vous êtes acquitté à la fin, eh bien il y a un problème ! Parce que cette détention était licite, et néanmoins on vous a privé longuement de votre liberté, après quoi on vous a reconnu comme étant innocent.
L'étude de ce projet de loi a donné lieu en commission à des débats intéressants sur ce thème. Pour caricaturer un peu, à gauche on considère que, puisque la détention était licite, il n'est pas nécessaire d'indemniser la totalité du dommage - en particulier et surtout quand les personnes concernées ont des revenus confortables; à droite, cependant, on considère que, même si la détention était licite, elle est devenue illégitime après l'acquittement, et l'Etat doit assumer pleinement l'indemnisation.
Le résultat de ce débat a été un rejet du projet de loi, non seulement à cause des considérations politiques que je viens d'indiquer, mais parce qu'on savait déjà à l'époque que le Parlement fédéral était en train d'adopter le code de procédure pénale suisse, lequel allait définitivement soustraire cette question aux cantons en fixant dans la loi le principe de l'indemnisation pleine et entière aussi bien des frais de défense et du tort moral, que du préjudice économique pris dans son intégralité.
De fait, après que la commission s'est prononcée, le Parlement fédéral a adopté cette loi, et cette dernière - ce code de procédure pénale suisse - va entrer en vigueur le 1er janvier 2010. Comme vous le savez, nous travaillons déjà au sein de la commission ad hoc Justice 2010 de ce parlement sur le train de projets de lois visant à mettre en oeuvre les différentes réformes des droits de procédure fédéraux. C'est la raison pour laquelle, même si le débat en soi est intéressant - faut-il indemniser pleinement ou non la détention préventive ? - il est en réalité sans objet, puisqu'à partir du 1er janvier 2010 les cantons n'auront tout simplement pas de compétence dans ce domaine.
Je vous invite par conséquent, comme la commission, à refuser ce projet de loi.
Mme Sandra Borgeaud (Ind.). Comme il l'a été relevé, il aura fallu, depuis le dépôt de ce projet de loi, soit le 5 septembre 2001, quasiment huit ans afin que cet objet puisse figurer à notre ordre du jour... Ce projet de loi n'est plus utile ! D'autant moins pour une période si brève qu'elle s'achèvera le 31 décembre 2009, et avec l'entrée en vigueur, le 1er décembre 2010, du nouveau code pénal suisse.
Ce projet de loi aurait dû être traité il y a des années et il est évident qu'aujourd'hui il faudra voter contre ce dernier, devenu inutile. Voter le contraire serait dépenser de l'argent pour rien.
M. Alberto Velasco (S). Nous les socialistes avions effectivement approuvé ce projet en commission. Tout d'abord, le débat était intéressant. Mais la raison de notre soutien était que, lorsqu'on a auditionné les représentants de l'Association des juristes progressistes, ceux-ci avait déjà signalé à l'époque que, étant donné l'examen des textes relatifs au nouveau code de procédure pénale, ils avaient sollicité la suspension des travaux. Malgré cette demande, la majorité de la commission - et nonobstant les arguments que vous nous avez exposés, Monsieur le rapporteur - n'a pas voulu aller dans ce sens. Or il y avait d'autres éléments ! D'autres aspects que ces personnes ont relevés, notamment le fait que - je cite: «La Cour de justice statue en instance unique, sans possibilité de recours cantonal. Sa jurisprudence n'est pas publiée, si bien qu'au final il en résulte une impression de loterie.» Voilà des éléments qui, pour nous socialistes, nous semblaient à l'époque suffisants pour aller dans le sens de ce projet de loi. Et puis, comme il y avait la possibilité d'une révision du code pénal, on s'est dit: «Laissons ce projet de loi, il sera traité avec le reste du paquet». La commission n'en a pas voulu et a rejeté ce projet de loi.
Aujourd'hui - et je vous accorde, Monsieur le rapporteur, que vous êtes en train de travailler sur ce code - nous nous abstiendrons sur ledit projet, tout en émettant un souhait... (Brouhaha.) ...c'est que l'on tienne compte des observations des représentants de l'Association des juristes progressistes. Je vous remercie.
M. Olivier Wasmer (UDC). Comme vous le savez, il vaut mieux un présumé coupable en liberté qu'un innocent en prison. Ce projet de loi me paraît curieux et, comme l'a souligné le rapporteur, c'est l'archétype même du projet de loi de réaction. En effet, il tend à responsabiliser l'Etat. On a vu que l'Etat peut commettre des erreurs - d'ailleurs, très souvent, il en commet - et dans l'affaire Mikhaïlov, puisque c'est celle qui vous est rapportée, la justice s'est acharnée sur ce qu'on appelait «un criminel en col blanc» - c'est ce que disaient le procureur d'alors et l'Instruction - et, après des années d'instruction, on a découvert que ce n'était malheureusement pas un criminel en col blanc, puisqu'il a été acquitté et qu'il a purgé de très nombreux mois, voire plus de deux ans de prison... Pour tout cela, pour toutes ses erreurs, l'Etat doit payer.
Comme l'a relevé aujourd'hui notre excellent rapporteur, il s'agit d'un problème purement philosophique et académique, puisque, d'une part, dans à peu près une année, le code de procédure pénale fédéral entrera en vigueur et réglera la question d'indemnisation des personnes détenues à tort et que, d'autre part, à l'heure actuelle, la loi genevoise prévoit déjà un double recours. Ce n'était pas le cas à l'époque. Aujourd'hui c'est le Tribunal d'application des peines qui peut prononcer le montant d'une indemnisation, cette décision elle-même étant sujette à recours. D'ailleurs, comme l'a rappelé le Conseil de la magistrature qui avait alors été entendu, rarement les indemnités versées à des personnes détenues ont excédé 10 000 F ces dernières années. Et le cas Mikhaïlov comme l'affaire Ramadan - qui est d'ailleurs d'une autre nature, puisqu'il s'agit d'une affaire civile et pas pénale - ne sont pas monnaie courante.
Ce projet de loi tombe manifestement à faux. Pour toutes ces raisons l'UDC ne le soutiendra pas et vous demande de le rejeter.
M. Olivier Jornot (L), rapporteur. Je souhaitais brièvement souligner ce que M. Wasmer vient de dire à l'intention de M. Velasco, à savoir que le point soulevé par l'Association des juristes progressistes, donc le fait que les indemnisations étaient décidées en instance unique, a été réglé par les lois entrées en vigueur le 1er janvier 2007 et qu'il y a désormais une double instance de recours. Cela permet non seulement à la personne indemnisée ou qui demande indemnisation de mieux défendre ses droits, mais également à l'Etat, le cas échéant, de pouvoir défendre ses intérêts financiers, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent.
Mis aux voix, le projet de loi 8301 est rejeté en premier débat par 41 non contre 17 oui.